jeudi 28 février 2013

Des Maximes au Roman




Vous avez face à vous les 504 Maximes dans la belle édition Garnier et le petit roman d'un descendant de l'admirable penseur. Vous feuilletez l'un et lisez l'autre. Vous vous plongez dans l'un et vous vous amusez à lire l'autre. Des Maximes au Roman écrivez-vous, alors que les pleureuses se livrent à mille contorsions ridicules pour affirmer à quel point la " révolte " et son clown de service est d'actualité, contre les méchants, l'argent, l'ogre mondial, alors que la seule peur qui vous retourne dans votre " Tour " c'est votre fin funeste.
Vous ne savez laquelle ici recopier tant  de justes piques y ont leur place, mais vous ne vous découragez point, en saisissez à la volée cinq ou treize, pour rien, donc pour tout :

174 - " Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver. "

195 - " Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs. "

210 - " En vieillissant on devient plus fou, et plus sage. "

216 - " La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde. "

245 - " C'est une grande habileté que de savoir cacher son habileté. "

289 - " La simplicité affectée est une imposture délicate. "

307 - " Il est aussi honnête d'être glorieux avec soi-même qu'il est ridicule de l'être avec les autres. "

387 - " Un sot n'a pas assez d'étoffe pour être bon. "

Des Maximes au Roman, car bon sang ne saurait mentir, d'un siècle l'autre, et d'une plume son fils.
1664 - 2013 : mille raisons d'y être, de s'y perdre et de goûter ce qui en ces temps bavards et fâcheux s'appelle le style.
Qui sait ce que veut dire le style, ses éclats  et son couchant sait lire, qui s'en écarte est un manant qui se prend pour un héros.

" Comme je vous l'ai dit, j'étais assis place de la Bastille, ce qui est loin d'être anodin au vu de mon pedigree de labrador abandonné : par ma grand-mère maternelle, formidable vieille dame, je descends du marquis de Launay, lequel eut la mauvaise idée d'être gouverneur de la Bastille le 14 juillet 1789.
Cette célèbre journée, Chateaubriand, vicomte de son état, écrivain préféré de mon père et cousin de plusieurs de nos ancêtres, la raconte en se pinçant le nez dans ses Mémoires d'outre-tombe : " Le 14 juillet, prise de la Bastille. J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un timide gouverneur : si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne fût entré dans  la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non par les invalides, mis par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours. De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages,est assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville ; le prévôt des marchands, Fleselles, a la tête cassée d'un coup de pistolet : c'est ce spectacle que les béats sans coeur trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies, comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et de sans-culottes commençaient à régner, et leur faisait escorte. "
Ce  tableau ne me fait pas forcément regretter d'avoir loupé le  14 juillet 1789... D'autant que Chateaubriand, rapide, ne précise pas que, ce jour-là, après l'avoir humilié et assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville, les patriotes découpèrent à l'aide d'un canif la tête de mon ancêtre le " timide gouverneur " Launay, avant de la promener dans les rues de Paris, le visage de cet aimable flemmard leur servant d'étendard. "

Le style vous disais-je et ses manières, le style pour à jamais s'éloigner du roman bavard et béât. Le roman du garçon de noble rattachement ne va guère plaire aux pleureuses évoquées plus haut, peu nous importe, il sait d'où il parle, et ce qu'il s'amuse d'imaginer se glisse lumineusement dans l'Histoire française qu'il invite à la danse.

" Comme autre sympathisant devenu victime de 1789,  on pourrait parler de l'écrivain Chamfort. Ce Chamfort m'a toujours beaucoup plu : désenchantement du moraliste et concision du styliste, il était un héritier tout trouvé à François VI de La Rochefoucauld. Hélas, cette filiation ne lui suffit pas et, mordant à tous les râteliers, il s'illustra aussi dans la Révolution française. "

Durant  les 185 pages de ce roman d'une autre époque, notre amusé et amusant auteur convoque ses " rupificaldien ", quelques hôtes de choix que les révolutions ennuient et parfois agacent, d'autant plus quand elles sont fidèles aux humeurs des hommes : des cris, du sang et des larmes.

" Passer du tsarisme au communisme n'a pas été du goût des Russes les plus raffinés : ils durent, après 1917, se livrer à un véritable rôle de composition. Qui pourrait mieux témoigner de cette comédie que quelqu'un dont ce fut le métier ? J'appelle donc à la barre un acteur, le formidable Georges Sander.
Georges vit le jour à Saint-Pétersbourg en 1906. Ses parents n'étaient pas nobles, peut-être, il n'en grandit pas moins au sein de l'aristocratie russe, comme il le raconte avec humour et fourberie dans ses Mémoires d'une fripouille : " Je naquis dans un monde voué à disparaître. Un monde de flûtes à champagne tintant les unes contre les autres, de salles de bal privées bordées de colonnades et illuminées par le scintillement des chandeliers, de princes à monocle claquant des talons dans leurs splendides uniformes, tout dévoués à leurs dames alors qu'ils fonçaient dans leurs troïkas aux clochettes tintinnabulantes à travers la neige baignée de clair de lune. "
La vie de Georges bascula avec l'abdication du tsar Nicolas II. Un gêneur estimé des communistes français en voulait à la patinoire privée de ses parents : " Lénine, lui, arrivait la tête farcie de plans concernant mon argent. Et moi je partais pour une école anglaise, serein et dans l'ignorance absolue de l'existence de cet homme. Du point de vue de notre joyeux petit rassemblement de gens aisés, Lénine et ses amis conspirateurs n'étaient qu'un groupe de paysans se comportant de façon plutôt grossière. "

Des Maximes à ce Roman galant, moqueur et déraisonnable, des Maximes à la Révolution française :

- Cela n'est pas très sérieux cher Ami !
- Effectivement, et c'est heureux !




à suivre

Philippe Chauché

samedi 23 février 2013

José


A Nîmes, ce matin du 16 septembre c'était l'heure bleue, l'heure bleue elle attentait patiemment son heure, et elle avait raison, parfois la raison se met au diapason de l'art, certains jours l'art attend son heure bleue, et certains printemps l'amour oublie l'hiver et s'offre son heure bleue, instant éternel où tout s'accorde au tout, où le moindre rien est un tout.

A Nîmes, ce matin là, un homme de lumière traversait à pas très lents l'ovale tendu de soie blanche, ce matin là, un héros s'invitait au bonheur de l'instant, rien de plus, rien de moins !

A Nîmes, ce jour là, Nietzsche invitait Montaigne, Bergamin recevait Gracian, Nîmes se prenait pour Venise.

A Nîmes, cette année là, un torero unique et un spectateur unique se croisaient en avançant la main, avec la profondeur exceptionnelle qui n'est donnée qu'aux êtres d'exception.

Ce matin, pas de caméras, on ne filme pas José Tomás, il faut le savoir, c'est ainsi, pour voir, il faut avoir vu, le reste n'est que blabla et chichi.

Ce jour là dans l'amphithéâtre, des photographes. Silencieux, invisibles, attentifs, ils disent ce que vous savez, ce que vous avez vu,  un écrivain, Santi Ortiz : " Un chef d'oeuvre  comme celui-ci, glorieux dépositaire du mystère de l'art, propre à catalyser tant d'émotions et de si cathartique bonheur, est généralement réfractaire au discours, à l'interprétation, à sa reproduction, à sa dissection et à son analyse, parce qu'il est de mots, ni d'images ni d'enregistrements qui rendent vraiment compte de son contenu exact. Cependant, et malgré une telle impossibilité, dans le livre que tu as entre les mains, Stéphane Barbier, Alain Damie, Christian Gabanon, Bruno Lasnier, Robert Ricci et Bernard Soulier, sensibles vigies postées derrière leurs objectifs, viennent déposer l'obstacle qui fait du toreo l'art le plus éphémère de tous ceux qui existent, en sauvant de l'irréversibilité du temps des instants uniques de ce jour sans pareil. "



à suivre

Philippe Chauché 

vendredi 22 février 2013

Morante


On ne va pas aux toros, comme l'on va au musée, à la pêche, au lit, à l'église, au bureau, à l'usine ou au restaurant, mais peut-être avec le même doute qui nous anime à quelques heures d'un rendez-vous avec une personne de haut vol, avec le même fourmillement d'intranquilité, avec aussi la même joie intérieure, la même soif de miracle, la même allégresse, la même inquiétude aussi, on va aux toros pour son " Je Ne Sais Quoi " *.

Beaucoup attendent d'un torero qu'il soit à la hauteur de leurs dépenses - comme en amour - c'est en quelque chose le : " je paye donc je suis " qui domine leurs attentes. Je suis en droit d'assister à un spectacle réussi, les trophées doivent tomber du palco et les toreros se dépenser sans compter. Mais si un grain de sable trouble cette belle mécanique, si un homme de soie ne joue pas le jeu qu'on lui impose, s'il ne confond pas être et faire,  si un voile se pose sur le sable, si une autre vérité éclate et trouble les attentes, les spectateurs, à qui on ne la fait pas, se fâchent, s'insurgent, et réservent au torero mille sarcasmes, jouent les comptables et jurent sur leur amour qu'on les reverra plus lorsque ce torero sera à nouveau à l'affiche. Et si,  lors d'un printemps nouveau, ce même homme retourne toutes leurs certitudes, et offre en dix minutes tout ce qu'il attendaient de pureté taurine depuis au moins vingt ans, ils sont aux anges et le couvrent de romarin et de roses.
S'il est un torero qui à lui seul symbolise tout cela, c'est d'évidence Morante de la Puebla, torero de l'inconstance pour beaucoup, torero du doute que l'on voit, torero de la grâce totale, de l'abandon, du détail rare, du savoir et de la saveur, mais aussi des fracasos qui résonnent encore sur les tendidos.
S'il est un écrivain qui a senti et vu tout cela, s'il est un auteur, qui, comme aucun ne s'est glissé avec autant de justesse au coeur de cette étrangeté taurine, c'est Jacques Durand - pour mémoire rayé d'un trait de plume par les ânes qui dirigent la gazette Libération, où il livrait chaque semaine dès le mois d'avril et jusqu'à la fin de l'été, quelques diamants taurins, taillés avec le soin d'un Montaigne et l'humour d'un Groucho Marx  - il a vu avec talent et il a écrit avec style, il a écrit ce qu'il a vu, lisons :

" Silvoso est manso et Morante, de le voir comme ça, franchement ça le dégoûte. Il tire la gueule sous la terrible chaleur. Il fait 43° et il faut encore aller saluer le président de la course. Il y va en traînant la semelle. On dirait un cancre appelé au tableau noir. A l'évidence, il préférerait chasser la perdrix, courir avec chiens ou jouer au ballon avec ses potes. Mais plus tard, à la fraîche. Bon, il y a aussi ce toro. Désolé pour vous, mais il ne vaut rien pour moi. Il lui donne deux passes à droite, sans y croire.
Comme s'il essayait de fourguer des actions d'Eurotunnel. En plus Silvoso le regarde lui au lieu de regarder la muleta. N'insistons pas. " Dans cette vie, disait au Puerto un peintre raté, ami d'enfance de Rafel Alberti, il faut faire très attention de ne pas  se laisser mener par la volonté. " Morante est d'accord. Il va chercher l'épée. Tombe Silvoso. Ça a duré deux minutes. La désolation, à ce niveau, cela devient de la poésie ; du Francis Ponge. On pense à ce poème de Machado placardé à l'aéroport de Séville qui évoque " l'arôme de l'absence " de certains après-midi. "

" Plutôt que faena, on dira " la chose ". Le vague mot expose mieux l'extravagance erratique de ce qu'a pondu Morante de la Puebla, lundi 23 avril à Séville. On ne parle pas seulement de cette invraisemblable - invraisemblable s'agissant de lui - attente à genoux du torero a porta gayola, dont il s'est expliqué par la suite. Il dira qu'il avait été triste d'être obligé de faire ça pour que le public le comprenne. Mais qu'il s'était grandi...
Le torero Domingo Ortega le disait : " Par rapport aux autres arts, le toreo présente ce cas étrange qu'à partir des normes classiques, on peut parvenir au plus profond romantisme. " Lundi 23 avril à Séville, l'art profond, magnétique et biscornu du borderline Morante de la Puebla, champagne et or, exhumait cette palpitante singularité à travers sa complexe idiosyncrasie. On le demandait à Rafael El Gallo : " Maestro, à quel moment diriez-vous qu'un torero est artiste et qu'il torée avec art ? " Réponse : " Quand il y un mystère à dire et qu'il le dit. "

Le " Je Ne Sais Quoi " est à Séville en avril, il n'est pas interdit ne pas y aller.


à suivre

Philippe Chauché

* " Le Je Ne Sais Quoi, qui est l'âme de toutes les bonnes qualités, qui orne les actions, qui embellit les paroles, qui répand un charme inévitable sur tout ce qui vient de lui est au-dessus de nos pensées et de nos expressions ; personne ne l'a encore compris, et apparemment personne ne le comprendra jamais. Il est le lustre même du brillant, qui ne frappe point sans lui ; il est l'agrément de la beauté, qui sans lui ne plaît point ; c'est à lui de donner, pour me servir de ces termes, la tournure et la façon à toutes les qualités qui nous parent ; il est, en un mot, la perfection de la perfection même, et l'assaisonnement de tout le bon et de tout le beau. " ( Baltazar Gracian y Moralès )

mercredi 20 février 2013

D'un Dictionnaire l'Autre

D'un dictionnaire l'autre, comme on le dit d'une vie l'autre, la réelle et l'imaginaire. Leur fréquentation à bien des égards est réjouissante, les mots et les lieux, les visages et les musiques, les peintres et les rois, tout cela à livre ouvert sous la douce lumière d'un soleil d'hiver. Les entrées des dictionnaires sont autant de promesses de nouvelles entrées, des fenêtres qui s'ouvrent sur la plaine, l'océan ou la forêt, et l'on se réjouit de les mêler et les croiser, de les déguster et parfois de les oublier. Les ouvrir comme l'on fait le tour de sa chambre en quatre vingt nuits, toutes plus troublantes les unes que les autres.


" Admiration - ... La position de Stendhal est d'autant plus remarquable : lui, si caustique, regardant toute chose avec ironie et scepticisme, fait de l'admiration la pierre de touche des esprits supérieurs. Savoir admirer est pour lui la première des vertus, à laquelle font obstacle en France la vanité, la peur, si on s'abandonne, de paraître naïf, de perdre la face à côté d'un arbitre plus savant, plus averti... C'est justement par la fraîcheur de ses enthousiasmes que les écrits de Stendhal sur la peinture, la musique, Rome, ont gardé leur jeunesse intacte. Un guide bien fait établit une hiérarchie entre les " valeurs " ; Stendhal se moque des valeurs et ne consulte que son émotion.  "

" Armance - Armance parut au mois d'août 1827. Roman écrit l'année précédente, en deux fois : du 31 janvier au 8 février, puis du 19 septembre au 10 octobre 1826. Neuf jours plus vingt-deux jours. Né en 1783, Stendhal avait quarante trois ans lorsqu'il rédigea, avec une rapidité foudroyante, cet ouvrage. C'était son premier roman ; mais son dix-neuvième livre, et le septième a être publié.
Ces quelques données , sous leur apparente sécheresse, définissent un art du roman.
Première règle ( à conseiller aux débutants, et surtout aux éditeurs, qui misent étourdiment sur la jeunesse des auteurs ) : on n'est pas romancier avant trente-cinq ou quarante ans. Poète ou musicien, oui, mais, pas romancier. Stendhal l'a su d'instinct. Cf. Defoe, Balzac, Flaubert, Tolstoï, Dostoïevski, Herman Meville, Thomas Hardy, Proust, Céline, etc.
Seconde règle : il faut avoir beaucoup écrit auparavant, beaucoup griffonné, raturé, bataillé avec les mots, pour être capable d'écrire à quarante ans un bon roman. "

" Mouton - On s'étonne toujours que Stendhal se soit si peu vendu de son vivant, qu'il ait sombré dans un oubli total après sa mort, et qu'on ait dû attendre quarante ans pour le redécouvrir. Pourquoi a-t-il été si isolé ? Pourquoi n'a-t-on pas distingué tout de suite son génie ? Etc. La réponse à ces questions se trouve dans une seule phrase de Souvenirs d'égotisme :  " Je ne suis pas un mouton, ce qui fait que je ne suis rien. "

Reste une question d'une actualité cuisante qui lit aujourd'hui Stendhal ? Il a sa réponse : des isolés, deux ou trois philosophes, quatre ou cinq écrivains, et basta !




Il note qu'il est bien difficile d'évoquer Sollers sans voir se dessiner sur le visage de celle ou de celui qui vous écoute une sorte de moue de dégoût, alors la question vient, mais ma chère, mais mon cher, l'avez-vous au moins lu ? L'embarras s'installe ! Pas de soucis, écoutez,  c'est offert, comme l'on disait il y a vingt ans :

" Carnaval - Rien de plus faux, parodique et grimaçant que le carnaval moderne de Venise. C'est un truc d'écran pour couturiers et sponsors divers. Du bruit, de la laideur, de l'outrance, des masques, des contorsions pour la caméra, aucun érotisme, bien entendu. Excusez-moi, je suis absent, je reste à l'écart. "

" Chateaubriand François René de 1768-1848 - Chateaubriand est à Venise en 1806, à l'hôtel du LIon d'Or, avec sa femme, Céleste. Il ne voit rien.
Il est là de nouveau, seul, en 1833. Très exactement dans les Mémoires d'outre-tombe : " Venise, hôtel de l'Europe, 10 septembre 1833. "
C'est parti ( Livre quatrième, chapitre 4 ) :
" On peut, à Venise, se croire sur le tillac d'une superbe galère à l'ancre, sur le Bucentaure, où l'on vous donne une fête, et du bord duquel vous apercevez à l'entour des choses admirables. Mon auberge, l'hôtel de l'Europe, est placée à l'entrée du grand canal en face de la Douane de mer, de la Giudecca, et de Saint-Georges Majeur. Lorsqu'on remonte le grand canal entre les deux files de son palais, si marqués de leurs siècles, si variés d'architecture, lorsqu'on se transporte sur la grande et la petite place, que l'on contemple la basilique et ses dômes, le palais des doges, les procurazie nuove, la Zecca, la tour de l'Horloge, le beffroi de Saint-Marc, la colonne du Lion, tout cela mêlé aux voiles et aux mâts des vaisseaux, au mouvement de la foule et des gondoles, à l'azur du ciel et de la mer, les caprices d'un rêve ou les jeux d'une imagination orientale n'ont rien de plus fantastique. "

" Églises - Je n'entre presque jamais dans une église en France, alors qu'en Italie, tout le temps.
Elles sont là, un peu partout, à Venise, elles rivalisent avec les palais, elles sont en activité constante de beauté. Messes sur messes, cierges, musique, encens, mariages, baptêmes, enterrements, dalles funéraires. Elles sont riches, parées, bien tenues, fleuries, sentant bon. Ce sont des salons de prière ou de méditation sur la présence réelle. La théologie a engendré ses boudoirs. On marche sur des morts toujours vivants parmi les vivants déjà morts. "


Il y a trente cinq ans, il passait la frontière par le pont d'Hendaye, là de drôles d'oiseaux aux amusants chapeaux et armés de pied en cape le dévisageaient, d'autres et d'autres encore occupaient tout l'espace qui le conduisait à la Concha. Après une escale face à la baie, il se glissait dans la Parte Viera, où des mains anonymes avaient ici et là dessiné un serpent et une hache enlacés, un vieux dictateur n'en finissait pas de mourir, et des regards amis lui offraient quelques verres sur des comptoirs brillants. Il y aura d'abord cette ville lumineuse, puis d'autres, et d'autres encore, il y aura le Quichotte et Séville, Picasso et Madrid, il y aura des anonymes, Curo et  le jeune Tomas, la Semaine Sainte où les larmes aux yeux il accompagnait le Cachorro, mais aussi des éclats de langue et de danse flamenca, il y aura le cimetière d'où surgit une sainte, le sable blanc pastel, le vin de Manzanilla, le doute, l'amour, la solitude éclatante et l'apprentissage du silence.

" Avila - ... Que peut-elle bien dire, cette Avila mystique et guerrière, aux troupeaux de consommateurs ? Étrangère à la philosophie de la tolérance universelle, elle vit crispée sur ses souvenirs, refermée sur ses secrets.
Ce qu'elle sait, nul ne souhaite plus l'entendre. Le tragique de toute vie d'homme, l'implacable réalité de la lutte et de la mort, le choix inéluctable des identités dures, le face-à-face avec Dieu, la difficulté de demeurer en soi-même, ces affirmations abruptes contredisent tout ce que notre monde désire entendre. "

" Calderón  ( de la Barca ) - N'aurait-il écrit que cet auto sacramental, action liturgique, La vie est un songe,  Calderón aurait réussi à exprimer l'une des vérités les plus enfouies de l'Espagne, je parle de ce sentiment d'irréalité que chaque Espagnol éprouve dans sa vie, aussi accomplie soit-elle. Tous les Espagnols ou presque finissent par lâcher, un jour ou l'autre, ce vers : Porque la vida es un sueño / y los sueños / sueños son - car la vie est un rêve, et tous les rêves ne sont que songes, idée qui suggère plus qu'un sentiment d'irréalité, un vertige, une lassitude, un détachement. "

" Manolete - ... Quand il mourut à Linarès, tué par Islero, tout le pays prit le deuil. Ce qui disparaissait avec lui, c'était la période de la plus furieuse répression, une époque de misère et de faim, les longues années du silence et de l'hébètement. En le pleurant, l'Espagne pleurait sur elle-même. "

" Zurbarán - Zurbarán n'a peint que des moines, longues silhouettes blanches, avec quelques bodegones, des natures mortes. Ses religieux me bouleversent prce que, moine lui-même, il peignait son âme en les peignant. On sent, devant ses toiles, la nécessité qui les a fait naître. Il nous montre une expérience singulière et personnelle, et il nous la montre dans un dépouillement et une immobilité qui en accentuent l'intensité. Un silence conventuel baigne ses tableaux. Ses lumières blêmes soulignent la récollection poursuivie pa ces solitaires.
La peinture de Zurbarán offre peu de prise aux effets de style. Ignorant l'anecdote, elle réduit tout art à la contemplation. "

D'une vie l'autre, d'un dictionnaire amoureux l'autre, il les reprend ligne à ligne comme l'on se penche sur une main désirée et que l'on se contente d'y déposer un baiser, comme une entrée, seulement une entrée.

à suivre

Philippe Chauché








mardi 19 février 2013

Le Joeresse



Tout philosophe digne d'intérêt est un joeresse,  un danseur, un jongleur, qui joue avec les concepts et les phrases et se moque bien du service après vente que de lui on peut attendre. Cet homme particulier et unique, écrit comme bon lui semble ce qui l'amuse et s'amuse de ce qu'il écrit, et si l'esprit de sérieux ne le quitte jamais, ce n'est point une posture, mais un masque où parfois il se glisse. Son sérieux, c'est son savoir, sa saveur, et son amusement, les flèches qu'il décoche ici et là, et en ces temps, les cibles se multiplient comme les pains des noces de Cana.
Notre époque brille par ses approximations, ses caricatures, ses thèses de comptoir et de complot et ses philosophies de la certitude, qui n'est qu'une servitude qui cache bien son nom. Les hommes de notre temps ont de la chance, ils peuvent comme jamais acheter tout ce dont ils n'ont aucunement besoin dans des espaces qui leur sont réservés, et entre les rayons frais, passer par celui du toc, où de plus ou moins jeunes penseurs, leur proposent en quelques pages griffonnées de se soigner de leurs maux, mais point leurs mots, ce qui vous en conviendrez est une toute autre histoire.
Notre philosophe de service, s'occupe de ce qui ne le regarde pas, les zones fumeurs, la baguette de tradition française, le micro-trottoir, l'alter mondialisme ou encore le GPS, il le fait avec le sourire, non de celui qui sait, mais de celui qui voit et touche le réel de la situation, et en tire quelques remarques remarquables.
Il est alors réjouissant d'ouvrir un livre comme celui là, vif et soigné, amusant et amusé, sérieux et joyeux, savant et pétillant, élégant, léger et souvent piquant. 

" Pourquoi l'indignation est-elle si consensuelle ?  Pourquoi, de toutes les valeurs, de toutes les attitudes, l'indignation est-elle à peu près la seule qu'on ne conteste jamais ?
Parce que l'indignation n'est pas une valeur, mais une réaction. Elle ne relève pas de la réflexion, mais du réflexe. Elle est, à cet égard, compatible avec tous les discours, toutes les opinions.... L'indignation est comme l'ultralevure : elle a sa place dans tous les gâteaux. "

" Le politiquement incorrect ( PI ) part d'une bonne intention. Quand on fait la guerre aux bons sentiments, on ne peut pas être tout à fait mauvais.
Comment ne pas saluer l'iconoclasme qui repère l'intolérance sous l'antiracisme, le ressentiment sous la transparence, l'intérêt sous la compassion et la barbarie sous le bonheur qu'on voudrait imposer aux autres ?  Parce que le politiquement incorrect se refuse à tenir l'impuissance pour une bonté, la pauvreté pour une vertu, la jeunesse pour une valeur, la lâcheté pour une patience, la faiblesse pour de l'humilité et l'humilité pour une faiblesse, il se donne comme le poison " dont meurent les natures plus faibles " mais qui " fortifie le fort " ( Nietzsche ), et le pavé qu'il jette dans la mare est souvent un morceau de chlore. "

" C'est ainsi que le clair-obscur de la diversité, viatique d'une droite un peu gauche et d'une gauche maladroite, dissimule un albinocentrisme renouvelé qui culmine dans une politique de quotas. Mettez-moi de la diversité, mon brave : du Noir à l'écran, de l'Arabe au droit des femmes, de la Guyannaise à la justice, de la Chinoise à l'Internet ! Coloriez-moi tout ça. Par petites touches. Et que ça saute aux yeux ! Cachez-moi, je vous prie, ce blanc-seing que je ne saurais voir... La diversité, c'est le meilleur des mondes. "

" Jean-Jacques Rousseau n'est pas à la marge mais au coeur de notre société. Grégaire et misanthrope, révolutionnaire et conservateur, égalitaire et misogyne, philosophe et romancier, père indigne et théoricien de l'éducation, champion du monde de la modestie, Rousseau est une foule à lui tout seul... Avant d'être le héraut des religions naturelles, Rousseau est le porte-parole des théories naturelles, c'est-à-dire des façons de voir, d'entendre et de penser qui nous viennent naturellement quand on se prend pour le centre du monde et qu'on prend la contradiction pour une offense. Être rousseauiste, c'est se faire des bosses en enfonçant les portes ouvertes. "

" Contrairement aux apparences, le micro-trottoir ne consacre pas l'espace de la société civile ( à la manière d'un engagement politique ou même d'une réaction sur un forum ), mais l'éphémère promotion de Monsieur Personne en Monsieur Tout-le-Monde qui, quand on l'interroge, se fait spontanément l'écho de la foule qui pense comme lui.... Aux antipodes du témoignage, le micro-trottoir brandit l'intime conviction d'une foule que les convenances comblent. En amont du bigotisme égalitaire qui confond les droits et les connaissances, le micro-trottoir n'a même pas la pudeur de se déguiser en savoir, ni la politesse de nous faire croire qu'il y a là de la pensée : le micro-trottoir, c'est le malin génie de l'espèce, l'âge de pierre de l'opinion, le vestiaire de la démocratie, le cercle des gens convaincus qu'il leur suffit d'être dans le vague pour avoir des idées larges. "

Pendant ce temps un fâcheux camusien s'en prend à Sade, après avoir pensé être à la hauteur de Freud, drôle d'époque mon cher Watson ! Drôle de drame en effet.

à suivre

Philippe Chauché









samedi 16 février 2013

La Vague

Deux phrases, se saisir de deux phrases pour commencer, comme l'on se saisit de deux mains pour tour à tour les embrasser :

" C'est un hiver aux allures de printemps, le ciel est magnifique, j'ai marché sans but dans la nature plusieurs heures et j'ai atteint un petit promontoire qui surplombe la vallée. "

" Elle oublie tout ce qu'elle est, elle oublie tout ce qui l'a damnée, tout ce qu'elle a vécu jadis, elle sait qu'elle n'est pas folle, elle n'a pas assez de forces pour le prouver, quelqu'un devra le faire pour elle. "

Une pour l'ouverture, l'autre pour le final de ce troublant et léger petit roman, troublant car dans la beauté du style - qui ne surprendra pas ceux qui ont lu L'homme pacifique et Un voyage humain - se glisse cette étrange jeune femme, saisie parfois de tremblements des sens, d'une douleur qui par instant la recouvre comme une vague venue du large, du lointain invisible où naissent ces montagnes d'eau qui n'épargnent personne lorsqu'elles s'ouvrent et s'élancent vers les dunes. Un geste amoureux, de regard trop doux, suffisent à déclencher mille décharges de douleur, et la belle de la forêt se marbre de peur, le narrateur n'y peut mais, sauf à adoucir ses doutes de ses mots, sauf à offrir ses phrases comme l'on lance une bouée du quai, sauf à faire de son regard un phare d'espérance. Marc Pautrel a deux croyances, dans le style, la beauté de la phrase française, nette, juste, musicale, ne cherchant jamais à montrer qu'elle en sait beaucoup de sa genèse, mais la déroulant, comme l'on déroule un tapie de soie,  et dans ses personnages qui ont la légèreté d'une mouette qui se joue de l'écume et des vents mauvais, même aux pires moments, le vol est libre et éblouissant.

" Alors elle s'étire, les bras vers le ciel, les paumes ouvertes comme si elle voulait repousser les planètes, puis elle se dresse sur la pointe des pieds. Je la vois qui monte sur le muret, ouvre ses bras comme pour embrasser l'éther, puis en un geste de prière les réunit à nouveau au-dessus de sa tête. Elle admire la vallée. "

" Je me tiens tout près d'elle, elle est d'une beauté suffocante, j'en crois à peine mes yeux. C'est à moi qu'elle parle et ce sont mes réponses qui la font rire. "

" Nous sommes maintenant assis dans la cuisine à la table carrée. Je suis dos à la fenêtre, elle me fait face, son visage est parfaitement éclairé par la lumière du dehors, elle resplendit, je pense : Elle est stellaire. Puis, par référence au nom que les psychiatres donnent aux patients comme elle, bipolaires, je rectifie aussitôt : Elle est polaire. Oui, elle est perchée sur une des deux extrémités du monde. "

Ce petit livre vous accompagnera longtemps.

à suivre

Philippe Chauché





vendredi 15 février 2013

A Venir





« Où en êtes-vous avec l’amour ? », question posée au dos d’une carte postale qu’il vient de recevoir, déposée avec délicatesse dans sa boite à lettres, une carte représentant un dessin de Matisse, un visage, comme il n’en a jamais vu, ou alors il y a longtemps, très longtemps, à Madrid, se dit-il. Oui, c’est cela à Madrid, lorsqu’il séjournait dans la ville pour oublier un monde qui l’avait terrassé. Il reconnaît son écriture, il sait que c’est elle, même si rien d’autre ne l’indique, point de signature, pas de signe, seulement la question et Matisse. Matisse, le peintre des réponses, pense-t-il. Il se souvient que lorsqu’il l’a vu pour la première fois, une autre question est venue à ses lèvres, il ne l’a jamais posée cette question, il s’en souvient, et ne regrette pas d’être resté silencieux, comme elle l’était quand il l’a vue pour la première fois. Aujourd’hui il a quelques idées des réponses qu’il pourrait lui donner, des réponses qui conduisent, pense-t-il à la même impasse, et pourtant, d’un geste, d’un mot, d’une phrase il retourne ce qui le saisit.

Tout a basculé en quelques secondes, dans l'une des rues de la ville, celle qui s'abandonne dans le Fleuve, sous les arbres, là où parfois je vous croise en fort belle compagnie. J'ai été littéralement renversé à cet instant par la Courbe du Temps, ces deux mots sont venus d'eux mêmes, comme dans un rêve, mais là, point de rêve, mais une réalité saisissante, deux mains se croisaient et se décroisaient dans une lenteur que je n'imaginais pas possible. Je ne voyais qu'elles ces deux mains qui se croisaient et se décroisaient, dessinant, dans le bleu qui giflait le ciel, un mouvement qui se reproduisait à l'infini. Je ne voyais qu'elles, ces deux mains élancées, le reste du corps m'était caché, invisible, et pourtant, je n'en doutais pas dans cet instant, il y avait un corps à l'origine de cette Courbe du Temps. Je me suis approché, et les mains toujours dansantes ont donné naissance à deux bras fins et longs qui prolongeaient un éclat rouge, une robe, pensais-je, puis ce fut l'apparition d'une chevelure blonde qui lentement également s'accordait au mouvement des mains qui m'éblouissait, puis dans son entier, le corps de la danseuse, comment la nommer autrement, cher ami, une danseuse rouge s'élevait dans la lenteur du temps entre les arbres et près du fleuve. Alors, je me suis assis sur la berge à quelques mètres de la danseuse, je n'ai cessé de la regarder, attendant qu'elle décide d'en finir avec sa danse qui me traversait, ce qu'elle fit au bout d'un temps qui me sembla suspendu, la lumière bleu était la même, la chaleur de cette fin d'après-midi d'été, les cris accordés des martinets, où se nouent et se dénouent les corps éblouis et joueurs, où les mots se livrent et nous délivrent. Elle approcha et s'assit à mes côtés. Sans un mot, elle me prit les deux mains dans ses mains de danseuse, les croisa et les décroisa, avec une lenteur dont je ne pensais pas être capable, et avec cette même lenteur solaire, m'embrassa. Sans un mot je me levais. Elle me suivit et dans un autre temps, lui racontais cette vision qui m'avait conduit à elle dans la Courbe du Temps.

Nous avons longtemps marché dans les rues de la ville qui s'endormait, passant d'un quartier l'autre, levant les yeux vers les vierges éblouis et les chapelles de pierres blanches, revenant sur nos pas, au bord du fleuve et sous les arbres, nous nous sommes assis dans le silence blanc de l'Instant.

Il a posé le dessin de Matisse et sa question sur son bureau, dans l’axe d’un rayon de soleil, et s’est reculé pour mieux voir, et il s’est dit, qu’il n’y a rien d’autre à voir que ce visage sur une face et cette question sur l’autre, comme une signature de ce qu’elle est, ce qu’elle était, il ne sait si le présent doit l’emporter sur le passé, le passé présent, ou le présent passé, il s’est dit alors qu’ils ne sont guère éloignés à bien y regarder. Il regardait la carte, et voyait la question, comme il l’a voyait, la revoyait comme la première fois, dans le mouvement de son corps, qui lui avait fait sur l’instant au mouvement d’une phrase, de la phrase même, la phrase première qui fait apparaître toutes les phrases. Même s’il ne fait aucune illusion sur les raisons d’une phrase, même s’il s’y accroche.

J'ai été nommée Miryam me dit-elle, c'est un prénom qui depuis toujours me porte chance, vous pouvez donc, cher inconnu, désormais l'utiliser.

Nous avons repris le chemin de la ville aux pierres qui s'accordent à sa robe rouge. Soleil couchant, pensais-je, lumière rasante, miroir de mon âme. Elle m'a une nouvelle fois pris la main, l'a enveloppée, avant de la relâcher avec une grande douceur, toute éblouie de soie brodée. C'est cela, me dis-je, la résonance de la Courbe du Temps. Le Palais s'est alors offert à nos regards, rouge, jaune, blanc, murs immenses, silence, nous étions seuls dans le murmure de la Courbe du Temps. Alors à mon tour, je lui ai pris la main pour la porter à mes lèvres. Et j'ai pensé, le basculement se poursuit, le renversement n'est qu'un début, il me faudra l'écrire, son silence est l'Instant, il me faudra lui dire merci mon amour, merci pour vos mains qui se croisent et se décroisent, merci pour le rouge de votre robe qui désormais se lit aussi sur les murs de la ville, merci pour l'embrasement de votre paume, merci pour vos silences qui saisissent le mouvement du temps, merci pour le renversement du temps. Et puis j'ai répété en silence ces phrases qui lui étaient destinées. Tout à basculé en quelques secondes, sur cette place de la ville, là, j'ai été littéralement renversé par la Courbe du Temps, ces deux mots sont désormais les miens, leur réalité saisissante m'accompagne, deux mains qui se sont croisées et décroisées dans une lenteur ancienne, je ne vois qu'elles ces deux mains qui se croisent et se décroisent, là sous mes yeux, sur cette place rouge, jaune et blanche. Alors elle s'est arrêtée, et m'a dit, nous nous verrons demain, sur les bords du fleuve et sous les arbres. Elle a posé ses lèvres sur les miennes, des lèvres qui se croisaient et de décroisaient, et le rouge de sa robe a traversé la place avec la même lenteur qu'un baiser accompli.

Tout en traversant à mon tour la place du Palais, j'ai poursuivi ma lecture, doté, c'était nouveau, d'une double vue, lisant le petit livre qu'elle avait déposé à mes pieds, et voyant en même temps, dans les espaces qui s'élargissaient entre les pavés, la transformation du jour finissant en jaillissements lumineux.

J'ai emprunté la rue Rouge, la danseuse à la robe rouge avait sa rue, la rue des Tisserands. Ses mains se nouaient et se dénouaient sur les façades de pierres blondes où reposaient des vierges amusées. Miryam - Marie - Maria -, qui a déclenché cette Courbe du Temps, ce basculement, cette radicale transformation, entraînant cette double vue, vision nouvelle. J'ai laissé ainsi mon corps dériver, tourner en rond dans la nuit en évitant les flammes. J'étais seul, au centre de la ville, accompagné par ce doux vent du sud qui avait lissé sa lecture des haïkus au bord du fleuve et sous les arbres. J'ai fait escale devant la Synagogue et me sont alors revenues ces quatre strophes du Tao-tö King : Il émousse leurs tranchants, il dénoue leurs écheveaux, il fusionne leurs lumières, il unifie leurs poussières, une autre phrase m'est venue, directement de la pierre à la mémoire, comme un éclair : J'ai embrassé l'aube d'été, et mes bras à leur tour ont embrassé l'espace dans un mouvement lent et croisé, comme celui que dessine Miryam, prénom porte bonheur, qui accompagnait ma lecture joyeuse.

Il s’est assis à son bureau, non sans avoir fait pivoter la phrase et son dessin, placée aux côtés de la photo de l’écrivain qui veillait sur son travail, chemise blanche au col cassé, cravate mauve, veste et gilet chinés, cheveux tirés en arrière et regard lointain dit-on, mais que ne dit-on de lui ? Il a ouvert le cahier et tout repris au commencement, au commencement était la phrase, les phrases, elles s’ouvraient à son regard, alors il a lu, lu à voix haute les phrases pour savoir si cela chantait et dansait comme il le souhaitait.

« Parfois, une seule prière suffit pour tout éclairer, tout révéler, et faire naître mille fictions. A Madrid, avant la corrida, je fais escale à la chapelle des toreros. Silence absolu. Sainte Véronique, ma vierge en bois d’olivier me sourit. Je suis le seul à la nommer ainsi, elle m'invite à méditer. A me nourrir du silence et des résonances secrètes de la chapelle. Elle vient de très loin ma vierge, de cet espace abrupt à l’ouest, de cette langue de fleurs et de pierres, là où la mer a peur de la terre. Je remonte le temps qu’il me reste à vivre, quelques minutes, un jour, des mois, des années, toute une éternité. Son absolue liberté en fait une sainte d’une autre nature, d’une autre portée musicale. Il lui suffit d’un battement de cil pour transformer en or ce que l’on imagine qu'elle porte de souffrance, ce que l'on croit connaître de sa douleur, des mots de désespoir que l’on veut lui faire dire, des vertus et des miracles qu’on lui attribue. Mais elle est d'une toute autre matière. Ses manières sont d’élégance, ses gestes un miroir où se reflètent mille vies secrètes. Ses mots des envolées de la mémoire. Ma vierge voue une belle fidélité aux anges des dérives. Elle m’appartient ici dans la chapelle des arènes, et j’imprime sur mon corps ses lumineuses nuances. Elle ignore le malheur et le désespoir, elle ne sait rien de la douleur. Elle est au centre de la vie, comme dans cette chapelle où des hommes de soie viennent lui parler, lui offrir ces instants de souffrance et de gloire, elle les écoute lui conter en silence leurs espoirs, elle les voit prier, les yeux clos, elle entend battre le muscle de la vie, elle écoute l'étrange musique que soulignent leurs lèvres. Elle les protège, ils le croient, elle n'en dit rien et cela leur suffit. Il est des silences qui valent mille clameurs. Elle m’accompagne dans le parc du Retiro, à Las Ventas, carrera de San Jeronimo, vers le sud aussi, sur les chemins de l’hôtel de La Gloria, à Malaga éclairée dans la danse flamenca de La Lupi, à Madrid dans la fumée de cigares du Café Pombo. A Barcelone, au bras de Maria, sur les toits face à la mer, sous la protection de Gaudy et sa Sagrada Familia, et elle rayonne de mille éclats de verre et d’azulejos, lorsque nous nous embrassons. Sur les plages océanes où se brisent des frégates atlantiques chargées de vins anciens, elle prend son envol et je la suis. A mes côtés, sur le port de Marseille, elle se souvient d’un inconnu aux allures d'aristocrate anglais débarqué d’un galion chargé d’or et de poésies, nourri de lourds parfums d’Orient. Sur les traces d’un comédien lumineux, elle imprime dans ses pas, les saveurs, et le savoir des sonnets de Shakespeare. Elle est incroyablement vivante, légère, vive. Ses yeux brillent d’explosions de mots et de couleurs, elle chante des coplas de la terre. Ces chants andalous qui enivrent les hommes et les rendent meilleurs. Cette vierge a les seins vifs, légèrement ambrés, le soir venu ils se jouent de transparences. Nous sommes souvent pris de fous rires lorsque nous nous regardons, lorsque nous nous écoutons, et qu’elle me parle des plaintes, des pleurs, des demandes éplorées, des offrandes, des doutes, des adorations, des génuflexions, des signes de croix, des cierges, de l’encens, de l’eau bénite, des prières, des lamentations qui montent vers son auréole cristalline. S’ils savaient, de quelle nature est cette sainte, s’ils devinaient ce qui l’anime, qu’elles sont ses fréquentations, ses rêves et ses manières, ils viendraient pour l’aimer, la caresser, lui parler, lui offrir des accords de bandonéon, des colliers de perles, des livres rares, et oublieraient à jamais leurs peurs et leurs ressentiments. Mes rires, mes lectures silencieuses, mes évocations esquissées lui conviennent, et j’ai appris à transformer la mienne dans nos frôlements. Nos rencontres sont permanentes et cela ne se voit pas. Ici, elles se nourrissent d’échanges de mots que nous frappons comme des balles de tennis, leur donnant de l’effet pour qu’ils nous étonnent, nous surprennent par leur étonnante trajectoire. Nous testons notre rapidité, notre agilité, nos réflexes et notre pensée. Nous pratiquons l’art de l’anticipation, de l’improvisation, du coupé croisé, de l’amorti raisonné, du lift enchanté. Nous attendons qu’ils nous fassent perdre pied, mais nous les reprenons à la volée, les projetons le plus loin possible et ils nous conduisent dans le territoire du croisement des regards, du face à face, de la séduction anticipée, du paradis retrouvé. Les montées au filet n’ont aucun secret pour nous. Nos rencontres se nourrissent de phrases, de frôlements et de pensées, d’aléatoires constructions chimériques s’échappent de nos lèvres. Nous inventons des fictions pour le seul plaisir de les faire naître, nous écrivons des livres que nous nous racontons, des histoires que nous dessinons, des poèmes que nous nous récitons, et nous projetons d'incroyables tableaux inversés à travers nos paupières de cristal. C’est finalement parce que je ne désespère de rien et qu’elle espère en tout, que nous nous ressemblons. Elle croit en moi, dans mes manières, mes façons de l’aborder, de la surprendre, de la séduire par les histoires que je suis en train d’inventer, elle m'admire pour mes adorations, mon silence, mes envolées lyriques, pour les mots que je recouvre de poudre d'or. Dans le reflet de ses lèvres je lis la Bible à l’envers et je fais des miracles. J’offre mon visage à son corps qui s’imprime dans mes mains et mes cuisses. Mes envies se lisent dans le drap de son regard. Son corps s’élève au diapason de mes mots, il vibre dans l’espace, il est une jouissance inédite. Ma vierge esquisse un sourire lorsqu’on parle de sa chasteté, de sa dévotion à l’apparition, à l’ange, à son Fils crucifié, du Père éternel de son enfant miraculeux, de leurs chairs mêlées, de leur sang, de leur gloire et de leurs évangiles soufflés aux oreilles de leurs disciples en mouvement permanent. Son corps, elle l’offre en musique, ange gardien de ses courbes, il épouse chacune de ses pensées. Son regard se joint à mes mouvements, en devient l’écho et le reflet. Ma vierge est un miroir vivant qui a longtemps réfléchi à ce qu’il reflète, à ce qui se joue dans cette éternelle profondeur de champ où l’on devine les traces de ses aventures, ses cortèges de rencontres, ses éphémères apparitions, ses gestes qui malmènent le diable et sa cour d’admirateurs souffrants. C’est une façon très étrange d’être au monde que la sienne, et je ne partage cette profondeur qu’avec ma sainte et la transmets à mes amoureuses… »

Les mots dansaient, et Matisse lui souriait. La question s’élevait dans la pièce enveloppée par le rayon de soleil. Il alluma une cigarette, se leva et laissa là les phrases. Il se dit, qu’à cet instant peut-être elle dansait elle aussi, il en sourit. Il souriait à ses croisements et la question posée sur son bureau tournait et retournait comme les volutes qui s’envolaient de sa cigarette.



En écrivant, j'ai pensé à mon corps retourné par l'envolée des mains de la danseuse Miryam, au bords du fleuve et sous les arbres, j'ai pensé qu'il s'agissait sûrement d'une résurrection, d'un passage du mort au vivant et du vivant au vivant, ce qui est amusant, me suis-je dit, c'est que c'est autour de cela, de cet état là, que je tourne dans le roman que j'étais en train d'écrire avant que la Courbe du Temps ne me fasse basculer, avant ma rencontre avec la danseuse du soir et du vent de la mer. Alors je me suis endormi, tout habillé sur le canapé rouge. Le rouge m'entourait, comme m'avait entouré le baiser rouge de la danseuse de la place.

Lorsque je me suis réveillé, le rouge du Temps m'observait, un rouge brillant, musical, comme la robe de Miryam, puis tout s'est mis à danser dans la chambre, les livres, les crayons, le bureau, la photo encadrée de Marcel Proust à Venise. Les livres s'ouvraient et se fermaient, comme si une main invisible s'amusait à en tourner les pages, pour peut-être leur donner le tournis. C'est peut-être aussi cela, lire, c'est donner le tournis aux phrases, c'est ce que je me suis dit. Des phrases se sont elles aussi envolées, toutes mélangées, je les ai vues, les unes sur les autres, se croisant et se décroisant comme les mains de la danseuse rouge.

J'ai lu et cela donnait :

... le saint souverain Jan-siang se tenait au centre du cercle autour duquel tout se parachevait ...

...j'hésite, il faut l'avouer, à faire ce saut, je crains de tomber dans l'inconnu sans limites....

... j'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse...

... o les longues rues amères autrefois et le temps où j'étais seul et un...

... une hirondelle a surgi, elle tournoyait dans l'affolement....

... je peux donc rêver qu'ils sont tous embarqués ensemble et réunis pour une soirée là-bas : Proust, Picasso, Céline, Matisse, Claudel, Morand, Giacometti, Artaud, Breton, Drieu, Aragon, Bataille...

... un livre où le narrateur évoquerait seulement les lieux où il s'est baigné...

... ses cheveux jouent avec la brise et paraissent vivre...

... hier, vers le soir, mon heure la plus silencieuse m'a parlé : tel est le nom de ma maîtresse terrible...

... à très vite mon amour, et porte toi le mieux du monde...

... c'est le jour où il ne convient pas que le salut soit inactif...

D'autres phrases n'étaient plus à ma portée, elles avaient traversé les murs, percé le plafond, ouvert une brèche dans le parquet, et j'étais entraîné moi aussi dans la danse, aspiré vers le plafond d'or, de gris et d'ocre, et c'est là que je me suis vu me regardant voler, entouré de phrases, de livres, de photos, de lettres d'amour, de plumes et de crayons, je me suis vu me voyant, comme j'avais vu quelques heures plutôt la danseuse des bords du fleuve et sous les arbres, alors je me suis dit une nouvelle fois, que la Courbe du Temps allait encore, j'en étais sûr, me réserver d'autres surprises et je me suis rendormi.

Il s’est souvenu qu’elle se moquait de la longueur de ses phrases. Le lisant, elle disait souvent, mais je rêve en éclatant de rire, il se souvient aussi, qu’elle lui avait dit qu’elle allait dynamiter sa bibliothèque, elle jouait et s’enjouait à le voir écrire, tout en lui tirant la langue, et quand elle s’asseyait sur le divan rouge et qu’il écrivait, qu’il lisait pour lui ce qu’il venait d’écrire, elle s’endormait, ainsi disait-elle, je vois mieux vos outrances (...)

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 13 février 2013

Watteau Toujours


Voilà ce que l'on pourrait présenter comme l'Art Français du dessin, l'Art Français de la peinture, une façon bien particulière de renvoyer dos à dos académisme et modernisme. Le poète - c'est ainsi que le définissaient les frères Goncourt - n'en finit pas de nous parler. Vous n'entendez rien ? Vous préférez la domination tagapeuse, vulgaire et marchande qui s'affiche dans les gazettes d'art contemporain ? Parfait ! Nous resterons entre nous.

L'Art Français du dessin et de la peinture, comme celui d'ailleurs de la conversation, du roman, du théâtre, de la musique, de l'amour, brille durant deux siècles, le XVII° et le XVIII° puis, la terreur, la bourgeoisie, se chargent de les voiler, le XIX° et ceux qui suivent sont à l'oeuvre - le Diable probablement ! - jusqu'à la domination de l'horreur - Staline et Hitler en rêvaient, l'accomplissement est réussi ! Dernier avatar : " l'art pour tous " accompagné du : " soyons tous artistes ", qui n'est pas sans évoquer le fameux « Arbeit macht frei » que les Juifs, les Tziganes, et certains opposants de l'intérieur ont " payé comptant ".

Watteau descendait d'une famille d'artisans, son crayon et son pinceau sont ceux d'un aristocrate, ses dessins et ses toiles saisissent sur le vif le mouvement des corps, qui est le mouvement du Temps, sa Courbe.






à suivre

Philippe Chauché 

lundi 11 février 2013

Elodie Cordou


Ce petit livre, note-t-il, pourrait s'appeler l'échappée belle, ou la belle échappée, c'est comme on le souhaite, échappée d'une et dans une toile, disparition de la troublante Elodie Cordou, que le narrateur saisit par touches et aplats, comme le fait à la manière de Rembrandt, le peintre Ronan Barrot, rouge portrait dans la rouge écriture. Si vous croisez Elodie Cordou, offrez lui ce beau petit livre, et laissez-là poursuivre sa fugue brandebourgeoise.

" Sa légèreté d'oiseau, au temps que j'ai dit, quand nous vivions souvent en bande, ramenait les plus gracieuses de toute l'équipe que nous étions au rang de lourdes ballerines en brodequins quand Elodie, dans tous ses mouvements, donnait l'impression de flotter le plus naturellement du monde dans l'air ambiant. "

" Mais pour l'instant, au moment où je parle, bien malin celui qui pourrait se vanter de savoir où est précisément Elodie Cordou, elle qui a toujours eu le don d'être là où il paraît alors évident aux yeux de tous que c'est le seul endroit où, par nature, il est impossible qu'elle soit. "

" De Kooning, Pollock, Rothko, Giacometti, Mondrian, Alechinsky, Zoran Music, Ensor, bien d'autres encore de Sérusier à Bonnard ou Emile Bernard sans oublier Soutine ni Shahda, cette prodigieuse collection qui a demandé des années de patience à Elodie Cordou, qui a exigé d'Elodie Cordou une abnégation totale, dont elle ne s'est laissé distraire un seul instant, qui pour Elodie Cordou a été le souffle vital de toute une existence et sans laquelle nous ne parlerions même pas aujourd'hui d'Elodie Cordou, sans laquelle nous ignorerions tout d'Elodie Cordou et de sa disparition même, en dehors de laquelle nous ne nous poserions au sujet de sa disparition la moindre question, tous ces chefs-d'oeuvre sans prix ni ce n'est celui de la vie d'Elodie, bien que personne ne puisse à ce jour jurer les avoir vus rassemblés en un seul lieu, que nul ne puisse dire en quel endroit précisément Elodie Cordou les tient entreposés, parleront en sa faveur, témoigneront le moment venu en sa faveur s'il le faut, cela aussi je peux, sans l'ombre d'un risque d'avoir à me dédire, l'affirmer haut et fort. "




à suivre

Philippe Chauché

dimanche 10 février 2013

Pures Ombrelles



" Je n'aurai jamais écrit une ligne si je n'avais pas cru au rôle sanctificateur de l'Art. "

" Le charme est plus absolu qu'un tombeau. "

" J'embrassais le fond de sa main et les creux entre les doigts. J'embrassais sa bouche et le baiser de sa bouche me parut déjà le ciel. "

" Un mur d'amour se vend sous les pures ombrelles
Des jupes. "

" Celui qui connaît la puissance du chant, à qui les larmes et les triomphes du chant sont accordés, celui-là fera la défaite de la mort. "


Qui n'a un temps fréquenté le Bario Chino de Barcelone ne peut, lui semble-t-il, saisir le mouvement des phrases du Dandy hautain, qui est celui de quelques corps joyeux et cruels, qui n'a goûté, même une seconde, aux manières et au style de certaines femmes ne peut se glisser dans cette Matière céleste qui terrasse les âmes sensibles et sanctifie les corps gracieux.

à suivre

Philippe Chauché

samedi 9 février 2013

L'Apprivoisé


" Quand je viens dans la prairie,
Quand je viens dans les champs, maintenant,
Je suis encore l'apprivoisé, docile,
Comme épargné par les épines.
Mon vêtement s'agite aux vents,
Comme l'esprit en moi joyeusement demande
Où se tient la profonde vie
Jusqu'aux jours de sa délivrance... "

" Quand sur la campagne un nouveau ravissement germe
Et que l'aspect de nouveau s'embellit et que
Au flanc des montagnes où les arbres verdissent,
Des souffles plus clairs, des nuées se montrent,

O quelle joie ont les humains ! ... "

" Le soleil brille, la campagne est en fleurs,
Les jours viennent, riches de bourgeons et doux,
Le soir y fleurit, et les jours clairs sont
En contrebas du ciel, où naissent les jours... "

A chaque temps suffit sa raison, à chaque instant son regard, à chaque hiver son printemps, à chaque regard une phrase, à chaque sourire une fleur. Il traverse en son Temps la poésie vive et libre comme d'autres à distance enlacent les phrases.

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 6 février 2013

Nocturnes


" Le temps d'un vertige est souvent le vestige d'un temps passé.
Apprendre à devenir insomniaque à la vie.
S'avancer jusqu'à la falaise de ses croyances et ne pas hésiter à faire un pas de plus. 
Se maintenir à l'orée de tout espoir.
Perdre beaucoup de temps à se maintenir à flot.
Ne servir à rien ni à personne, c'est en somme son programme.
Tout rêve s'envole lorsque le soleil se couche.
L'ivresse n'est jamais une posture.
Être à la hauteur de sa propre imposture.
Cultiver une distance maladive.
Passer du Paradis à l'Enfer comme si de rien n'était.
Perdre son souffle dans des futilités.
Jouer sa mort aux dés.
Ne jamais douter de l'inutilité de ses masques.
Faire de ses inconséquences des musiques mineures.
Passer inaperçu pour être vu.
Ses seules attentions : la langue française. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Nocturnes / Prince Léopold de Sardaigne / Éditions du Sommet / 1973