jeudi 30 juillet 2015

Cahiers de Vacances


Lire est toujours un manière - une matière - d'écrire, de décrire ce qui défile plus ou moins lentement sous nos yeux. Il y a dans la lecture un art du défilement, chaque livre impose son rythme, on ne tourne jamais deux fois une page de la même façon. On ne reçoit jamais par hasard un livre - même si il y a une demande, une proposition, une offre, une commande, une offrande -. On ne connaît jamais les raisons qui nous poussent à ouvrir et à lire un livre - d'autant plus si cette lecture n'est soumise à aucune exigence sociale. L'avantage du journal d'un écrivain, c'est qu'il redonne des manières de lectures vagabondes - passage hâtif à travers des journées et des ambiances variées. Le temps du journal est permanent. Il n'est pas surprenant que Roland Barthes et Michel Chaillou se soient croisés. 
 
" Temps très beau, sec et bleu, froid, moins deux ou quatre au lever du jour. J'ai remarqué qu'un merle siffle matin et soir en dépit du froid, trompé par le beau temps ? "
 
" Temps splendide, très chaud. Tous les soirs avant de me coucher, je regarde Jupiter, Vénus. Les martinets crient. "
 
" Cette phrase : " écrire une date un jour de pluie " ; cette idée ancienne : le passé m'intéresse, car ce qui lui reste comme avenir c'est l'imagination qu'on en a. "
 
 
 
Le nouveau livre d'Alain Fleischer doit paraître à la fin du mois d'août au Cherche-Midi  - quel beau nom d'éditeur ! - , son titre - son nom - Effondrement. Effondrement du marché de l'art contemporain et par écho de Simon Pinkas ? Je dois à Philippe Sollers d'avoir découvert cet écrivain - Les Angles morts, puis La Hache et le Violon -, une immersion, une plongée en apnée dans l'Histoire, les histoires, le Roman, les romans de la destruction des Juifs d'Europe. L'art contemporain combien de divisions ?
 


" Je suis depuis toujours un inconditionnel de la " galaxie Gutenberg ". Et je nourris en secret le rêve qu'au jour de ma disparition ma bibliothèque pourra être perçue comme un parfait autoportrait. "

" J'aspirais profondément à devenir un pensionnaire attitré du divan de Lacan. Et  pour me familiariser avec le personnage dont la légende m'attirait, j'allais jusqu'à observer ses allées et venues depuis le trottoir situé en face de son domicile. "


Philippe Chauché
 
 
 

samedi 25 juillet 2015

En attendant Le Mois d'Août et La Cause Littéraire


« Dura lex, sed lex : Dur à cuire, laisse en cuir »
« Modus vivendi : Dieu est vivant, mais motus ! »
« In extenso : Dedans ou dehors, tu en tiens une couche »
« Ad vitam aeternam : Evite de t’éterniser »

Pages rosses,  refait de la langue. Faire et refaire c’est toujours inventer, surtout ce qui saute aux yeux. L’écrivain n’a peut-être, au bout du stylo, d’autre occupation. Lorsqu’ils s’y mettent à trois, le temps s’éclaircit, les verbes s’affranchissent, et les mots se laissent aller à de nouvelles aventures curieuses et  coquines, ils flirtent avec l’argot des légionnaires, jouent aux dès avec la langue, et du hasard vient un livre.


 
 
" Sur un banc de bois, un noble vieillard habillé de noir étire son jeune âge... Vibrante sculpture du Sud, d'argile et d'ocre sèche... Regard d'esthète nimbé de volutes espiègles. Ses rides du visage, à la Giacometti, sont labourées du couteau de l'art... Je le salue, il me répond d'un signe de la tête. "

Le Goût du divin chemine aux côtés de musiciens, de peintres, d’écrivains vivants, qu’ils n’aient plus directement donné signe de vie ne change rien à l’affaire. Ils sont là, et bien là : Bach - il gagne encore sur la mort en offrant son ouïe au Dieu du Temps - Voltaire, De Maistre, Faulkner, mais aussi Dante, Pascal, ils prouvent à chaque phrase l'existence réelle de leur bon plaisir littéraire. Ils ont le bon goût d'avoir du style  – ce nectar de la pensée -, et ce bon goût, ce plaisir n'est pas étranger à ce qu'il se joue à Rome ou à Venise, là où l'art sacré flamboie toujours, loin, fort loin de la Réforme. Le Goût du divin est un roman d'une nouvelle Contre-Réforme. 

" Les fleurs de sakura sont là, le miracle a commencé, il va encore continuer et s'intensifier, les fleurs vont peu à peu s'ouvrir, elles seront de plus en plus vastes, et les lourde branches de plus en plus blanches."

Ecrire, c’est aussi être au centre tellurique de la vie que l’on écrit, que l’on décrit, de la nature en mouvement permanent, pour s’en faire une seconde peau, sans de départir de la sienne propre. Cette peau, c’est le style, Marc Pautrel s’inspire d’Ozu, inspire et aspire Ozu. Mêmes silences, même goût de la précision, du juste mot à sa juste place. Du cinéma à la littérature, il n'y a parfois qu'une pluie de perles.

Philippe Chauché

mercredi 8 juillet 2015

L'aventure de la poésie dans La Cause Littéraire







« et la mer fait à la terre un collier de silence, / la humant la paix sacrificielle / où s’enchevêtrent nos râles, immobile avec / d’étranges perles et de muets mûrissements / d’abysse… », Aimé Césaire.

Cette collection est une réjouissante aventure littéraire, née en mars 1966 sous la protection avisée de Robert Carlier (éditeur et amateur de dictionnaires) et d’Alain Jouffroy (poète, romancier, essayiste, scénariste et parfois comédien) et dirigée aujourd’hui par André Velter (éditeur précieux, écrivain voyageur et poète taurin). A son programme : des anthologies (La poésie lyrique du XII° et XIII° siècle, Le poème court japonais, Les Poètes du Tango), des éditions bilingues (La Comédie de Dante), ou encore des poètes par des écrivains (Machado avec Esteban, Claudel par Grosjean, Novarina dans l’oreille de Sollers). Cette Petite bibliothèque de Poésie contemporaine est un nouvel opus de cette encyclopédie en mouvement permanent. Une incursion légère, non dans l’essentiel de la poésie vivante, mais dans quelques éclats lumineusement mis en lumière par les éditeurs.


Douze petits livres, légers, graves, rigoureux, souples, solaires, orageux, désespérés, révoltés, qui se jouent des genres et des idées reçues qui sont irrecevables – la poésie est fanée, morte ou illisible – et affirment par principes la force du mot, la nécessité de la phrase, la permanence du réel et la grâce de l’imaginaire. Guère plus d’une cinquantaine de pages pour une brève immersion dans des textes de douze auteurs, qui prennent là de la hauteur, d’Armand Robin : le premier siècle je fus bruyère, ajonc, genêt, églantier blanc ; de Ghérasim Luca : peau fine / paupière finale / fœtale / fatale / philosophale ; ou encore Henri Pichette : je dis le sang des vignes vieillissant.

« Parler, presque chanter, avoir rêvé / De plus même que la musique, puis se taire / Comme l’enfant qu’envahit le chagrin / Et qui se mord la lèvre, et se détourne », Yves Bonnefoy.
« Je bâtis ma demeure / sur l’écho aux pinceaux de nacre / et la rétine des halos éblouis », Edmond Jabès.


Regards sur deux poètes et pas des moindres qui habitent cette Petite bibliothèque – ce Tour de la Poésie en 12 Mondes, pour paraphraser Julio Cortázar et Jules Verne – Yves Bonnefoy et Edmond Jabès. Un juif égyptien qui a préféré bâtir sa demeure sur du sable, et un compagnon des surréalistes qui privilégie une approche poétique du réel. Tous les deux prennent très au sérieux la poésie. Ils savent ce qui fait la force et parfois la douleur de l’agencement magique des mots et des phrases. Ils ne se détournent jamais du savoir des pierres et des verbes, des plantes et des ombres portées, des regards et des mots rares qui résonnent dans leurs verbes élancés – Ils gravaient le grain dans l’haleine du vent / de la solitude – (E.J.) – Et le rossignol chante une fois encore / Avant que notre rêve ne nous prenne – (Y.B.). Ils affirment là, toute la fulgurante beauté du ballet des mots qui dansent entre eux et pour eux.

« Je m’alimente d’un feu de pierres / je renonce / il y a une main / tendue / dans l’air / tu la regardes  / comme si tu la tenais de moi », André du Bouchet.
« Je me plais à la neige, à la grêle, au tonnerre, / Je ne méprise rien qui concoure à la terre », Henri Pichette.

Trois écarts, trois éclats : Jaccottet, Pichette, du Bouchet, qu’il est heureux de voir ici figurer, trois manières de vagabonder. Trois belles manières de se laisser surprendre et saisir par la poésie, ce ressac, cet orage, cette éclaircie, cette note tenue et parfois ténue, cette deuxième peau, ce troisième œil, cette flamme leste, ce geste, cette geste, tout un monde en quelques phrases, tout une phrase qui n’en finit jamais.

« Cette lumière de fin d’été, / si elle n’était que l’ombre d’une autre, / éblouissante / j’en serais presque moins surpris », Philippe Jaccottet.

Philippe Chauché 


http://www.lacauselitteraire.fr/petite-bibliotheque-de-poesie-contemporaine