mardi 29 mai 2012

Eclat d'Aile



" Celui qui écrit est celui qui cherche à dégager le gage. A désengager le langage. A rompre le dialogue. A désubordonner la domestication. A s'extraire de la fratrie et de la patrie. A délier toute religion. " (1)
 
Dans le mouvement d'aile qui l'occupe il saisit l'importance et la force des choses anciennes faisant sienne cette remarque de l'empereur Claude - que reprend P. Quignard  - : " Les choses les plus anciennes on été extrêmement neuves. ", la modernité pense-t-il, n'a d'importance que si elle est d'Or, lorsque A. Breton cherchait l'Or du Temps, c'est à cela qu'il pensait, l'ancien passé n'est bien heureusement pas fini, seul passe le présent, l'art qu'il lui arrive d'admirer est pour sa plus grande part d'un autre temps, l'art qu'il lui arrive d'ignorer est d'aujourd'hui, l'aile de l'oiseau le lui rappelle continûment.





à suivre

Philippe Chauché

(1) Les Ombres errantes / Pascal Quignard / Dernier royaume 1 / Grasset / 2002

dimanche 27 mai 2012

Un Mois Sur La Terre 1




" La brièveté est flatteuse et plus avantageuse dans le commerce du monde ; elle gagne par sa politesse ce qu'elle perd par sa petitesse. Entre deux mots, il faut choisir le moindre ; et les maux et les sons, s'ils sont brefs, ne sont qu'un moindre mal. La quintessence est plus efficace que les farragos. " (1)

Le quotidien Libération, journal fin, délié, brillant, et moderne, vient de congédier son collaborateur taurin Jacques Durand, avec l'élégance commune aux bourgeois dont il est bien volontairement le bras armé. A relire avec une attention particulière ce que cet homme a écrit, on est, note-t-il, surpris que la sentence ne soit pas tombée plus tôt, d'évidence les caviardeurs à capuches ne lisent pas ce qu'ils impriment, trop occupés semble-t-il, à répondre non sans quelque mimétisme canin aux invitations littéraires et sociales que leur lancent les disciples de Camus et de Bourdieu, et les coursiers de Debray et d'Onfray. " Point de lendemain taurin " ce sont-ils dit, n'étant plus invités à poser leur suffisance aux barreras de Nîmes, de Séville ou de Madrid, et toujours très affûtés du politique, d'ajouter : " voyez ce qu'il se passe en Catalogne ", l'air du temps, n'est plus d'évidence aux " silences cultivés de la Maestranza ", au " gardien du temple ", au " rendez-vous de Ronda ", au " torero de la Marisma " ou à " Victorino le sorcier " :

" En réalité, Rafael de Paula torée toujours, même lorsque son valet d'épée plie, la course achevé, ses étonnantes capes aux revers bleus ou verts. Le compas ( la mesure ), concept incarné qu'il utilise pour déchiffrer le torero, est aussi dans sa bouche un mode d'être dans la vie, une éthique reçue comme une grâce.
C'est le compas qui favorise la technique, étayée par la pratique de la Colocacion - de l'emplacement juste et précis - devant le taureau. " Si tu n'as pas le compas devant un taureau, dit-il, si tu ne sais pas présenter la cape, la muleta, marcher, toréer à compas, tu es desclorado ( hors de propos ) et tu vas au désastre. C'est comme El ir por la vida sin estilo ( avancer dans la vie sans style ). " Le toreo de Rafael de Paula, naturel, baroque et essentiellement lyrique, est un style enfanté dans la vicissitude des tâtonnements et la projection de son être. " (2)

Libération est bien un journal sin estilo.




Le journaliste Gorka Landaburu peut désormais s'asseoir à la terrasse d'un café de Saint Sebastien et y boire un verre en bonne compagnie sans craindre pour sa vie et celle de ses proches, les assassins de l'ETA ont semble-t-il définitivement cessé leurs diaboliques activités nationalistes, les commanditaires de l'attentat qui l'a gravement blessé sont sous les verrous où ils coulent des jours malheureux, ils vont pouvoir lire ou relire Manrique :

" Où sont à présent les dames,
Leurs coiffes, leurs vêtements,
Leurs parfums ?
Où sont maintenant les flammes
Des feux qui brûlèrent tant
Les amants ?
Mais où sont leurs poésies,
Et les suaves musiques
Qu'ils jouèrent ?
Que reste-t-il de leurs danses,
Et des habits chamarrés
Qu'ils portèrent ? " (3)

Les martinets sont revenus et griffent le ciel, inspirateurs gracieux de peintres sévères et secrets.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Baltazar Gracian y Morales / Oraculo Manual / traduc. Benito Pelegrin / Éditions Libres Hallier / 1978
(2) Figures de la tauromachie / Jacques Durand / Seghers / 1990
(3) Stances sur la mort de son père / Jorge Manrique / traduc. Guy Debord ( d'évidence ce qu'il a fait de mieux ) / Éditions Champ libre / 1980

jeudi 24 mai 2012

L'Elégance et le Style


" Chaque séjour, léger et moelleux, se range dans ma mémoire en états superposés toujours semblables et jamais pareils. On croit qu'ils se confondent, et ce n'est pas vrai. Il faut penser à un certain nombre de couvertures de luxe rangées dans une armoire. En les examinant de plus près, je me laisse imprégner par tel parfum, telle souplesse, telle couleur, et pourtant leur masse a fini par composer un corps homogène offrant la perception immobilisée du temps qui passe.
La femme que j'étais et celle que je suis ont ceci de commun : elles s'installent chaque matin pour commencer, poursuivre ou terminer un livre. Leur différence ? L'ancienne laissait nus son cou et ses bras dont elle n'avait même pas la fierté, évitait l'ombre des parasols, courait et riait haut, cherchait à plaire aux hommes, en bref se flattait d'appartenir à la lignée candide des allumeuses. La récente au contraire s'habille avec pudeur et passe inaperçue à travers la foule. Les moments de sensualité gratuite dont elle jouissait autrefois ne se produisent plus. Tel est le sigle exact, cruel, honnête, mais somme toute admirable de la durée. Quoi qu'on en dise, fasse ou pense, la durée ne commet jamais d'erreur. Je m'y suis peu à peu soumise avec sagesse. Pourquoi ?
Parce que au retour de mon vagabondage de l'après-midi, le dos de Jim encore au travail me dit sans me dire : " M'aimeras-tu toujours ? " ou bien : " Je te dois tout " ou également : " Nous sommes fait l'un pour l'autre ". Grâce à cela je ne suis plus qu'un aujourd'hui fabuleux, un demain clair abrité par un maintenant démesuré. Invisible, je reste incessamment portée en avant de moi-même. " (1)







" Cette femme est stupéfiante, amusante, très déterminée. La nuit chaude, sur les Ramblas, est d’une gaieté folle, foule intarissable dont le flot faiblit à peine vers 5 heures du matin. Des fleurs partout, des femmes-fleurs partout, des prostituées fabuleuses au Cosmos, café vers le port. Dominique sait que je vais déraper de temps en temps vers là-bas, elle ferme les yeux, ne se plaint pas, ça fait partie de l’accord. Barcelone est mon université accélérée vitale. C’est là que Picasso a fait ses classes. Le quartier chaud s’appelle, comme par hasard, le « Barrio Chino », le quartier chinois.
Barcelone, Barcelone, pendant trois ans, chaque été. Grand hôtel pas trop cher, murs épais blanchis à la chaux, fraîcheur, sommeil, veille, sommeil éveillé, rêve éveillé. Et puis un jour, en partant, accident, pneu éclaté, voiture bousillée, pas une égratignure. On sort par le toit ouvrant dans un fossé, on s’embrasse. Il y a un village pas loin, et un café où je bois le meilleur cognac de mon existence. On s’aime ? On s’aime. " (2)

Quel étrange mois de mai, note-t-il, il le traverse à la seule lumière de ses incertitudes amusées, écoutant distraitement le " blabla " qui occupe l'espace et passant quelques secondes à regarder " le chichi " d'un monde qui se précipite à la vitesse du son dans le mur de sa stupide destinée, et puis, surpris, il lit dans un journal du soir l'annonce de la disparition de la Violette de Venise, d'un écrivain - laissant aux " animaux tristes " la fâcheuse habitude féministe de féminiser ce mot si beau - Dominique Rolin n'est plus, n'est plus là où on croyait qu'elle était, nous n'aurons plus paraît-il rendez-vous avec ses romans légers et virevoltant comme  les jupe noires des jeunes andalouses, qu'il admirait à la terrasse de son café de la place Alfalfa  il y a vingt ans de cela, elle s'est éteinte avec la même élégance et le même style qui ont conduits sa vie vivante, nous ne lirons plus ici et là ces saisissements romanesques, ces traces qui en faisaient une lointaine et lumineuse complice.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Trente ans d'amour fou / Dominique Rolin / Gallimard / 1988
(2) Un vrai roman / Mémoires / Philippe Sollers / Plon / 2007

mercredi 23 mai 2012

Trincheras



" C'est en mourant que nous nous rappelons que nous sommes déjà morts une première fois à la naissance. " (1)

" Les jeunes filles du conservatoire ont des seins qui, grâce à la musique qu'elles apprennent, seront toujours bien conservés. Les vieux professeurs injustes mais humains font le plus grand cas, pour distribuer les mentions, du charme plus ou moins grand des seins des jeunes filles du conservatoire, des seins qui ont une petite ganse nouée sur le mamelon. " (2)
" Nous avons toujours l'impression que nous avons dans l'âme un bureau d'enregistrement.
Plus que pour être enregistrés, nous y regardons pour tromper l'attente et nous restons prisonniers du lieu, véritable labyrinthe de l'âme, où on lui colle une étiquette jaune avec un numéro qui restera le matricule de sa prison définitive. " (3)

" Je suis dans un état " funicula funiculi ", c'est assez difficile à nommer autrement : je me sens happé vers le haut, tout à fait comme un funiculaire. " (4)


Il se prend à penser qu'écrire se fait dans une position bien étrange, celle d'une méduse flottant entre deux eaux, hésitant entre une descente dans les profondeurs abyssales du monde et une remontée au fil éphémère du mouvement du temps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Greguerias / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Jean-François Carcelen et Georges Tyras / Cent Pages / 1992
(2) Seins / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Benito Pellegrin / Babel / 1992
(3) L'Homme perdu / Ramón Gómez de la Serna / traduc. François-Michel Durazzo / André Dimanche Éditeur / 2001
(4) Lettres à moi-même / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Robert Amutio / André Dimanche Éditeur/ 1994

mardi 22 mai 2012

L'Air du Temps 4



" Si le néant du théâtre entraîne le néant de l'acteur, le néant du metteur en scène va plus loin que celui de l'acteur. Il n'y aurait pas de théâtre sans acteurs, mais le théâtre existe sans metteur en scène. Je suis même tenté de croire que le théâtre fonctionnait mieux en l'absence de metteur en scène. Parasite et imposteur, ce dernier intervient en interceptant, en s'appropriant le bien des autres et tombe toujours à côté. Bien sûr, on peut se dire qu'après tout, les plus beaux textes, les plus grands auteurs ne peuvent se passer de l'acteur. Cette idée me cause de l'embarras. A la limite, je suis tenter d'avouer que j'en arrive à souhaiter que le théâtre se passe de représentation, la supprime même. Or toutes les civilisations sont innervées par cet exercice, la représentation, mais, en tout cas, je ne puis supporter de voir un oeuvre théâtrale matérialisée, mise en scène par mes contemporains, leurs corps, leurs mouvements, leur changements de physionomie, sauf s'ils sont atteints par la peste d'Artaud ou par lèpre claudélienne, ce qui n'arrive jamais. Le matériel humain qui se meut sur la scène n'est qu'une souillure de plus qui s'ajoute à toutes celles dont on est déjà marqué. Je ne supporte plus de voir un acteur en effigie, photo de journal ou affiche. " (1)

Lisant ces propos intempestifs et si bienvenus  d'Alain Cuny, il se souvient qu'il y a quatre ans, des comédiens décidaient de se passer de metteur en scène pour " Partage de Midi " de Paul Claudel, ce qui se jouait durant ces nuits d'Avignon, c'était la vérité trouble de Claudel, sans chichi, sans blabla, ce qui se jouait dans la Carrière Boulbon, nuit douce d'un mois de juillet complice, c'était la vérité des corps et des voix au service de Claudel, pour n'en garder justement que les corps saisis dans le sable de la carrière par le texte, toujours le texte, sans " parasite", sans " imposteur ", il trouve amusant de s'en souvenir en attendant le Festival d'Avignon et ses metteurs en scène.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Le désir de parole / Alain Cuny - Alfred Simon / la manufacture / 1989

mercredi 16 mai 2012

L'Air du Temps 3




Ernest Pignon-Ernest





" - Voici de la prose sur l'avenir de la poésie -



Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, moyen âge, - il y a des lettres, des versificateurs. D'Ennius à Theroldus, de Theroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !


Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d'exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps.


On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les Critiques ! ! Les Romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?


Car. Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident. J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.


Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !


En Grèce, ai-je dit, vers et lyres, rythment l'Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s'éjouissent à renouveler ces antiquités : -c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau ; on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l'homme ne se travaillant pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains. Auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !


La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il la doit cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.


Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.


Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! " (1)


à suivre

Philippe Chauché


(1) Rimbaud à Paul Demeny - Charleville, 15 mai 1871 / Oeuvres complètes / Édition d'Antoine Adam / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972

lundi 14 mai 2012

L'Air du Temps 2

" La rivière de ce soir est lisse et calme
Les fleurs du printemps s'épanouissent
Le courant emporte la lune,
La marée ramène les étoiles. " (1)

Chen Lei
" Tourbillonnante, l'eau du Grand Fleuve fuit vers l'Est,
Ses ondes ont emporté tous les héros du temps jadis.
Le succès est aussi vain que la défaite.
Les mêmes vertes montagnes demeurent.
Combien de fois le même soleil a-t-il rougi le couchant ? " (2)

Siu Wei

à suivre

Philippe Chauché


(1) L'Empereur Yang / La poésie chinoise / édition et traduc.  Patricia Guillermaz / Pierre Seghers éditeur / Club des Libraires de France / 1960
(2) Lo Kuan Chung / d°

vendredi 11 mai 2012

L'Accord Parfait


" Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !

" Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps ", te chantent ces enfants. " Élève n'importe où la substance de nos fortunes et de nos voeux " on t'en prie.

Arrivée de toujours, qui t'en iras partout. " (1)




Pierre Auguste Renoir - 1841-1919

" C'est, un soir de mai, une forêt de signes rouges pour Soyeuse et moi. On court dans les rues. J'ai les poches remplies de cartes postales de la tenture, sur lesquelles j'écris pour Soyeuse des improvisations. Le quartier de la rue Galande, et le compas qui s'ouvre en vert et gris, brusquement, avec l'église Saint-Julien-le-Pauvre, c'est celui de François Villon et Colin de Cayeux, celui de la jeunesse folle. Le soir est gorgé de douceurs, c'est la pleine lune, et Soyeuse me dit : " C'est la lune bleue ". " (2)

De l'observation lumineuse à l'accord parfait, il n'y a pense-t-il, qu'un seul mouvement du corps, d'une main il saisit l'insaisissable : la transparence.

à suivre

Philippe Chauché

(1) A une raison / Illuminations / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Édition d'Antoine Adam /  Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972
(2) A mon seul désir / Yannick Haenel / Argol / 2005

mercredi 9 mai 2012

南華眞經/南华真经


" Yang-tseu dit : " Celui qui fait le bien le fait non pas en vue de la renommée ; cependant cette dernière le suit. La renommée n'a rien à voir avec le profit, cependant le profit la suit. Le profit n'a rien à voir avec les disputes, cependant au profit s'attachent les disputes. C'est pourquoi l'homme de qualité sera attentif en faisant le bien. " (1)








" Les grands amis sont pour les grandes occasions. Il ne faut pas beaucoup de faveur en des choses de peu d'importance, ce serait la dissiper. L'ancre sacrée est toujours gardée pour la dernière extrémité. Si l'on prodigue le beaucoup pour le peu, que restera-t-il pour le besoin à venir ? Aujourd'hui, il n'y a rien de meilleur que les protecteurs, ni rien de plus précieux que la faveur ; elle fait et défait, jusqu'à donner de l'esprit, et à l'ôter. La fortune a toujours été aussi marâtre aux sages que la nature et la renommée leur ont été favorables. Il vaut mieux savoir conserver ses amis que ses biens. " (2)

它永遠不會兩次進同一條河流的沐浴

à suivre 

Philippe Chauché

(1) Se garder du bien / Lie-tseu / Le vrai classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1980
(2) L'art de la prudence / Baltasar Gracian / traduc. Amelot de la Houssaie / Rivages poche / 1994

mardi 8 mai 2012

La Mélancolie des Anges

" Je garde en mémoire comme un remords, un regret et une obsession ce que Maurice Barrès écrivait un jour des premières compositions de Mozart, de ses premiers menuets conçus dès l'âge de six ans : qu'un enfant ait pu entrevoir de telles harmonies est une preuve de l'existence du paradis par le désir. Barrès a raison : toute la musique de Mozart, pure et aérienne, nous transporte dans un autre monde, ou peut-être dans un souvenir. N'est-il pas étrange que, purifiés par elle, nous vivions chaque chose comme un souvenir sans qu'il ne devienne jamais un regret ? Pourquoi cela ? Sans doute parce que le monde que Mozart nous offre est de la consistance même des souvenirs : il est immatériel. " (1)


Sa musique, note-t-il, n'est point traversée par on ne sait quelle nostalgie d'un paradis perdu, elle est, si la nostalgie s'y glisse, celle du présent, de l'instant où elle est née, et celle d'un autre instant - si différent ? - où il l'écoute, elle est désir du Temps et Temps du désir.

" Je suis tout à fait content. Mais savoir si elle plaira, c'est ce que j'ignore. En vérité, je m'en soucie peu. Car à qui ne plairait-elle pas ? Pour le petit nombre de Français intelligents qui seront là, je suis bien sûr qu'elle leur plaira. Quant aux imbéciles - ça ne sera pas un grand malheur si elle leur déplaît . - Et j'ai quand même l'espoir que même les ânes y trouveront aussi quelque chose qui puisse leur plaire. " (2)

" ll a écrit en marchant, en observant, en écoutant, en chantonnant, en mangeant, en dormant, en se réveillant. Il rêve, il plane, il se pose, il lève la tête. Son énergie tranchante n'est jamais lourde, elle fouette, elle délie, elle relie. " (3)

à  suivre

Philippe Chauché

(1) Le livre des leurres / Cioran /  traduc. Grazyna Klewek et Thomas Bazin / Arcades / Gallimard / 1992
(2) Mozart - 12 juin 1778 / Mozart / Jean et Brigitte Massin / Fayard / 1990
(3) Mystérieux Mozart / Philippe Sollers / Plon / 2001

dimanche 6 mai 2012

L'Air du temps

" Que tu es belle et que tu es gracieuse,
amour dans tes délices !
Voici que ta taille est semblable à un palmier
et tes seins à des grappes !
J'ai dit : " Je grimperai au palmier,
je saisirai ses régimes !
Que tes seins soient comme les grappes de la vigne,
et l'odeur de ta narine comme celle des pommes,
et ton palais comme du bon vin,
qui coule à bon droit pour le bien-aimé,
et qui glisse sur les lèvres des dormeurs ! " (1)


Antoine Watteau  - 1684-1721

" Je m'en souviens encore, et je revois
Ces larges cimes que penche
Sur le moulin la forêt d'ormes,
Mais dans la cour, c'est un figuier qui croît.
Là vont aux jours de fête
Les femmes brunes
Sur le sol doux comme une soie
Au temps de mars,
Quand la nuit et le jour sont de même longueur,
Quand sur les lents sentiers
Avec son faix léger de rêves
Brillants, glisse le bercement des brises. " (2)




Henri Matisse - 1869-1954

" D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures. " (3)

Il s'emploie à se couler dans la douceur de l'Air du Temps, rejettant d'une main les raisons qui s'y croient chez elles, n'attachant nulle importance aux déploiements des déraisons qui y ont fait leur nid, se contentant de se laisser porter par la vague qui s'élève du large et qui lui apprend à faire des miracles - à tenir dans l'équilibre du réel.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cantique des Cantiques / La Bible / traduc. Edouard Dhorme / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1959
(2) Souvenir / Hölderlin / Oeuvres / Édition de Philippe Jaccottet / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1967
(3) Fleurs / Illuminations / Arthur Rimbaud / Édition d'Antoine Adam / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972