lundi 31 décembre 2012

2012



2012 : Éloge de la Beauté :  un philosophe, un torero, un poète, un écrivain vénitien, un peintre nécessaire, un écrivain bordelais, un peintre absolu, un sculpteur-dessinateur, une chanteuse divine, la dérive du monde peut se poursuivre, nous sommes sauvés. (1)














à  suivre en 2013 en bonne compagnie.

Philippe Chauché 

(1) merci à celles et ceux qui s'aventurent ici.

dimanche 30 décembre 2012

Manières de Manet


Peindre c'est écrire, mais autrement, dans une sorte d'avancée du corps, Manet lorsqu'il écrit à quelques jeunes femmes admirées, écrit comme il dessine. Deux traits trois phrases, deux phrases trois couleurs, et faites avec ! En écoutant ce qui se voit, on comprend s'il le fallait, ce qui habite le peintre, trouver le geste juste et la phrase nette, la phrase juste et le geste net, laisser la nature - la belle nature - se poser dans ses lettres, comme l'on pose un baiser sur le front d'une belle connaissance, justesse du geste du peintre, comme chez les classiques, ces classiques admirés par Manet, contre tout et contre ses contemporains, qui comme les nôtres, pense-t-il, ne manquent pas d'air, alors qu'ils devraient s'effondrer faute de l'avoir vraiment respiré.
Peindre c'est écrire :
" à Isabelle, cette mirabelle et la plus belle c'est Isabelle. " (1)
" je vous embrasserai si j'osais. " (1)
" je vous ai envoyé la première prune de mon jardin voici la dernière elle est pour vous. " (1)




Écrire c'est parfois s'accorder au mouvement d'un peintre, écrire contre ce qui s'écrit partout sans saveur et savoir, illettrisme dominant et vulgarité affichée, l'un de va pas sans l'autre, la soit disant modernité s'en abreuve, et la bêtise s'en nourrit. Mais parfois, un éclat comme un trait de Manet, une aquarelle comme une lettre volée et le Temps y retrouve son mouvement, qui est celui de la Beauté, éclaircie et éclairs, pinceaux et crayon.

" Huîtres, citrons, asperges, jambon, roses, champagne, pivoines, et deux Victorine ! et trois Méry ! Ni Dieu, ni Maître, ni Matriarcat : certains peintres se sont battus pour ça. Manet a vaincu tous les arriérés de son temps, qu'ils soient réactionnaires, socialistes ou naturalistes (...). " (2)




Le peintre écrit toujours une fleur à la main, un fruit à porté de palette, les ânes y perdent leurs grandes oreilles bouchées, c'est heureux, moins sommes nous à entendre tout cela, mieux nous respirons.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Manet, lettres à Isabelle, Méry et autres dames / Arts et Métiers graphiques - Centre Georges Pompidou - Flammarion - Herscher - Skira / exemplaire n° C 22 / 1985
(2) L'Eclarcie / Philippe Sollers / Gallimard / 2012

samedi 29 décembre 2012

Le Corps de Renoir


En revenir toujours à la même histoire, pense-t-il, au roman des classiques, avec une vue perçante sur la modernité, qui sans lui, ne serait rien, et d'ailleurs n'est souvent rien aujourd'hui, sauf pour certains une palette à billets, effet de monde sans style, sans raison, sans matière et sans sujet, pour Renoir une sujet traverse tous ses tableaux, toujours le même en mille déclinaisons, le corps féminin dans sa nudité éclairante et éclairée, dans la vérité de la beauté, comme chez les classiques, comme chez les anciens, mais avec chez lui, la permanence florale de l'état de grâce, la beauté libre de la situation, les fleurs et les corps même manière d'être au monde, de l'habiter, de le toiser, de s'en saisir, d'en faire un complice, et finalement peu importe ce qu'en pensent les humanoïde qui ont toujours un siècle de retard, deux siècles de surdité, car pour entendre ce qui se voit sur la toile, il faut avoir l'ouïe fine, grand avantage des peintres et de certains écrivains.

Frédéric Ferney a l'oreille fine, il l'a vérifié en écoutant Renoir, le corps de Renoir, son roman, alors écoutons :

" Renoir avait toujours eu l'oeil sur la beauté du monde. Sa religion était un peu chinoise. " (1)
" L'autre jour, un Japonais était venu : ils ne se sont pas parlé, ils sont devenus amis, allez comprendre. C'était le peintre Umeara. " (1)
" Avec Renoir, le tableau commençait avec d'incompréhensibles touches sur le fond blanc. Le liquide, huile de lin et essence de térébenthine, coulait, coulait, coulait. Il appelait ça : le jus meus, comme un  rôtisseur latin. " (1)
" C'est drôle, avec le temps, il me semble que ce Déjeuner, n'a jamais existé.
- Comment cela ?
- C'est le tableau qui existe. Regarde bien. Pas un nuage, pas l'ombre d'un chagrin dans tout cela. Juste le bonheur d'exister. Un après-midi au bord de l'eau entre amis. La vie ! " (1)
" Il dit encore :
- Le vrai mystère, ce n'est pas l'invisible, c'est le visible.
Un peu plus tard, à la nuit tombée, en regardant la lune :
- Comme il y a du rouge là-dedans ! " (1)
" On ne peint jamais que les secousses de son coeur. C'est moi qui suis tout nu, (...), pas le modèle. " (1)
" Jean sait que Renoir est enfin seul.
Il pense : A la fin, seul le combat existe.
Pas de famille ni de clan.
Son amour, c'est ce combat. " (1)
" Il était mort le lendemain.
La veille,devant un bouquet d'anémones, il avait murmuré :
- Ah ! cette foutue peinture ! Je crois que je commence enfin à savoir comment peindre une fleur. " (1)

Chinois écrit-il, Chinois d'évidence.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Renoir, roman / Frédéric Ferney / les éditions du huitième jour / 2008

mercredi 26 décembre 2012

Les Strandards de la Beauté


Cela fait bientôt trente ans qu'ils jouent ensemble des standards, comme jamais ils n'ont été joués. Cela fait bientôt trente ans qu'ils portent la musique au firmament de la Beauté, et c'est en quelque sorte leur éthique. Dans la furie dominante et le bruit que s'imposent les humanoïdes affolés et incultes, ils font figure de classiques, ils en ont le style et l'élégance, le savoir et la saveur, ce qui met souvent en fureur les fâcheux et les grincheux, qui reprochent au pianiste ses caprices, son air hautain, son refus d'être enregistré et photographié par d'autres que ceux qu'il choisit - les hommes de ce temps ne savent plus écouter et regarder, sans en voler des traces, autres que celles précieuses de leur mémoire, vérifiant ainsi qu'ils n'en ont plus depuis longtemps - manières qu'il conviendrait pourtant de saluer, comme l'on salue le silence des esprits épris du mouvement du Temps et de la Beauté.  

Standard :
" (evergreen, oldie ). Morceau populaire qui a résisté à l'épreuve du temps. Dans le jazz, on distingue les chansons de Broadway ( ou Tin Pan Alley ), reprises par les jazzmen, comme Body And Soul, Stardust, tendance dont l'apogée se situe dans les années 30, et les morceaux composés par les musiciens de jazz, comme Flying Home ou 'Round Midnight"... C'est dans l'interprétation d'un standard que se révèlent le mieux les qualités d'invention d'un jazzman ( qu'il soit instrumentiste, chanteur ou arrangeur )... " ( Philippe Baudoin - Dictionnaire du Jazz - Robert Laffont - 1988 )

Beauté :
" La beauté pouvant éveiller un sentiment de supériorité, d'admiration et ayant son pendant dans les qualités intellectuelles ou morales ( selon la tradition platonicienne ), l'adjectif s'emploie dans la sphère intellectuelle, morale et sentimentale ( ces trois domaines sont attestés en 1080 )...  Dans le langage de la haute société qui s'élabore au XVI° et XVII° s., beau acquiert la valeur de " noble, distingué, brillant "... " ( Dictionnaire historique de la langue française - sous la direction d'Alain Rey - Le Robert - 2006 )

http://youtu.be/ENrRAIzlL1A





à suivre

Philippe Chauché

Les Armes du Style


Il y a plus de vingt ans, note-t-il, un philosophe balnéaire, qui à l'époque dirigeait Distance, une cabane d'édition de Biarritz publiait " Théorie de l'Ambition " de Marie-Jean Hérault de Séchelles, un petit livre qui à bien le lire lui ressemble. A l'occasion d'un perpétuel rangement, il l'a retrouvé, et profite de la situation pour en livrer ici quelques bonnes feuilles :

" Ayez une haute idée de vos facultés, et travaillez, vous les triplerez. "

" A l'âge où la mémoire a sa mesure, une bonne ligne lue en un jour instruit plus que le livre entier dont elle fait partie ; car si l'on a toujours été occupé de son objet dans ces deux cas, on a été dans le premier inventeur et maître, et dans le second disciple et manoeuvre. "

" La société guérit de l'orgueil, et la solitude de la vanité. "

" Se consoler du mal réel par un bonheur idéal ; se réfugier de son coeur, dans sa tête. "

" Machines du style : rapprochemens, contrastes, gradations, conglobations. "

" L'imprévu est la base du style dans tous les genres. "

à suivre

Philippe Chauché


lundi 24 décembre 2012

Delacroix



" Delacroix était passionnément amoureux de la passion, et froidement déterminé à chercher les moyens d'exprimer la passion de la manière la plus visible. Dans ce double caractère, nous trouvons, disons-le en passant, les deux signes qui marquent les plus solides génies, génies extrêmes qui ne sont guère faits pour plaire aux âmes timorées, faciles à satisfaire, et qui trouvent une nourriture suffisante dans les oeuvres lâches, molles, imparfaites. Une passion immense, doublée d'une volonté formidable, tel était l'homme.
Or, il disait sans cesse :
" Puisque je considère l'impression transmise à l'artiste par la nature comme la chose la plus importante à traduire, n'est-il pas nécessaire que celui-ci soit armé à l'avance de tous les moyens de traduction les plus rapides ? "
Il est évident qu'à ses yeux l'imagination était le don le plus précieux, la faculté la plus importante, mais que cette faculté restait impuissante et stérile, si elle n'avait pas à son service une habileté rapide, qui pût suivre la grande faculté despotique de ses caprices impatients. Il n'avait pas besoin, certes, d'activer le feu de son imagination, toujours incandescente ; mais il trouvait toujours la journée trop courte pour étudier les moyens d'expression. " (1)




La question du déploiement d'un corps sur la toile, n'a jamais note-t-il été autant d'actualité, à voir ce qui s'expose ici ou là - même si des résistances au vulgaire dominant et marchand se font jour dans des espaces les plus improbables - il suffit de regarder ce qu'en fait Delacroix, le peintre y croit simplement, et cette croyance est un acte lumineux de vie, cela devrait inviter les maquilleurs à ranger pinceaux et couteaux, s'ils savent encore ce que ces mots veulent dire, et à changer de passion, si la moindre passion les habite, le regard des corps de Delacroix en dit beaucoup du regard passé des maîtres vivants, épousé par un art absolu du trait, de la courbe, de l'espace, leçon d'art total, si ce que je peins dérange mon siècle - et des siècles des siècles  - c'est non seulement pour les situations, mais aussi comment mes corps y vivent et se déploient, y prennent leur autonomie de pensée et d'action, yo Delacroix pourrions nous écrire, et nous l'écrivons. Delacroix croit au mouvement interne des corps exposés qui vivent sous nos yeux, rien n'y est définitif, il suffit d'être attentif et d'attendre que la nuit ne tombe, on voit alors ses femmes se déplacer dans la toile, et leur mouvement déchaîne leurs passions secrètes et la nôtre en est comblée.






à suivre

Philippe Chauché 


(1) Oeuvre et vie d'Eugène Delacroix / Curiosités esthétiques / Charles Baudelaire / Édition d'Henri Lemaitre / Classiques Garnier / 1962

samedi 22 décembre 2012

Musique


Saisissement des phrases qui tournent dans sa bouche comme un vin des bords de Garonne, embrasement du style et tremblement de mots comme une peau vive.

" une femme.
elle écrit.
cinq ou sept signes noirs.
un miroir mange un miroir.
une éclipse à tête de chat. "

" une femme.
elle aime.
il n'y aura pas de troisième fois. "

" une femme.
elle écoute monk.
thelonious sphère.
un silence thématique sur un chapeau bleu. "

" une femme.
elle rit.
dans les soleils hauts provençaux.
l'excès de lumière.
effondre les couleurs. "

" une femme.
elle se déploie.
dans l'odeur creuse de la nuit.
le jour expose un simulacre. "

Juste un mot comme une note tenue, juste une vision nette comme une partition. Musique !

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 19 décembre 2012

L'Oiseau de Nuit




La voix, le silence, la manière et le style, une autre façon d'être au monde, c'est bien de cela dont il s'agit.
La voix la nuit, du jour au lendemain comme un roman qui ne cesse de s'écrire sur France Culture, que ne cesse d'écrire Alain Veinstein dans un tempo dont lui seul à la clé, oiseau de Minerve qui fixe le passage du Temps, à la manière de Bill Evans, penché sur son clavier, la voix se livre à un micro et à l'autre voix qui croise la sienne, l'inverse du tumulte bavard dominant.

Exercice de style : " Si ma voix se reconnaît à sa douceur, elle le doit sans doute à un timbre agréable, un ton calme et mesuré, des inflexions caressantes, une élocution lente, aussi claire que possible, marquant à l'occasion des pauses pour souligner les effets à venir, parfois de longs silences donnant les gages d'une sincérité qui inspire confiance.
Or, cette voix, dont je me sens désormais assez sûr de l'effet, qui administre la preuve de sa franchise au fur et à mesure qu'elle se fait entendre, vit largement sa vie sans moi. Tout va très vite sur ce champ de bataille à haut risque qu'est la radio : même une voix peut abandonner un corps blessé. "
" Le casque agrandit la table. Le retour de ma voix ( l'autre voix, celle, moins nue, de l'interviewer ) m'aide à me situer sur une autre scène, supposée moins réelle. Il brouille, de toute façon, les repères qui devraient m'interdire de tenir une telle conversation à pareille heure. "

Vu et entendu : " Son visage brille, s'anime, aidé par un sourire à la chaleur communicative. Il voudrait parler avec des mots brûlants, en provenance directe du brasier. Je me laisse porter par les inflexions de sa voix, qu'il baisse, par moments, pour la laisser repartir de plus belle. A la manière d'un percussionniste, il ponctue la fin de ses phrases en tapant du bout  de son index sur la table. "
" Forte impression de déjà entendu. Oui, j'ai déjà entendu ce discours d'innombrables fois. Cette très jeune femme répète tous les clichés du jour comme un perroquet. Elle doit lire Libération chaque matin et Les Inrockuptibles tous les mercredis, comme d'autres, il n'y a pas si longtemps, passaient leurs journées à la Bibliothèque nationale. "
" Avide de parole, il reçoit mes questions comme un mendiant des pièces. Il fait son miel de chaque mot qu'il prononce. Mais une question, soudain, semble réveiller une souffrance. Il y répond les yeux fermés en me donnant l'impression de se vider de son sang. D'ailleurs, il porte la main à sa bouche, comme pour s'assurer que le sang ne coule pas. L'effroi plaintif de sa voix... "



à suivre

Philippe Chauché

dimanche 9 décembre 2012

Le Masque de Fer



" Outre ce caractère fondamental du masque, d'être expression et non dissimulation, on peut distinguer chez Nietzsche deux principales fonctions du masque. Première fonction, de pudeur : destinée à ne pas exhiber à tout bout de champ, et devant tout un chacun, sa propre richesse...
Mais il y a une seconde fonction nietzschéenne du masque : destinée à dire l'éternelle insuffisance de tout parole et de toute vérité, fût-elle la plus profonde et la plus décisive, en tant qu'elle est nécessairement partielle et obérée par le point de vue d'où elle est énoncée, - insuffisance qui tient donc moins à une pauvreté de sa part qu'au contraire à son propre excès de richesse... c'est que le masque est la marque de la profondeur et de la richesse, et d'une richesse telle qu'elle ne saurait jamais être contenue dans l'espace d'une pensée ou d'un aphorisme - ou d'un livre. " 

A toujours trouvé suspect que le masque - expression pourtant précise de ce que nous sommes - et celui qui le porte soit ainsi nié, moqué, ou pire encore voué à quelque divan de psychanalyste, au nom, note-t-il, de quelque traque à la vérité vraie - c'est ainsi que l'on parle en ces temps de fin du monde - du dévoilement, alors que justement, c'est le masque qui dévoile et non son absence - ce que montre avec talent, et quel talent, Clément Rosset - c'est le masque qui dit et non son absence, et ce qu'il dit est à prendre pour argent comptant et non son absence qui est monnaie de singe.

Il ajoute que le masque est l'une des plus justes marque de ce que l'on est et de ce que l'on est en train de devenir sous le regard curieux de celle ou de celui qui pense devoir s'en passer et son effet le plus vivant et le plus vivifiant du réel qu'il montre.

Le réel ne se masque que pour se révéler.

Écrire est un masque gracieux et amusant, tant d'écrivains réalistes devraient s'en souvenir et ainsi éviter que leurs misérables ouvrages ne tombent comme des masques lorsqu'on les ouvre un jour de mistral.

 


à suivre

Philippe Chauché

samedi 8 décembre 2012

Cénitz




" Les stations balnéaires ne sont pas uniformes. Chaque plage de la Côte basque possède sa personnalité propre. La grande plage de Biarritz est notre Croisette cannoise, avec le Palais en guise de Carlton rose, et le Casino comme un Palm Beach défraîchi. On pourrait se croire aussi sur les planches de Deauville, quand on s'assied en terrasse pour commander des huîtres et du vin blanc, en regardant déambuler des familles en bermuda qui n'ont jamais entendu parler des bals du marquis de Cuevas. La plage de Bidart est plus familiale, c'est la même bourgeoisie à pulls sur épaules qu'à Ars-en-Ré. A éviter si l'on n'aime pas les cris d'enfants noyés, les serviettes de bain Hermès ou les prénoms composés. Surnomée " la bâtarde des basque ", la plage de Guéthary est plus sauvage,  prolétaire ; elle à l'accent du pays et rassemble beaucoup d'ex-toxicomanes en désintox. Elle sent la friture et l'huile solaire bon marché ; on s'y déshabille dans des tentes rayées rouge et blanche louées pour la saison. Même les vagues diffèrent de baie en baie : plus droites à Biarritz, plus dangereuses à Bidart, plus hautes à Guéthary. A Biarritz, les vagues se cassent le dos sur le sable, à Bidart les baïnes t'aspirent vers le large, à Guéthary les rouleaux te broient sur les rochers. A Saint-Jean-de-Luz la digue a castré la houle, c'est pourquoi les vieux, assis sur des bancs, ne commentent que le vol des goélands et le passage des hélicoptères de secouristes. A Hendaye se trouvent les plus gros rouleaux, dont la célèbre " Belharra ", une vague de15 à 18 mètres que les surfeurs les plus psychopathes affrontent tractés par un scooter des mers. La plage des Alcyons, c'est carrément la grève bretonne, avec des embruns en guise de brumisateur, et les galets comme " foot massage " ; la Chambre d'Amour est un refuge pour romantiques indépendantistes et dragueurs nostalgiques de la Rolls Royce d'Arnaud de Rosnay ; la Côte des Basques sert de rendez-vous pour conducteurs de minibus Volkswagen remplis de fumée rigolote et de bikinis qui sèchent ; la Madrague est snob, tropézienne comme son nom d'emprunt. La plage préférée des habitants du coin se nomme Erretegia, cirque naturel splendide entre Ilbarritz et Bidart. Sa qualité principale : les Parisiens ne la connaissent pas. Pourquoi ma mémoire ne retient-elle que Cénitz ? "

Et vous voudriez que je me passionne pour la Méditerranée ?

Sur ces mêmes plages, les baisers volés ne s'écrivent jamais qu'au passé composé.

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 5 décembre 2012

Marcel Dumont



" De tous les éléments, Marcel Dumont exalte le feu.
Non le feu qui dévore et réduit en cendres, mais celui qui couve au plus secret de la pierre, qui fait flamber l'arbre à la saison suprême et qui seul est capable de transcender la passion humaine.
Car ce feu, en longue gestation dès l'origine de l'Univers en devenir, se tempère d'instinct de l'eau et de l'air. Source lumineuse jaillie de larmes et de sang mêlés, vaste respiration émanant de cris d'appel tus.
De tous les éléments, Marcel Dumont révèle l'essence. "

C'est en mettant un rien de désordre dans sa vie qu'il est tombé sur cet ouvrage - volé ? offert ? acheté ? trouvé ? - et il se dit qu'il mérite d'être glissé près de ses Michaux.

Les peintres qui ne se glissent pas dans la matière de la nature pour peindre, perdent leur temps, mais gagnent leur vie.





Dumont aura passé beaucoup de temps à regarder les Alpilles, un peu comme Pessoa face à l'Atlantique, de l'Ode maritime à l'Ode des pierres, ce déchirement lumineux.


à suivre

Philippe Chauché

samedi 1 décembre 2012

L'Oeuvre Noire


En 1967, Marcelin Pleynet publie son Lautréamont, un coup de plume qui dévoile l'absolue nécessité de se confronter aux Chants et aux Poésies :

" La situation de Lautréamont paraît à tous points de vue paradoxale. Sans lui notre culture reste incomplète et comme inachevée, notre littérature apparaît tout entière tournée vers une image nostalgique, un projet de pure répétition. Et cependant il ne peut trouver sa place au sein de cette culture qu'en la contestant jusque dans ses fondements, il ne peut provoquer cette littérature dans un procès où il est cause et partie, qu'en la fixant dans sa manie. Situation que nous verrons un peu plus tard réfléchie par Mallarmé : " Oui que la littérature existe et, si l'on veut, seule, à l'exception de tout ", et où Lautréamont est exemplaire. "

" Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. "





Pourquoi en aurions-nous fini avec Ducasse-Lautréamont ?  De  quoi s'agit-il ? D'où vient-il ? Qui est cet écrivain au double, au triple visage, et même sans visage ? Une telle oeuvre noire s'explique-t-elle ? Certains s'y sont risqué, d'autres y ont laissé leurs certitudes poétiques et romanesques. Reste le texte, comme l'on dit, qui n'a que faire de son interprète, Maldoror c'est Lautréamont, Poésies c'est Ducasse et non l'inverse.

De l'autre l'un :

" Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent qu'il faut commencer par se détester soi-même. "
" Il faut tout attendre, rien craindre du temps, des hommes. "
" La réserve est l'apprentissage des esprits. "

" Aujourd'hui sous l'impression des blessures que mon corps a reçues dans diverses circonstances, soit par la fatalité de ma naissance, soit par le fait de ma propre faute ; accablé par les conséquences de ma chute morale ( quelques-unes ont été accomplies ; qui prévoira les autres ? ) ; spectateur impassible des monstruosités acquises ou naturelles, qui décorent les aponévroses et l'intellect de celui qui parle, je jette un long regard de satisfaction sur la dualité qui me compose... et je me trouve beau ! "


Passer c'est être, et être se conjugue toujours au présent.




à suivre

Philippe Chauché


jeudi 29 novembre 2012

L'Ennui

Felix Vallotton - Gicomo Léopardi


" On présente faussement l'ennui comme un mal commun. Il est commun d'être inactif, ou plutôt désoeuvré ; il ne l'est pas de s'ennuyer. L'ennui est l'apanage des gens d'esprit. Plus l'intelligence est vive, plus l'ennui est fréquent, douloureux, terrible. La plupart des hommes trouvent toujours à s'occuper et à se divertir, et si d'aventure ils doivent rester totalement inactifs, ils n'en ressentent que peu de gêne. De là vient que les hommes d'imagination demeurent incompris sur ce chapitre et provoquent parfois l'étonnement et les railleries du vulgaire lorsqu'ils se plaignent de l'ennui en des termes évoquant ordinairement les plus grandes misères de la vie, celles auxquelles nul ne peut se soustraire. " (1)

On vit avec son ennui comme avec un compagnon élégant et silencieux, sans résister à l'envie parfois de croiser avec lui le fer, comme un Roi sans Divertissement.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Pensées / Giacomo Léopardi / traduc. Joël Gayraud / Éditions Allia / 1996


mercredi 28 novembre 2012

Lui et les Autres


" L'intérêt, qui aveugle les uns, fait la lumière des autres. "

" La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent les plus sots habiles. "

" Il est plus aisé d'être sage pour les autres que l'être pour soi-même. "

" Il a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour. "

" Il n'y a que ceux qui sont méprisables qui craignent d'être méprisés. "



Se saisir des Maximes comme l'on se saisit d'un miroir grossissant qui renvoie la belle image que vous vous employez quotidiennement à construire, et qui ne fait point de cadeau, s'en saisir aussi comme un art, non de résistance comme il le lit sous la plume de Louis Van Delft, mais d'une urbanité civilisée comme l'écrit plus finement Frédéric Schiffter dans le même numéro de Philosophie Magazine. La Rochefoucauld ridiculise définitivement tous les marchands de philosophie prête à cuire et prête à vivre qui s'imposent ici et là, et qui ont mille fidèles aussi charmants que des hyènes affamées.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 25 novembre 2012

Trêve






" Tout le pousse à se retirer de ce cirque ", ce sont ses mots, il ne peut rien en dire, car il aurait justement beaucoup à en dire.
Le cirque social, il le connaît sur le bout des lèvres, d'autant mieux, pense-t-il, qu'il est aujourd'hui devenu langue commune, ce qu'en d'autres temps on aurait nommé langue vulgaire, sans sources, sans histoire, sans vie et donc sans doutes, note-t-il.
Il trouve d'ailleurs pour le moins amusant que la langue - cet état d'être au monde et de s'accorder à son corps et à ses mouvements - se volatilise, grand principe de la servitude volontaire, dont les effets sont visibles jusque dans les façons d'aimer et les manières de s'en défaire, au royaume des aveugles les bavards sont rois.
Dans cet état du monde et ses aléas, surgissent parfois des écrivains - pourquoi toujours vouloir leur donner tant de place ? lui demande-t-on ! une question qui le laisse de marbre !  - qui en savent beaucoup et qui provisoirement se sauvent en mariant ce savoir à leurs humeurs,  sorte de résistance intérieure, éthique de l'être confronté au néant de pacotille dominant, alors que le seul qui mérite quelque attention est celui, définitif, qui s'annonce.
Frédéric Berthet est de ceux là, regard vif, plume souple, constat net, langue parfaite, air amusé du désespoir et du comique qu'il engendre - les grands désespérés sont des amuseurs nés, si l'inverse était vrai cela se saurait -.
Reprenant pour rien, son Journal de Trêve, - sa fidélité aux Journaux trouve à chaque jour sa faim ! - il livre ici quelques instants, saisis sur le vif, comme disent les photographes, quand il y avait des photographes.

" Délinquant assez juvénile, envoyé plutôt spécial : au fond, j'ai toujours cru que les raisons de ma  présence sur terre n'étaient qu'une enveloppe à ouvrir au dernier moment. "

" L'ascèse n'est qu'une façon de mettre un terme à la mémoire pour l'empêcher de repartir dans l'autre sens vers la nuit qui n'a jamais eu lieu. "

" Les petites annonces que je pouvais passer : échangerais intérieur contre extérieur. "

" Johana s'approcha de moi et  me prit la main. Vous ne me croyez pas ? Mais il y avait des témoins. Je pourrais lancer un appel, une photo a peut-être été prise à ce moment là, Ingrid Caven a peut-être traversé devant nous, et nous étions dans le champ ? "

" Il eut le sentiment que tout était habitable, sauf peut-être ce sentiment lui-même. "

" - Je me demande... Je me demande, reprit-elle, pourquoi tu n'es pas sincère.
Il freina, et s'arrêta au feu rouge, avec l'irrésistible envie de sortir de la voiture et de la planter là.
- Pas sincère ?
- Pas sincère, bien sûr... Tu dis la vérité, mais tu n'es pas sincère.
- Enfin...
C'est à cause de la littérature, et surtout des livres que je n'ai pas écrits. Mes personnages se pressent dans ma voix.
- C'est peut-être parce que je  veux écrire, un jour.
- Voyons, Jérémie, on peut très bien écrire et ne pas se jouer un cinéma pareil. Et puis je ne m'intéresse pas à la littérature. "

" Je sais bien qu'en général on est " dépassé par les évènements " : moi, j'ai plutôt été dépassé par l'absence d'évènements. "





à suivre

Philippe Chauché

vendredi 23 novembre 2012

The Conductor


http://youtu.be/KJLXbR_AB6Q

   
Entrer en musique suppose note-t-il, un certain talent, une retenue, presque un effacement, tout le contraire de ce qui domine les habitudes des humanoïdes en ces temps. Entrer en musique est tout un art, réservé aux hommes de qualité, à ceux qui savent qu'à chaque note tenue, qu'à chaque glissement de cordes, à chaque vibration des bois, à chaque éclat des cuivres, c'est bien du mouvement du Temps qu'il s'agit, de son insensé saisissement, et de la délivrance de sa terrible joie secrète.

Carlos Kleiber est pour ainsi dire entré en musique comme on entre en résistance, portant en lui celle d'Erich, son père, une résistance aux têtes môles et aux bras armés de vulgarité et de terreur.

" Erich Kleiber ne transigea jamais avec qui que se soit. Il adorait Berg. Il mettait la musique de Berg au niveau de celle de Brahms et de Beethoven, un sacrilège pour le grand public. A Berlin, il donnait le Wozzecch, que les nazis avaient traité de musique décadente et dégénée et retiré du répertoire officiel allemand, il le jouait sans faire attention aux mises en gardes des plus hautes autorités du Reich. Dans les courriers frappés du sceau du ministère de la propagande, il lisait : " Sans aucune contestation possible, les opéras de monsieur Berg font honte au génie allemand. Ils sont le produit de son esprit affaibli et décadent. En conséquence de quoi, nous demandons au directeur de l'opéra national de Berlin de les retirer sans délai de sa programmation. " Erich Kleiber recevait ces courriers, il les froissait rageusement dans son poing et il les jetait dans sa corbeille. Il continua de répéter et de jouer Berg. En novembre 1934, il donna des premiers extraits de Lulu : protestations dans la salle, sifflets. Un officier de la SS vint le trouver dans sa loge après la représentation : " Monsieur Kleiber, vous souillez la scène nationale. Vous ne vous en tirerez pas comme ça. " Des plaines anonymes furent déposées au bureau de la propagande. On fit pression sur lui. Au début de 1935, plutôt que de retirer Berg de son répertoire, il choisit de démissionner et s'exila en Argentine. Son fils partit avec lui, il portait encore le prénom de Karl. "

On entre souvent en musique par les musiciens, l'expérience est toujours consolatrice. On y entre par une confidence, une attitude, une manière de vivre sa liberté libre, un embrasement, une répétition - la vie n'est-elle pas une perpétuelle répétition ? - une écoute profonde et lumineuse de la matière, de ce quelle dit et cache. 

" Entrez en musique ! ", semble dire à ses musiciens Carlos Kleiber dans les images que l'on conserve de lui, entrez, et mon regard - le  regard de Kleiber est une partition - vous accompagne, entrez, et mon bras vous conduit, - les bras de Kleiber ne battent pas seulement le temps, ils sont le Temps ! -  comme de son bras on conduit le mouvement d'un corps aimé.





" Son bras gauche dessinait des arabesques et des ondulations tandis que son bras droit martelait la mesure avec la rigidité de Kleiber, Erich, son père. Le bras droit ordonnait : Suivez le tempo ! Respectez la mesure ! Tandis que le bras gauche susurrait : Plus de lenteur, plus de souplesse,  plus de tendresse, plus de légèreté ! "

" Il disait : " Il faut tâtonner. Tout peut arriver si vous tâtonnez. Mais il faut tâtonner. Avancer en pleine obscurité, n'est-ce pas ? En pleine obscurité. "





à suivre

Philippe Chauché

jeudi 22 novembre 2012

Mauvaise Réputation




" Le genre humain, comme toute fraction, si réduite soit-elle, de celui-ci, se subdivise en deux catégories  : ceux qui s'imposent par la violence et ceux qui doivent la subir. Ni loi, ni contrainte, ni progrès philosophique ou politique ne pouvant empêcher que tout homme fasse partie de l'une ou de l'autre, il reste que celui qui peut choisir, choisit. Il est vrai que tous ne le peuvent pas, ou qu'ils ne le peuvent pas toujours. " (1)

 " Tu reconnaîtras la loyauté chez autrui en ce que, te fréquentant, il ne te laissera pas espérer de bons services, ni surtout en craindre de mauvais. " (1)

Voyant et entendant ici ou là, quelques faiseurs d'humanité printanière, penseurs du bonheur social et autres philosophes de la vérité, il se dit que leur humour caché devrait être publiquement célébré, ainsi ces amis de l'homme qui ne manquent pour rien au monde la publique condamnation à mort de leur despote, dans l'espoir qu'un jour ils le remplaceraient.

à suivre

(1) Giacomo Léopardi / Pensées / traduc. Joël Gayraud / Éditions Allia / 1996

lundi 19 novembre 2012

Mes Espagnes




Il se souvient, il se souvient de l'avoir souvent croisé sur le parvis des arènes Marcel Dangou, en ces instants sacrés et lumineux du mois d'août où quelques femmes croisent leur coeur à la manière des toreros qui savent ce que cela veut dire, avancer la main, et offrir la jambe à la corne contraire. Une éthique et une esthétique, une manière d'être, de vivre et d'écrire en quelque sorte. Il se souvient du mouvement de l'ange, comme celui qui dans le cercle de feu temple le mouvement du Temps et ses résonances.
Il se souvient d'une étrange présence, d'une élégance profonde, d'un art d'être là, où elle doit être, comme un torero. Il se souvient de son sourire, de sa légèreté naturelle, comme la passe du même nom qui dit toujours la vérité du toreo.
La lisant comme on lit un paysage, il voit comme jamais ses Espagnes, ses saisissements, ses écrivains, ses joies, ses peines, ses traversées invisibles et vibrantes, ses embrasements et ses baisers volés.
S'il devait ici dire tout ce qu'il lui doit, il lasserait vite ses lecteurs, mais un nom lui vient à la plume comme un éclair : José Bergamín, l'écrivain solitaire de l'art de Birlibirloque :

" Le spectacle d'une course de taureaux ne vaut pas seulement par l'impression sensible que nous en recevons, si forte soit-elle. Plus cette impression sera uniquement sensible, moins elle sera intelligible, et plus il nous sera difficile, pour ne pas dire impossible, de lui attribuer une valeur morale ou esthétique. Pour savoir ce que vaut moralement ou esthétiquement le toreo, il faut avant tout le comprendre. Et comment le pourrions-nous s'il répugne à notre sensibilité, si celle-ci s'oppose obscurément à lui ? Ceux qui, sous prétexte d'une exquise sensibilité, se refusent à comprendre cet art pourront se vanter de tout ce qu'ils se voudront, de tout absolument, sauf d'intelligence. Ils pourront se targuer d'une sensibilité instinctive, primitive, rudimentaire, toute de réflexes comme celle de l'animal, sans que ces réflexes psychopathiques révèlent pour autant une sensibilité délicate. " (1)

" Magiques ai-je fait les arts, en volant ", nous confie Lope de Vega dans un vers merveilleux. Arts magiques du vol : le chant, la danse, les courses de taureaux espagnoles, comme la part d'improvisation sur la guitare qui accompagne le chant profond, tels sont les arts magiques qui s'envolent sans laisser de trace ni de trait signalant une route pour qu'elle se répète : arts purement analphabètes. Voilà pourquoi c'est tout particulièrement en Espagne qu'il y eut et qu'il y a encore le flamenco, danse gitane qui est morisque ou simplement andalouse ; le chant profond, tout aussi impossible à transcrire musicalement que l'accord arpégé de le guitare qui l'inspire ou le freine ; les courses de taureaux, où la vive improvisation du toreo, signalée par des traits de raison fort précis, transcende et dépasse à chaque instant de son être - qui est de paraître vain - la définition ou figuration rationnelle qui apparemment le fonde : sa propre évidence ou révélation lumineuse encore rehaussée, cruellement, par l'obscure présence invisible de la mort, impétueuse comme le taureau, qui la rend possible, la soutient et paradoxalement l'affirme sous le masque de sa négation. La danse et le chant andalous semblent s'unir dans la figure lumineuse et obscure du torero et du taureau ; de la raison et de la passion ; de la vérité et de la vie ; pour, en définitive, jouer le tout à pile ou face, le tout pour le tout. " (2)



La lisant, il saisit à quel point ses Espagnes rejoignent étrangement celles de l'écrivain, Lope de Vega, Lorca, Bergamin, Cervantès, Miguel Hernández, Rafael Alberti, mais aussi Zurbaran, Ramón Gómez de la Serna, Baltasar Gracián y Morales, ou encore Séville, Madrid, la concha de Saint Sébastien, la lumière de l'Adour à Bayonne, les billets d'entrée aux arènes que l'on glisse entre coeur et raison, les dérives et les courbes, Curro Romero, Manzanares, Joselito, José Tomás, les turpitudes diaboliques de Franco, les droites et le cercle, l'éclat du Vendredi Saint et le galop d'un taureau blanc à la Monumental, tout un roman :

" Il quitta Madrid sans avoir vu, revu, veillé le corps exposé dans une chapelle. Cette veillée qu'on appelle en Espagne " Corps présent ", il la fera loin de toute église dans le troisième chant, composé en vieil alexandrin plus long que le nôtre - le plus long  vers de la prosodie espagnole. " (3)
" Deux types de ¡Olé! accompagnent les passes d'un torero inspiré. Le public ou le peuple distingue instinctivement la suite élégante, légère, joyeuse, de la suite lente et grave. " (3)
" Je l'ai vu pour la dernière fois à Saint Sébastien en 1983, l'été de sa mort. Je lui apportais l'exemplaire justificatif d'un roman qu'il avait inspiré et qu'il ne lirait pas. Trop tard, il ne pouvait plus lire, et je n'ai pas sorti le livre de mon sac. La paralysie gagnait. Il souffrait de cette " mort paresseuse et lente " qu'il avait par deux fois décrite, à propos de son ami, le torero Ignacio Sánchez Mejías, et de son ennemi, le général Franco. " (3)
" Chaque fois que je retourne à Madrid, pas assez souvent à mon gré, je vais revoir au Musée de l'Académie des Beaux Arts de San Fernando, cette merveilleuse Vanité d'Antonio de Pereda. Elle me conforte dans l'idée que la vie est un songe et le monde un théâtre. " (3)
à suivre

Philippe Chauché

(1) L'art de Birlibirloque / José Bergamín / traduc. Marie-Amélie Sarrailh / Le temps qu'il fait / 1982
(2) La solitude sonore du torero / José Bergamín / traduc. Florence Delay / Seuil / 1989
(3) Mon Espagne Or et Cie / Florence Delay / Hermann Littérature / 2008

samedi 17 novembre 2012

Les Ecrivains du Temps


Qui ne s'occupe, pense-t-il, de ce qu'il voit, ce qui l'entoure, amoureuse, ciel, arbres, rivières, collines et montage, mer, rues et façades - l'ordre des choses en quelque sorte -, de qui rend tout cela sa nature particulière, le mouvement de la terre, les éclats de lune, la brillance du soleil, les gris de la pluie, un sourire offert et une peau dévoilée par l'art de la mise en scène,  qui ne s'en irrigue, a peu de chance de saisir le mouvement du Temps, et donc des idées. Qui voit net, pense clair.
Il ouvre, comme il le fait souvent, le Cantique des Cantiques, dans la traduction de Pierre Thomas du Fossé en 1689 :
" Vos lèvres, ô mon épouse, sont comme un rayon qui distille le miel ; le miel et le lait sont sous votre langue, et l'odeur de vos vêtements est comme l'odeur de l'encens...
Vos plants forment comme un jardin de délices rempli de pommes de grenades et de toutes sortes de fruits de Cypre et de nard ;
Le nard et le safran, la canne aromatique e le cinnamome, avec tous les arbres du Liban, s'y trouvent aussi bien que la myrrhe et l'aloès, et tous les parfums les plus excellents... " on ne saurait mieux dire. 
Nietzsche arrive à Nice pour la première fois à la fin de l'année 1883, il y reviendra cinq fois, il regarde la ville et la mer, marche, lit beaucoup, écoute de la musique en concert - Bizet -, lit souvent, écrit en permanence. Marcher, écouter, voir, lire et écrire, que faire de mieux avant de disparaître avec le siècle ?
Nietzsche n'appartient qu'à lui-même et à ses pensées qu'il note de sa fine écriture, comme le vent venant du large donne parfois à la ville des airs de blanche goélette :
" Deux cent vingt jours parfaitement sereins dans l'année ont fini par me décider : cette magnifique plénitude de lumière a sur moi, mortel très supplicié ( et souvent si désireux de mourir ), une action quasi miraculeuse. J'aurai ici pendant les six mois d'hiver presque autant de jours ensoleillés qu'à Gênes durant l'année entière. " (1)
mais aussi :
" Il m'a été fort précieux d'expérimenter presque simultanément l'air de Liepzig, de Munich, de Florence, de Gênes et de Nice. Vous ne sauriez croire combien Nice a triomphé dans ce concours. " (1)


Nietzsche sait qu'il séjourne dans une ville frontière, l'Italie - sa chère Italie - la France - Voltaire et ses passions françaises - la terre et la mer, on ne marche pas sur cet espace mouvant, sauf si l'on est un dieu, et encore :
" Dans ce limes maritime, l'air est encore plus pur, d'une limpidité  saline, qu'au coeur de la ville, dégagé souvent alors même que les nuages pèsent plus a nord. " Je jette un coup d'oeil à ma gauche : mer bleue, plus haut  une chaîne de montagnes et, tout près, de puissants eucalyptus. Ciel lumineux (...). C'est Cosmopolis, s'il en fut jamais en Europe. " Et pareille limpidité appelle naturellement la lumière du mythe, dans laquelle elle prend source et qu'elle diffracte, qu'elle exalte : " Et quand je vous aurai dit comment s'appelle la place sur laquelle donne ma fenêtre ( des arbres magnifiques, au loin de grands bâtiments rougeâtres, la mer et le galbe harmonieux de la baie des Anges ), à savoir le " square des Phocéens ", peut-être rirez-vous comme moi du cosmopolitisme formidable de cette association de mots - les Phocéens se sont réellement installés ici à une certaine époque - mais il y vibre quelque chose de triomphant et de supra-européen, quelque chose d'extrêmement réconfortant qui me dit : " Ici tu es à ta place ". "


Au tout début de ce siècle dont lui aussi ne verra pas la fin, un autre poète - qui douterait de cela ? - choisit de s'installer quelques temps de l'autre côté, à deux pas de l'océan - celui de Lautréamont ? - les yeux posés sur la belle Garonne :
" Le vent du nord-est se lève,
De tous les vents mon préféré
Parce qu'il promet aux marins
Haleine ardente et traversée heureuse.
Pars donc et porte mon salut
A la belle Garonne
Et aux jardins de Bordeaux, là-bas
Où le sentier sur la rive abrupte
S'allonge, où le ruisseau profondément
Choit dans le fleuve, mais au-dessus
Regarde au loin un noble couple
De chênes et de trembles d'argent... " (2)

Les deux écrivains présents comme jamais au Temps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Nietzsche à Nice / Patrick Mauriès / Gallimard / 2009
(2) Souvenir / Hymnes / Hölderlin / Oeuvres / Édition de Philippe Jaccottet / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1967




dimanche 11 novembre 2012

Quelques Amusements.



La vie n'est finalement qu'une gare désaffectée, où l'on se rend sans billet attendre un train supprimé depuis des années.


Les hommes pensent qu'avec le temps ils s'améliorent, ce qui amuse beaucoup Dieu.

Les hommes confondent le sérieux et le sévère, et cela fait sourire Dieu.

Ecrire revient au même.

Ne s'est jamais vraiment mouillé même sous la douche.

En amour il coupait souvent la poire en deux.

Il aura toute sa vie hésité entre la poire et le fromage.

A chaque époque son penseur, à chaque pensée sa perte.

Il aura passé tellement de temps à ne rien faire, qu'il décrocha le Nobel de l'indécision.

Finalement va divorcer de lui-même.

Se demande en mariage, mais n'y croit pas trop.

Pendant que les ânes se prennent pour des citrouilles, les citrouilles passent à la casserole.

Ne se fait aucune illusion sur ses désillusions.

Il a toujours confondu sa vie et le cinéma : 24 femmes seconde !

Manque totalement d'humour entre minuit et minuit.

Lorsqu'il mettait un pied hors de son lit, il sentait l'odeur du funérarium.

N'a jamais douté qu'il ne finirait pas le siècle, mais se demande s'il l'a vraiment commencé.

A tous les jours quelque chose à perdre, c'est ce qui fait leur charme.

à suivre

Phillippe Chauché