jeudi 29 avril 2010

L'Admirable (5)

Edouard Manet 1832-1883

Tout est dans le mouvement secret de ce regard qui traverse sa géographie interne, c'est ce qu'il se dit, tout est dans le déplacement d'une phrase que dissimulent des lunettes sombres, dans la résonance de ce citron qu'il admire.

C'est un sein offert au soleil de mon regard, pense-t-il, je l'embrasse à la bonne distance de l'Instant, et rien ne peut m'en empêcher.

Mes mains, ajoute-t-il, mes mains courent sur la phrase qui s'envole dans l'espace lumineux du Temps, et rien ne peut m'en empêcher.

Il offre ce geste d'admiration à l'Admirable, et se dit que le soleil se doit de la consoler.

Les hommes pense-t-il, se doivent de dénouer la douleur de l'aimée, la retourner, la faire exploser comme une grenade, alors, seulement, note-t-il, c'est l'art de la joie qui éclairera son visage, l'art du bonheur, l'art de la jouissance qui est celui d'une phrase qui court d'une bouche à un sein, d'un ventre à un pied, d'une oreille à une cuisse. Ses phrases ne peuvent avoir d'autres raisons que cette déraison, ses phrases ne peuvent naître d'un autre territoire que celui du corps embrasé et embrassé. Tout le reste n'est que malédictions.

" Que ce qui s'écrit résonne dans le silence, le faisant résonner longtemps, avant de retourner à la paix immobile où veille encore l'énigme. " (1)

Tout est dans le mouvement du silence, et ce mouvement pour le saisir, il faut s'y enfoncer avec la sérénité d'une phrase que l'on garde en mémoire, tel le corps de l'aimée silencieuse, c'est ce qu'il note, dans la chaleur descendante du jour qui s'accorde aux vibrations du citron embrassé. Tout est dans l'énigme de cet Instant, il s'en saisit, comme il se saisit de la phrase.

" On peut aussi dire guan yin, lumière-ombre, sui yue pour les mois, les années, liu nian, l'écoulement des années, nien hua, splendeur des années. A la recherche du temps perdu, de Proust, se traduit par zhui yi shi shui nian hua, rechercher-se remémorer-disparaître-eau-années-splendeur. A la recherche du temps perdu de l'eau disparue. " (2)

Voilà la phrase qu'il cherchait, il souffle, elle s'envole, et l'adresse à l'Admirable.

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'écriture du désastre / Maurice Blanchot / Gallimard / 1980

(2) Les voyaeurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard / 2009

mercredi 28 avril 2010

L'Admirable (4)


Edouard Manet 1832-1883
Il se dit, ces roses là, à aucunes autres pareilles, sont cet Or du Temps que je cherche.
Il se dit aussi, les roses le regardent, le traversent, l'emplissent, donnent une autre couleur à son sang.
Il pense, l'Admirable comme les roses, s'épanouit en chacune de ses pensées qui enflamment ses rêves.
Il écrit, ô roses qui jamais ne fanent dans le silence ombré du printemps.
" ... O voix ancienne de mon amour,
ô voix de ma vérité,
ô voix de mon flanc ouvert,
quand toutes les roses jaillissent de ma langue... " (1)
Roses, éclats de la permanence du Temps et de son Instant, ce sont ces livres qui enlacent l'espace de sa Tour :
" Jim est le seul à m'apprendre que chaque mot écrit est un corps de liberté agissant par effraction. Un homme armé d'une pensée de feu, voilà ce qu'il est. " (2)
" L'écriture est un luxe. Il me branche aussitôt sur la recherche du mouvement perpétuel aveugle, ce que je souhaite depuis toujours sans le savoir. " (3)
L'écriture, seule certitude, se dit-il, certitude de résurrection, pense-t-il, avant poste de l'amour, et sa garde rapprochée.
Il poursuit ses lectures fragmentées, en écoutant pour la millième fois peut-être les Motets de J.S. Bach par Masaaki Susuki (4), non il n'écoute pas, il voit la musique, sa grâce absolue, sa fluidité lumineuse, sa profondeur silencieuse, sa rigueur, ses envolées, sa divinité, sa joie, ses éclats, sa houle aux voix croisées comme les roses d'un bouquet offert dans le silence de la pensée.
" Vers 3 heures du matin, la première nuit. Anna Livia dormait. Je suis allé fumer une cigarette sur le balcon. J'étais nu. Un vent léger soufflait dans les arbres du parc. La glycine parfumait la nuit. Du papier traînait sur la table basse. J'ai noté. Nuit de feu dans la main qui court. La déesse du bonheur existe, me disais-je. Elle palpite dans les phrases qui viennent sous tes doigts. " (5)
" Il y a des écrits qu'on lit distraitement, ceux qu'on lit en sachant qu'on ne les relira jamais, et puis, en très petit nombre, ceux qu'on relit sans cesse. On les sait presque par coeur, à la virgule près, mais, rien à faire, ils révèlent toujours quelque chose de nouveau, ils sont actifs sans en avoir l'air, ce sont des émetteurs constants, des trésors. Ils font signe. Du coup, une autre vision se dessine. " (6)
Il se dit ces phrases là, à aucunes autres pareilles, sont cet Or du Temps que je cherche.
Il se dit aussi, les phrases le regardent, le traversent, l'emplissent, donnent à sa peau une autre couleur.
Il pense, l'Admirable, comme ces phrases, se met au diapason de la musique de Bach. Mes phrases, ajoute-t-il, je les veux ainsi, dans l'élévation d'un corps saisi comme une rose.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Double poème du Lac Edem / Poète à New York / Federico Garcia Lorca / traduc. Pierre Darmangeat / Poésie / Gallimard
(2) Journal amoureux / Dominique Rolin / Gallimard
(3) Le futur immédiat / Dominique Rolin / Gallimard
(4) Bach / Motets / Bach Collegium Japan / Masaaki Suzuki / BIS
(5) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard
(6) Les voyageurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard

mardi 27 avril 2010

L'Admirable (3)



Le 15 décembre 1929 paraissait le N° 12 de La Révolution Surréaliste, tiré à 3 mille exemplaires ordinaires et à 10 de luxe par La Librairie José Corti, 6, Rue de Clichy, Paris ( IX° ), 20 Francs pour la France et 30 Francs pour l'Etranger. Il ouvre son fac-similé édité par Jean-Michel Place Éditeur 1975. Il n'a pas oublié ce qu'il faisait cette année là, dans la ville océane où il passait souvent ses nuits et parfois ses jours. Dans son oreille résonne la voix amie et solaire des lointaines collines. André Breton y publiait son " Second manifeste du surréalisme ", il s'achevait ainsi :

" L'homme, qui s'intimiderait à tort de quelque monstrueux échecs historiques, est encore libre de croire à sa liberté. Il est son maître, en débit des vieux nuages qui passes et de ses forces aveugles qui butent. N'a-t-il pas le sens de la courte beauté dérobée et de l'accessible longue beauté dérobable ? La clé de l'amour, que le poète disait avoir trouvée, lui aussi qu'il cherche bien, il l'a. Il ne tient qu'à lui de s'élever au-dessus du sentiment passager de vivre dangereusement et de mourir. Qu'il use, au mépris de toutes les prohibitions, de l'arme vengeresse de l'idée contre la bestialité de tous les êtres et de toutes les choses et qu'un jour, vaincu - mais vaincu seulement si le monde est monde - il accueille la décharge de ses tristes fusils contre un feu de salve. " (1) C'était en 1929, donc aujourd'hui, et d'évidence demain !


Dans cette même livraison la revue posait une question : " Quelle sorte d'espoir mettez-vous dans l'amour ? ". Il choisit là dans le jour clair-bleu finissant, quelques réponses, qu'il lit à haute voix dans la pensée minérale de l'Admirable :

" L'espoir de ne me reconnaître jamais aucune raison d'être en dehors de lui. " ( André Breton )
" Si j'aime, tout l'espoir. Si je n'aime pas, aucun. " ( Luis Bunuel )
" Aucune sorte d'espoir. L'espérance est une faiblesse essentiellement incompatible avec cette force qu'est l'amour. " ( Maurice Heine )
" Tout ce que je sais de l'espoir que je mets dans l'amour, c'est qu'il n'appartient qu'à une femme de lui donner une réalité. " ( René Magritte )
" Je ne mets pas plus d'espoir dans l'amour que dans la vie. Je vis, j'aime. " ( Marcel Fourrier )
" D'accord avec l'auteur de l'enquête : l'espoir de réconciliation, momentanée ou durable, avec l'idée de vie. " ( Max Ernst )
" Je crois qu'il m'est à jamais impossible de désespérer de l'amour, ne serait-ce qu'à cause de ma foi totale en son pouvoir magnifique et absolument unique de transfigurer et d'exalter la vie. " ( Marco Ristitich )
" Les jeux de sexe, qu'ils tournent plus ou moins bien, ne sauraient faire un sort à ceux qui s'y complaisent. L'amour, seul, peut redonner leur fatalité aux existences tirées à hue et à dia. Voilà deux vérités de la Palisse, mais dont j'avoue que j'ai dû, pour les éprouver, attendre le fait d'aimer. Je ne suis point passé de l'idée d'amour à ce fait d'aimer, mais il m'a fallu le fait d'aimer pour prendre notion de l'idée d'amour. " ( René Crevel )
" Non, pas sur cette grande personne laborieuse que j'ai dépassée sans la reconnaître. " ( René Char )
" Des espoirs inespérables... " ( Roland Penrose )
" L'amour ? " Abord d'un être par un nouvel angle. " ( Luc Durtain )
" Une clef, celle d'un étage interdit à l'esprit.
Comme un arc-en-ciel. " ( Jacques Delmont )
" Démériter de l'amour est le seul crime, la seule lâcheté, tout le reste est discutable. " ( M. G. )
" Je me sais capable d'aimer, je ne me crois pas capable d'espérer. " ( Aragon )

Dans ce même opus, André Breton et Paul Eluard signaient leurs " Notes sur la poésie " de Jacques Rigaut, lisons les yeux plongés dans l'éblouissement de son regard :
" Les livres sont les mêmes amis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps ; et leur propre contenu.
Les pensées, les émotions toutes nues sont aussi fortes que les femmes nues.

Il faut donc les dévêtir. " ( André Breton - Paul Eluard )

La falsification dominante a décidé de rayer ce qui se dénouait dans la Révolution surréaliste, même sort que celui réservé aux livres du Marquis de Sade, de Lautréamont, de Dante, du Journal de Kafka, de Céline, et aujourd'hui de François Meyronnis. Le plus grand crime, n'est pas, ajoute-t-il que leurs livres soient interdits, c'est qu'ils ne soient pas lus. Lire c'est aimer, tout le reste n'est au bout du compte, note-t-il, que crime contre l'Or du Temps.
Si vous cherchez l'Or du Temps, plongez-vous dans la délectation permanente du mouvement solaire du corps aimé et répondez par le silence de l'amour.

à suivre
Philippe Chauché

(1) André Breton / Second manifeste du surréalisme / La Révolution Surréaliste / N° 12 / Collection complète N° 1 à 12 / Jean-Michel Place Éditeur / 1975

lundi 26 avril 2010

L'Admirable (2)

Léonard de Vinci 1452-1519

Depuis quelques jours ils s'entassent, il les ouvre, les referme, il a du mal à les lire dans le flot continue des mots, alors il y glisse un marque page en soie, une fleur séchée, une photo, un billet d'une corrida à Madrid - tendido 5 - dont il n'a aucun souvenir, et qui a échappé au grand ménage, un crayon dur. Il les reprend au hasard, comme ça pour simplement vérifier si les phrases tiennent le coup, c'est la seule manière se dit-il, vérifier s'il s'agit d'un écrivain ou d'autre chose, de ce qui domine, de ces phraseurs du blabla et du chichi moderne fané. Vérifier aussi si ces phrases, écrit-il, il aurait pu les lui lire sur l'Instant dans sa Tour, comme une prière au mouvement du Temps, une offrande absolue.

Il pense, l'Admirable est cette phrase qui appartient à tous ces livres d'hier, d'aujourd'hui et de demain, il y a dans un corps le même mouvement.

Si vous doutez un instant de la verticalité de l'amour, lisez. Si vous doutez une seconde de sa tellurique vibration, lisez. Si vous doutez un jour de la musicalité de son corps, lisez. Si vous doutez une année de la permanence de son regard, lisez. Si vous doutez un siècle de sa présence miraculeuse, lisez. Si vous doutez de vos raisons profondes, lisez. C'est lorsque vous ne pourrez plus rien lire de l'Admirable, qu'alors seulement vous pourrez définitivement refermer le Livre.

Il allume une cigarette américaine et se sert un verre de Tio pepe - Fino Muy Seco - Palomino Fino - Gonzalez Byass - 1835 et se met à lire, comme l'on offre un baiser :

" Il faut essayer simplement de devenir cet homme à " force rétroactive " imaginé par Nietzche : " A cause de lui, toute l'Hisoitre est remise sur la balance et mille secrets du passé sortent de leur cachette our être éclairés par son soleil. Il n'est pas du tout possible de prévoir tout ce qui sera encore de l'Histoire. Le passé demeure peut-être tout à fait inexploré. Il est encore besoin de beaucoup de forces rétroactives... " " Rétroactif " est évidemment ici le contraire de " réactionnaire ". La vraie révolution est rétroactive, elle tire à bout portant sur les fausses horloges, le passé fleurit comme l'avenir du présent, les meilleurs morts vivent et revivent, les pseudo-vivants meurent et demeure, l'essentiel demeure, et, soudain, une grande bénédiction sans raison envahit le ciel. " (1)

" La magique étude " dresse une âme et un corps... " ce charme a pris corps et âme ", ajoute Rimbaud... N'est-ce pas déjà dire, comme il l'écrit en conclusion de Une Saison en enfer : " il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. " (2)

" C'est, un soir de mai, un forêt de signes rouges pour Soyeuse et moi. On court dans les rues. J'ai les poches remplies de cartes postales de la tenture, sur lesquelles j'écris pour Soyeuse des improvisations. " (3)

Il sait, alors que l'alcool coule et clarifie ses idées comme une prière : " ces phrases sont pour l'Admirable, elles vont quitter sa Tour et accompagner le passage surprenant d'un martinet égaré ". Il ajoute le miracle de l'Instant renaît dans chaque phrase envolée.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Les voyageurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard

(2) Rimbaud en son temps / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard

(3) A mon seul désir / Yannick Haenel / Argol / Réunion des Musées Nationaux


dimanche 25 avril 2010

Giacometti Vivant

Vérifiez, se dit-il ce matin, vérifiez si les peintres et les sculpteurs qui vous traversent et que vous traversez savent ou non ce que dessiner veut dire, vérifiez et peut-être saisirez vous si vous avez à faire à l'art du mouvement de vie ou au bavardage artistique marchand.

Giacometti vivant, il est là, dans la cour de la Fondation Maeght à Saint Paul. L'artiste qui marche, qui vous transperce dans la fraîcheur de l'été finissant, la dernière fois qu'il a avec lui échangé un regard et un silence, l'Inconnue était dans ce même mouvement, c'était pense-t-il les Temps bénis.

Giacometti vivant, était une énigme, se dit-il, un artiste qui ainsi traverse le Temps, et vous le fait traverser, est toujours une énigme - comme Cezanne, comme Picasso, comme Matisse, et quelques autres - et voilà, miracle des Temps, un petit ouvrage s'offre à lui, par le hasard des curiosités du Temps (1), un petit livre qu'il convient de garder à porter de main comme on garde à portée de coeur la photo de l'Admirable - tout est musique se dit-il.

" On a voulu voir, dans la première grande sculpture monumentale réalisée par Giacometti, La Femme-cuillère ( 144 x 51 x 23 cm, en 1926 ), l'influence de l'art africain et océanien, découvert lors de l'exposition organisée par le musée des Arts décoratifs en 1923-1924. La curiosité informée, la culture et le savoir, littéralement encyclopédiques de Giacometti n'excluent pas, en autres, cette référence qui, par ailleurs, n'explique en rien l'admirable manifestation de l'oeuvre. " Tout l'art du passé, de toutes les époques, de toutes les civilisations, surgit devant moi, tout est simultané... Les souvenirs des oeuvres d'art se mêlent à des souvenirs affectifs, à mon propre travail, à toute ma vie ", écrit-il en 1945. " (1)


Giacometti vivant face à la mort, celle de son compagnon de voyage T. qu'évoque Marcelin Pleynet, Giacometti :

" J'eus la vague impression que T. était partout, partout sauf dans le lamentable cadavre sur le lit, ce cadavre qui m'avait semblé nul ; T. n'avait pas de limite... A ce moment-là, je commençais à voir les têtes dans le vide, dans l'espace qui les entoure (...) Ce n'était plus une tête vivante, mais un objet que je regardais comme n'importe quel autre objet, mais comme quelque chose de vit et mort simultanément. Je poussai un cri de terreur comme si je venais de franchir un seuil, comme si j'entrais dans un monde encore jamais vu. " (1)

Et Pleynet toujours aussi lumineux : " Giacometti le dit et le répète, ce qu'il a vécu est non seulement inoubliable, mais encore ébranle les plus solides de ses convictions. Il découvre qu'il pense et qu'il voit autrement... Qu'il voit " le jamais vu ". Sait-il de quoi il s'agit ? Oui et non. Il ne cesse de le répéter : il a définitivement découvert qu'il doit rester vigilant quant à ce qui se donne à voir. " (1)

Et plus loin : " Que cette " transformation de la vision de tout " soit d'abord une pensée vécue où le caractère exceptionnel d'une situation dévoile l'essence même de la présence et des dispositions de l'être au monde, de façon dont Giacometti rapporte le souvenir qu'il garde de la mort de T. en témoigne.

Et que cette pensée soit la plus profonde qu'un homme puisse faire sienne, les sculptures de Giacometti, ces chefs-d'oeuvre sans exemple, l'attestent en nous entraînant émotionnellement en ces lieux où, pour reprendre un mot d'Hölderlin, " qui pense plus profond aime le plus vivant ". Mais alors, il faut aussi savoir aimer. " (1)





En ces temps, se dit-il, une seule question mérite notre attention si nous voulons marcher : savons-nous aimer ?


à suivre

Philippe Chauché

(1) GIACOMETTI / le jamais vu / Marcelin Pleynet / Éditions Dilecta / 2007

samedi 24 avril 2010

Lire pour faire Vivre

http://www.not-the-germans-alone.org//


http://www.not-the-germans-alone.org/AMEJDVF/html/plaque_des_deportes.html


Lire un nom pour le faire Vivre
Contre l'oubli dominant
Lire un nom pour le Mouvement du Temps
Contre la falsification dominante.

Ne jamais de sa mémoire effacer un nom

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 21 avril 2010

L'Admirable

Gustave Courbet 1819-1877



L'Admirable, le mot lui est venu comme un foudroiement, comme un éclair, une phrase de délivrance, une musique de Bach.

L'Admirable, comme une fleur que l'on embrasse comme un livre. L'Admirable, le mot lui est apparu dans le jour finissant où se glissent des martinets aux ailes glorieuses.

L'Admirable, il fait tourner le mot sous sa langue, il approche de ses lèvres, et s'élève dans une nouvelle phrase magique.

L'Admirable, magie blanche du mot qui sur l'instant devient le corps de l'Inconnue aux rubans de soie.

L'Admirable, si lointaine, et pourtant qu'il touche du regard - cette incitation de la pensée.

L'Admirable, le mot l'accompagne comme le piano de Glenn Gould dans les suites françaises de Bach, dans le jour pressé lui aussi semble-t-il d'en finir et de laisser la nuit adoucir chacun de ses gestes.

L'Admirable, le mot est là devant lui, vivant, vibrant, tournoyant, comme un temps son corps tournoyait dans ses bras.

L'Admirable, il précise, pour ses manières d'être, cette effervescence de la peau et de la pensée, pour les fleurs de son ventre, la musique sublime de la Joie offerte de son sourire, pour l'art de l'Instant qu'elle portait à son firmament.

L'Admirable, là dans sa tour, dans la présence de son absence, offrande au Temps de l'Instant.

L'Admirable, livre d'extases qu'il ne cesse de méditer dans sa définition du XI° siècle : digne d'admiration.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 19 avril 2010

Danse Me



Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Danse-moi ta beauté
avec un violon brûlant
Danse-moi dans la peur
jusqu'à ce que je sois rassemblé
enlève-moi comme un rameau d'olivier
sois la colombe du retour
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Laisse-moi voir ta beauté
quand les témoins seront partis
laisse-moi sentir tes mouvements
comme autrefois dans Babylone
Montre-moi lentement ce dont
je ne connais que l'entour
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Danse-moi vers le mariage
Danse-moi encore et encore
Danse-moi très tendrement
danse-moi très longtemps
Nous sommes sous notre amour
nous sommes dessus pour toujours
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Danse-moi vers les enfants
qui nous demandent à naître
Danse-moi à travers les fenêtres
que nos baisers ont épuisées
Dresse une tente pour notre amour
malgré chaque fil déchiré
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Danse-moi ta beauté
avec un violon brûlant
Danse-moi dans la peur
jusqu'à ce que je sois rassemblé
Caresse-moi de ta main nue
Caresse-moi avec ton gant
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour

Traduction de Jean Guiloineau

Elle danse dans les effleurements du printemps, dans la douceur qui s'annonce, au centre du mouvement du Temps, dans les éclats du vol des martinets amoureux.

Elle danse, dit-il, dans l'éblouissement des mots. Ses phrases dansent dans celles qu'il offre au mur des souvenirs de demain. Il pense aussi, cette danse est pour elle, dans le dévoilement de l'absence, dans l'Instant.

Elle danse, ajoute-t-il dans la beauté absolu de son visage, dans l'invisible et la suspension des phrases qu'elle illumine de rubans de soie.

Elle danse et l'espace s'en voit transformé.

Danse pour l'amour du Temps et sa Félicité.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 18 avril 2010

Qui ?



Qui par le feu ?

Qui par le feu ? Qui par l'eau ? Qui au grand soleil ? Qui dans la nuit ?
Qui par grand épreuve ? Qui par jugement ? Qui en ton joli, joli mois
de mai ? Qui par lente déchéance ? Et qui appelle, le dirais-je ?

Qui dans sa fuite solitaire ? Qui par les barbituriques ?
Qui dans ces royaumes de l'amour ? Qui par quelque chose d'émoussé ?
Qui par l'avalanche ? Qui par la poudre ? Qui pour son appétit ?
Qui pour sa faim ? Et qui appelle, le dirais-je ?

Qui par courageuse montée ? Qui par accident ? Qui en solitude ?
Qui en ce miroir ? Qui sur l'ordre de son amie ? Qui de sa propre main ?
Qui en des chaînes mortelles ? Qui au pouvoir ? Et qui appelle,
le dirais-je ?

Traduction de Jean Guiloineau

Ici dans sa tour lézardée, le ciel se voile. Il se dit mille choses, sur cette absence. Cette flamme que le vent du Temps a soufflé, sur l'Inconnue admirable au regard saisi une fraction de seconde dans le matin finissant, à la voix à jamais gravée dans le royaume de l'amour, dans le saisissement du Temps, au corps multiple et déployé, aux mots offrandes qui se sont glissés entre chaque page de ses livres, à l'éblouissement de l'Instant à jamais gravé sur sa peau. Il se dit que le miroir du Temps s'est brisé, que toute admiration doit être à jamais enfouie dans le déchirement du Temps, il se dit, rien, rien jamais n'égalera la Permanence de sa Présence.

à suivre

Philippe Chauché

L'Embrasement du Printemps


AFP PHOTO / LIBRAIRES ASSOCIES / ADOC-PHOTOS
Arthur Rimbaud, deuxième à droite, à l'hôtel Univers, à Aden au Yémen, dans les années 1880.

Il se dit, les Temps Modernes (?), sont passés maîtres dans l'art de l'effacement de la poésie vivante. Preuve éclatante, cette photo évènement, reprise ici et là, commentée, analysée, exposée, par quelques doctes spécialistes d'Arthur Rimbaud, par des journalistes aux gencives approximatives, et cela va de soi, mise en lumière et en vente sur le marché spectaculaire dominant. Et comme de bien entendu, cette photo est là pour effacer ce que n'a cessé d'écrire - donc de vivre - Rimbaud, - il est amusant de constater que cette foule de spécialistes foudroyés continue de croire qu'il y a deux Rimbaud, le dieu et le diable. On montre pour ne pas lire, on affiche pour ne pas méditer sur l'incroyable séisme que porte sa poésie, rien d'étonnant finalement en ces temps où dire l'Absolu est devenu une guerre permanente du goût, comme le notait un isolé absolu, c'est-à-dire un écrivain d'aujourd'hui, donc d'hier et de demain.
Tout est affaire de marché, c'est ce qu'il pense, celui des corps et des âmes se porte pour le mieux, celui des idées les plus funestes ( Michel Onfray parfait représentant de la France Moisie ) font la une des gazettes, celui de la littérature de la misère comble de joie les humanoïdes qui ne se rendent pas compte qu'ils sont en train d'être consumés par les flammes de l'enfer social.
Il se dit pour répondre à tout ce désastre organisé, seule posture, lire et relire Rimbaud, comme on le fait d'un corps aimé :

" J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché. réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes d'éclats, une fleur qui me dit son nom. " (1)

" - Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal. " (2)

" A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; " (3)

" Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient ! " (4)

" Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil,
et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie - O Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs ! " (5)

Il se dit enfin, écrire c'est aussi faire croire que l'on n'écrit plus. Écrire, ajoute-t-il, c'est vivre ce que son corps écrit.
Écrire s'est se détacher de la gloire.
Écrire c'est être dans l'ailleurs du Temps, et d'évidence se construire une fort mauvaise réputation après avoir été admiré par les assis.
Écrire c'est aussi lire : legere " ramasser, cueillir ", " rassembler, recueillir ", " choisir " (6).
Rimbaud a ramassé son Temps pour cueillir la vie vive.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Aube / Illuminations / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972
(2) Première soirée / Poésies / d°
(3) Voyelles / Poésies / d°
(4) Le pauvre songe / Vers nouveaux et chansons / d°
(5) Départ / Illuminations / d°
(6) Dictionnaire historique de la langue française / Le Robert

samedi 17 avril 2010

Le Lieu de la Vie (9)


Léonard de Vinci 1452-1519

Il se dit, celui qui chaque matin ne pense pas à mettre fin à ses jours, n'habite pas le Lieu de la Vie. Il ajoute, sur l'Instant ce que l'on a vécu, ce que l'on vivra, ce que l'on vit, ressemble à ce geste fondateur du toreo, avancer la main et se croiser, seule la vie mérite ce croisement, et cette mise en danger qui ouvre une autre perspective lumineuse. Vivre, c'est offrir cette main de soie ouverte sur le mouvement du Temps, tout le reste n'est qu'artifice, tout le reste n'est que mensonge, et bavardages sexuels. Il pense que seul ce visage mérite cet acte inouï, seul ce corps, cette illumination, font naître cette vérité. Mais la vérité, ajoute-t-il est une corne d'acier qui n'hésitera pas une seconde à vous déchirer.


José Tomas

à suivre

Philippe Chauché

jeudi 15 avril 2010

Le Lieu de la Vie (8)


Pablo Ruiz y Picasso dit Picasso 1881-1973

" Ainsi le monde se montre autrement. Et dans ses termes mêmes et comme il se dit, Personne, rue de l'esprit : vide vide du mal du vide... dans la révélation... dans l'instantané, le dévoilement en oeuvre d'art. Ne devrait-on pas être, voir le monde autrement, et autrement aérien, infini, vide et libre, instantané dans la révélation dévoilée du rire, chemin sur la chance ( l'océan, l'art du possible ) qui fait oeuvre.

L'oeuvre d'art dévoile, elle révèle : en ce sens l'art ( la tekhmê ) est la vertu de l'intelligence poétique, le corps du rythme, du " faire-oeuvre "... ( " oeuvre " de la famille d'une racine indo-européenne qui signifie " activité productrice " ) - en latin ( ops, opis ) : abondance, force, aide - pouvoir, richesse, assistance. " (1)

Sous la lumière, la clarté et l'éclat du Temps, il pense à un sourire complice, d'une complicité d'un Temps révolu, il se dit, regard est éclairant comme un dessin de Picasso, il ne se regarde pas, il vous regarde, vous traverse de part en part. Il se dit aussi, un regard qui perd la mémoire n'est jamais un regard oublié, il va ainsi aussi d'un corps et de mots merveilleux prononcés dans le trouble du Temps.


" Pour que personne ne puisse sonder mon fond et ma dernière volonté, je me suis inventé le long silence clair. " (2)

à suivre

Philippe Chauché



(1) Le savoir vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard / 2006
(2) Ainsi parlait Zarathoustra / Friedrich Nietzsche / traduc. Marthe Robert / 10-18

mercredi 14 avril 2010

Le Lieu de la Vie (7)



" Elles sont là... Formidables, catégoriques, flambantes... Les femmes... Les vraies... les enfin vraies... Les enfin prises à bras-le-corps dans la vérité d'une déclaration d'évidence et de guerre... Les destructrices grandioses de l'éternel féminin... Les terribles... Les merveilleusement inexpressives... Les gardiennes de l'énigme qui est bien entendu : RIEN... Les portes du néant nouveau... De la mort vivante, supervivante, indéfiniment vivante, c'est son masque, c'est sa nature, dans la toile sans figure cachée du tissus... Pas derrière, ni ailleurs ni au-delà... Simplement là, en apparence... Jouies, traversées, accrochées, écorchées, saluantes et saluées, posantes, saisies par un professionnel de la chose... Un des rares qui ait eu les moyens d'oser... Le seul au XX° siècle à ce point ? Il me semble... A pic sur le sujet...
Exorcisme majeur.
CETTE MAIN !
1907
LES DEMOISELLES D'AVIGNON " (1)

Un tel séisme, s'il ne vous renverse pas sur l'Instant, vous pouvez passer à autre chose, c'est ce qu'il se dit. S'il ne vous retourne pas dans le mouvement du Temps, il vous reste à préférer les fantômes qui peuplent aujourd'hui les galeries contemporaines (?), les catacombes n'ont jamais attiré autant d'humanoïdes sans corps et sans âme.

Un tel saisissement s'il vous échappe, ne soyez pas surpris qu'il en soit de même du silence, cet art de l'amour actif, ne vous étonnez pas que la jouissance vous soit si étrangère, que l'embrasement d'un corps vous fasse frémir, que la résonance d'un ventre vous effraie.

Une telle révolution universelle, c'est ce qu'il écrit, si vous ne la faites pas votre, ne soyez pas surpris que la mort vous courtise et qu'elle devienne votre nature, alors que là, devant nous c'est une résurrection qui s'opère. Une résurrection n'est autre, pense-t-il que ce mouvement des corps pris, dans tous les sens du terme, sur l'Instant, en douter c'est douter du dévoilement absolu de l'amour, ou si vous préférez du corps qui fait face, acte incroyable et mille fois plus nécessaire que les petits bavardages sexuels dominants.

Une telle évidence si elle ne vous transforme pas instantanément, ajoute-t-il, ne vous étonnez pas de passer à mille lieux de la résonance du Temps et de " tourner dans la nuit dévorés par les flammes de l'enfer ".



Une telle lumière vous éclaire à jamais encore faut-il savoir la voir.

à suivre

Philippe Chauché




(1) Femmes / Philippe Sollers / Gallimard / 1983

mardi 13 avril 2010

Le Temps du Silence (3)


Gustave Courbet 1819-1877


Rien d'autre à écrire.
Rien d'autre à dire.
Rien de plus beau à offrir.


à suivre

Philippe Chauché

lundi 12 avril 2010

Le Lieu de la Vie (6)



Henri Matisse 1869-1954

État de permanence de la traversée d'un rêve ouvragé, il voit ce qu'il rêve, et laisse les visions se poser sur ses lèvres.

État de vision de l'Instant béni, il embrasse la trace des mots suspendus dans l'espace fleuri de sa tour.

État de trouble du rêve éveillé, nuances de sa peau, qui fleurissent dans ses mots, il écrit ce qu'il rêve.

État de l'embrasement du Temps accompli, il ne nourrit aucun autre rêve.

État de permanence du silence, il écoute, il voit, il sait, il aime, il sort toujours armé d'un rêve.

État flottant, il aime se savoir goélette et offrir ses voiles au souffle de son regard.


à suivre

Philippe Chauché

dimanche 11 avril 2010

Le Lieu de la Vie (5)

Le Lieu de la Vie, le Lieu de la Musique, le Lieu du Silence, effraction du Temps et de son mouvement, c'est ce qu'il se dit.
Son regard se porte en portée claire, il ignore les effractions, note-t-il.
Tout est clair dans la Révélation du sourire de l'Inconnue, et cette Révélation féconde la pensée du corps présent.




Il se souvient d'un Temps où le musicien occupa l'espace lumineux de sa tour, il se souvient d'un Temps où le musicien s'invita dans la clarté d'une douce nuit, il se souvient d'un Temps où la musique de Scarlatti ( 1660-1725 ) flirta avec ses mots et ses gestes. Il se souvient d'un Temps qui n'a jamais été aussi présent.

Il n'oublie rien du futur, du Temps embrassé qui embrase le ciel.
Regardez comment s'accordent vos deux mains au corps aimé et vous comprendrez sur l'Instant d'où vient la fausse note, c'est ce qu'il note, ajoutant, regardez-vous écrire, et vous vous verrez méditer sur l'éclat perpétuel d'un regard musical.

à suivre

Philippe Chauché

samedi 10 avril 2010

Le Lieu de la Vie (4)

" Un écrivain du futur - c'est-à-dire d'aujourd'hui - médite Lautréamont, et pourquoi pas Moby Dick de Melville. Il étudie la mystique juive, mais aussi la vie des saints. Il sait que ces expériences n'appartiennent pas au passé, n'appartiennent à aucune époque, sont toujours en avant. Il pense que la question du mal est la question centrale de la littérature. Ne s'intéresse qu'à ce qu'il est impossible de représenter. Ne se laisse pas absorber par la communauté. Débusque partout le grappin, l'intégration sociale, la volonté d'avoir raison. Perçoit le temps et l'espace en termes d'extase. " (1)

Un écrivain d'aujourd'hui se doit d'être un amoureux du Temps et de sa Courbe. Qui aime mal, écrit fort mal, c'est ce qu'il se dit, assis à sa table d'écriture sur la colline qui domine la mer, à quelques ondes portées de la Corse. Ici tout est calme et sagesse. Ici tout est lumière de printemps et chants d'oiseaux musiciens. Ici l'Absence prend une autre forme, un visage saisi dans la douceur de son dernier Instant, un visage illuminé, qui par l'étrange portée musicale de sa permanence sonde la mort pour la retourner.

Un écrivain d'aujourd'hui n'a jamais rien à perdre de ce qu'il écrira demain, pense-t-il, de ce qu'il a écrit hier, de ce qu'il écrit maintenant, et de ce qu'il lit en permanence dans les nuances ouatées de ses rêves. Il sait que ce qu'il vit se transforme en or à la seule pensée de l'Instant.

Un écrivain de maintenant offre en silence une sagesse d'un autre type, peu nombreux sont ceux qui peuvent en saisir la portée terrible, il ressemble à l'amoureux qui ouvre ses bras au miracle d'un regard.

à suivre

Philippe Chauché


(1)Lautréamont, en avant / Yannick Haenel / Ligne de risque Numéro 25 / Année 2010

vendredi 9 avril 2010

Journal du Temps (12)

L'Italie est si proche se dit-il, alors il pense à Moravia et au Mépris, pour rien, ou pour Ulysse peut-être.
Il s'attarde à s'attacher à l'Instant. Tout le reste n'est que bavardage.
Il aime à penser, que quelque part une Inconnue au visage à jamais fixé dans le Temps a vu ce film, mais cela n'a avouons-le que peu d'importance.




à suivre

Philippe Chauché

jeudi 8 avril 2010

Journal du Temps (11)

" Chacun rend fou et trompe l'autre, et cet autre n'est que soi-même. Et celui qui se garde de se tromper lui-même, trompe et induit en erreur le monde entier. " (1)

" Il disait que pour un peintre, ou bien pour un poète, pour un compositeur, et parfois même pour un virtuose, bref, pour un artiste le souci portait sans faux-fuyant sur ce qu'il y a de plus réel, l'époque, qui n'aimait guère qu'on trahisse ses illusions, pour ne pas dire ses mensonges, serait toujours une ennemie implacable, ce qui, par voie de conséquence, lui faisait répéter combien sa vocation le conduisait incessamment au-devant du péril. " (2)

D'ici, face à la mer et aux collines, il lit, il écrit, et il aime dans la distance du Temps. Ici dans la beauté de l'art, présence de Watteau, de Fragonard, il médite et redouble d'attention aux présences vues de l'absence. Giagometti est là, l'homme qui marche vers le mouvement de la Courbe du Temps. De quelle marche s'agit-il ? il se le demande. De quel mouvement s'agit-il ? il l'ignore. Présence qui régénère ? Certitudes !
Rien ne m'obligera à être sans résonance, note-t-il.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Rabbi Naham de Bralav in Ligne de risque / N° 25 / Année 2010
(2) Valentin Retz / Double / Ligne de risque / N°25 / Année 2010

mercredi 7 avril 2010

Plénitude de Pleynet (2)



Nouvelle excursion au centre du livre (1), avec un double accompagnement : Bach (2), et un petit verre de Glen Lairg Single Malt 12 Years Old. Nouvelle aventure qui dissipe tout mal vu et tout mal entendu. Car il s'agit bien de cela, se dit-il, mon oreille lit, mon oeil écoute, ma main droite prolonge ce que livre mon corps. L'amour n'est pas autre chose, une affaire follement sérieuse, joyeuse et habitée, une phantasia, qui va de l'oreille à l'oeil, de la main au ventre, de la pensée active à l'envolée d'un baiser, Bach ne dit pas autre chose.

Écouter c'est comprendre, regarder c'est entendre, aimer c'est savoir et être immergé dans légèreté de la saveur de la vie vive, lire dans le creux de la jouissance. Et, se taire aussi, pour laisser renaître la Courbe du Temps.

Belle excursion, ajoute-t-il, nécessaire immersion dans le mouvement marin du livre, la Lagune est là, il suffit de se pencher à la fenêtre pour entendre sa mélodie.

J'aurai, se dit-il, passé ma vie à essayer de m'y employer, à offrir mon regard à une voix, ma joie à une oreille, mon corps à un visage, mes mots à un ventre révélé. Offrir mes silences comme des accords divins. Même si la divinité de l'Instant - comment la nommer autrement ? -, n'est pas de ce siècle, ajoute-t-il, que l'on en finisse avec ce siècle obscène. Passons à autre chose, il serait temps. Passons au roman, à la joie qui délivre, à la jouissance qui fait sombrer le bavardage sexuel dominant. Passons à la vie qui nous tend son corps éclairant - peut-il être autre ? -, passons au verbe qui est abandon joyeux, au silence d'une caresse qui installe une éclaircie de la pensée, à l'éblouissement du Retournement d'un corps, soyons dans la Résurrection du Temps, ou alors laissons le Diable triompher, ce siècle nous y invite, c'est à chacun de voir ou plutôt de ne pas voir !

Joyeuse excursion dans le magnétisme du roman, lisons, comme nous aimons :

" Tous les saints, aujourd'hui même, ce 1 er novembre 2007, tous les saints noms qui m'accompagnent : " Si nous aimons la vie, disent-ils, ce n'est pas parce que nous avons l'habitude de vivre, c'est parce que nous avons l'habitude d'aimer. " (1)

" Regardant la mer, je revois ma vie et j'entends une musique dont les voix parcourent tous les tons et soumettent à un ordre caché leur succession de conflits et d'accords... " (1)

" Tout est dans la voix... C'est comme l'amour... le sang qui baigne le coeur... l'expérience... La voix extatique qui s'élève hors de... hors du camp des assassins... Hors de l'imitation... il faut s'embarquer dans le temps sans reste. " (1)

" J'ai une grande oreille. Le silence m'enveloppe comme une musique, comme un parfum.
Tout est musique visiblement... musique des parcs, des jardins... musique du coeur... du printemps...
C'est toujours une nouvelle jeunesse... Le charme, le rire, les jeux... Conviction musicale... ce qui se déclare en beauté... C'est bien entendu par amour pour moi. " (1)

" L'homme habite poétiquement... s'il est poétiquement habité de quelque conversation sacrée... C'est ce qui m'accompagne ici depuis plusieurs semaines... J'héberge un hôte que je dois pas décevoir. " (1)

" J'ai mes rituels. Je ne séjourne jamais à Venise sans, à un moment ou à un autre, m'arrêter, plus ou moins longuement devant le San Grisogono a cavallo, de Michele Giambono, dans l'église de San Trovaso. " (1)

" La rationalité est indissociable d'un ordo amoris... L'art ? Et de plus en plus, puisque c'est la même chose que l'amour... " (1)

Il se dit de la nuit au jour, un nouveau Temps, un nouvel Instant.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Chronique vénitienne / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard
(2) Italian Concerto / Glenn Gould / Columbia / anniversary edition

vendredi 2 avril 2010

Plénitude de Pleynet

Nous y sommes se dit-il, c'est là que se joue l'acte le plus troublant qui m'occupe ce soir. Il allume une cigarette américaine, et porte à ses lèvres un petit verre de Nikka Whisky et laisse la musique de Mozart flirter avec ses yeux plissés par quelques défaillances (1). De la fenêtre de sa tour, il aperçoit quelques oiseaux détachés du Temps qui jouent dans les hautes branches du platane de la synagogue. Mais toujours, ajoute-t-il, point de martinet dans cette rue des Illuminations. Le livre est devant lui, sur le bureau laissé là par un homme de qualités. Le livre ouvert ou fermé, c'est comme on le désire, le livre livré au Temps joyeux de sa plénitude. Il se dit, je sais durablement à qui je l'offrirai, et cela ne regarde personne d'autre que moi, comme d'ailleurs le vol de Plénitude des martinets. On offre un livre, comme l'on offre un vol d'oiseau un soir de vendredi Saint, nuit de la Passion, nuit des Passions, c'est le même accord musical, à entendre aussi du côté du corps et des mots, c'est la même chose, il suffit de le savoir et tout s'éclaire, et tout s'élève.

Plénitude de Marcelin Pleynet. Le titre lui est apparu comme un visage. L'apparition d'un visage est une chose étrange, une magie blanche, qui vous saisit comme un baiser, s'en défaire c'est se défaire du Temps et de l'écho permanent de sa Courbe. Un visage est toujours une apparition, ce livre est une apparition vibrante dans la lumière musicienne de Venise, dans la lumière qui délivre des tentations de littérature enchaînée.

Liberté de Marcelin Pleynet, comme jamais peut-être, pour qui connaît un peu ce que l'écrivain nous a déjà offert. Plénitude de la liberté de Marcelin Pleynet, il suffit pour s'en convaincre de lire et de lire encore, recommencer est toujours un acte nouveau. Il ajoute, un corps aimé choisi toujours le corps qui l'aimante, il en va de même du corps absent, il embrase à distance chaque pensée et donc chaque phrase. Plénitude de l'absence, note-t-il.

Liberté de cette Plénitude, note-t-il, ouvrons le livre, comme nous ouvrons nos bras au Mouvement de l'Instant :

" Un voyage, une traversée... Combien de fois déjà, ce passage, cette traversée, cette certitude ? Cette vision à travers les écrans... Cette présence à moi-même vivant de l'autre côté. " (2)

" J'avais devant moi une porte que personne ne peut fermer... " (2)

" Oui je crois que l'âge d'or et de sentir est en moi. L'esprit n'agit que sur les saints... On croit que je suis fou... " (2)

" En ce début d'aprés-midi le canal de Giudecca brûle de tous ses feux. Le soleil d'aplomb... Toute la lumière dans les yeux... La façade restaurée du Redentore... Le Christ au sommet de la coupole, dans le bleu tranchant... la Vierge Marie, en vertu théologale, domine le fronton central... blanc dans le blanc dressée... aveuglante.
On n'y voit que du feu... De l'autre côté... l'intant brille. La lumière partout est intérieure. " (2)



" Qu'est-ce qui retarde le départ ? L'embarquement est prévu... Nous sommes embarqués... de Breton à Rimbaud... Et pour tant d'autres. " (2)

" Mon corps s'engage dans sa musique... Il nage... Comme les éléments, le soleil, l'air et l'eau... la lumière et le vent, que pousse, soudain dans l'air, la suite cristalline et envahissante des cloches. " (2)

" Nouvelle traversée de l'exposition de Rosa Alba Carriera. Il n'est pas de meilleure, de plus noble, de plus belle compagnie... Littéralement de plus charmante. " (2)

Il se dit, il faudrait, ici tout recopier, mot à mot, phrase à phrase, n'oublier personne - Pound, Nietzsche, Céline, Proust, Sollers, Rimbaud, Matisse, Lautréamont, Cézanne, Pleynet, il ajoute, ce livre est un miracle, mais les miracles ne s'offrent qu'aux voyants, vérifiez si vous voyez, et l'on en reparlera.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Concerto pour Piano et Orchestre en ré mineur / Wolfang Amadeus Mozart / 1756-1791 (?) / Wiener Philharmoniker / Claudio Abado / Friedrich Gulda Piano / Deutsche Grammophon / 1975
(2) Chronique venitienne / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard