dimanche 22 septembre 2013

L'Identité de l'Ecrivain



L'écrivain, quand il l'est vraiment, peut sans mal traverser la terreur sociale avec légèreté. Un pas de danse, un regard posé, un chant sacré, un éclat de rire, un masque sauvage, un retrait, une ligne de risque, une envolée, la fréquentation d'une licorne, ou simplement une distance solitaire aiguisée, qui lui permettent d'écrire au bord du gouffre, au coeur de l'avalanche, de s'en approcher, de s'y glisser, de s'en échapper et d'en rire, comme les héros de Samuel Beckett et de dessiner un autre cercle où se baignent d'étranges renards pâles, scissionnistes d'un temps ancien, autrement dit d'aujourd'hui. 

" J'aimais bien cette idée d'être au volant d'une voiture sans démarrer ; je trouvais l'idée meilleure qu'un voyage. Et puis, n'y avait-il pas, dans cette fantaisie, quelque chose qui relevait de l'enfance et de ses cabanes suspendues dans les arbres ? On l'aura compris : j'étais content ; il existe, pour chacun de nous, un point de ravissement qui, même si la planète éclate, nous accorde à des joies folles. Ce point je l'habitais. " 

La seule identité de l'écrivain, c'est ce qu'il écrit, ce qu'il va écrire, ce qu'il a écrit, le reste ne lui appartient pas, c'est ce que l'humanisme social lui colle sur le pouce pour qu'il le trempe ensuite dans cette encre bleue qui ne sert plus à écrire depuis longtemps, mais à identifier, d'où pour certains l'impérieuse nécessité du masque amusant du pseudonyme, qui n'est autre qu'une identité pure - comme une eau millénaire - de polisseur de phrases. " A coeur de Lion rien n'est impossible ! "

" Connaissez-vous l'impasse Satan ? Elle est située dans le bas du XX°, au coeur du quartier de Charonne. Elle existe vraiment : juste à côté, on trouve le passage Dieu. Quand je suis tombé, ce matin-là, sur l'impasse Satan, je m'y suis engagé par curiosité. J'attendais peut-être une illusion noire, ou de faire l'expérience d'un maléfice. "

L'expérience du livre de l'écrivain qui pouvait se dérouler comme ses précédents, entre fracture, suspension, saisissement, éblouissement et expérience de l'Unique - dans le désordre : Cercle, Le sens du calme, Évoluer parmi les avalanches, Introduction à la mort française, A mon seul désir, Jan Karski et Prélude à la délivrance avec le renard pâle François Meyronnis - prend un autre chemin de traverse. Une flambée parisienne l'envahit, en mémoire de deux sans-papiers africains suicidés, dans l'ombre portée de la Commune - Lautréamont, Rimbaud, Courbet - de Paris Mai - Debord et les invisibles -, un déferlement de masques dans les rues de la ville de toutes les insurrections, pensée d'une révolte à naître, silencieuse et masquée, en mémoire de tous les sans-papiers du monde réel, et le sentiment d'être entraîné sur le terrain du trop plein, du trop dit, du trop écrit, les belles causes affadissent toujours les belles fictions, même si comme toujours le style - la seule machine insurrectionnelle qui vaille la peine - donne au livre le charme d'une dérive pâle et joyeuse. 

à suivre

Philippe Chauché



  



mardi 17 septembre 2013

Albin s'amuse


" Sur son fauteuil se balancer au gré de ses inspirations, admirations. Assimiler, citer, rendre hommage. S'exercer à cligner de l'œil. Nommer. Que la forme soit. Puis vient l'élagage. L'épure. Avec la dernière feuille, dernière aiguille, dernière écaille, tombent l'adjectif, l'adverbe et l'œil, inutiles à l'arbre accompli.
En pin, qui de tous les arbres est celui qui fait le plus de bois mort, en mimosa qui parle à haute et intelligible voix. Sec à point, sans excès ni écorce, ce qu'il faut de noueux sculptural pour le jardin zen. En pin, en mimosa ou en bonsaï, Albin n'est pas si grand. "

Dans la famille des écrivains, je voudrai l'écureuil !
Bonne pioche, c'est l'Albin qui saute dans vos mains !
Albin, l'écrivain anonyme fait sa rentrée champêtre, il gambade, saute, virevolte, s'amuse, joue avec une herbe fraîche, prend le soleil et le Grevisse, grignote un mot rare, il a bien bel appétit l'animal !
Il se murmure qu'Albin est la réincarnation de Laurence Sterne !
D'un murmure l'autre, l'Albin ne saurait tromper Tristram et inversement !

" Écrire son roman comme on taille sa glycine, allier forme et fond, esthétique et vigueur.
Prudence à vouloir tutoyer les sommets. Trop tard Albin le cul par terre. "

Mais personne ne le connaît ?
Justement, l'Albin est tellement présent qu'on l'oublie, ou alors tellement visible qu'il en est lisible, ce qui devrait amuser les convives des prix littéraires.
Vous reprendrez bien un peu d'Albin, croyez-moi, il ne pèse ni sur les neurones ni sur l'estomac, Albin le plus digeste des écrivains !
Mais il ne faut pas non plus en abuser, à trop le lire l'Albin s'use et amuse !
Mais dites-moi votre Albin, il m'a lu ?
Et bien lu cher Monsieur Ponge !
C'est même une variété rare de pierre ponce !

" Rimmel et fond de teint avaient ruisselé sur la joue, dégoutté le long du coup, vint le tour des graisses, chairs, cartilage, le visage entier allait y passer, en voyant la vitesse à laquelle tout se liquéfiait, elle qui se décomposait, flagada sur sa chaise, il se disait elle va finir en flaque, quand une voix venue du bureau, Madame Marcel !
A ces mots elle se requinque, sur son siège se reconstitue, reprend l'apparence de cette employée qui accueillait Albin, à l'instant. "

Dans la famille des écrivains, je voudrai l'écureuil !
C'est trop tard, il est passé par ici, mais il ne repassera pas par là, l'Albin, il glisse comme une truite, courez, vous le verrez peut-être passer à la prochaine page.

à suivre

Philippe Chauché

vendredi 13 septembre 2013

Courbet se Baigne

 

Lire c'est écrire, notait un écrivain girondin, alors écrivons :
 
Une nouvelle fois Courbet doit s'expliquer, alors il s'explique, même si cela lui paraît inutile. On lui pose des questions, il tente de gagner du temps, et finit par répondre. Il faut bien répondre un jour aux curieux, alors que cela soit maintenant, ce sera fait, après il ira se baigner et traversera le champ en fleur qui le sépare de la rivière :
- votre profession : peintre
- votre passion : la peinture et la nature
- votre philosophie : je viens de vous répondre
- votre religion : vous venez de la noter
- pourquoi la Suisse : un exil, pas surprenant lorsque l'on est peintre
- et la cause : le renversement de la Commune et la surdité de mes semblables
- votre avenir : la nature et la peinture, la peinture et la nature,arrangez-vous avec ça, j'ai du travail !
 
Il est des livres qui forcent avec style votre porte, qui s'invitent sans que l'on sache de prime abord pourquoi, qui prennent leur aise, alors votre bonne éducation vous pousse naturellement à les accueillir, à les feuilleter dans un premier temps, pour voir de quoi ils sont faits. Puis à tout reprendre au début, à lire à page à page leur nature, à reprendre, à hésiter, à ouvrir vivement les yeux, à les fermer et à écouter avec une grande attention, pour finir par secrètement se dire, qu'ils ont eu raison ne pas vous prévenir, la surprise est parfois affaire de plaisir, comme ce petit livre de David Bosc qui roule comme le Gave et vous éclabousse en passant. Il est plaisant de se faire mouiller par un tel styliste.
 
" Passé la frontière, Courbet ne cessa ni son industrie - la peinture à l'huile, principalement travaillée au couteau à palette - ni le plus grand plaisir de sa vie : il s'est baigné dans tous les courants, ruisseaux, fleuves et lacs qui n'étaient pas saisis par le gel ou annulés par la sécheresse. "
 
" Devant un objet, une femme, un vallon encaissé, le peintre est-il celui qui ne s'est pas coupé la chique en disant à voix haute : que cela est beau ? Il touche au miracle quand il descend dans le labyrinthe, quand il accepte de se mettre au pouvoir de la chose, de prêter le flanc à son mystère : en de tels moments, Courbet se laissait peindre par le lac aux couleurs d'eau, en reflets d'or, il se faisait cracher le portrait par la forêt, barbouiller par la bête, aquareller par le vagin rose. "
 
Courbet vivant, voilà un constat qui doit en gêner plus d'un, et pas seulement, cela va s'en dire du côté de ceux qui le vouaient aux enfers lorsqu'ils l'apercevaient aux côtés de ses amis communards et le croisaient avec Baudelaire. Courbet vivant, et quel vivant, nageant, marchant, suant, sautant, saisissant son couteau comme d'autres leurs idées. Courbet peignant sans se plaindre, - laissons cela aux têtes molles avons-nous envie d'écrire - Courbet peignant encore et toujours alors que l'on aimerait tant qu'il devienne une icône de la révolution retournée, mais il est trop joueur, il danse trop justement, comme Céline, il est insaisissable, c'est cet insaisissable qu'écrit David Bosc sans en faire une toile, mais mille toiles plus éblouissantes les unes que les autres.
 
 
 
à suivre
 
Philippe Chauché
 
 











mercredi 11 septembre 2013

A la Vôtre


Au siècle dernier Alfred Hitchcock présentait à la télévision de petits films terrifiants et amusants, preuve que le plus grand des cinéastes pouvait avec sa légendaire légèreté et  sa méchanceté anglaise se glisser dans des formats courts, où en un tour de caméra tout est dit et tout est fait, Montaigne aurait aimé, Suel doit adorer. 
Les éditions Louise Bottu ont eu le flair de regrouper et de publier ces exercices littéraires pétillants qui tiennent dans une fiole, comme celles que glissait Hemingway dans la poche intérieure de sa veste, une façon comme une autre de tenir le coup. 

A la vôtre :

"  Depuis des heures, je suis là, à demi-desséché, complètement hébété. C'est un forficule qui me montre le chemin de la vie, me donne l'illumination. En le voyant s'extirper d'une pêche à moitié mure, je comprends où est mon salut. Je me traîne au bord d'une craquelure du fruit, me glisse péniblement à l'intérieur. Je retrouve l'humidité, l'obscurité et la nourriture.
La vie est belle.
Le ver est dans le fruit. " 

" LA CAMERA AVANCE SUR LE CORPS NU DE D. RAKULA, allongé sur un matelas de sachets de sang, certains, gonflés comme des outres, d'autres, flasques, vidés - le corps de D.R. est couvert de sang - ses ongles sont encore enfoncés dans un sachet de sang percé qui laisse couler un filet sur sa poitrine glabre - il tête un autre sachet - ses yeux sont vitreux, un regard d'homme ivre - sa bouche s'ouvre, pleine de sang - le sachet vide glisse sur son cou - ses yeux se ferment, sa poitrine se soulève lentement - il dort - un sourire indéfinissable apparaît sur son visage sanglant. " 

" Et, tout d'un coup, je l'ai vu, le vieux ! Il était appuyé contre un arbre. Il me souriait.
C'était trop !
Le vrai méli-mélo dans mon cerveau.
Il m'a dit dans un français parfait :
" Fiston ! Ne mets jamais du jus d'orange oxydé dans ta vodka ! " 

à suivre

Philippe Chauché

mardi 10 septembre 2013

Le Jeu en vaut la Chandelle



Le lecteur curieux ouvrira bien un jour et par hasard ce petit livre aux phrases toniques ( au sens musical du mot - son principal auquel, dans chaque mode, il serait impossible d'en substituer un autre, sans détruire ou altérer le sens de la phrase - ) et aux éclairs vifs, comme le sont les moralistes que l'auteur invite à sa table d'écriture et de conversation, et que l'on se rassure, si la plupart ont semble-t-il quitté les aléas du monde, Frédéric Schiffter a avec eux quelques échanges de phrases et de petites balles jaunes qui auraient d'évidence leur place sur un cours de tennis ombragé où des jeunes gens élégants perdent leur temps avec style et un talent certain. Car tout est affaire de style pour l'amateur de surf et de Clément Rosset, le reste n'est pas son affaire, il ne s'en occupe point, comme d'ailleurs de tenter de faire de son lecteur curieux et hasardeux, un disciple  bigleux ou un admirateur muet - une pratique dont nos modernes philosophes du bonheur se chargent avec un bel intérêt - ma cassette, ma cassette !
 
Ici, pour qui sait lire, le jeu est ailleurs, et il en vaut la chandelle !
 
Musique Don Schiffter :
 
" Un philosophe d'occasion, un esthète épuisé, un frondeur abattu, une marquise cafardeuse, un aventurier sans cause, un métaphysicien insomniaque, un nihiliste apocalyptique, un réactionnaire à vif, un anarchiste sentimental, un adepte du suicide non pratiquant, les figures que j'évoque ici forment une aristocratie transhistorique de l'ennui - montrant par là l'éternité de la maladie du temps. "
 
Leurs noms : Socrate, l'Ecclésiaste, La Rochefoucauld, Mme Du Deffand - dont j'ignorais tout - ou encore Hérault de Séchelles, Cioran ou encore Roland Jaccard, de quoi se divertir en attendant un tsunami.
 
" Les juges passent au vote. Par une majorité de soixante voix, ils déclarent Socrate coupable. Comme le veut la loi, il lui est permis, de même qu'a ses accusateurs, de proposer une peine. Ces derniers réclament la mort. " Comme je n'ai jamais nui à personne, dit Socrate, je ne vois pas pourquoi je nuirais à moi-même. Aussi je demande la relaxe et une pension de sénateur. Athènes me doit bien cet honneur. " La provocation réussit. Outrés, les juges prononcent son arrêt de mort. Le condamné devra, dans un mois, au retour de la flotte marchande partie pour Délos, périr par ingestion d'une substance létale.
A la date fixée, dans sa cellule,, entouré de ses amis en pleurs, Socrate lève sa coupe en hommage à Dionysos et boit d'un trait son dernier cocktail - une dose de ciguë pour trois doses de vin. "
 
" Quand elle ouvrit son salon, Mme Du Deffand y bannit quant à elle toute éristique. Accoutumée dès sa jeunesse aux mœurs libertines de la cour du Régent - dont elle fut l'une des plus jolies maîtresses -, puis, après la mort de ce dernier, aux règles du commerce mondain que la duchesse du Maine avait imposées au château de Sceaux, elle n'entendait pas que les idées eussent le primat sur les potins et déclenchassent des conflits à l'échelle de son appartement - sans compter qu'elle y recevait nombre de diplomates. Sachant les philosophes prompts à débiter sans retenue leurs doctrines et les gentilshommes enclins à s'en moquer ou à s'en offusquer, elle exhortait les premiers à ne jamais s'appesantir et évitait ainsi à la cérémonie de la conversation les écueils du pédantisme et de la morgue. "
 
à suivre et à lire
 
Philippe Chauché