lundi 31 mai 2010

Propos Intempestifs (2)

" Autre discours : ce 6 août, à la campagne, c'est le matin d'un jour splendide : soleil, chaleur, fleurs, silence, calme, rayonnement. Rien ne rôde, ni le désir, ni l'agression ; seul le travail est là, devant moi, comme une sorte d'être universel : tout est plein. Ce serait dont cela, la Nature ? Une absence... du reste ? la Totalité ? (1)



Henri Matisse 1869-1954


Autre mouvement, ce 30 mai, chaleur accablante, gris bleu du ciel, léger vent, pas un bruit, la rue peut vivre son silence en toute quiétude. Rien à l'horizon, pas un rêve, pas d'envie, pas d'ennui, seulement le silence, et puis Mozart, une nouvelle fois, nécessité de Mozart (2), immersion dans l'Instant et dans le Mouvement du Temps.

Point de ruse, jamais de calculs, pas de projets, la douceur de la douleur qui vient d'une rose achetée le matin même devant les Halles, rouge, instantané de joie qui se fane dans l'absence.

Point de ressentiments, pas de doutes, mais un éblouissement de certitudes, avec la juste distance qu'il convient, finalement se satisfaire de l'incompréhension.

Croire plus que jamais à la beauté d'une offrande.

Habiter son silence, comme l'on habite son corps, certitude que le détachement délivre, que toute envie n'est qu'illusion, sauf celle d'écouter une nouvelle fois Mozart.

Ne jamais désespérer de ce que l'on a donné, quoi qu'on vous en dise.

" Donner c'est donner, reprendre c'est voler !" s'amusent à dire les enfants, ils ont raison.

Se contenter d'une saveur, de la musique d'un regard et d'une voix.

Devenir invisible pour ne plus troubler le petit jeu social, dont le ridicule devrait tuer.

Se savoir définitivement inutile, et s'en amuser.

Croire plus que jamais que les miracles naissent du regard d'une femme particulière, tout le reste n'est que balivernes.

Croire que seul l'amour sauve de la mort dominante, et sourire de son absence.

Ne jamais se lasser d'entendre une voix, même enregistrée.

S'installer dans la nuit, comme l'on s'offre à un corps désirant.

Décider un jour d'en finir, mais avec la délicatesse du pinceau de Matisse.

Brûler ses vaisseaux, et ne rien regretter.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Roland Barthes par Roland Barthes / Écrivains de toujours / Seuil / 1975
(2) Concerto pour violon et orchestre en si bémol majeur / Orchestra Mozart / Claudio Abbado / Giuliano Carmignola / Archiv Priduktion

dimanche 30 mai 2010

samedi 29 mai 2010

Le Corps Musical (3)



" Elle est italienne et romaine, sa mère était soprano et son père ténor, elle s'appelle Cécilia, comme la sainte protectrice de la musique, et on a envie de l'introduire sur scène au son triomphal de l'Ode à sainte Cécile de Purcell. A 34 ans, tout le monde la connaît, elle est venue souffler en tempête et en douceur pour réveiller la voix de l'hypnose où a voulu l'enfermer le XIX° siècle. C'est une sorcière, une fée, une joueuse, une beauté forte et allègre, un génie réveillé. Elle chante, et tout devient plus vibrant, plus fou, plus délicat, plus libre. C'est l'effet Bartoli. " (1)

Il se dit, vous l'écoutez, et sur l'Instant, vous êtes saisis par le mouvement de la vie, par le Corps Musical. Essentiel, le Corps Musical, ce qu'il montre et ce qu'il cache, ce qu'il déclenche et ce qu'il enclenche, ce qu'il ouvre et ce qu'il découvre. Le Corps Musical déjoue toutes les manoeuvres sociales, il fait de l'Instant une Joie, de la Joie une Jouissance, rien à voir d'évidence avec la domination pornographique et désaccordée de ces temps, le Corps Musical s'accorde au mouvement du Temps et embrase tous les siècles. Le Mouvement du Temps est ce Corps Musical, à chacun ou à chacune de vérifier si un Corps Musical les accompagne, si cela est le cas, point de réserve, chantez !



à suivre

Philippe Chauché


(1) Cécilia / Discours parfait / Philippe Sollers / Gallimard

vendredi 28 mai 2010

Le Regard

Antoine Watteau 1684-1721

" Il existe pour moi une " valeur supérieure " : mon amour. Je ne me dis jamais : " A quoi bon ? " je ne suis pas nihiliste. Je ne me pose pas la question des fins. Jamais de " pourquoi " dans mon discours monotone, sinon un seul, toujours le même : mais pourquoi est-ce que tu ne m'aimes pas ? Comment peut-on ne pas aimer ce moi que l'amour rend parfait ( qui donne tant, qui rend heureux, etc. ) ? Question dont l'insistance survit à l'aventure amoureuse : " Pourquoi ne m'as-tu pas aimé ? " ; ou encore : " Oh, dis-moi, amour de mon coeur, pourquoi m'as-tu délaissé ? " : " O sprich, mein herzallerliebstes Lieb, warum verliessest du mich ? " (1)

Il existe, note-t-il, pour moi une " valeur supérieure " : le regard. Regard de l'aimée dans sa profondeur livrée et voilée, regard qui vous saisit sur l'Instant et à jamais demeure imprimé, gravé, peint, écrit, dans mon propre regard. Je regarde l'aimée, ajoute-t-il, et ses yeux retournent mes certitudes. Magie magnétique du regard qui en dit tant et si peu à la fois. Je me plonge, écrit-il, dans ses yeux, et cette plongée est une révélation et une élévation. Ce regard en dit long, pense-t-il, en fixant une photo volée - c'est leur sort ! -, ce regard est à la fois son devenir et sa disparition, à perte de vue il conserve la permanence de sa présence. Ce regard est un corps, ces yeux une peau douce. Qui sait regarder l'être aimé, sait aimer l'être regardé.

Les yeux qui aiment ne se ferment jamais mais s'ouvrent sur l'Instant, c'est une forme de jouissance invisible. Ce regard est une traversée oblique du siècle, à l'image du vol des martinets qui dessine dans l'espace propice de la rue des vierges perchées, un Instant de Joie.

Il existe, pense-t-il, une " valeur supérieure " pour moi : ses yeux. Je ne m'en lasse pas, comme je ne lasse point d'écouter Mozart, mêmes accords, mêmes résonances, mêmes mélodies gracieuses, mêmes silences, mêmes présences, mêmes absences. Embrassez les yeux de votre amoureuse vous comprendrez Don Giovanni ! L'amour n'est jamais aveugle, ce sont les aveugles qui tremblent devant son regard.

Un regard aimé, est un dévoilement, un éblouissement, une résurrection sur l'Instant, un tremblement de vie, dont l'écho court le long de sa peau et de ses mots. Un regard aimé, dénude ses phrases et leur donne une autre force, un autre éblouissement. J'écris, note-t-il, dans la permanence heureuse de ce regard.

Parcourant la dernière livraison de " philosophie magazine " (2), il découvre une brève saillie :

" Quitte à passer pour la honte de la philosophie, je ne comprends pas comment on perçoit la " nudité " d'un visage. Surtout si ce visage est beau, c'est-à-dire s'il est un visage de femme. Car, dussé-je aussi passer pour éthiquement incorrect, je pense avec le futuriste italien Marinetti que " les femmes se divisent en une seule catégorie l les femmes belles ; et les hommes en trois, les hommes riches, les hommes pauvres, les femmes laides "... Une jolie femme n'a pas d'ascendant. Or, j'étais intimidé. Je me serais presque exclamé : " Ce n'est pas une femme, c'est une apparition ", comme Jean-Pierre Léaud dans Baisers volés quand il aperçoit pour la première fois Delphine Seyrig. Un midinet... " (3)

Cet homme qui écrit cela sur cette femme aimée mérite notre admiration.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fragments d'un discours amoureux / Roland Barthes / Collection " Tel Quel " / Éditions du Seuil / 1977

(2) Philosophie magazine / N°40 / Juin 2010 / Qu'est-ce qu'être BEAU ?

(3) Françoise, une lumière d'arrière-saison / Frédéric Schiffter / d°


jeudi 27 mai 2010

La Magnificence du Présent (3)

Léonard de Vinci 1452-1519


" L'écriture est un luxe " (1). Je m'offre, dit-il, le luxe d'écrire, ce qui n'est autre que le luxe de vivre. Le luxe de sourire à l'Admirable, le luxe d'une phrase qui illumine l'Instant, forme de résurrection permanente. Le luxe également, ajoute-t-il, de l'amour. Point ici, de trafic de corps et de sentiments, le luxe ouvre sur un autre espace, où le marchandage dominant n'a point de mise. C'est ce luxe, ajoute-t-il, si peu partagé, qui dénoue les fils de la douleur.

J'écris dans une jovente permanente, dans un éclair, un silence, un souffle d'air qui traverse ma tour. J'écris, pense-t-il, pour redonner de la clarté à l'Instant.

Écrire, note-t-il, délivre de la domination sociale, de la culpabilité, de la crainte, du mensonge, des falsifications, Écrire offre au corps une autre dimension, la seule qui mérite notre attention, pense-t-il, la dimension d'un corps en mouvement permanent, dans une élévation joyeuse, écrire est une jouissance douce et prolongée, ma main qui court, navigue, chavire, s'ouvre, et qui fait naître une phrase qui vient de ma peau et de mes muscles. Les phrases comme les baisers font des miracles, il faut offrir ses phrases comme une caresse déposée sur une peau aimée et ainsi vérifier que le miracle a bien lieu : c'est là tout le luxe d'écrire.

" Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l'autre. C'est comme si j'avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L'émoi vient d'un double contact : d'une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est " je te désire ", et le libère, l'alimente, le ramifie, le fait exploser ( le langage jouit de se toucher lui-même ) ; d'autre part, j'enroule l'autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j'entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire auquel je soumets la relation. " (2)

J'écris dans le luxe du silence habité, tout m'y pousse, pense-t-il, aucune douleur, mais une joie rare, qui est un frôlement du Temps. Mes nuits sont ainsi occupées, main droite déliée, offerte, légère, caressante, main qui dénoue et brode, qui s'élève dans une danse magique, comme si elle dessinait la partition du " concerto pour violon et orchestre " de Mozart, main délivrée qui se pose, sur le bois du bureau, puis qui s'ouvre, immensité du geste, intensité de l'acte, je porte ma main sur la feuille blanche, comme il m'est arrivé de la porter sur un ventre offert. C'est, ajoute-t-il, la même chose, écrire, est un luxe de caresses et de lectures. J'écris, le lis, je touche, c'est le même mouvement, la même offrande à la vie, la vie devient un luxe dont personne, ajoute-t-il, ne pourra me priver, les belles âmes savent de quoi je parle !

Le luxe est cette Magnificence du Présent, c'est un défi permanent. Regardez, se dit-il, des nuages blancs déchirés découvrent le bleu du ciel, la rue est calme, les " heures d'aimer " de mon cadran solaire s'accordent merveilleusement - quel mot - à la douceur de l'air, des humanoïdes pressés et négligés lèvent la tête vers ma tour, et s'empressent d'en photographier la façade, comme ils le font de celui ou de celle qu'ils croient aimer, mon oeil seul domine, mon oeil seul enregistre, mon oeil seul pense, écrit et jouit de l'Instant, mon oeil seul porte loin les phrases qu'il dicte à ma main, ajoute-t-il, mon oeil seul est la mémoire des livres qui m'entourent, mon oeil seul aime à aimer regarder, admirer, dessiner, désirer, mettre en musique ce qui ne se voit pas, une fée traverse la rue et danse pour elle seule, une déesse délaissée des dieux dont le corps flotte quelques minutes sous les fenêtres de ma tour, je souris à cette délivrance du Temps. Luxe, admirable luxe du mouvement de l'Instant.

" Et comment supporterais-je d'être un homme si l'homme n'était pas aussi poète et devineur d'énigmes et racheteur de hasard ? " (3)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le futur immédiat / Dominique Rolin / Gallimard / 2002
(2) Fragments d'un discours amoureux / Roland Barthes / Collection " Tel Quel " / Éditions du Seuil / 1977
(3) Ecce Homo / Friedrich Nietzsche / traduct. Alexandre Vialatte / 10-18 / 1988

mardi 25 mai 2010

Journal Océan (5)

Il se dit, écrire est un précipité du Temps, mots dispersés et hétérogènes qui font naître la phrase. Précipitation de la phrase qui devient cristalline. Précipité d'un corps qui se forme dans un regard.

Il pense, écrire transforme sa main et son regard, précipité du Temps dans cet Instant unique, miracle alchimique du verbe qui se fait corps.

Il lit, une nouvelle fois, comme l'on remonte un drap de soie grise sur un corps endormi pour qu'il ne prenne pas froid :

" Le coeur est l'organe du désir ( le coeur se gonfle, défaille, etc., comme le sexe ), tel qu'il est retenu, enchanté, dans le champ de l'Imaginaire. Qu'est-ce que le monde, qu'est-ce que l'autre va faire de mon désir ? Voilà l'inquiétude où se rassemblent tous les mouvements du coeur, tous les " problèmes " du coeur. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fragments d'un discours amoureux / Roland Barthes / Collection " Tel Quel " / Editions du Seuil

lundi 24 mai 2010

Journal Océan (4)

Jamais été aussi loin de Nîmes, c'est ce qu'il se dit, dans l'ovale romain, l'andalou Morante de la Puebla triomphe. Jamais été aussi loin du miracle taurin, du temple, de l'état de grâce, de la saveur et du savoir, de la musique silencieuse et profonde du toreo, qui n'est autre que celle de l'amour, tel qu'il l'entend, dans le silence éblouissant d'un regard qui s'allonge comme une naturelle.

Jamais été aussi loin de l'Admirable, c'est ce qu'il écrit dans la douceur du matin, et pourtant si près de son invisibilité choisie. Saisi par un mouvement, une peau, un éclair. Les éclairs de vie, sont des éclairs d'amour, il n'en va pas autrement, pense-t-il, de la phrase que l'on avance comme une muleta dans le croisement vrai du Temps retrouvé.

Jamais été aussi loin de la rue aux vierges perchées, alors, dans le silence, il lit, debout face à l'Océan, sur son ponton :

" Elle m'a parlé.

Elle m'a dit quelque chose de dansant, au milieu du bruit, j'en suis sûr, on dirait qu'elle me parle, je suis sûr qu'elle m'a parlé.

Cheveux d'or.

On dirait une statue, les plis de sa robe au ralenti sont en pierre, elle nage dans l'air, elle est loin.

On dirait qu'elle nage.

Elle veut certainement me dire quelque chose, elle le dit sans voix, en articulant les mots lentement, exagérant le mouvement des lèvres, mimant les voyelles, oh, ah, hi, les yeux agrandis.

Je ne comprends pas les mots, c'est à moi qu'elle parle, c'est sûr, mais pas à la bonne vitesse, étiré, grave, trop lent, sombre, elle écarquille les yeux en hochant la tête pour me dire oui, elle articule oui pour moi, c'est pour moi, je l'enlace, je la soulève, je la déplace, je la prends, je la porte, je respire l'air qui sort de sa bouche, je lui embrasse le ventre, ton ventre est une bouche, etc.

Elle me parle. " (1)

Jamais été aussi silencieux, il ajoute, jamais été aussi éloigné du vertige du Temps et de sa Courbe. Morante à Nîmes, Cadiot ici dans l'écho des pins décapités.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Retour définitif et durable de l'être aimé / Olivier Cadiot / P.O.L.

jeudi 20 mai 2010

Journal Océan (3)

Il écrit, ici le Temps a une autre résonance. Vu ce matin un merle qui le fixait, aucun des deux ne bougeaient, au bout d'une dizaine de minutes il s'est envolé. Il s'est dit, il doit en savoir assez sur moi, alors il disparaît, lassé ou amusé, lui seul le sait. Il a ouvert la fenêtre et allumé sa première cigarette de la journée, le merle au bec jaune ne reviendra pas de la journée, a-t-il pensé, il a bien d'autres choses à faire. Il s'est un temps demandé, mâle ou femelle ? Peu de temps finalement !

Il écrit, ici les livres prennent une autre couleur. Il ajoute, j'ai passé une grande partie de la nuit plongé dans le Journal de Kafka, les insomnies ouvrent un autre champ et un nouveau chant, littérature absolue, absolu de la phrase, une manière de Paradis, même si l'Enfer rôde :

" Tenir ferme le journal à partir d'aujourd'hui ! Écrire régulièrement ! Ne pas se déclarer perdu ! Et quand bien même la délivrance ne devrait pas venir, je veux à tout instant être digne d'elle. " ( 25 février 1912 ) (1)

" Toujours la même pensée, le désir, la peur. je suis cependant plus calme que d'habitude comme si une grande transformation était en train de s'accomplir dont je serais le frémissement lointain. C'est trop dire. " ( 6 juillet 1919 ) (1)

Il ajoute, toujours les mêmes pensées, désir, joie, délivrance, écrire, et au bout du compte, ne conserver qu'un seul mot. J'écris, pense-t-il, c'est la délivrance de mon désir, c'est la joie du vide.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Journal de Kafka / traduc. Marthe Robert / Grasset / 1954

mercredi 19 mai 2010

La Magnificence du Présent (2)

Face à l'océan, face au large, il écrit, je me dégage d'un mouvement de tête de la vision de son corps, et laisse les phrases à la dérive d'une vague plus violente qu'une autre, qui les attire vers le fond, là où le sable se fait roche d'argent brossé.

Face à l'océan, il écrit, la sagesse voudrait que j'envisage autre chose que cette fixation permanente, que cet Instant déchiré par la glace du vent, que de l'écriture naisse une autre vision, un autre Temps, d'autres Instants où le roman paraît.

Face à l'océan, il dessine sur le sable son portrait, à la manière de Matisse, un trait net et clair, un visage qui est un corps, une bouche qui est le mouvement de la Joie, un menton, des cheveux retenus par une pince noire, un regard qui augure de la flexibilité du bonheur.

Face à l'océan, la vague, note-t-il, a recouvert quelques secondes le portrait sablonneux, puis en se retirant l'a définitivement gommé du Temps. Alors, il recommence, il écrit son nom, comme on aime un corps, il écrit son nom. Miracle : il irradie la Magnificence du Présent.

Il pense, sa mémoire garde sa trace à jamais inscrite dans le Temps soyeux du mouvement de ses phrases, ses phrases sont ce visage, ces phrases sont ce regard, ces phrases sont ce menton et cet éclat de cheveux qui éclairaient sa tour de Joie.

Il ajoute enfin, Naissance du Roman, naissance d'une courbe, d'une esquisse, d'un corps suspendu et gracieux, il offre cette phrase à l'Admirable.

à suivre

Philippe Chauché

mardi 18 mai 2010

Journal Océan (2)

Considérations 1: Ici, se dit-il, il pensait échapper aux déflagrations. Il sait lire comme jamais entre les lignes. C'est un avantage, mais aussi un risque, lire entre les lignes, c'est comme, ajoute-t-il, lire entre les corps, le réel et l'imaginaire, l'un réjouissant l'autre, l'autre éclairant l'un.

Considérations 2 : Le plus étrange, note-t-il, c'est que ce livre revient de loin, des parages du naufrage. Ce soir là, ajoute-t-il, il a bu beaucoup de vins, et de nombreux whiskys, les verres se vident et se remplissent au rythme déraisonnable de bouteilles îliennes en pleine dérive. Alors, il parle à nouveau de lui, des livres, des photos, du cimetière et du village. Il explique dans le détail comment trouver la tombe où il repose aux côtés de sa mère. Le rituel était au rendez-vous, trois cailloux déposés sur la pierre grise, pour dire, " je suis passé ", trois cailloux déposés devant sa porte un soir, pour dire, d'une autre façon, " je pense à vous ", en une seconde retrouver le vouvoiement qui fût le leur. Il ajoute, deux ou trois digressions sur " la saveur et le savoir ", c'est ainsi qu'ailleurs il a défini " l'amour ", et puis les couleurs de l'Adour, et puis l'art de la séduction, l'effacement, le neutre, le silence, la Chine, le Japon, la musique aussi, assis devant le piano droit de la maison du village, il pense à l'Admirable, musicienne écrivain, si lointaine et si proche aussi. Il a toujours aimé, ajoute-t-il, son " côté anglais ", distinction, distance, élégance, politesse, légèreté, mais aussi silence et méditation sur l'Instant. De qui parle-t-il, il se le demande ? Il lit :

" Moustiques et moucherons divers tardant à s'éveiller, dans le jardin Barthezs commence à s'endormir, regard perdu sous le feuillage du figuier, et les autres ne sont toujours pas de retour. Petites touches déversées des roses, des oeillets le long des murs avec le jour qui s'adoucit. Laisser venir en soi un vide ... " (1)

" Aprés le souper, comme il ne peut raconter la journée à Henriette, une fois le moment de politesse écoulée il va fumer un cigare dans le jardin, puis se réfugie dans le bureau bibliothèque, prépare le planning du lendemain, monte dans sa chambre, ouvre les Mémoires d'outre-tombe, attend d'être stimulé par ce qu'il lit, par exemple Chateaubriand disant de sa grand-mère et de sa grand-tante : " Je suis peut-être le seul homme au monde qui sache que ces personnnes ont existé ", et il continue à prendre des notes pour son prochain cours au Collège de France : La Préparation du Roman. " (1)

Il referme le petit livre, il se dit, la Préparation du Roman, c'est la préparation du corps au bonheur, étrange histoire, c'est la préparation de la rencontre sur l'Instant, étrange histoire, c'est la préparation du discours amoureux, étrange histoire.

Considération 3 : sa mémoire est comme ces trois cailloux déposés tous les ans sur la pierre grise et silencieuse du cimetière d'Urt, je n'oublie rien du Temps et de son mouvement, note-t-il.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Roland Barthes, un été ( Urt 1978 ) / Jean Esponde / Éditions Confluences

samedi 15 mai 2010

La Magnificence du Présent

La Magnificence du Présent, c'est à cela qu'il pense, en ce matin Océan et froid.
Il a glissé dans ses bagages du Temps quelques livres éternels.
Il lit comme l'on aime, avec ce détachement gracieux et silencieux.
Il aimait comme on lit, mais c'est une autre histoire.
Il écrit la Magnificence du Présent, est un éclair de peau qui fait de l'Instant une résurrection.
Ouvrez un livre et n'en dites rien à personne, embrassez ses courbes imprimées, et n'en dites rien à personne, glissez-le sous votre peau et n'en dites rien à personne. Seule l'Admirable sait cela.
Il se dit, les livres délivrent et offrent leur peau au Temps de l'Instant. Il ouvre un petit ouvrage à la blancheur douce qu'il s'est procuré quelques jours plus tôt lors d'un déballage rituel dans l'une des rues les plus connues de la ville aux Vierges Perchées. Pour deux pièces il change de main. Il lit :

"... devant mon ébahissement à la vue de cette monumentale conque de pierre et de brique, ceinte de vieilles demeures, qu'on s'entend généralement à considérer comme l'une des plus belles places du monde - ce qu'elle est, à n'en pas douter, pouvant même être rangée ces rares espaces urbains d'où émane, en beauté comme en harmonie, la puissance d'un paysage naturel, témoignant ainsi chez l'homme d'une faculté démurgique égale à celle des dieux -, la jeune femme me saisit la main en me disant : " Je ne voudrais pas te perdre ". (1)

Autre espace ouvert, autre temps, autre livre et peut-être le même, face aux vagues blondes, il lit :

" ... la multiplicité de mes amantes m'ayant progressivement amené à la conclusion que rien n'est plus difficile pour deux corps inconnus l'un à l'autre, à priori quand leurs coeurs ne s'accordent nullement, que d'établir d'entrée, lors de leur première vision, un langage commun, si bien qu'en définitive ceux-ci se contentent la plupart du temps de soliloquer chacun de leur côté, dans leur idiome propre, ne parvenant à échanger dans le meilleur des cas que des généralités, des lieux communs, conférant par là à leur colloque horizontal un tour assez oiseux, insignifiant dans le fond et grossier dans la forme, assez comparable somme toute à celui que présentent les coïts dans les films pornographiques... " (2)

Il sait d'évidence, que la Magnificence du Présent s'éloigne et se rapproche, comme une vague, à chaque seconde des deux petits livres blancs posés sur le sable. Au large les mouettes n'en doutent pas un instant.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Renaissance Italienne / Eric Laurrent / Éditions de Minuit / 2008
(2) Clara Stern / Eric Laurrent / Éditions de Minuit / 2005

vendredi 14 mai 2010

Journal Océan

Ici, écrit-il, l'écume de ses pensées se glisse dans l'espace incertain qui sépare deux vagues qui échouent en écume sur la plage.
Ici, l'espace connu est inconnu.
Tout est donc à refaire, pense-t-il. Son corps soufflé par une rafale de vent venue du large. Ses phrases griffées par l'acier de la colère qui s'est abattue sur lui.
Ici, l'absence se mesure à ses silences.
Tout est possible, se disait-il, tout est lumineux, éclairant, joyeux et musical. Mal lu, mal vu. C'est donc cela !
Alors dans les phrases du Journal Océan, il note, " chaque mouvement, chaque mot, chaque couleur, chaque pensée, chaque Instant est à reconquérir et cela prendra des siècles. "

à suivre

Philippe Chauché

mardi 11 mai 2010

Le Corps Musical (2)

Auguste Rodin 1840 - 1917

" Elle avait un joli grain de beauté sur la lèvre, et ses baisers fourmillaient dans la bouche, comme un buisson d'oiseaux. Lorsqu'elle souriait, comme elle fronçait un peu le nez, elle avait l'air d'un écureuil. " (1)

Il pense, si ainsi par un après-midi d'été vous êtes saisi par un Corps Musical, par une alchimie dont le savoir et la saveur consistent à vous rendre musicien en quelques formules secrètes, si ce miracle vous transperce, dites-vous qu'en ces Instants vous êtes béni des fées.

Il écrit, vous avez toujours eu une préférence pour les musiciennes, et vous vous dites, les plus troublantes sont celles dont chaque grain de peau, dont chaque mot est musical. Il écrit, ces musiciennes du corps ont parfois sans le savoir le pouvoir de transformer l'eau en musique. Leur cène est la scène du Temps. Nous ne tournons plus dans la nuit, pour être dévorés par les flammes de l'enfer, mais c'est le jour miraculeux qui s'ouvre à nous et nous embrase de sa musique de charme.

Le Corps Musical est un art d'être dans l'Instant, et, ajoute-t-il, il sait de quoi il parle ! L'Admirable est ce Corps Musical accordé aux Motets de Bach par le Bach Collegium Japan de Masaaki Suzuki, ce qui veut dire, vitesse, grâce, éclats, éblouissements, résonances du silence, élégance absolue, volupté - amusez-vous à parler de la volupté de Bach en société, vous verrez ce que cela provoque ! -, assurance sur la vie, concentration, méditation, sensualité, jouissance, le Corps Musical est un corps de jouissance. Il faut pour cela avoir dans l'oreille toute la musique des corps de Rodin, de Matisse, de Picasso, de Renoir, toute la musique des compositions Luly, de Bach, de Mozart, toute la musique des corps de quelques femmes douées de l'art d'apparaître et de disparaître, cela s'appellait un temps un enchantement, d'autres y voient une malédiction, à chacun son Temps, à chacun son siècle, pense-t-il.

Il ajoute, si ainsi, un jour, le Corps Musical a glissé entre vos doigts, s'il s'est évanoui de votre vue, il continue à fleurir dans votre oreille.

" Viva me retrouve au tir. Au fond, elle est ma conscience musculaire et nerveuse, ma vérificatrice animale, mon enveloppe de corps. Depuis six mois, elle a pris des leçons de massage, onguents, baumes, huiles, crèmes. C'est parfait pour les séances paroissiales, amour et silence, exorcismes spéciaux. Au fait, pourquoi m'aime-t-elle ? Ou plutôt : pourquoi s'aime-t-elle en moi ? Les affinités électives peuvent être bien entendu analysées, mais elles restent finalement très obscures, vitesse et détente, précision et douceur. " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

(2) Les voyageurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard


lundi 10 mai 2010

Le Corps Musical

Pablo Ruiz y Picasso 1881 - 1973


" Le grand torero se manifeste par sa façon de dominer le taureau, dont il révèle aux spectateurs les qualités. De même, par un effet de réciprocité, c'est la psychologie de ses personnages, façonnés à même la toile, qui nous donne à comprendre et ceux-ci et l'artiste. Pour deviner la compréhension et la tendresse de Jacqueline, il suffit de regarder une oeuvre qui la représente, ne serait-ce que cette silhouette si légère dessinée pour une céramique. Voilà la grande, l'authentique vérité de l'artiste : le message, le duende ; et Picasso a le duende, parce qu'en cela il est andalou et peint comme les grands peintres castillans. Ce mélange est en fin de compte l'essentiel. Ce mélange est en fin de compte l'essentiel. Comme mère, l'Andalousie, comme sceau de paternité, la Castille. Tout le reste vient de surcroît. " (1)

Le Corps Musical, c'est à cela qu'il pense en ce matin gris tremblant, et au duende. Le Corps Musical et le duende qui en surgit. L'amour, pense-t-il, a là des sources inépuisables, encore faut-il qu'il sache les saisir, qu'il s'écoute. Un corps qui s'écoute est un corps qui s'accorde. Un corps qui s'écoute est un corps qui entend l'autre corps. Tout est affaire d'oreille disait quelque part un écrivain scissionniste à propos du peintre des Temps.

Le Corps Musical, pense-t-il, est un corps offert au Temps, qui sait d'un tour de peau retourner le diable et ses malédictions.

Il sait beaucoup de choses sur le Corps Musical de l'Admirable absente.

Il écrit par exemple :

Son absence a fait naître un vide, un trou dans le Temps, dont on ne peut remonter qu'en accédant à une nouvelle résurrection de l'Etre, et cet état est d'une autre nature que celle communément admise. La résurrection doit s'entendre comme une musique, c'est d'une oreille nouvelle que l'on peut désormais voir le mouvement du Temps et se défaire du vide et des faillites du corps et des mots. Il se dit, mon oreille c'est mon regard, l'entendre, c'est la voir, et voir c'est toucher, et ces "impositions" font des miracles.

" Voici quelques années, un concours de danse avait lieu à Jerez de la Frontera. Eh bien, c'est une vieille de quatre-vingts ans qui enleva le prix à de belles femmes, à des jeunes filles à la ceinture d'eau, uniquement parce qu'elle savait lever les bras, redresser la tête et taper du talon contre l'estrade. Sur cette assemblée d'anges et de muses, éblouissante de beauté et de grâce, celui qui devait l'emporter, et qui l'emporta, fut ce duende moribond qui traînait à ras de terre ses ailes de couteaux rouillés. " (2)

Le Corps Musical fait et fait faire des miracles. Croire, pense-t-il, à tout cela, n'est pas sans danger en ces temps de surdité dominante.

Rendre un Corps Musical c'est, ajoute-t-il, l'unique raison d'être, tout le reste n'est que bavarde séduction. Vérifiez, vous entendrez et donc vous verrez !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Pour Pablo / Luis Miguel Dominguin / traduct. George Franck / Verdier

(2) Théorie et jeu du " Duende " / Poésie III / Fédérico Garcia Lorca / traduct André Belamich / Poésie/Gallimard


lundi 3 mai 2010

L'Admirable (6)


Henri Matisse 1869 - 1954
Parfois note-t-il en ce matin gris, les mots s'effacent d'eux-même, ne restent que les couleurs du Temps à jamais imprimées sur sa peau. Il sait que ces couleurs sont une autre resurrrection, il s'en contente et ferme les yeux.
à suivre
Philippe Chauché

dimanche 2 mai 2010

La Résurrection d'Aguascalientes


Il se dit, cette photo de l'agence EFE a fait le tour du monde, l'homme vient d'être touché, profondément touché dans sa chair, la mort rôde sur le sable d'Aguascalientes ( eaux chaudes ) au Mexique. Il ajoute la mort s'obstine comme toujours à vouloir triompher de la vie et de l'art, mais la bonne nouvelle de ce mois d'avril finissant, c'est qu'elle a trouvé dans ce ruedo plus fort qu'elle. L'homme traversé a ouvert les deux bras, comme s'il embrassait l'Instant du Temps, offrant non sa vie à la mort embusquée, mais sa vie à la vie, il retourne la mort pour à son tour la traverser, une résurrection au sens qu'en donnaient les gnostiques.









Edouard Manet 1832-1883

" Angelus Silesius, gloire de ce qu'on s'obstine à appeler la Contre-Réforme, alors qu'il s'agit d'une révolution catholique irradiant l'énorme floraison du baroque, écrit dans son Pèlerin chérubinique :




" Dieu fleurit en ses branches

Si tu es né de Dieu, Dieu fleurit en toi,

Et sa divinité est ta sève et ta parure. " ...

Et encore :

" C'est maintenant qu'il faut fleurir,

Fleuris, chrétien glacé, voici le mois de mai,

Fleuris sur le champ, ou sois mort à jamais. " (1)



Il pense à un autre printemps, madrilène celui-là, en 2002, où la mort réelle s'était aussi invitée. Il lit :

" Entre 20 h 15 et 20 h 30, devant Exhortado, il s'expose une bonne douzaine de fois à son principe mortifère. La létalité, c'est son affaire, et les mortelles hésitations du toro de Martelilla, toujours prêt à décocher son coup de corne au milieu de la passe, lui permettent de mettre son évangile en application. Froidement. Avec minutie. José Tomas, blanc comme la fleur de cerisier et le visage du samouraï selon la tradition, immobile et impassible comme un cadavre en sursis, croisé au maximum comme un croisé de sa cause, a tout donné de lui à un toro qui, lui, donnait, très peu de choses, sauf ces promesses de drame et ces avis de décès improbables que les aficionados nomment les avertissements. Outre leur beauté plastique née de leur envergure, les passes de José Tomas donnaient à voir sur leur tracé la naissance et le cheminement d'une angoisse qui creusait les joues puis son apogée lorsque les cornes très pointues glissaient lentement sur ventre. Dans le olé ! déchiré et convulsif qui saluait leur aboutissement, on pouvait déceler la liquidation soulagée de cette angoisse qui allait, inexorablement, faire retour dans quelques secondes , et taper sur le tambour de Las Ventas comme un taon contre une vitre. Tauromachie du ay ! " (2)

Il écrit aussi dans la nuit, la vérité de l'exposition absolue, est la seule vérité de vie, tout le reste n'est que tour de passe-passe, faute de goût, blabla et chichi taurin. Tous les autres le savent, ils savent que l'homme blessé a saisi la vie, et le saisissement de la vie est cette mise en danger permanente avec une certitude, que c'est là et nulle part ailleurs que se joue le véritable sens de la résurrection.
Il ajoute, vérifiez s'il en va de même dans votre vie, vérifiez la vérité de l'exposition de votre corps, de l'exposition de vos phrases au déroulé de l'amour.

à suivre
Philippe Chauché

(1) Fleurs / Philippe Sollers / Hermann - Littérature / 2006
(2) José Tomas Roman / Jacques Durand / Actes Sud / 2007