mardi 31 mars 2009

La Musique du Temps (2)




" Blanche beauté de lune embranchée de parfum...
Une bouche qui parle exhalant une perle,
Souffle à l'odeur de myrrhe et lèvre de carmin
Laissant perle le suc et le miel qui déferle ! " (1)

à suivre

Philippe Chauché



(1) Lévi Ibn Mar Shaul / Poèmes d'amour de l'Andalousie à la Mer Rouge / traduct. de l'hébreu par Masha Itzhaki et Michel Garel / Poésie amoureuse hébraïque / Points / Éditions Somogy

lundi 30 mars 2009

La Première Phrase

C'est ainsi, et c'est une bien belle idée, proposée pas très loin d'ici par "cousumain" (dont l'adresse s'affiche sur la droite de cet écritoire), qu'elle en soit remerciée : quelles sont ces premières phrases romanesques qui vous hantent, vous séduisent, vous troublent, induisent en vous, l'envie de lire, d'écrire, de vivre, d'en finir une bonne fois pour toute avec le souffle diabolique dominant.

Amusons nous, puisqu'il s'agit aussi d'un bel amusement :

" Je suis né le 22 novembre 1763 sous le règne de Qianlong, dans un siècle de paix universelle. " Shen Fu - Six récits au fil inconstant des jours - traduct. Simon Leys -
JC Lattés

" En ce jour parfait où tout mûrit - et le raisin n'est pas le seul à se dorer - un rayon de soleil vient de tomber sur ma vie : j'ai regardé en arrière, j'ai regardé devant moi, et jamais je n'ai vu d'un seul coup tant ni de si bonnes choses. " Friedrich Nietzsche - Ecce Homo - traduct. Alexandre Vialatte - 10-18

" La sélection des talents et l'étalonnage des mérites requièrent un large recrutement dont les modalités reposent sur les quatre critères, céleste, terrestre, humain et législatif. " Le Ho-Kouan- Tseu - Précis de domination - par Le Maître à la crête de faisan - traduct. Jean Lévi - Éditions Allia

" Sourcils admirables des femmes d'Angoulème. " Stendhal - Bordeaux - Éditions Proverbe

" J'étais un grand poète né pour chanter la Joie / - mais je sanglote dans ma cabine, / des bouquets d'eau de mer se fanent dans les vases / l'automne de mon coeur mène au Père-Lachaise, / l'éternité est là, oeil calme du temps mort / est-ce arriver vraiment que d'arriver au port ? / Armand ta cendre pèse si lourd dans ma valise. " Benjamin Fondane - Le mal des fantômes / Verdier poche

" Parfois, une seule prière suffit pour tout éclairer, tout révéler, et faire naître mille fictions. " Ph. C. - Esquisses du bonheur

" Je ne suis plus un tout jeune homme. " Herman Melville - Bartleby - traduct. Jean-Yves Lacroix - Éditions Allia

" J'ai appris l'existence de l'autre Philip Roth en janvier 1988, quelques jours après le nouvel an, par un coup de téléphone de mon cousin Apter. " Philip Roth - Opération Shylock - traduct. Lazare Bitoun - Gallimard

" Je suis désormais un lecteur averti, endurci ou frivole selon les textes. " Laurent Jouannaud - Toxiques - Quand les livres font mal - Perspectives critiques - PUF

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 29 mars 2009

L'Etre et L'Enfer

" Viens, mon ami, lève-toi, sors de tes palais douillets et sûrs, arme-toi de courage et d'audace et viens avec moi parcourir le continent européen où le Diable s'est emparé du pouvoir, et je te raconterai et te montrerai avec des faits de quelle manière la race hautement civilisée a liquidé le peuple d'Israël, faible, sans protection, (innocent) de tout crime.
Ne t'effraie pas de ce long chemin tragique. Ne t'effraie pas des scènes cruelles et barbares que tu seras amené à voir. Ne t'effraie pas, je ne te montrerai pas la fin avant le commencement, et peu à peu ton oeil deviendra fixe, ton coeur s'émoussera, tes oreilles deviendront sourdes. Emporte, toi, l'homme, des bagages de toute sorte qui puissent te servir dans le froid et l'humidité, dans la faim et la soif, car il nous arrivera de nous trouver au beau milieu d'une nuit glacée dans des espaces désolés et d'accompagner mes malheureux frères à leur dernier voyage, à leur marche à la mort. Il nous arrivera de parcourir, jour et nuit, affamés et assoiffés, les diverses routes européennes de l'errance de millions de Juifs chassés et repoussés par les modernes barbares vers leur but cruel et diabolique, apporter leur vie en sacrifice pour leur peuple. Toi, cher ami, es-tu prêt pour le voyage ? " (1)

Il y a ce texte, il y a ces notes écrites, cachées et retrouvées, il y a cet Etre et l'Enfer, il y a un voix et un regard, il y a un corps sur la scène, corps de l'acteur, porteur de l'acte qui devient possible par la grâce d'une autre voix, d'un autre regard et d'une pensée de la mise en scène, il y a Zalmen Gradowski, François Clavier et Alain Timar (1), il y a le théâtre et son miracle naissant.

Il y a la mémoire d'une voix, il y a la mémoire des corps, et celle du théâtre, il y a l'espace et le temps, le corps envahi par les mots, les mots de cette voix à fleur de corps, il y a le mouvement de l'acteur qui nourrit l'espace du théâtre, il y a ce visage saisissant, dans la joie et la douleur, il y a la nécessité de dire sans montrer, il y a l'urgence de l'offrande et la résurrection du verbe.

Ici s'effondrent toutes ces diaboliques reconstructions historiques que le cinéma se plaît à filmer dans une complaisance diabolique, toutes ces histoires nauséabondes qui nourrissent la bonne conscience de ces cinéastes publicitaires à la bonne conscience frelatée.

Ici s'écrit le théâtre, voix et corps élancés, qui s'élèvent de la cendre pour frapper le Diable au coeur, ici se dit le théâtre, dans la vérité du vide, dans la profondeur de la résonance des mots de Zalmen Gradowski, qui éclaire d'une transparente lumière de vie, l'Etre et l'Enfer.



(copyright COCO)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Notes / Zalmen Gradowski / in Des voix sous la cendre / Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau / Mémorial de la Shoah / calmann-lévy
(2) Une voix sous la cendre / Zalmen Gradowski / mise en scène, scénographie Alain Timar / avec François Clavier / Théâtre des Halles / présenté ces derniers jours et repris à Avignon en juillet prochain

samedi 28 mars 2009

La Bonne Fortune



" Peu d'interprètes dépassent leur statut, leur fonction, leur responsabilité. Pour la plupart d'entre eux, la musique est une profession : ils jouent ce qui est écrit, sont rémunérés pour le faire. La gloire les attend, ou la médiocre dureté à peine fêlée d'un anonymat tranquille. Quelques-uns restent dans l'histoire : ils ont eu la bonne fortune d'exercer leur métier à une époque où tout se conserve et s'archive. Ceux qui les ont précédés doivent se contenter de quelques lignes dans les dictionnaires. Les interprètes sont comme des pères : ils ont transmis leur message et peuvent s'éteindre ; leurs descendants feront de même, et ainsi de suite, jusqu'à la consommation des temps. " (1)

C'est ainsi que s'ouvre ce livre joyeux consacré à un musicien hors du temps, hors des temps modernes, un héros, et l'auteur qui sait de quoi il parle a la bonne idée, lui aussi d'y penser, un héros donc, au sens qu'en donnait un jésuite hors du temps lui aussi, Baltasar Gracian y Moralès : " C'est un art insigne et de savoir saisir d'abord l'estime des hommes, et de ne se montrer jamais tout entier à eux. Il faut entretenir toujours leur attente avantageuse, et ne la point épuiser, pour le dire ainsi ; qu'une haute entreprise, une action éclatante, une chose enfin distinguée dans son genre en promette encore d'autres, et que celles-ci nourrissent successivement l'espérance d'en voir toujours de nouvelles. " (2), un musicien divinement éclairé, un musicien soyeux et vif, un musicien qui à chaque seconde vérifie et prouve que l'art de Bach est en permanence au centre du Temps de la musique.

Si les livres sauvent, les musiciens n'y sont pas non plus étrangers, ils élèvent le corps et fortifient l'âme, déchirent l'imposture de la mort.
Il est d'ailleurs amusant de vérifier ce qui s'écoute aujourd'hui !
Évoquez Bach et Mozart : Les Suites Anglaises ? Cosi Fan Tutte ?
Insistez : Gustav Leonhardt ? Nikolaus Harnoncourt ?

" Alors que le siècle s'empresse de ne voir que la surface des choses et préfère s'étourdir de vapeurs capiteuses, Leonardt voit ce qui est derrière le texte, laisse circuler ce qui s'y glisse clandestinement. Car le sous-texte est dans le texte. Comme les mélodies presque surajoutées par Verlaine à ses poèmes, comme la mélancolie dont Mozart ou Rameau irriguèrent leurs pièces les plus joyeuses, la signification d'un menuet de Bach " veut " être transmise sans obstacle, mais elle " veut " aussi être exaltée, comme la perfection d'une écriture. " (1)

A bien lire cela, on est en droit de s'imaginer avoir affaire, et c'est bien l'Affaire aujourd'hui, à un Gnostique.

" Les instants pendant lesquels il n'y a rien à prouver, mais où cependant le musicien peut atteindre ce point culminant, sont rendus possibles par l'inspiration qui a donné naissance à l'oeuvre. C'est elle, et non le contact avec le public, qui est au coeur de l'évènement. Un musicien qui émeut est en contact avec la musique elle-même ; s'il cherche le contact avec le public, c'est qu'il est vaniteux, qu'il se sert de l'oeuvre au lieu de la servir et de s'abandonner aux auditeurs en payant de sa personne. " (1)

De tels propos vont irriter plus d'un humanoïde, cela aussi est bien amusant.

Voici un écrivain, voilà un musicien et un compositeur, nous sommes en fort bonne compagnie :

" Par rapport aux années 60, le centre d'intérêt s'est déplacé. A présent, toute l'énergie de Léonardt chef d'orchestre va à la danse. Nul n'aurait pu prévoir que le claveciniste calviniste - presque un anagramme - saurait faire danser un orchestre, ni même qu'il saurait trouver la danse partout où elle se cache, partout où on l'oublie. Partout où on la cache ( " Ils ôtent de l'histoire que Socrate ait dansé ", dit La Bruyère ). Les gestes sont plus économes, certes, moins amples - encore qu'une phrase très legato tire de son bras de grands arrondis surprenants - et les articulations des épaules sont moins libres... Surtout, il rebondit, il élargit, passant constamment de l'appui à l'envol : allégement/poids, en l'air/à terre. Et tout cela par minuscules gestes pointus et droits. " (1)

Le musicien danse, l'écrivain écoute, regarde et se met à son tour à danser, Bach d'ici sourit, il sait, que sa musique danse le Temps délivré.




à suivre

Philippe Chauché


(1) Sur Leonhardt / Jacques Drillon / L'Infini / Gallimard
(2) Le Héros / Baltasar Gracian y Moralès / traduct. Joseph de Courbeville / Présentation de Clément Rosset / Distance

lundi 23 mars 2009

Bach Vivant



La Vie s'invite et nous transforme
Le Temps est là, gardons-nous de l'ignorer

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 22 mars 2009

Merveilles et Eclats




Tout éclat libère
Tout est merveille dans le geste


Le Temps fait vibrer la peau
Le corps s'élève dans sa plénitude
Les mots s'accordent au geste

Les livres sauvent
Les musiciennes accordent leur corps à l'éclat
Les peintres rendent au geste sa plénitude

Les natures endormies se réveillent
Le pinceau trace la jouissance et nous délivre du mal


à suivre

Philippe Chauché

vendredi 20 mars 2009

A Servir Très Frais (2)



Le seul renversement qui mérite notre attention c'est celui du Diable.

" DADA a la face large et svelte et sa voix est cambrée comme le timbre des sirènes " - Francis Picabia - (1)

L'intérêt du Temps déchire le social.

" La femme est infiniment plus méchante que l'homme, et plus intelligente aussi ; la bonté est presque chez elle une forme de dégénérescence... " (2)

Les cinéphiles ressemblent à des crustacés restés trop longtemps au soleil.

L'ennuie est à servir très frais.

" En amour, la plus funeste des illusions, c'est de croire à la synchronisation des désirs. " (3)

L'acte sexuel est amusant, il produit souvent des crampes à la pensée.

" D'une froide passion, se consacrer à l'inutile " (4)

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'aventure Dada / 1916-1922 / Essai, dictionnaire et textes choisis par Georges Hugnet / Seghers
(2) Friedrich Nietzsche / Ecce Homo / traduct. Alexandre Vialatte / 10-18
(3) Frédéric Schiffter / Traité du cafard / finitude
(4) Esnaola / Commérages / Distance

lundi 16 mars 2009

Le Chant du Pêcheur



Voilà un bien étrange écrivain, à la fin des années 60, il dressait la chronique sans faille de la " Révolution culturelle " :

" La " Révolution culturelle " qui n'eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d'individus, derrière le rideau de fumée d'un fictif mouvement de masses ( dans la suite de l'évènement, à la faveur du désordre engendré par cette lutte, un courant de masse authentiquement révolutionnaire se développa spontanément à la base, se traduisant par des mutineries militaires et par de vastes grèves ouvrières ; celles-ci, qui n'avaient pas été prévues au programme, furent impitoyablement écrasées ). En Occident certains commentateurs persistent à s'attacher littéralement à l'étiquette officielle et veulent prendre pour point de départ de leurs gloses le concept de " révolution de la culture ", voire même " révolution de la civilisation " ( le terme chinois wenhua laisse en effet place à cette double interprétation ). En regard d'un thème aussi exaltant pour la réflexion, toute tentative pour réduire le phénomène à cette dimension sordide et triviale d'une " lutte pour le pouvoir " sonne de façon blessante, voire diffamatoire aux oreilles des maoïstes européens. Les maoïstes en Chine, eux, ne s'embarrassent plus de telles délicatesses : la définition de la " Révolution culturelle " comme une lutte pour s'emparer du pouvoir ( quanli douzheng ) n'est en effet pas une création des adversaires du régime, c'est la définition officielle proposée par Pékin et constamment répétée dans les éditoriaux du Renmin ribao ( Le Quotidien du Peuple ), Jiefang jun bao ( Journal de l'Armée de libération ) et Hongqi ( Le Drapeau rouge ) dès le début de 1967 au moment où le gouvernement était suffisamment avancé pour pouvoir définitivement abandonner le paravent culturel derrière lequel il avait abrité ses premiers pas. Que Mao Zedong eût effectivement perdu le pouvoir a pu paraître, à distance, difficile à admettre par des observateurs européens. C'est pourtant bien pour le récupérer qu'il déclencha cette lutte. Ce qui est stupéfiant, c'est qu'il soit encore nécessaire ( après quatre années de " Révolution culturelle " ! ) de rappeler de telles évidences. " (1), régulièrement nous avions de ses nouvelles, nous le savions incomparable connaisseur de l'art chinois, traducteurs - nous y reviendrons - de quelques auteurs chinois, délicats et vibrants, pratiquant l'art subtile du mélange :

" Harmonie Mondiale :
Que chacun reste chez soi !
Les Maoris au Groenland, les Basques en Ethiopie, les Peaux-Rouges en Nouvelle-Guinée, les Picards à Samoa, les Esquimaux à Bratislava, les Papous en Wallonie et les Celtes en Sibérie.
Louis Scutenaire.

Herbage :
Il y a toujours plus d'herbage pour le philosophe dans les vallées de la bêtise que sur les hauteurs arides de l'intelligence.
Wittgenstein.

Loisirs, oisiveté, paresse :
Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire : personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps sans ce que le vulgaire appelle les affaires. Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât travailler.
La Bruyère.

Philosophie :
Le vent qui souffle dans les pins fait flotter ma ceinture ;
Dans la montagne je joue de la cithare sous la lune.
Vous me demandez quel est le dernier mot de la philosophie ?
- C'est le chant du pécheur qui aborde la rive.
Wang Wei " (2), notre auteur-traducteur-joueur, nous invite à découvrir en ces temps peu aimables, un écrivain qui l'est fort : Shen Fu, en " Six récits au fil inconstant des jours " - nous pourrions d'ailleurs nous contenter de contempler la beauté de ce titre, si notre curiosité ne nous invitait à ouvrir cet ouvrage qui est un traité de sagesse, de vie, d'amour, de délicatesse, d'art de la peinture, du voyage, du silence, des parfums et de la contemplation - il nous livre sa vie, une autobiographie d'une sage splendeur :

" ... Yun, toute joyeuse, me dit : " Et maintenant que nous avons conquis la belle, comment vous apprêtez-vous à récompenser l'entremetteuse ? " Je lui demandai les détails de l'affaire ; elle expliqua : " J'ai dû manoeuvrer délicatement, car je craignais que Hanyuan ne fûta pas complétement libre ; après m'être assurée qu'elle n'avait personne d'autre en vue, je lui demandai : " Petite soeur, comprenez-vous tout le sens de cette cérémonie d'aujourd'hui ? " " Madame, répondit-elle, vous avezé daigné m'octroyer votre faveur, et cet honneur me comble ; je crains seulement de n'être pas maîtresse de mon avenir ; car ma mère comptait tirer quelque profit de ma personne, et il vous faudra donc agir avec prudence. " En lui remettant mon bracelet, je lui dis encore : " Que ce jade solide dont le cercle est image d'union parfaite et indestructible soit pour vous un gage du futur " à quoi Hanyuan répondit : " Le sort de cette union future est tout entier entre vos mains ", ce qui semble bien indiquer que son coeur nous est déjà tout acquis ; les seules difficultés qui pourraient encore subsister provienne de sa mère ; mais quant à cela, nous aviserons en temps utile. "

" ... Quand on dispose des fleurs dans un vase, il ne faut jamais prendre un nombre pair de tiges ; dans un même vase, on ne placera que des fleurs de même espèce et de même couleur ; veillez à ce que l'embouchure du vase soit suffisamment large pour permettre aux fleurs de s'épanouir à l'aise ; et quel que soit leur nombre, les fleurs doivent toujours jaillir du vase avec élan, sans dispersion ni cohue, et surtout, sans prendre appui contre le rebord du col, - tout l'art est là, c'est ce qu'on appelle, en terme techniques, " assurer une prise ferme. "

" ... En été, quand les lotus commençaient à fleurir, Yun emballait quelques feuilles de thé dans un petit sachet de gaze, qu'elle allait déposer le soir dans une corolle de lotus avant que la fleur ne se refermât, et le matin dès que le lotus se rouvrait, elle reprenait le sachet ; avec de l'eau de source, nous en faisions alors un thé dont l'arôme était d'une délicatesse suprême. " (3)

Veuillez à agir avec vos amoureuses et vos amoureux comme Yun le faisait avec ses feuilles de thé, délicatesse suprême.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Simon Leys / Les habits neufs du Président Mao / Bibliothèque Asiatique / Éditions Champ Libre
(2) Simon Leys / Les idées des autres / Idiosyncratiquement compilées par / pour l'amusement des lecteurs oisifs / Plon
(3) Shen Fu / Six récits au fil inconstant des jours / traduct. Simon Leys / JC Lattès

dimanche 15 mars 2009

L'Art de Vivre



" Quand vous en aurez fini avec la mort on pourra enfin vivre. "
" Vivre c'est apprendre à mourir, et apprendre à mourir c'est savoir ressusciter. " : Voilà bien deux phrases qui méritent aujourd'hui de figurer sur cet écritoire aléatoire, c'est ce qu'il s'était dit en ce jour de printemps annoncé où la mort s'affichait avec toute sa vulgarité ici et là, mais que le bleu du ciel ruinait peut-être définitivement.

Plus que jamais persuadé que la musique et les livres sauvent, il s'était envolé devant la bibliothèque, vérifiant ce qu'il pensait secrètement : les livres vous élèvent, comme une résurrection, la mort et ses admirateurs disgracieux doivent s'en douter.

" Immobilisé, j'ai le sentiment d'être comme émetteur brûlant entre les murs de papier.
Difficile de quitter la chambre plus de trente minutes. Je fais le tour du pâté de maisons. Les rues sont habitées par des somnambules, corps aveugles et pesants... maladie humaine, cancer généralisé... où vivent-ils ces corps à loyer modéré ?

Au retour : " Le corps est l'instrument, l'outil pour la formation la modification du monde. Il faut donc que nous cherchions à faire de notre corps un organe universel d'aptitude et de capacité. Modifier notre instrument c'est modifier la vie.

Ce que le corps déclare dans la maladie... embarras des corps sans âme... embarras des corps sans corps... embarras sans corps traversé. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Marcelin Pleynet / Le savoir-vivre / L'Infini / Gallimard

Le Temps, il convient de le traverser :

samedi 14 mars 2009

L'Insomniaque



Elle est perchée sur une haute chaise de café face à sa partition volante, c'est L'insomniaque, elle déroule les heures qu'affiche une horloge invisible, la nuit sera longue et l'instant s'accroche à sa voix, c'est une nageuse des profondeurs sauvages de la mémoire, une acrobate du corps qui lâche et se relâche, les mots de la partition volante s'élèvent et retombent touchés par la grâce, puis le corps se déplace, se délie, s'ouvre comme une fleur sauvage de la nuit consolatrice, le corps allongé, le corps qui explore les mots et l'espace de la nuit, une dernière nuit comprendrons-nous à la fin, une nuit terrible, mais portée par le tressaillement du temps.
C'était un soir de mars, dans un théâtre éclairé par la vivacité, l'éclat, le mouvement et le verbe. (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'insomniaque de Carine Lacroix / avec Christelle Golovine / metteur en scène invitée : Marie Pagès / Chorégraphe invitée : Fleur Duverney-Prêt / Le Ring / Avignon

mardi 10 mars 2009

Délivrance




Prenez deux écrivains, deux hommes de l'ombre et de la lumière, tout dépend de ce que nous entendons par ombre et lumière, deux aventuriers de notre temps, en clair d'hier, d'aujourd'hui et de demain, car vous le comprendrez en les lisant, qu'être au coeur du Temps, c'est être de tous les temps, de ceux qui ont réjoui le corps et de ceux qui l'on brisé, du mauvais comme du bon !

Prenez deux hommes libres à l'affût de la pensée, qui chaque jour la nourrissent de ces " livres qui sauvent " et de ces " écritures qui délivrent ", au centre d'une revue rare, qui fait signe, comme un Phare au langage simple pour les marins, et incompréhensible pour les terriens " assis ", deux marins du large nourris notamment du souffle de Melville et de Nietzsche, et de quelques autres, d'ici et d'ailleurs : " Oui, le moment est venu de tout reprendre. Alors que la planète est saccagée, que l'ordre marchand y partage sa peste carbonique, alors qu'on escamote la réalité elle-même dans la simulation généralisée des réseaux, qu'on promet l'espèce parlante au maçonnage biologique, il y a encore quelques cerveaux qui n'acceptent pas l'esclavage comme prémisse et qui reprennent l'étude " au bruit de l'oeuvre dévorante ".
Tout reprendre, qu'est-ce que cela veut dire ? Tout recommencer depuis le début ? En un sens, oui. Mais aussi tout récapituler en déplaçant la somme par le détour. Car s'il y a REPRISE, il n'y a pas répétition. Tous ceux qui veulent prolonger les formules éculées filent au trot vers la fosse : ça commence à se savoir.
Debord a fait un emblème du palindrome classique : In girum imus nocte et consumimur igni. Il concluait - comme nous - à la nécessité de revenir au commencement ; sauf que pour nous cela ne signifie pas tourner en rond dans la nuit, et encore moins se laisser dévorer par le feu. L'heure de la cendre n'est pas ce vers quoi nos pas nous dirigent : le retour vers lequel nous marchons est un avènement... " (1)

Prenez deux hommes qui ont ici ou là une certaine renommée, relative, mais certaine, qui ont quelques amis, qui portent haut l'idée de la défense des " amis choisis ", dont un écrivain - éditeur : "... Lorsque nous allons voir Philippe Sollers, quelque chose roule dans nos veines - un sang mauve très froid, ce sang de la rigeur féroce qui pressent l'aventure. Nous voici dans le hall des éditions Gallimard : un hall rutilant et un peu toc, où sur les murs s'exhibent des portraits, sans doute ceux des employés les plus méritants, me dis-je, car ils ont ce air déplumé des vaincus. Je m'approche et regarde les noms : ce sont des écrivains.
Sollers descend l'escalier à toute vitesse, nous serre la main, et tout de suite, on entend un ricanement. Dès qu'on ouvre la bouche, ça ricane autour de nous ; une crissure de rage - un son abject. Sollers s'étonne, on se retourne, personne : le ricannement a lieu tout seul.
Sollers hausse les épaules. Il nous fait remarquer que déjà notre rencontre fait souffrir quelqu'un.
- Mais qui ? ajoute-t-il en riant.
- Le Diable probablement, dit Meyronnis.
Sollers sourit :
- Faire souffrir le Diable ! C'est le programme... " (2), comme le fît un temps l'ami affiché d'un révolutionnaire - penseur - écrivain - cinéaste du Temps Réel : " ... Beaucoup d'encre a coulé sur le fait qu'il avait racheté une salle au quartier latin, pour n'y faire projeter que mes films. On a trouvé extravagant un tel " cadeau ". Si, d'après ces journalistes, un cinéaste ne devrait pas accepter ce genre de cadeau d'un ami, on se demande quelle conception de l'amitié peuvent avoir ces pauvres gens ? Et quels cadeaux peuvent bien leur faire, à eux, leurs amis, s'ils en ont ?... " (3) Finalement à bien y regarder et à bien y lire, ces hommes se sont employés et s'emploient toujours à " faire souffrir le Diable ", un programme d'Accomplissement pourrions-nous dire, alors nous le disons !

Prenez deux hommes qui ne craignent pas, de plonger dans le ventre de la Baleine, de passer par le Néant, dans l'axe dominateur du nihilisme, pour " réveiller ceux qui dorment " la plume à la main : " ... Ce qui se révèle fonde une mémoire en avant, dont chaque phrase est l'écoute.
Écrire des livres consiste, aujourd'hui, à tourner ses phrases vers cet éclair résurrectif qui vous accorde à ce qui s'abrite dans le terrible aussi bien que dans le vif.
Il existe un usage extatique de l'archive du temps. Il n'appartient à personne en propre, surtout pas aux professionnels du domaine spécialisé de la culture, encore moins à ceux qu'on appelle les " écrivains ", les " poètes " ou les " philosophes ". Cette archive est disponible pour tous et pour personne et, pour peu que vous ayez un coeur, une oreille, et que votre sang connaisse le chemin de l'encre, elle vous est destinée.
La parole qui s'ouvre à toutes les paroles qui parlent depuis ce débordement s'affranchit des vieux genres : elle n'est plus littérature au sens classique, mais se déploie comme expérience poétique et comme expérience spirituelle. " (4)

Prenez ce livre (4) comme une expérience spirituelle, une Gnose effervescente, à lire les yeux ouverts, comme on doit le faire face à ce tableau essentiel de Velasquez.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Ligne de risque / Numéro 13-14 / Printemps 2000
(2) Philippe Sollers / Poker / Entretiens avec la revue Ligne de Risque / L'Infini / Gallimard
(3) Considérations sur l'assassinat de Gérard Lébovici / Guy Debord / Éditions Gérard Lébovici / janvier 1985
(4) Yannick Haenel - François Meyronnis / Prélude à la délivrance / L'Infini / Gallimard