lundi 2 janvier 2012

Coquelicots


" Un jour, j'ai trouvé Monet devant un champ de coquelicots, avec quatre chevalets sur lesquels, tour à tour, il donnait vivement de la brosse à mesure que changeait l'éclairage avec la marche du soleil. (...) On chargeait des brouettes, à l'occasion même un petit véhicule campagnard, d'un amas d'ustensiles, pour l'installation d'une suite d'ateliers en plein air, et les chevalets s'alignaient sur l'herbe pour s'offrir aux combats de Monet et du soleil. C'était une idée bien simple qui n'avait encore tenté aucun des plus grands peintres. Monet peut en revendiquer l'honneur. Sur ces séries de toiles se sont répandues, vivantes, les plus hauts ambitions de l'artiste à la conquête de l'atmosphère lumineuse qui fait l'éblouissement de notre pauvre vie. " (1)
Vision sur le motif, pourrions-nous dire, mouvement du temps qui saisit le peintre et qu'à son tour il saisit, vision nette et précise de Clémenceau dans l'éblouissement des ambitions lumineuses de son ami.



Regardez bien cette photo, Clemenceau et Monet, au milieu des fleurs, rien de plus naturel,
et maintenant imaginez par qui ils peuvent aujourd'hui être remplacés, un homme politique, un peintre, dans la complicité de l'art en mouvement, je n'ose donner des noms, note-t-il, et pourtant, qui des dorures sociales oserait regarder et voir ce qui joue sur la toile, qui passerait des heures dans un jardin face aux nymphéas pour le seul plaisir d'y être, qui oserait affronter la censure sociale pour défendre une oeuvre que la moraline dominante voue aux gémonies ?
Donnez-nous des installations disent-ils, du vrac et du blabla, du chichi morbide, de la fureur furieuse et tout ira pour le mieux, donnez-nous de la révolte dévote et de la dévotion intégriste, du sang et des larmes, alors, peut-être, me trouvez-vous à vos côtés, mais je vous en prie, point de saveurs et de parfums, point de couleurs et d'ondes, point de mouvement du temps sur le bassin éclairant de la toile, point d'immersion dans le motif, rien que de l'art à capuche.




" A l'intérieur, ce n'est qu'une pièce immense avec un plafond vitré et, là, nous nous trouvons placés devant un étrange spectacle artistique : une douzaine de toiles posées à terre, en cercle, les unes à côté des autres, toutes longues d'environ deux mètres et hautes d'un mètre vingt ; un panorama fait d'eau et de nénuphars, de lumière et de ciel. Dans cet infini, l'eau et le ciel n'ont ni commencement ni fin. Nous semblons assister à une des premières heures de la naissance du monde. C'est mystérieux, poétique, délicieusement irréel ; la sensation est étrange : c'est un malaise et un plaisir de se voir entouré d'eau de tous côtés sans en être touché. " (2)
Aujourd'hui, la bourse, N.Y., Londres, Berlin, Venise, trafic permanent, je vends, tu achètes, et de l'autre côté de l'échiquier social, bousculades, longues files d'humanoïdes aux yeux clos et aux tympans crevés, rassurés par leur gazette, j'y étais, je suis sauvé, j'ai mon Monet !

à suivre

Philippe Chauché

(1) G. Clémenceau, Claude Monet. Les Nymphéas / Claude Monet - Georges Clémenceeau : une histoire, deux caractères / Alexandre Duval-Stalla / L'Infini / Gallimard / 2010
(2) René Gimpel, Journal d'un collectionneur, marchand de tableaux / d°

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