vendredi 31 juillet 2009

La Courbe du Temps (16)




La chaleur persistante le tient éveillé.
Il se lève et traverse la ville.
La lumière du fleuve, les éclats des arbres.
Et la présence permanente de la danseuse rouge.
Mouvements des mains, qui se croisent.
Il tourne dans la nuit et tout devient évident.
Rien ne pourra le détruire, c'est ce qu'il écrit.
Le mouvement du Temps me rapproche de son regard.
Il sait que tout rayonne lorsqu'elle ferme les yeux.
Miryam-Marie-Maria.
Il s'allonge à ses côtés, et la nuit sera plus belle que les jours se dit-il.
Et la Courbe du Temps brode la ville.


à suivre

Philippe Chauché

mardi 28 juillet 2009

La Courbe du Temps (15)




Le vent du sud traverse la ville, comme Miryam-Marie-Maria ma vie, étrange se dit-il, étrange cette façon qu'elle a de danser sur les pavés, bouleversant ses manières de faire naître la Courbe du Temps.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 27 juillet 2009

La Courbe du Temps (14)



Les mots viennent comme le soleil sur le fleuve et sous les arbres, ils se glissent sous l'humus entre chaque racine, dans la résonance des fleurs qui surgissent des croisements et décroisements des mains de la danseuse rouge, sur le fleuve où je lis les mots que j'écris ce soir sur les feuilles en velours de mon écritoire, dans son regard que je viens de croiser dans la rue de la Banasterie, une voix t'appelle se dit-il, une voix reconnue, lancée comme un bouquet de violettes un matin par une aventurière d'un voilier du Canal du Midi à Toulouse, il y a fort longtemps de cela, un visage te croise ajoute-t-il, et c'est une effervescence de mots qui éclate, les mots que je vais lui offrir dit-il dans un murmure à peine audible, les voilà, ils sont là :

offrande : une belle façon de se glisser dans la Courbe du Temps
sourire : une autre manière d'embrasser le Temps
silence : nécessaire pour apprendre à aimer
absence : complicité secrète
seins : admirations
l'infini : l'évidence
écrire : poser sa main sur la Courbe du Temps

Il se dit aussi, la danseuse rouge rend à la ville ses vibrations de soie, du mouvement de ses mains naît une baleine blanche, j'embarque pense-t-il dans un navire gracieux que le diable n'arrivera jamais à faire sombrer.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 26 juillet 2009

La Courbe du Temps (13)



Tout semble simple désormais, les éclats de Lune ont une résonance nouvelle, les cris des martinets qui signent en lettres d'ailes magiques et invisibles des coplas que demain Miryam-Marie-Maria chantera sur les bords du fleuve et sous les arbres, c'est ce qu'il se dit, mais aussi, mon sourire ouvert sur la Courbe du Temps qui se pose sur son épaule dénudée, mes pas légers dans la ville qui oublie en ces instants l'effervescence des jours derniers, mes mains qui entourent ses cuisses dans la suspension du Temps ; je peux ainsi traverser le fleuve pense-t-il, et me baigner une nouvelle fois dans les eaux sauvages de son ventre.

Il a sous le bras le livre :

" Est-il possible de naviguer toujours à contre-courant ? Ce qui a été avant tous les temps , écrit Ismaël, devra exister après la fin de tous les âges humains. Ça s'appelle la baleine, mais ça porte d'autres noms. Je me disais : ce qui arrive de nulle part et s'enfuit vers nulle part, cette chose qu'on ne voit pas, et qui jaillit soudain en écume sur un pont au milieu de Paris, cette chose non plus n'a pas de nom. Est-ce le monde, l'envers du monde, son néant, sa plaie, son pus ? En lisant Moby Dick, peut-être me préparais-je à entendre ça : ce qui n'a pas de nom ; peut-être étais-je en train d'entraîner mon corps à se frayer un chemin parmi les visions. " (1)

Il se dit, j'ai du le livre vingt ou trente fois, et c'est la première fois que je l'offre, l'offrande, voilà le mot qu'il cherchait, il est venu à l'instant se poser sur son écritoire, d'autres mots l'accompagnaient, comme une myriade d'étoiles, il a pensé que les mots sauvent, ces mots qui viennent de cet espace scissionniste qui ouvre sur la Courbe du Temps, ces mots, ajoute-t-il, ils m'accompagnent dans chacun de mes mouvements, si je ferme les yeux ils éclatent sur mes joues, si je marche dans la rue des Martinets ils se posent dans la paume de mes mains, si j'embrasse Miryam-Marie-Maria dans le vent du nord qui soulève l'eau grise du fleuve, ils se glissent dans mes cheveux et me rendent la vue, si j'écoute la musique de José Mercé, ils guettent chacun de mes mouvements qui naissent du cante flamenco, tous ces mots, dit-il, je les offrirai chaque jour à la danseuse rouge du bord du fleuve et sous les arbres, les mots et le livre, je lui offrirai feuille par feuille, au jour le jour, à la nuit la nuit, au soleil de ce mois de juillet qui ressemble à la résurrection du Temps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

samedi 25 juillet 2009

Ode Maritime : Festival d'Avignon (6)




D'où vient cette voix qui s'élève là devant nous sur ce ponton ?
D'où vient ce corps immobile (1) qui l'invente ?
Quelle est cette lumière qui célèbre comme jamais la scène ?
Quel est l'origine de ce théâtre inouï ?

Le théâtre de Claude Régy est unique, unique dans ses façons d'entraîner ses acteurs sur les terrains volcaniques du déchaînement de la voix, unique dans ses manières de faire des silences du théâtre un prolongement du verbe en mouvement, unique dans l'absolu de l'immobilité de l'acteur, unique dans le déchirement de la phrase, dans l'écho intérieur qu'il offre au spectateur sidéré.
Il s'agit bien d'un théâtre qui ouvre la renaissance du théâtre, et cette renaissance passe là, par une traversée intérieure du verbe.
L'acteur est un aventurier qui explore toutes les cavités de son corps, où la voix peut résonner.
Les mots deviennent autres, la voix est étrange, faite d'inflexions, de résonances, de cris portés, et de portées de mots.
La phrase se murmure, se crie, se dit, roule, s'écrase, s'élève, il faut la mastiquer, la faire entendre dans sa bouche, dans son ventre, dans sa tête, avant de la lâcher, béance qui s'ouvre sur le Temps. (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Jean-Quentin Châtelain / Ode maritime / Fernando Pessoa / mise en scène Claude Régy
(2) Ode maritime / Fernando Pessoa / Claude Régy / Festival d'Avignon 2009 / Salle de Montfavet jusqu'au 25 juillet 2009.

mercredi 22 juillet 2009

La Courbe du Temps (12)




Il se dit, le monde réel a terriblement besoin d'être au diapason des mouvements de la danseuse rouge, et il ajoute, qu'il n'aurait pas parié trois sous sur cette possibilité de rencontre avant que ne s'éclaire le fleuve, et que ne s'illuminent les arbres, tout l'éclat du Temps reposait là-dessus, toute la Courbe du Temps, qui avant lui était inconnue, lui apparaissait avec la netteté du trait du peintre, les femmes désirables avaient cette présence inouïe des envolées des tableaux avec lesquels il parlait lorsque sur lui on refermait les portes des musées, il se dit aussi, je l'entraînerai au Prado, et nous vérifierons si nos corps s'accordent à la musique de Vélasquez, et il trouva amusant de penser à tout cela devant ce tableau de Braque dont il avait punaisé une petite reproduction sur le mur qui s'ouvrait sur son écritoire.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 20 juillet 2009

La Courbe du Temps (11)



Miryam-Marie-Maria, fin annoncée du jour, il fait tourner dans sa bouche ses trois prénoms, les croise et les décroise sur ses lèvres, rituel chamanique que lui seul connaît. Il porte sur lui le livre qu'il s'est promis de lui offrir, le glisser dans ses mains entre deux croisements de peau. Il se dit, que l'Instant révèle le Temps, mais aussi, que cette révélation conduit à une renaissance. Il porte en lui cette renaissance, ce regard, et la douceur intense des lèvres de la danseuse rouge, qu'il va croiser et décroiser près du fleuve et sous les arbres, dans la Courbe du Temps, il pense que la Courbe du Temps est une révélation, une renaissance, une élévation, portée par les éclats voluptueux des vols des martinets, il pense aussi que la nuit sera désormais plus belle que tous les jours, et que les jours à venir seront éclairés par le rouge profond de la danseuse des bords du fleuve. Son corps porte désormais la résonance du mouvement de la danseuse éclairante. Tout en marchant, il ferme les yeux, et se laisse porter par la mémoire de ses mouvements, de ses mots et de son regard. Rien ne sera jamais comme avant se dit-il, et tout sera désormais éclairé par cette résurrection du Temps. Tout peut arriver.


" Fraîcheur
J'appuie mon front
Contre la natte verte " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sono-jo / Fourmis sans ombre / Le Livre du haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto

samedi 18 juillet 2009

Israël, le Corps, la Musique et le Verbe : Festival d'Avignon (5)




" Il m'a montré un fleuve de vie, une eau resplendissante comme du cristal. Elle sortait du trône de Dieu et de l'agneau.
Au milieu de la rue, de part et d'autre du fleuve, un arbre de vie fructifiait douze fois donnant du fruit chaque mois. Et les feuilles de l'arbre étaient pour la guérison des nations...
Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le principe et la fin.
Magnifiques ceux qui lavent leurs habits pour avoir pouvoir sur l'arbre de vie et ils entreront dans la ville par les portes... "


Israël Galvan danse (2), corps qui bascule mais qui jamais ne chute.
Israël danse, comme jamais on n'a dansé, dans cette suspension du temps, dans l'équilibre du déséquilibre, dans le temps, un baile jondo dans le sable, sur un tablao mouvant, dans le mouvement du Temps.
Israël réinvente à chaque mouvement l'art complexe et intense du zapateado , ce martèlement rythmé des talons et des pointes, il va au plus profond de lui, à meterse por dentro, dans cette Source Spirituelle.
Il ne convoque pas le Duende, le Duende apparaît, instant rare, d'une telle intensité, que certains disent, que les anges ou les fées l'ont visité.

Ce soir là, sous le ciel de la Carrière, Israël est le Duende, au centre de la scène cendrée, dans ces déhanchements chaloupés qui naissent de la musique et du verbe, dans les éclats telluriques des voix de Juan José Amador et Bobote, Israël danse, et cette danse inouïe, ouvre la porte de la vie et retourne la mort.

Au début était le verbe, au début était le baile flamenco, cette révélation, cette Apocalypse, au début était cette musique qui les transcende toutes, corps qui traversent le Temps, et en reviennent immortels.

Pour traverser l'Apocalypse, il faut savoir chanter, danser, aimer, il faut être musicien, trouver l'accord caché sous ses muscles.

Pour traverser l'Apocalyse, il faut savoir lire le Texte avec son corps, il faut aimer le Temps et sa résurrection permanente, il faut écouter les échos de sa danse profonde, de son élévation.

Pour traverser l'Apocalypse, il faut s'offrir comme s'offrent les toreros dans le vide du ruedo, face aux cornes du diable.

Pour traverser l'Apocalypse, il faut être là, dans la permanence stupéfiante du baile jondo, qui ouvre sur la révélation du Temps.

" Écris donc ce que tu as vu, et ce qui est et ce qui va être après,
le mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma droite, et les sept lampes d'or... " (1)

à suivre

Philippe Chauché




(1) Apocalypse de Jean / XXII / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Israël Galvan / El final de este estado de cosas, redux / Carrière de Boulbon / Festival d'Avignon 2009 jusqu'au 26 juillet

La Courbe du Temps (10)




Le bonheur est un luxe, et voyez-vous, me dit-il, ce luxe ne peut-être partagé qu'avec quelques belles personnes, très peu finalement, c'est une chance, une grande chance que nous avons là. Il en va de même ajoute-t-il de l'envolée du Temps, de tels propos, lâchés ailleurs que devant vous, m'attireraient immédiatement les foudres et la condamnation des humanoïdes, convaincus les pauvres, que seul le collectif fonde, soude, et conduit de facto à ce qu'ils croient être le paradis social, éclatant effet de la servitude volontaire, et là, mon cas ne pourrait que s'aggraver. Je poursuis l'écriture de la Courbe du Temps. Devant moi, me dit-il, des reproductions de tableaux et de dessins de Matisse. Je sens profondément que Miryam-Marie-Maria, vient aussi de là, du geste du peintre, de sa musique, de son accord inouïe à la danse des couleurs et des corps. Tenez cher complice, voici le nouvel épisode de cet amusant feuilleton de l'été. Il me tend deux feuilles pliées et enlacées d'un ruban rouge. A un de ces soirs cher ami. Il se lève, traverse notre café et disparaît dans la foule. J'ai posé les feuilles sur la table ronde de notre café, je reprends la lecture des quatrains :

" Tous les matins la rosée emperle les tulipes,
Toutes les violettes inclinent leur têtes, dans le jardin,
En vérité, rien ne me ravit comme le bouton de rose
Qui semble ramasser, autour de lui, sa tunique soyeuse. " (1)

et plus loin :

" Ne te livre pas aux soucis de ce monde injuste ;
N'évoque pas le souvenir en deuil des trépassés.
Ne donne ton coeur qu'à la fille des Péris, au seins de jasmin.
Aie toujours du vin ; ne jette pas ta vie aux vents qui passent. " (1)

Péris : du nom persan des fées, merveilleux, il pourra l'accoler à Miryam-Marie-Maria, ce nom deviendra une guirlande lumineuse, Miryam-Marie-Maria-Péris, nous en trouverons d'autres qui accompagneront la Courbe du Temps, qui lui est si précieuse, me dis-je. Je poursuis mon aventure :

" Le Printemps doucement évente le visage de la rose ;
Dans l'ombre du jardin, comme un visage aimé est doux !
Rien de ce que tu peux dire ne m'est un charme ;
Sois heureux d'Aujourd'hui, ne parle pas d'Hier. " (1)

Voilà, pensais-je, la phrase qui délivre, sois heureux d'Aujourd'hui, ne parle pas d'Hier, voilà la phrase qui ouvre sur toutes les phrases. Je m'empresse de la noter sur mon petit cahier gris.

" Quiconque arrose dans son coeur la plante de l'Amour
N'a pas un seul jour de sa vie qui soit inutile,
Soit qu'il cherche à aller au-devant de la volonté de Dieu,
Soit qu'il cherche le bien-être corporel et lève sa coupe. " (1)

C'est ce que je fais aux Péris qui illuminent le Temps, puis je déplie les feuilles où s'allonge l'écriture fine et bleue de l'aventurier du mot :

Le vent s'est levé sur la ville, nous allons pouvoir appareiller, monter les voiles, nous éloigner de la berge et des arbres. C'est ce qu'il se dit en traversant la place de la Synagogue, puis celle des Châtaignes, et le Palais, éclats jaunes et blancs du soleil qui l'élancent vers le bleu du ciel, miracle de l'accord entre la pierre et la vibration intense de la lumière. Je me prépare à un autre miracle, pense-t-il, retrouver la danseuse rouge sur les bords du fleuve et sous les arbres, dans le silence du jour. Elle est là, assise dans l'herbe, un livre en suspension dans les mains, le regard ouvert sur les mots qui passent du papier bible à ses yeux, à sa peau, à ses muscles, à son corps tout entier. Il pense, qu'il ne faut jamais déranger une femme qui lit ainsi, dans cet accord là, dans cette permanence du verbe. Mais aussi, qu'il ne faut jamais réveiller une femme allongée dans des pensées vibrantes. Le corps ne se livre pas dans ces instants là. Il faut être patient, donc vivre dans la liberté totale de l'attente, c'est ce qu'il pense en regardant de loin, Miryam-Marie-Maria, la danseuse rouge du bord du fleuve et sous les arbres.

à suivre

Philippe Chauché



(1) Les Quatrains d'Omar Khayyam / traduct. Charles Grolleau / Éditions Gérard Lébovici / 1991



mercredi 15 juillet 2009

La Courbe du Temps (9)



C'est une autre manière d'écouter, une autre façon de marcher, de dormir, de désirer, de lire, d'aimer, de s'accorder à un autre corps, d'être finalement traversé par la Courbe du Temps, cette Courbe du Temps qui l'a saisi sur les bords du fleuve et sous les arbres. Il se dit, je suis là dans une vibration nouvelle, dans un saisissement éternel. Il s'écoute, sa voix a changé, il se regarde, son corps s'est élevé, il se regarde dormir, il s'écoute aimer, il voit à travers les murs et les livres.

Miryam allongée nue sur le canapé rouge, Marie éveillée croisant et décroisant ses mains sous la lumière de la lune descendante, Maria solaire, marchant dans la rue des Martinets sous la chaleur écrasante de cet été de toutes les paroles, des paroles lancées, offertes, murmurées, des paroles de guerre, de révolte, de naissance, des paroles qui délivrent, ressuscitent le verbe, au début était le livre, au début était l'acteur se dit-il, au début était le regard de Miryam ajoute-t-il.

Je suis heureux de vous revoir, c'est ce qu'il lui dit en la retrouvant sur la Place du Palais, il a griffé la foule colorée et bavarde pour la rejoindre, la danseuse rouge l'attend dans la chute du jour, le jour et la nuit c'est elle pense-t-il. Son regard ouvre une nouvelle porte jusque là invisible, c'est cela dit-il, passer à travers une nouvelle porte pour s'élever au monde.

à suivre

Philippe Chauché

mardi 14 juillet 2009

André Bénédetto : Festival d'Avignon (4)



Dans le retournement du Temps, il est là, bien vivant, attentif au mouvement perpétuel du Théâtre.

Tentez l'oreille vous l'entendrez, vous entendrez sa voix qui mûrit au soleil du mois de juillet.

Les corps s'absentent parfois, mais cela ne dure qu'un Temps, et si l'on est un rien attentif, un rien éclairé par des "poursuites" solaires, on peut s'apercevoir que ce n'est qu'une dérobade, une sortie temporelle "côté jardin", une autre façon de s'accorder au Temps.

Alors, lorsque vous traverserez la Place des Carmes, ne soyez pas surpris si vous sentez sa présence sur vos pas, ne soyez pas effrayés si vous entendez sa voix, son rire, pensez seulement, que comme les livres, la musique, les regards éclatants, les mots des acteurs sauvent, et finissent parfois par sauver aussi ceux qui les portent.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 13 juillet 2009

La Courbe du Temps (8)



" Blancheur des glycines
Ployant au vent
La voie lactée " (1)

Il a vu la nuit se coucher,
Puis le jour se lever,
Évidence.

Elle s'est allongée, le visage tourné vers l'intérieur, dans les éclats du Temps, les yeux clairs et troublés. Il n'a rien dit, il n'y avait rien à dire, rien d'autre à faire qu'à écouter sa respiration, cette mélodie claire qui montait de sa poitrine, il s'est dit, j'ai de la chance, puis il s'est endormi. Dans la nuit il s'est levé, pour boire un peu d'eau fraîche et regarder le ciel, il a ouvert un livre, il s'est dit, je lui offrirai demain ce livre. Les livres vivent de cela, d'un nouveau regard nourri des éclats du Temps.

Au matin, il a écrit. Il a écouté le mouvement de sa main qui glissait sur son écritoire, il n'a rien dit, il n'y avait rien à dire, rien d'autre qu'à écouter son écriture, cette mélodie qui montait de son ventre, alors il s'est dit, j'ai de la chance, puis il a fixé la photo qu'il avait épinglé au mur face à son bureau, ce visage lumineux méritait des nuits passées à l'écrire. Les photos vivent de cela, des regards qu'on leur offre un matin d'été.

Le soir, il a traversé la ville et l'a aperçu sur le bord du fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge qui à nouveau croisait et décroisait les mains dans un ballet de Martinets amoureux, il s'est approché, assis à quelques mètres de Miryam - Marie - Maria, elle dansait dans la splendeur du soir, alors il s'est dit, j'ai de la chance. Les hommes vivent parfois de cela, pensa-t-il, du mouvement éclatant des femmes.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Hajin / Fourmis sans ombre / Le Livre du haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto

dimanche 12 juillet 2009

Le Livre d'Or de Jan : Festival d'Avignon (3)

" Pas un de l'a vraiment connu. Peu ceux de son entourage qui ne peuvent pas dire qu'ils n'ont pas couché avec lui : au moins un fois. Ou du désir. Ou vécu une nuit de tous les possibles. Et (puis) s'enfuir avant la trappe.
Il était peintre. Performeur. Plasticien on dit. Pour vivre il a passé bien des chemins. De plongeur à Strip-Teaseur de voleur à gigolo de cameraman à nègre de rien à la politique, soldat acteur photographe prince des dance-floors footballeur chauffeur de place jardinier ou pour plaire à une femme il disait sans cesse qu'il avait la main verte moi quand je l'ai connu il ne savait plus il arrêtait tout il parlait à peine il souriait comme une personne sachant qu'elle a perdu toute intelligence de vie ... " (1)

Si vous leur demandez, ils vous parleront de Jan, si vous leur demandez, ils vous diront ce qu'ils savent de Jan, ce qu'ils peuvent dire de Jan. Ils convoqueront leur mémoire, les mots et les corps pour parler de Jan. Alors, ils s'avancent sur le plateau face au public, ils s'avancent un par un, ou à plusieurs, ils disent et se contredisent. Jan, qu'ils ont aimé, Jan, qu'ils ont perdu, quitté, Jan, qui les a quitté, impossible, possible, trouble, floue, tremblé, le corps de Jan et la voix de Jan.
Pour réussir cela il faut des voix et des corps, il faut inventer le mouvement qui nourrit l'espace, miser sur l'écoute des autres acteurs, il faut croire que chaque geste, que chaque mot, à nouveau invente le théâtre, il ne faut pas craindre de ne pas être à la hauteur de ce que l'on a envie de raconter, c'est un pari, mais Hubert Colas à la main verte, comme ses jeunes acteurs, ont eux aussi la main verte pour séduire le théâtre.
Pour réussir cela, il faut croire radicalement que le mot lancé par l'acteur fait naître l'acte théâtral, c'est aussi simple que cela.

Si vous lui demandez, il vous dira qu'il se souvient qu'à la télévision anglaise on a parlé de Jan, de ses chutes, et de cet instant où l'impossible fait naître le possible, cet instant entre l'équilibre et le déséquilibre, une seconde, deux secondes, ou beaucoup moins, cet instant suspendu d'avant la chute. Et si c'était cela aussi le théâtre, cet instant d'avant la chute ?

Il vous dira aussi sa disparition, la disparition de Jan, en mer, au large, seul, dans la masse lourde et noire, chute définitive. Qui s'en souvient, qui peut la porter cette chute, cette disparition ? Les corps et la voix, tous les corps et une seule voix.

Alors, il y aura du mouvement, du déplacement, des corps qui s'avancent, des voix offertes, des suspensions, des images vidéo, une mélodie anglaise, il y aura aussi des traces, et de la dérision, il y aura une vague d'acteurs qui roule sur la scène et qui porte le corps de Jan.

Théâtre mouvement, mouvement du théâtre, pour simplement dire : vous doutiez que nous le pouvions ? Vraiment ? Regardez, écoutez, après, bien après, nous verrons si l'espace se souvient de notre passage, se souvient de l'évocation, des mots, des corps, du passage de Jan.

à suivre

Philippe Chauché




(1)Le Livre d'or de Jan / Hubert Colas / Festival d'Avignon / jusqu'au 17 juillet / Cloître des Carmes / Texte à paraître aux Éditions Actes Sud-Papiers

samedi 11 juillet 2009

Littoral, Incendies, Forêts : Festival d'Avignon (2)

" Wazâân. Écoute ce que dit l'étoile, ce que te dit ton âpre étoile.

Wilfrid. Qu'est-ce qu'elle dit ?

Wazâân. Avancer toujours, même si on n'y croit plus. Avancer malgré la perte de but, avancer malgré la raison qui nous fige, nous immobilise, malgré la futilité que l'on découvre même dans ce qu'avancer veut bien signifier. Avancer même si on a perdu toute fierté, toute capacité à espérer. Avancer. Je n'ai jamais vu la nuit, mais on dit qu'elle est obscure. Alors partez, partez tous les deux, partez avant le jour. Au matin je leur dirai que la fille qui chantait est partie, je leur dirai que le jeune homme qui est revenu vers sa terre d'origine est reparti. Je les maudirai, je leur dirai : Écoutez la colère de la jeunesse qui fera de vous des vaincus. La jeunesse est en colère contre vous. Elle part et avec elle le soleil. Simone, Wilfrid, emportez le corps et partez avant le jour, au matin je leur dirai que le malheur vient de s'abattre sur le village.

Simone. Wazâân, cet air que je chante te dira mieux que mes mots mon amitié.

Elle chante.

Wilfrid. Simone, la lumière du village du bas s'est encore allumée puis éteinte.

Simone. A l'aube, nous serons à la croisée des chemins. La lumière sera peut-être là.

Ils partent. " (1)

Nous avançons dans la fin du jour.
Nous avançons dans la nuit vers le jour, et le feu n'aura aucune prise sur nous.
Nous avançons dans la fin du jour, portés par les mots, traversés par les corps des acteurs, soutenus par l'acte de la parole.
Parole nécessaire, unique, fondatrice, parole qui dit l'acte, acte qui fait éclore la parole.

Nous avançons dans la nuit vers le jour, dans la colère, la douleur, la mémoire.
Mémoire des noms, mémoire des morts et des vivants, dans leur réconciliation nécessaire.

Nous avançons dans ce lieu où la mémoire a été fracturée, nous portons ce corps que nous devons accompagner, ce corps qui est notre histoire, qui est toutes les histoires, qui devient l'Histoire, corps mourant, corps vivant, corps d'une terre, terre d'un corps qui va faire renaître la mémoire.

Du jour à la nuit, de la nuit au jour. Cette nuit fût plus belle que le jour, elle traversa toute l'Histoire, d'ici et de là-bas, entre les morts et les vivants, entre la guerre, la trahison, la violence, la beauté, la joie, la jouissance, la renaissance, la folie, le rêve, et la renaissance.

Wajdi Mouawad et ses acteurs sont des passeurs qui nous entraînent du jour à la nuit, de la nuit au jour, du sable à la pierre, de la sécheresse à la fontaine de jouvence.

Dites-moi d'où vous venez, qu'elle est le nom de votre terre, de votre mère, de votre grand mère, dites-moi comment pense un corps en mouvement, dites-moi leur histoire, dites-moi comment une parole dénoue un corps et comment un corps délivre une parole.
Dites-moi, l'Histoire des histoires et toutes les histoires de l'Histoire.
Dites-moi comment est née le théâtre, d'où il vient. Du Sud, des villes, des montagnes, des chants, des regards, des silences, de la parole, dites-mois, si c'est cela.
Dites-moi, d'où vient cette tension, cette liberté, cette mémoire retrouvée.
Dites-moi comment va naître cette parole, comment il convient de l'offrir, de la porter, de la cacher, de la faire réapparaître, de la faire surgir.

Dites-moi comment transformer ce passage du jour à la nuit et de la nuit à la naissance du jour, en une envolée où rien ne sera dissimulé.
Dites-moi l'adresse et l'offrande des mots et des mouvements.

Dites-moi d'où vient Littoral, Incendies, Forêts(2), dites-moi ce qu'il fait naître, ce sang qui nous aveugle, dites-moi s'il nourrit la terre, s'il fait renaître, s'il peut se transformer en encre.

De Littoral aux Forêts, d'Incendies au Littoral, dites-moi ce qui est convoqué. Est-ce l'histoire permanente du théâtre, de tout le théâtre, de l'épopée, de la tragédie, de la comédie.
Dites-moi comment naît le miracle, cette tension profonde.
Dites-moi ces larmes de joie, ce bonheur d'accompagner du jour à la nuit et de la nuit au jour naissant, l'apparition de l'acte et de la parole.

Dites moi l'enfance qui marche et qui se délivre de son passé en l'embrassant.

Dites-moi pourquoi nous restons ainsi toute une nuit éveillés, tendus, émus, troublés, terrifiés, émerveillés, éblouis, transcendés.

Dites-moi d'où viennent ces larmes.

Dites-moi pourquoi seul le théâtre permet cela.

Alors en vous écoutant, je pourrai vous raconter une nuit entière, ces paroles, ces actes, ces mouvement des corps, je vous dirai aussi la douleur, la terre, la transmission, les manières d'être dans le courage et la révolte, je vous dirai la guerre, la trahison, la violence terrible, je vous dirai qu'il faut écrire les noms des morts, les apprendre par coeur, je vous dirai qu'il faut apprendre à sauver les morts de la mort.

Je vous dirai comment cette jeune femme sauva son amie juive de l'extermination programmée.
Je vous dirai comment et pourquoi il faut accompagner les morts.
Je vous dirai comment naît la jouissance. Je vous dirai aussi la nécessité de savoir pour être, être pour savoir. Je dirai que le verbe fait fleurir la pierre, et je vous dirai la douceur du soir.

Je vous dirai la voix des femmes, leurs chants, leurs jouissance, leur révolte, je vous dirai celle des hommes, leur colère et leur détermination.

Je vous dirai aussi la douceur du soir et les premiers mots, le froid de la nuit et les mots qui surgissent, glissent et s'élèvent. Je vous dirai l'apparition du soleil qui se pose sur mon regard et celui des acteurs. Je vous dirai ce trait rouge apparu dans le ciel, griffé sur l'instant par un vol de trois martinets.

Je vous dirai, ces bras ouverts, ces yeux brillants de joie et d'émotion, je vous dirai que le théâtre naît de tout cela, du jour, des mots et de la nuit, et qu'il ne peut accomplir cette naissance que là, dans la mémoire des pierres du Palais des Papes, que tout ce qu'il convoque est là, devant vos yeux, que tout ce qu'il raconte a déjà été raconté ici.

Je vous dirai ces yeux rougis, ces corps fatigués et résistants.

Je vous dirai cette nuit où nous avançons sans jamais que nous dévore la moindre flamme.

Je vous dirai enfin l'embrasement du Temps retrouvé par la grâce du théâtre.

" Le père. Mon âme est rassurée.
Pourtant je suis en proie à un grand trouble.
Je vais aller rejoindre le grand calme des profondeurs.
J'aurai comme compagnon de jeu les noms de mon pays.
Là, parmi les poissons, je serai le gardeur de troupeaux... " (1)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Littoral / Wajdi Mouawad / Leméac / Actes Sud-Papiers
(2) Littoral. Incendie, Forêts / Wajdi Mouawad / Cour d'Honneur du Palais des Papes / Festival d'Avignon jusqu'au 12 juillet.

jeudi 9 juillet 2009

Une Voix sous la Cendre : Festival d'Avignon (1)

" Viens, mon ami, lève-toi, sors de tes palais douillets et sûrs, arme-toi de courage et d'audace et viens avec moi parcourir le continent européen où le Diable s'est emparé du pouvoir, et je te raconterai et te montrerai avec des faits de quelle manière la race hautement civilisée a liquidé le peuple d'Israël, faible, sans protection, (innocent) de tout crime.
Ne t'effraie pas de ce long chemin tragique. Ne t'effraie pas des scènes cruelles et barbares que tu seras amené à voir. Ne t'effraie pas, je ne te montrerai pas la fin avant le commencement, et peu à peu ton oeil deviendra fixe, ton coeur s'émoussera, tes oreilles deviendront sourdes. Emporte, toi, l'homme, des bagages de toute sorte qui puissent te servir dans le froid et l'humidité, dans la faim et la soif, car il nous arrivera de nous trouver au beau milieu d'une nuit glacée dans des espaces désolés et d'accompagner mes malheureux frères à leur dernier voyage, à leur marche à la mort. Il nous arrivera de parcourir, jour et nuit, affamés et assoiffés, les diverses routes européennes de l'errance de millions de Juifs chassés et repoussés par les modernes barbares vers leur but cruel et diabolique, apporter leur vie en sacrifice pour leur peuple. Toi, cher ami, es-tu prêt pour le voyage ? " (1)

Il y a ce texte, il y a ces notes écrites, cachées et retrouvées. Il y a cet Etre et l'Enfer. Il y a un voix et un regard, il y a un corps sur la scène, corps de l'acteur, porteur de l'acte qui dit l'horreur, la domination, mais aussi, le mouvement de la vie, une autre renaissance du verbe, et cela devient possible par la grâce d'une autre voix, d'un autre regard et d'une pensée du théâtre vivant. Il y a Zalmen Gradowski, François Clavier et Alain Timar (1), il y a le théâtre et son miracle naissant.

Il y a la mémoire d'une voix, il y a la mémoire des corps, et celle du théâtre, il y a l'espace et le temps. Le corps envahi par les mots, les mots de cette voix à fleur de corps, il y a le mouvement de l'acteur qui nourrit l'espace du théâtre. Il y a ce visage qui vous saisit, dans la joie et la douleur, il y a la nécessité de dire sans montrer, il y a l'urgence de l'offrande et de la résurrection du verbe.

Ici s'effondrent toutes ces diaboliques reconstructions historiques que le cinéma se plaît à filmer, toutes ces histoires nauséabondes qui nourrissent la bonne conscience de ces cinéastes publicitaires à la bonne conscience frelatée.

Ici s'écrit le théâtre, et c'est de résurrection qu'il est question. Voix et corps élancés, voix et corps qui s'élèvent de la cendre pour frapper le Diable au coeur. Ici se dit le théâtre, dans la vérité du vide, dans la profondeur de la résonance des mots de Zalmen Gradowski, qui éclairent d'une transparente lumière de vie, l'Etre et l'Enfer.



(copyright COCO)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Notes / Zalmen Gradowski / in Des voix sous la cendre / Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau / Mémorial de la Shoah / calmann-lévy
(2) Une voix sous la cendre / Zalmen Gradowski / mise en scène, scénographie Alain Timar / avec François Clavier / Théâtre des Halles / Off 2009 /

mercredi 8 juillet 2009

La Courbe du Temps (7)



La belle journée que voilà, éclats de pétales rouges sur les murs de la rue des Martinets, brillance de la pierre où se reflète le Temps accompli, Courbe du Temps sur ma peau où s'accomplit une résurrection nouvelle, réveil de mes mains qui dessinent sur mon écritoire une nouvelle histoire de la vie retrouvée, c'est à cela que je pense, c'est de tout cela qu'il est question dans le silence éclairé du matin, mais aussi du mouvement des mains de la danseuse rouge des bords du fleuve et sous les arbres, Miryam éclatante de beauté, Marie légère au corps libre, Maria invisible et tellement visible si l'on sait la voir. Une nouvelle rencontre s'annonce dans les rues de la ville où le verbe s'invite pour un long mois. Le verbe, autrement dit le corps, les corps c'est à dire les mots et leur lumière permanente : " Si quelqu'un devient enfant de la chambre nuptiale, il recevra la lumière. Si quelqu'un ne la reçoit pas alors qu'il est ici-bas, il ne la recevra nulle part ailleurs. Qui a reçu cette lumière-là ne pourra être vu ni ne pourra être pris. Et nul ne pourra tourmenter une telle personne, m^me lorsqu'elle séjourne dans le monde, ni même lorsqu'elle quittera le monde ; elle a déjà reçu la vérité en images. Le monde est devenu l'éon, car l'éon est pour elle plénitude. Et il est ainsi : il est révélé à elle seule, non pas caché dans les ténèbres et la nuit, mais caché dans un jour parfait et une lumière sainte. " (1)

à suivre

Philippe Chauché


(1) L'Evangile selon Philippe / Écrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard

mardi 7 juillet 2009

La Courbe du Temps (6)



Approchez me dit-elle, mais à bonne distance, la question de la distance, doit sans cesse se poser, ici, sur les bords du fleuve et sous les arbres, j'avais écrit cette phrase, différente c'est vrai, autrement posée, mais cette phrase qu'elle prononçait, fût, pensais-je, un temps la mienne, la question de la distance, et celle de la vision, reprit-elle, pour bien voir, il faut bien écouter et inversement. Ne vous fiez pas trop à ce qui se voit de prime abord, derrière mon sourire lumineux, se cache un autre sourire intérieur qui s'accorde au Temps, cet accord là, peu le voient, peu l'entendent, peu le sentent. Mon sourire révèle cet autre sourire. Mon visage se penche vers vous, voyez-vous ce mouvement, ce léger déplacement dans l'espace. Je vous ouvre ses sens, ils soulignent la bonne distance qu'il faut avoir pour être. Voilà, ce qu'elle me disait aux bords du fleuve et sous les arbres, les mêmes mots, écrits quelques jours avant que je ne sois saisi par la Courbe du Temps. Dois-je lui dire, c'est la question que je me suis posée, silencieusement. Alors le vide s'est installé. Elle ne parlait plus, elle s'écoutait dans le silence, je ne me posais plus aucune question, je m'écoutais dans le silence de son regard, de ses mains posées à plat sur l'herbe. Nous nous regardions de l'intérieur, c'est ce que j'ai écrit dans la nuit qui a suivi cette nouvelle rencontre, la blonde danseuse rouge des bords du fleuve et sous les arbres m'avait retourné, dans la Courbe du Temps. Tout avait eu lieu, dans l'instant du Temps. Dans ce mouvement qui ne me quittait plus depuis notre première rencontre. Ce mouvement mais pas seulement, ai-je noté dans la marge de mon cahier de ma fine écriture rouge, pas seulement, il y a autre chose, mais je ne sais quoi. Une musique, oui une musique, éblouissante musique, Mozart, toujours Mozart, ai-je ajouté avec toutefois un point d'interrogation, puis j'ai barré ce nom pour le remplacer par un autre, Bach, éblouissante musique de Bach, qui jamais ne s'interrompt ai-je écrit. Mozart et Bach, en large lettres noires en travers de la page, oui, c'est cela l'accord des corps, et je me suis dit en écrivant, que je devrais garder tout cela pour moi. Les musiciens, la Courbe du Temps, cet éclat, cet incursion rouge dans le mouvement, dans le dénouement de ses mains, mais très vite j'ai pensé que ce que j'écrivais elle l'entendait, elle le voyait, la danseuse des bords du fleuve et sous les arbres. J'ai aussi ajouté que depuis deux jours, tout était transformé, les livres de mes bibliothèques s'étaient accordées à cette Courbe du Temps, ils se croisaient et de décroisaient, les livres, ils vivaient, comme vivent les tableaux lorsqu'on les regarde, comme les corps découvrent une autre vie lorsqu'ils se touchent. Elle me dit le toucher, elle m'apprends une autre respiration du Temps, elle me dit la résurrection de la jouissance, sur l'instant on fait oeuvre de résurrection. La résurrection des livres, des corps, s'opèrent devant mes yeux, c'est ce que j'écris sur mon écritoire. Les livres accompagnent le mouvement de la danseuse, les corps embrassent les mains de Miryam, les mains de Marie, les mains de Maria, alors j'ai ajouté sur une autre page, la Courbe du Temps est un miracle de l'Instant, et l'Instant devient permanent. Instant du Temps retrouvé, ai-je écrit, du temps embrassé, comme ce baiser qu'elle m'a donné la veille, et comme celui que je venais de poser sur ses lèvres, alors j'ai noté plus bas, désormais je vis, j'ai répété trois fois le mot, je vis, je vis, et puis j'ai poursuivi. J'ai lancé une défi à l'autre Temps, celui qui veut nous défaire, cet autre Temps d'avant la rencontre avec la danseuse des bords du fleuve et sous les arbres. Nous avons marché une partie de la nuit dans les rues de la ville, en silence, dans une autre transparence du Temps, le jour nous a surpris dans les phrases silencieuses que nous échangions. J'ai alors pris sa main dans la mienne, et j'ai senti sur ma peau la Courbe du Temps, dans le dessin de nos deux mains accordées. Tout ce que je vivais, tout ce Temps embrassé, je l'écris, mot à mot, lentement, très lentement, en suspension, et cette suspension nous a conduit dans ma bibliothèque renversée. Elle s'est endormie sur mon canapé rouge, rouge accordé au rouge de sa robe, alors j'ai pensé à Matisse, pour cet accord essentiel de la couleur, j'ai retrouvé cette carte postale reproduisant l'un des tableau du peintre scissionniste dans un livre chamanique qui ne quittait pas mon bureau, et je l'ai glissée dans son corsage, en contact direct avec sa peau, avec ses seins de danseuse blonde et avec son coeur où se croisaient et se décroisaient tout le mouvement du Temps.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 6 juillet 2009

La Courbe du Temps (5)




Comment après une telle nuit se réveiller ? par un autre saut dans le temps ! c'est ce que j'ai tenté dans le Mouvement du Temps. L'écho du sifflement des martinets a ouvert un nouvel espace, mes yeux, surpris par tant de feuilles noircies qui se croisaient et se décroisaient sur le parquet, prirent, je l'ai senti, une autre teinte, orangée, comme si la nuit avait légèrement dissolue le rouge du canapé où je m'étais endormi, en me levant j'ai esquissé deux pas, pour délivrer mes muscles de l'endormissement du temps des rêves. J'ai ramassé une à une les feuilles où naviguaient mes phrases, au hasard, ne sachant ce qu'elles recélaient, sachant seulement, que je les offrirait telles quelles à Miryam-Marie-Maria, lorsque nous nous reverrons près du fleuve et sous les arbres.
J'ai allumé une cigarette en préparant un café, très noir comme cette absence du Temps où j'avais voulu m'ensevelir. J'ai souri en y pensant, allumé la radio : Mozart. Quel accueil me suis-je dit ! Mozart à son tour volait dans l'appartement, accompagné par le tempo solaire des Martinets. Mozart, le concerto n°3 en sol majeur, l'évidence même du baiser de la danseuse blonde, ai-je pensé, même danse. Quelle allégresse. Quelle joie dans la mélodie du violon. Même suspension des hautbois. Je me suis demandé si nous étions vraiment nombreux à écouter Mozart en ce matin du mois de juillet, dans une ville minérale, qui ignore qu'une lumière s'ouvre parfois à elle, lorsqu'elle se souvient qu'un fleuve la courtise, et que des arbres dissimulent une danseuse qui croise et décroise ses mains. Quelle tension aussi, me suis-je dit. Fils de notes qui tissent le Temps et déploient sa Courbe. Alors les phrases des livres de la nuit, qui s'étaient croisées et décroisées, sont revenues, comme s'ils elles voulaient par leur présence accompagner cette nouvelle journée blanche, jaune et rouge :
... le Sud, école de guérison...
... c'est d'ici que tout repart, d'ici que rayonnent - il faut se taire - trop de raisons de mêler dans le récit tous les temps du verbe être...
... un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et comme la nouvelle harmonie...
C'était cela me suis-je dit, une nouvelle harmonie, Mozart et son concerto me le rappelaient lumineusement. J'avais la journée pour m'y préparer, me préparer à cette nouvelle harmonie qui allait éclater, je n'en doutais pas une seconde, sur les bords du fleuve et sous les arbres. L'écriture est revenu nettement, l'écriture en rouge et blanc, dans ce nouvel espace vif de la Courbe du Temps, accordée au mouvement inouïe de Miryam-Marie-Maria que je retrouverai bientôt dans l'espace libéré des bords du fleuve et sous les arbres. J'ai une nouvel fois ouver le livre de l'écrivain chamanique :

" Est-ce que je pensais encore à Anna Livia ? Bien sûr. Je la voyais partout. Une silhouette brune dans la rue, c'était elle. Un corps ondulé dans la nuit : encore elle. J'ai suivi une femme qui poussait un landeau boulevard Saint-Michel. On a longé les thermes de Cluny. Je me disais : Anna Livia a un enfant, elle ne l'a pas dit, toute sa vie est secrète, une autre vie, ailleurs. Et puis, devant le cinéma Espace Saint-Michel, alors qu'elle regardait les photos du film Les Amants réguliers, j'ai posé ma main sur son bras, elle s'est retournée, ce n'était pas elle.
Une autre fois, c'est un drap mauve. J'avais passé la fin de soirée à Saint Jean, à Abbesses. Il faisait chaud, tout le monde était ivre et nonchalant. A comptoir, il y avait trois jeunes Danoises qui disaient : " Il n'y a plus d'Hamlet, les hommes ne sont pas assez fous. " (1)

La chaleur s'installait, j'ai fait glissé les volets de bois devant les fenêtres de l'appartement, et ouvert les yeux comme jamais je ne les avais ouverts. La lumière du Sud me traversait comme le baiser de la danseuse m'avait traversé sur la place du Palais des Papes.

à suivre

Philippe Chauché

(1)Yannick Haenel / Cercle / L'Infini / Gallimard

dimanche 5 juillet 2009

La Courbe du Temps (4)



Tout en traversant à mon tour la place du Palais des Papes, j'ai poursuivi ma lecture, doté, c'était nouveau, d'une double vue, lisant le petit livre qu'elle avait déposé à mes pieds, et voyant en même temps, dans les espaces qui s'élargissaient entre les pavés, la transformation du jour finissant en jaillissements lumineux :

" Les chauves-souris tournent
Autour de la
Lune " (1)

" Hé, est-ce la lune
Qui a chanté
Coucou " (2)

" Ondée du soir
Je suis nu montant
Un cheval nu " (3)

J'ai débouché rue Rouge, la danseuse à la robe rouge avait sa rue, la rue des Tisserands. Ses mains se nouaient et se dénouaient sur les façades de pierres blondes où reposaient des vierges amusées. Miryam - Marie - Maria -, qui a déclenché cette Courbe du Temps, ce basculement, cette radicale transformation, entraînant cette double vue, vision nouvelle. J'ai laissé ainsi mon corps dériver, tourner en rond dans la nuit en évitant les flammes. J'étais seul, au centre de la ville, accompagné par ce doux vent du sud qui avait lissé sa lecture des haïkus au bord du fleuve et sous les arbres. J'ai fait escale devant la Synagogue et me sont alors revenues ces quatre strophes du Tao-tö King : Il émousse leurs tranchants, il dénoue leurs écheveaux, il fusionne leurs lumières, il unifie leurs poussières, une autre phrase m'est venue, directement de la pierre à la mémoire, comme un éclair : J'ai embrassé l'aube d'été, et mes bras à leur tour ont embrassé l'espace dans un mouvement lent et croisé, comme celui que dessina Miryam, prénom porte bonheur, qui accompagnait ma lecture joyeuse.
C'est alors dans le silence que je me suis mis à écrire, tout mon corps s'est mis à écrire, avec cette lenteur comparable à celle du mouvement imprimé des mains de Miryam la danseuse, j'ai écrit, tout en ouvrant une nouvelle fois Cercle, ce livre chamanique :

" J'ai vécu quelques heures dans le temps. C'est une vie chaude et froide. Il n'y a que des détails, et pourtant ces détails ne comptent pas. Les heures s'allongent, ils deviennent des arbres, on ne les mesure plus. La plupart du temps, on n'est pas là, où plutôt quelque chose est là sans vous : plus rien ne fait obstacle au passage du temps. Est-ce le détachement ? Les pensées s'ajustent, on tourne sur une pointe bleue, le corps se tient de lui-même, rien de trop. " (4)

En écrivant, j'ai pensé à mon corps retourné par l'envolée des mains de la danseuse Miryam, au bords du fleuve et sous les arbres, j'ai pensé qu'il s'agissait sûrement d'une résurrection, d'un passage du mort au vivant et du vivant au vivant, ce qui est amusant, me suis-je dit, c'est que c'est autour de cela, de cet état là, que je tourne dans le roman que j'étais en train d'écrire avant que la Courbe du Temps ne me fasse basculer, avant ma rencontre avec la danseuse du soir et du vent de la mer. Alors je me suis endormi, tout habillé sur le canapé rouge. Le rouge m'entourait, comme m'avait entouré le baiser rouge de la danseuse de la place du Palais des Papes.

Lorsque je me suis réveillé, le rouge du Temps m'observait, un rouge brillant, musical, comme la robe de Miryam, puis tout s'est mis à danser dans la chambre, les livres, les crayons, le bureau, la photo encadrée de Marcel Proust à Venise. Les livres s'ouvraient et se fermaient, comme si une main invisible s'amusait à en tourner les pages, pour peut-être leur donner le tournis. C'est peut-être aussi cela, lire, c'est donner le tournis aux phrases, c'est ce que je me suis dit. Des phrases se sont elles aussi envolées, toutes mélangées, je les ai vues, les unes sur les autres, se croisant et se décroisant comme les mains de la danseuse rouge. J'ai lu ce que j'ai pu, cela donnait :
... le saint souverain Jan-siang se tenait au centre du cercle autour duquel tout se parachevait ...
...j'hésite, il faut l'avouer, à faire ce saut, je crains de tomber dans l'inconnu sans limites....
... j'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse...
... o les longues rues amères autrefois et le temps où j'étais seul et un...
... une hirondelle a surgi, elle tournoyait dans l'affolement....
... je peux donc rêver qu'ils sont tous embarqués ensemble et réunis pour une soirée là-bas : Proust, Picasso, Céline, Matisse, Claudel, Morand, Giacometti, Artaud, Breton, Drieu, Aragon, Bataille...
... un livre où le narrateur évoquerait seulement les lieux où il s'est baigné...
... ses cheveux jouent avec la brise et paraissent vivre...
... hier, vers le soir, mon heure la plus silencieuse m'a parlé : tel est le nom de ma maîtresse terrible...
... à très vite mon amour, et porte toi le mieux du monde...
... c'est le jour où il ne convient pas que le salut soit inactif...,
d'autres phrases n'étaient plus à ma portée, elles avaient traversé les murs, percé le plafond, ouvert une brèche dans le parquet, et j'étais entraîné moi aussi dans la danse, aspiré vers le plafond d'or, de gris et d'ocre, et c'est là que je me suis vu me regardant voler, entouré de phrases, de livres, de photos, de lettres d'amour, de plumes et de crayons, je me suis vu me voyant, comme j'avais vu quelques heures plutôt la danseuse blonde des bords du fleuve et sous les arbres, alors je me suis dit une nouvelle fois, que cette Courbure du Temps allait encore, j'en étais sûr, me réserver d'autres surprises et je me suis rendormi.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Gyôdaï / Fourmis sans ombre / Le Livre du haïku / anthologie de Maurice Goyaud / Phébus libretto.
(2) Baishitsu / d°
(3) Issa / d°
(4) Yannick Haenel / Cercle / L'Infini / Gallimard

samedi 4 juillet 2009

La Courbe du Temps (3)



Un léger souffle venu de la mer s'est mis à accompagner en accords de particules invisibles sa lecture :

" La voix du rossignol
Lisse
Ronde, longue " (1)

" Reflets dans l'eau
C'est l'écureuil-volant qui traverse
La tonnelle de glycines " (2)

" La Belle-de-Jour
Et l'épouse qui n'est pas jalouse
C'est beau " (3)

J'ai été nommée Miryam me dit-elle, c'est un prénom qui depuis toujours me porte chance, vous pouvez-donc, cher inconnu, désormais l'utiliser.

Nous avons repris le chemin de la ville aux pierres qui s'accordent à sa robe rouge. Soleil couchant, pensais-je, lumière rasante, miroir de mon âme. Elle m'a une nouvelle fois pris la main, l'a enveloppée, avant de la relâcher avec une grande douceur, toute éblouie de soie brodée. C'est cela, me dis-je, la résonance de la Courbe du Temps. Le Palais s'est alors offert à nos regards, rouge, jaune, blanc, murs immenses, silence, nous étions seuls dans le murmure de la Courbe du Temps. Alors à mon tour, je lui ai pris la main pour la porter à mes lèvres. Et j'ai pensé, le basculement se poursuit, le renversement n'est qu'un début, il me faudra l'écrire, son silence est l'Instant, il me faudra lui dire " merci mon amour ", pour vos mains qui se croisent et se décroisent, merci pour le rouge de votre robe qui désormais se lit aussi sur les murs de la ville, merci pour l'embrasement de votre paume, merci pour les haïkus qui saisissent le mouvement du Temps, merci pour le renversement du temps, et puis j'ai répété en silence, tout à basculé en quelques secondes, sur cette place de la ville, là où parfois je vous croise aux bras d'une belle, j'ai été littéralement renversé par la Courbe du Temps, ces deux mots sont désormais les miens, leur réalité saisissante m'accompagne, deux mains qui se sont croisées et décroisées dans une lenteur ancienne, je ne vois qu'elles ces deux mains qui se croisent et se décroisent, là sous mes yeux, sur cette place rouge, jaune et blanche. Alors elle s'est arrêtée, et m'a dit, nous nous verrons demain, sur les bords du fleuve et sous les arbres. Elle a posé ses lèvres sur les miennes, des lèvres qui se croisaient et de décroisaient, et le rouge de sa robe a traversé la place avec la même lenteur qu'un baiser accompli. J'ai a mon tour ouvert le livre qu'elle avait déposé à mes pieds :

" La nuit s'approfondit
Dans l'eau des rizières
La voie lactée " (4)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Tökô / Fourmis sans ombre / Le Livre du haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto
(2) Kikaku / d°
(3) Kitô / d°
(4) Izen / d°

vendredi 3 juillet 2009

La Courbe du Temps (2)



Tout a basculé en quelques secondes, dans l'une des rues de la ville, vous savez celle qui s'abandonne dans le Fleuve, sous les arbres, là où parfois je vous croise en fort bonne compagnie. J'ai été littéralement renversé à cet instant par la Courbe du Temps, ces deux mots sont venus d'eux mêmes, si je puis dire, comme dans un rêve, mais là, point de rêve, mais une réalité saisissante, deux mains se croisaient et se décroisaient dans une lenteur que je n'imaginais pas possible, je ne voyais qu'elles ces deux mains qui se croisaient et se décroisaient, dessinant, dans le bleu qui giflait le ciel, un mouvement qui se reproduisait à l'infini. Je ne voyais qu'elles, ces deux mains élancées, le reste du corps m'était caché, invisible, et pourtant, je n'en doutais pas dans cet instant, il y avait un corps à l'origine de cette Courbe du Temps. Je me suis approché, et les mains toujours dansantes ont donné naissance à deux bras fins et longs qui prolongeaient un éclat rouge, une robe, pensais-je, puis ce fut l'apparition d'une chevelure blonde qui lentement également s'accordait au mouvement des mains qui m'éblouissait, puis dans son entier, le corps de la danseuse, comment la nommer autrement, cher ami, une danseuse rouge s'élevait dans la lenteur du temps entre les arbres et près du fleuve. Alors, je me suis assis sur la berge à quelques mètres de la danseuse, je n'ai cessé de la regarder, attendant qu'elle décide d'en finir avec sa danse qui me traversait, ce qu'elle fit au bout d'un temps qui me sembla suspendu, la lumière bleu était la même, la chaleur de cette fin d'après-midi d'été, les cris accordés des martinets, où se nouent et se dénouent les corps éblouis et joueurs, où les mots se livrent et nous délivrent. Elle approcha et s'assit à mes côtés. Sans un mot, elle me prit les deux mains dans ses mains de danseuse, les croisa et les décroisa, avec une lenteur dont je ne pensais pas être capable, et avec cette même lenteur solaire, m'embrassa. Sans un mot je me levais. Elle me suivit et dans un autre temps, lui racontais cette vision qui m'avait conduit à elle dans la Courbe du Temps.
Nous avons longtemps marché dans les rues de la ville qui s'endormait, passant d'un quartier l'autre, levant les yeux vers les vierges éblouis et les chapelles de pierre blanche, revenant sur nos pas, au bord du fleuve et sous les arbres, nous nous sommes assis dans le silence blanc de l'Instant.
Elle a sorti de son sac un petit livre, l'a feuilleté avec attention cherchant ce qu'elle devinait de ce Temps :

" La peau des femmes
La peau qu'elles cachent
Qu'elle est chaude " ( 1 )



à suivre

Philippe Chauché

(1) Sutejo / Fourmis sans ombre / Le Livre du Haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto

jeudi 2 juillet 2009

Regards (2)



Approchez dit-elle, mais à bonne distance, la question de la distance, doit sans cesse se poser, ici, dans ce portrait dessiné par Léonard, elle saute aux yeux, voyez-vous, comme un éclat de diamant, comme une fugue de Jean-Sébastien, où un Gloria de Wolfang Amadeus, pour bien voir, il faut bien écouter, et inversement, cette belle anonyme nous invite à cela, tout en nous disant, sourire à l'appuie, ne vous fiez pas trop à ce qui se voit de prime abord, derrière mon sourire lumineux, se cache un autre sourire intérieur qui s'accorde au Temps, cet accord là, peu le voient, peu l'entendent, peu le sentent, mon sourire révèle cet autre sourire, mon visage se penche vers vous, voyez-vous ce mouvement, ce léger déplacement dans l'espace, je vous ouvre ses sens, ils soulignent la bonne distance qu'il faut avoir pour être. Qui trop s'approche, pourrions-nous dire cher ami, mal enlace !

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 1 juillet 2009

Préludes (2)




" Devenir le spectateur de sa propre vie permet d'échapper aux souffrances de la vie. " (1)

Passé maître dans l'art de la disparition, il n'a pas vu venir la vie.

" - Monsieur est sorti ?
- Non, son masque est toujours là. " (2)

L'été, il décongelait ses désillusions.

" Leur chair : une ruine de roses. " (3)

Rétablir les Duels est un devoir national.

Confier une lettre d'amour à la poste est une boutade.

Lorsqu'il se rasait il avait l'impression de monter à l'échafaud.

Tes aphorisme ne veulent rien dire, lui avait-il écrit, c'est déjà ça avait-il répondu.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Oscar Wilde / Aphorismes / traduct. Bernard Hoepffner / Mille et Une Nuits
(2) Esnaola / Commérages / Distance
(3) Natalie Clifford Barney / Nouvelles Pensées de l'Amazone / Éditions Ivrea

Eclairs (2)




" La dernière favorite du roi Louis XV, la comtesse du Barry, née Jeanne Bécu, était une vraie professionnelle du plaisir. Son profil était si doux que, dans sa jeunesse, elle avait reçu le surnom de Lange. Bien avant qu'elle soit à Versailles, un rapport de police mentionne à son propos : " Tous nos agréables de haute volée s'empressent autour d'elle. " Au moment de la Révolution, Mme du Barry a cinquante ans. Riche, toujours belle, elle est pour le nouveau pouvoir l'incarnation même de la dégénérescence des moeurs de l'Ancien Régime, de la corruption du libertinage aristocratique, de la faiblesse des rois. On va la chercher au château de Louveciennes où elle a été exilée par ordre de Louis XVI et, en décembre 1793, elle comparaît devant le Tribunal révolutionnaire. Fouquier-Tinville demande la condamnation à mort de " l'infâme conspiratrice ". Il conclut son réquisitoire par cette péroraison : " Oui, Français, nous le jurons, les traîtres périront et la liberté seule subsistera. Elle a résisté et elle résistera à tous les efforts des despotes coalisés, de leurs esclaves, de leurs prêtres, de leurs infâmes courtisanes. De cette horde de brigands ligués contre elle, le peuple terrassera tous les ennemis. "
Traînée à l'échafaud, la proximité du supplice ne provoque chez Mme du Barry aucun sursaut d'héroïsme. Sur la charrette elle gémit, se débat, crie qu'il s'agit d'une erreur. Au lieu de se projeter dans une image plus grande qu'elle - ce que, la précédant, ont su si bien faire Charlotte Corday, Marie-Antoinette, ou Mme Roland -, elle se ratatine de terreur, fond en larmes, tombe en faiblesse. Elle n'a pas de dignité et démontre avec éclat qu'une existence adonnée à la volupté n'est pas la meilleure préparation à la mort. Mme du Barry a perfectionné d'autres talents : elle a sur jouir et faire jouir. Elle a aimé les parfums, les rubans, les bijoux, le regard des hommes, leur sexe, leurs mains. Et c'est de ce fond délicieux de frémissements, de caresses, d'orgasmes qu'au moment d'être précipitée sous le couperet de la guillotine monte en elle cette supplication : " Encore un petit moment, monsieur le Bourreau. " Parmi les derniers mots célèbres que la Révolution française a inspirés à ses victimes, et qui tous, qu'ils soient authentiques ou inventés, ont la frappe et l'altière fierté de formules de monuments aux morts, cette prière, pitoyable, détonne. La demande de Mme du Barry, vivre encore un petit moment , est bouleversante. Elle rappelle qu'à côté des principes universels, de l'utopie des abstractions politiques, il y a un critère d'évaluation de son existence, subjectif sans soute, et fanatique à sa manière, qui ne considère que le plaisir qu'on y prend. Cette part intime de délectation est peu propice aux enthousiasme collectifs. Elle n'incline pas au sacrifice, détourne des feux de la gloire, prive la mort de toute grandeur ( les témoins on noté " le cri affreux " de la condamnée à la vue du couperet ). Elle ne donne qu'une envie : continuer comme s'était. Pourquoi ? Parce que ça nous plaît. Et même si la vieillesse restreint le champ des promenades et rétrécit le champ des promenades et rétrécit l'éventail des bonheurs, il en reste assez pour ne pas prêter la main au Bourreau. " (1)

Les procureurs " révolutionnaires " et les bourreaux n'aiment pas les corps en mouvement, détestent ces petits moments qui épousent le Temps. Terreur d'un temps ? Qui oserait l'affirmer ! Reste, comme l'écrit admirablement Chantal Thomas, à faire de cette scissionniste du corps un exemple à méditer, comme d'ailleurs sur celui de Sade, autre scissionniste du corps et de la plume, c'est la même chose, qui échappa au Bourreau, mais pas aux accusations malfaisantes des humanoïdes qui se rèvent procureurs ou bourreaux. Terreur d'un temps ?

à suivre

Philippe Chauché


(1) Chantal Thomas / Comment supporter sa liberté / Rivages poche / Petite Bibliothèque