mercredi 31 mars 2010

Le Lieu de la Vie (2)

Comme il a beaucoup de choses à faire, il fixe le ciel qui a retrouvé son bleu originel, ce bleu qui parfois donne au printemps d'ici des airs d'été, pas un souffle, pas un oiseau, et le silence de Bach qui s'installe. L'Art de la Fugue par Pierre-Laurent Aimard (1): le Lieu de la Vie.

Il se dit, pour pouvoir écrire, il faut traverser le silence, comme l'on traverse le Néant. Exercice de haut saisissement, une autre face de la jouissance, qui en possède dix, cent, mille et même plus, il suffit pour cela de s'y être adonné, porté par une nouvelle tranquillité de l'âme. Une âme sage sait ce que jouir signifie et tend : le Lieu de la Vie.

Il pense aussi, dans le silence de cette fin de journée de printemps, qu'écrire s'apprend en lisant, que lire, se décline dans l'éblouissement d'un corps saisi par la permanence du renouvellement : le Lieu de la Vie.

Il écrit, aimer révèle le Temps, du Lieu de la Vie, et toutes les dispersions qui peuvent ensuite s'inviter, ne sont finalement que des mirages.

Comme il n'a rien de mieux à faire, il dessine son visage : le Lieu de la Vie, il se glisse dans les harmonies de sa peau et laisse sa partition se dérouler.

à suivre

Philippe Chauché


(1) L'Art de la Fugue / BWV 1080 / Jean-Sébastien Bach / 1685-1750 / later version of the original print, edited by Christoph Wolff / Pierre-Laurent Aimard / 2008 / Deutsche Grammophon

mardi 30 mars 2010

Journal du Temps (10)


Gérard Van Spaendonck 1746-1822

" Fermer les yeux sur bien des choses, s'abstenir de les écouter, ne pas les laisser venir à soir, c'est le premier commandement de la sagesse, la première façon de prouver qu'on n'est pas un hasard mais une nécessité. Le mot qu'on emploie couramment pour désigner cet instinct de défense c'est celui de " goût ". Son impératif ne commande pas seulement de dire " non " quand le " oui " serait une marque de " désintéressement ", mais encore de dire " non " le moins souvent possible. Eloignons-nous, séparons-nous de ce qui nous obligerait à répéter le " non " sans cesse. Rien de plus raisonnable : car, si petites qu'elles soient, les dépenses de force défensive, quand elles deviennent la règle habituelle, amènent une pauvreté extrême et parfaitement superflue. Nos grandes dépenses sont faites de la répétition des petites. " (1)

Ouvrir les yeux sur un regard, un mouvement, un silence. Ouvrir les yeux, pense-t-il, c'est ouvrir les bras. Il en va ainsi aussi, des livres, se dit-il, dans le matin gris-noir qui s'ouvre sur la ville des éclats. Il en va ainsi, ajoute-t-il, d'un corps, le " oui " l'élève, le " non " le terrasse.
Il se dit, le " goût " est un état d'Etre, je suis donc mes manières et mes façons, je suis les traces que je dépose, les mots que j'offre à la manière de l'admirable Gérard Van Spaendonck.

Ouvrir le Temps à la " belle endormie ", c'est ce qu'il a lu quelque part, à ses tremblements, à ses douleurs, à ses éclats. Ouvrir le Temps, c'est devenir l'offrande silencieuse du mouvement de la vie ouverte.

S'ouvrir au souffle du Temps pour faire advenir les temps nouveaux, pense-t-il.
Se contenter d'être là, autrement-dit, accordé à la musique, celle de Mozart, et savoir où elle conduit : au Paradis.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Ecce Homo / Friedrich Nietzsche / traduc. Alexandre Vialatte / 10-18

lundi 29 mars 2010

Journal du Temps (9)

Des pivoines pour le Temps, se dit-il, des pivoines qui s'ouvrent sur l'espace.
Tout s'éclaire dans le regard d'une femme, dans l'éclosion d'une fleur.
Les fleurs perdues ne se délitent jamais.

Il écrit cela dans le jour naissant sur la ville les éclats. Il se dit, il faut embrasser ce bouquet de pivoines comme on le fait du corps de l'aimée. L'aimée, une fleur ? qui en douterait, une fée éclatante qui éclaire sa tour et ses livres. L'aimée éclairante, dans le silence du Temps et de l'Instant.

Il faut embraser le temps comme les fleurs l'espace.

Des pivoines pour la vibration du corps, pour la Révélation des phrases, pour la musique de la vie vive.

Des pivoines qui délivrent, un regard qui élève et révèle, une épaule, un ventre, un sein, une jambe, un pied qui soulève la poussière de la Mort, la retourne, et lui donne vie, poussière de vie, c'est le corps aimé en mouvement, et ce mouvement est celui de la musique.

Il faut embrasser un regard comme l'on embrasse un bouquet de fleurs, dans l'abandon de l'admiration, et la nécessité du renouveau permanent, ce renouveau est nourri de tous les livres du Temps, de toutes les musiques vivantes, pour le reste, laissez tomber, pense-t-il, il appartient au Diable.

" Nous avons maintenant besoin de musique, de magie et de féerie. De même que pour le mystère de l'Incarnation la musique indispensable est l'Incarnatus de la Grande Messe en ut mineur de Mozart ( Marai Stader dirigée par Ferec Fricsay ), de même, pour les combinaisons secrètes et atomiques de la nature, il nous faut Purcell ou Bach, par exemple, les Suites Anglaises de ce dernier ( gavotte de la suite n°3, en sol mineur, par Murray Perahia ). Large broderie d'un côté, piqué et perles de l'autre. " (1)

Un baiser sauve, note-t-il, une fleur éclaire, un silence s'installe, la méditation face aux fleurs, des fleurs pour la vie, un baiser comme une musique, elle ne disparaîtra jamais, gravée dans le Temps de l'Instant, quoi qu'il arrive.






à suivre

Philippe Chauché

(1) Fleurs / Philippe Sollers / Hermann Littérature

dimanche 28 mars 2010

Journal du Temps (8)

" Devant toi je me dévêts. Voilà. Viens et vois ma nudité.
Je t'offre cette image de moi.

- Je viens. J'entre dans le cadre.

Encore. Jusqu'au bout de l'abandon de soi.

- Je me prends en ton image pour l'avènement d'elle.

Ne te retourne pas. Pénètre-moi.

- Oh je suis perdu.

Tu es en moi. Reste. " (1)



Sortir d'un visage pour le retrouver, l'oublier pour le voir, passer de vie à mort pour en saisir la vie réelle, c'est ce qu'il écrit dans le bleu-blanc du ciel de la rue des vierges saisissantes.
Mais aussi, sortir de la parole qui s'entend pour entrer dans la parole du silence. Le silence : acte de résistance et de résurrection.
Sortir de la musique pour y entrer sans effraction.
Sortir de l'amour pour y trouver sa vérité vibrante.
Sortir du désert pour y trouver son sens profond.
Sortir de l'abandon pour entrer dans la réjouissance de la tension.
Et encore, offrir dans le Mouvement du Temps des éclats d'Instant.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Seuils / Patrick Kermann / Lansman Éditeur / Hors collections ( Création à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon dans le cadre des XXVIII° Rencontres d'été )

samedi 27 mars 2010

Le Mouvement du Temps (7)

Vision de Bach, c'est ce qu'il se dit. Vision du Mouvement du Temps, éclats d'un regard, éblouissements, et musicalité inouïe d'un visage, pense-t-il. La musique est là, en mouvement devant lui. Il offre ces instants à l'Instant.



(1)

Vision de Bach, c'est ce qu'il pense sur l'Instant.
Écoutez et l'on vous ouvrira, pense-t-il.
Regardez et l'on vous écoutera.
Frappez sans crainte à la porte du Temps, et l'on vous embrassera.

Vision de Bach. Vision du Temps en Mouvement, c'est ce qu'il écrit dans le bleu du ciel. Esquisse du verbe qui se fait chair, esquisse d'une peau qui par le miracle de la musique se fait phrase, pinceau qui ne tremble pas et dessine la joie d'un mouvement, une main comme un violon, un baiser comme un luth, une caresse qui est une basse, le violoncelle de son regard, et les embrasements d'un basson, ajoute-t-il. La musique seule, l'éclat, et sa disparition. Vision de Bach un samedi de printemps.

" Chant pour les montées je lève les yeux vers les montagnes
D'où viendra mon aide

Mon aide me vient d'Adonaï
Lui qui fait le ciel et la terre

Non il ne fera pas que ton pied fasse un faux pas
Non il ne sera pas sommeil ton gardien

Vois il n'est pas en sommeil et il n'est pas endormi
Le gardien d'Israël

Adonaï est ton gardien
Adonaï est ton ombre il est à ta droite

Le jour le soleil ne frappera pas ni la lune la nuit

Adonaï te gardera de tout mal
Il gardera ton âme

Adonaï gardera ta sortie et ta venue
Dès maintenant et pour toujours " (2)

Vision de Bach un midi du printemps dans la ville des lumières.
Chant, pense-t-il, un corps doit chanter à la manière du Collegium Japan, allégresse.
Chant, dit-il, pour l'envolée, je lève les yeux, vers son regard.
D'où vient la musique ? La musique vient d'un regard, d'un Mouvement du Temps et du silence.
Vois, ajoute-t-il, l'ombre portée de son corps, de son absence aussi, l'ombre portée du Mouvement du corps s'élève vers le bleu du ciel.
Le jour, ce jour là, ce jour de printemps de la ville aux vierges perchées, ce jour lui ressemble, éclats de vie, qu'elle soit bénie de Vie et de Joie, et que la Beauté continue à mourir ses mots.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Bach/ Motets / Bach Cellegium Japan / Masaaki Suzuki / BIS ( cet enregistrement est une merveille absolue )
(2) Gloires / Traduction des psaumes / Henri Meschonnic / Desclée de Brouwer ( cet écritoire ne permet pas de laisser les espaces-Temps de la traduction, il faudra donc se reporter au livre, sans musique les livres sacrés s'effondrent comme les corps aimés )

vendredi 26 mars 2010

Le Bel Eté

Il se dit, l'été sera beau. Les mots et les corps embraseront le Temps.

Il pense : un regard et un mouvement sur l'Instant pourraient le rendre encore plus lumineux.

Mais il se dit, de telles pensées sont de bien médiocres répliques.


Festival d'Avignon

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 24 mars 2010

Journal du Temps (7)

Voilà, se dit-il, les miracles s'écoutent et se voient, il suffit de s'accorder à la beauté de la pianiste.

Il pense, il en va ainsi de quelques aventurières du Temps, elles embrasent l'Instant comme un clavier.





à suivre

Philippe Chauché

mardi 23 mars 2010

Journal du Temps (6)

" On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose. " (1)

" Les éclats du Temps sont d'acier brûlant.
Le mouvement du Temps donne la nausée.
Il ne boit pas pour oublier mais pour vider son verre.

La couleur de ce regard, c'est ce qu'il garde.
La musique de ce corps, c'est ce qui l'habite.
Les éclats d'une peau, comme un cantique.

Suerte amigo "

Il relit ces phrases qu'il a noté au dos d'une carte postée du sud de l'Espagne. Ce sont là ses façons de donner quelques nouvelles. La carte représente une plaza de toros au printemps, les fleurs des barreras en témoignent.
Il se dit, le Temps doit lui filer entre les lèvres, le mouvement secret de la vie aimée lui avoir échappé, l'évidence d'une élévation lui manquer.
Il ajoute, c'est l'Instant qui donne sa musique au Temps, au mouvement et à sa Courbe. Il note tout cela sur une carte où est reproduite l'une des vierges de la ville des prodiges et la confie aux martinets complices.

" Tu saisis l'insaisissable, mais le saisissable t'échappe. ", lui reprochait-elle. " (2)




à suivre

Philippe Chauché

(1)E. M. Cioran / Écartèlement / Gallimard / 1979
(2) Emmanuel Moses / Le rêve passe / L'Infini n° 109 / Gallimard / en attente de parution chez Gallimard

samedi 20 mars 2010

Journal du Temps (5)

Finalement, se dit-il, il aura consacré une belle partie de ses longues nuits aux livres. Les livres la nuit me lisent, note-t-il. Il en va parfois aussi ainsi des femmes, rares sont celles qui auront pris ce Temps suspendu d'en faire de même, mais cela, pense-t-il, n'a au bout du compte, et donc du Temps, que peu d'importance.
Un corps à livre ouvert, se lit avec une concentration mêlée de détachement, ou avec un détachement vivifié de concentration.
Les livres donc, il y revient, il s'y glisse, plusieurs fois, comme l'on se glisse à maintes reprises dans le ploi joyeux d'un regard apaisé, dans le mouvement rayonnant d'une parole de Joie, dans les didascalies de soies et de coton, dans l'espace inouïe où naît la parole. La parole, ajoute-t-il, ne vient pas que d'une bouche ambrée, mais de tout le corps. Un sexe muet est un sexe mort, pense-t-il.




Il a donc repris le petit livre léger (1), comme l'on allume une cigarette au blond tabac américain :

" C'est un carré spacieux qui s'arrondit en bordure, assez spacieux pour y allonger une Gitane entière, sur fond blanc bien qu'il y paraisse peu, occupé qu'il est en son centre par un précepte. Aux quatre coins un bouquet vert cyprès, une touche ensoleillée de jaune, une pointe rose confèrent à l'ensemble un air de félicité campagnarde parfaitement accordé à l'inscription qui va disant :

O BEATA
SOLITUDO
O SOLA
BEATITUDO

O béate solitude, ô béatitude, est-ce à toi seule désormais qu'il me faut aspirer ? " (1)

Si seule cette phrase restait en cendre dans le fond de son écritoire, il s'en contenterait.

Il se dit, qu'il n'en a pas fini d'être ainsi lu par le petit livre.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Mes Cendriers / Florence Delay / Gallimard

vendredi 19 mars 2010

Journal du Temps (4)

Célébrité - relative - oblige, le roman est en bien bonne place chez mes charmants libraires. C'est son titre qui l'attire. Mes Cendriers. C'est un peu, se dit-il, comme s'il était écrit sur le jaune bambou de la collection : Mes Amants - épuisant -, Mes Aventures - faut voir -, Mes Jouissances - aucun succès avec un tel titre, s'amuse-t-il à penser -, Mes Pleurs - très porteur, vérifiez -, ou encore, Mes Douleurs, Mes Trahisons - amusant -, Mes Certitudes - cherchez le coupable -, Mes Doutes, Mes Livres - à partager amoureusement -, Mes Nuits Blanches, Mes Saveurs - un sourire -, Mes Souvenirs, Mes... c'est ajoute-t-il, le pluriel qui change tout !

C'est son titre, et son auteur qui l'ont attiré : Florence Delay.
Il est ainsi souvent attiré par un mot, un nom. Le mouvement d'un mot écrit ou prononcé, un mot, un nom, offerts comme un baiser. Un baiser donné comme un mot, un nom où il pose sa main, comme un bouquet de pivoines.
L'éclosion d'un mot : éclat de jouissance fleurissant.
Le silence d'un nom : livre ouvert où il se glisse.

Il se souvient, l'avoir croisé trois ou quatre fois, sur la colline qui domine la ville aux deux rivières, autour du quinze août, lorsque l'haizegoa soulève les capes et les jupes. Il se souvient de son regard net et coupant, de son élégance, de sa légèreté, de son sourire de blondeur, de ce qu'il imagine de ses certitudes raisonnables, de ses passions ibériques. Il se souvient d'une belle personne - à employer avec modération- que le Temps accompagnait de ses baisers et que les taureaux saluaient lorsqu'ils s'aventuraient loin du campo.
Il se souvient du silence saluant une trinchera de Manzanares. Etait-elle là ? D'une naturelle de Joselito allumant mille étoiles dans le bleu du ciel. Etait-elle là ?

Mes Cendriers, où, se dit-il, il dépose les cendres de cigarettes que l'on voudrait me faire définitivement abandonner.
Éclats volatiles d'instants gracieux. Fumer, ajoute-t-il, relève parfois de la grâce, de l'embrasement du Temps. Je ne fume pas pour oublier, note-t-il, mais pour conserver l'instant soyeux, les cendres délicates en sont la trace.
Mes Cendriers, conservés, oubliés, brisés, offerts, cachés, dérobés. Ils possèdent la mémoire d'escapades et d'horizons toujours nouveaux.

Mes Cendriers
, il ouvre le livre à l'ombre de son olivier vivace qui éclaire de son vert léger la face nord du Palais des Papes :

" Qui suis-je ? La propriétaire apparemment. La détentrice de petites réceptacles. Celle qui produit le contenu. La productrice de cendres. Hier encore, je n'aurais pas affiché aussi impudemment mes biens. Mais tout change, les frontières, les choses, moi incluse, avec une telle rapidité. " (1)

Cet objet, note-t-il, n'est à aucun autre comparable, il témoigne du Temps réel, du mouvement d'une main qui s'en approche, de doigts qui se croisent, d'un regard qui le fixe, et du feux qui parfois, lorsqu'une cigarette s'avère mal éteinte, y couve. Il est ce Temps réel du chapardage de ces objets dans quelques escapades hôtelières.

Il poursuit sa lecture dans la douceur du tabac blond américain :

" La main, le briquet, la flamme, la fumée, la cendre. Il y a quelque chose de divin dans cette répétition générale. " (1)




" Pas facile de dire le charme d'une petite poterie marocaine, arrondie comme les hanches d'une femme des Mille et Une Nuits dans sa jupe aux couleurs vives, surmontée d'une ceinture qu'on détache pour vider les cendres. " (1)

" Un carré rose andalou fabriqué à Séville fut, dans les années quatre-vingt, garçon de compagnie d'un roman intitulé Riche et légère. " (1)

" Celle qui parle a vu s'éteindre un cigare d'Ernest Hemingway dans les arènes de Bayonne lors d'un mano a mano entre Luis Miguel Dominguin et Antonio Ordonez, l'été dangereux où l'Américain suivait leur rivalité à la trace. Oui. Oui, Ava Gardner était là. C'est dans les mêmes arènes qu'il lui fut donné d'établir une relation entre les meilleures places, barreras, contre barreras, et le cigare que fument plus particulièrement les Espagnols. Leur fumée monte vers ceux qui sont assis plus haut. Personne ne proteste. " (1)

Il poursuit, que de cigarettes fumées dans les arènes du sud océan, et de son rival des garrigues, à Séville, Madrid, que sais-je encore, ajoute-t-il, que de cigarettes prolongeant le regard de douceur porté à une femme d'exception qui fumait avec une rare dictinction.

Il allume une cigarette. Un cendrier jaune et bleu dérobé il y a un siècle dans un hôtel de Madrid posé sur son bureau lui donne la direction du sud. La fumée se noue entre ses doigts et s'élève dans le trouble du Temps. Il ne lui offrira pas de cendrier, mais quelques phrases qui s'enroulent comme le velouté d'un baiser.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Mes Cendriers / Florence Delay / Gallimard

mardi 16 mars 2010

Journal du Temps (3)

Il s'est assis sous l'olivier, où font souvent escale quelques vieilles dames aimables et bavardes. De là, il écoute et voit les esquisses du Temps que soulève le vent. Il écrit en fermant les yeux :

" S'il ne devait conserver qu'un seul geste, ce serait...
S'il ne devait se souvenir que d'un seul mot, ce serait...
S'il ne devait garder qu'un Instant, ce serait...
S'il ne devait ... "

Sous les éclats du Temps cet écritoire change de couleur, c'est ce qu'il pense en retrouvant sa tour et ses livres. Il note trois ou quatre banalités d'usage comme on le disait en un temps que les plus jeunes ignorent et dont les plus vieux se moquent :

" Rien ne peut lui advenir, même l'avenir. "

" Lorsque l'on traverse un désert, chercher une source claire relève de la superstition. "

" Il faut de toute urgence s'inoculer le vaccin du Vide. "

" Chaque jour consacrer au moins une minute à se moquer de ce que l'on est. "

" Rire de sa laideur en se rasant est finalement une belle occupation. "

" Seul intérêt à consulter la météo, s'assurer que les mauvais jours perdurent. "

" Devenir invisible, intouchable et illisible. "

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 14 mars 2010

Journal du Temps (2)

Il se dit, il en va des livres comme des corps, ce n'est pas vous qui les lisez, mais ce sont eux qui vous lisent. Il en est des livres comme des corps, perdus, ils perdurent, ajoute-t-il. Il écrit aussi, les corps s'ouvrent comme les livres, ils ont parfois le même éclat net et coupant, la même légèreté éblouissante, et vous offrent la grâce. Il se dit aussi, lorsque le temps est venu du regard perdu, le livre doit esquisser la danse du renouveau. Il écrit, les livres doivent sauver du déchirement de la Courbe du Temps.

" Depuis quelques temps Bosmans pensait à certains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans noms, des rencontres fugitives. "
(1)





Il se dit, ce livre déroule le Temps, et s'accorde à mon propre déroulement. Eclats de noms oubliés qui renaissent par le miracle de l'art du roman. L'art du roman, devient là une Révélation. Les noms ont un corps, les corps un mouvement, un nom. C'est un chinois, cet écrivain se dit-il, ses phrases appliquées à l'encre noire saisissent en un éclat de mots de mouvement intérieur du roman.

" Bien des années plus tard, il s'était retrouvé par hasard dans cette rue Bleue, et une pensée l'avait cloué au sol : Est-on vraiment sûr que les paroles que deux personnes ont échangées lors de leur première rencontre se soient dissipées dans le néant, comme si elles n'avaient jamais été prononcées ? " (1)

Il se dit, écrire c'est faire apparaître un corps lorsqu'on écrit son nom. Il ajoute dire le mouvement d'un corps, c'est sauver un nom, sauver un nom, c'est l'écrire dans l'horizon lumineux du verbe.

" On se dit que le temps n'a peut-être pas achevé son travail de destruction et qu'il y aura encore des rendez-vous. " (1)

Il ajoute, le roman français est là devant moi, la haute idée du roman qui déchire l'oubli. Déchirer l'oubli, voilà l'horizon.


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à suivre

Philippe Chauché


(1) L'horizon / Patrick Modiano / Gallimard