samedi 29 juin 2019

Thibault Biscarrat dans La Cause Littéraire





« Sur ton bras une marque, un signe : voici le Verbe et les soixante-dix noms sacrés.
Voici le Livre de mémoire.
J’envelopperai la Terre de lumière et les rayons embraseront les rivages.
Nous susciterons le pourpre et le point étincelant. Nous susciterons l’encore et le poème.
Mystérieux infini d’où le Tout se déploie. Trois sortant d’Un, Un étant dans le Trois ».
Le Livre de mémoire s’ouvre sur une citation du Zohar : Ecoutez cieux, ce que je vais dire… Le Zohar ou le Livre de la splendeur, essentiel dans la mystique juive, ouvrage qui étudie, et interroge l’humain et le divin.
Thibault Biscarrat s’en inspire, il porte sa voix au plus haut, comme une adresse à l’homme raisonnable, qui sait la place que tiennent le Verbe et la Parole dans la poésie. Il interroge et étudie le Livre, le Verbe et ce qui s’offre à son regard, cette floraison qui parfume la vie. Page à page, l’écrivain musicien s’accorde à la joie, à une voie douce, à un parfum, à une fontaine d’eau vive, aux étoiles, aux nuages, à la lumière, au feu, à l’air et à l’eau, au sacré dans son flamboiement. Le poème se déploie comme un chant, un long chant, un canto, un cante jondo, un chant profond saisi par ce que les espagnols appellent le Duende, cette illumination, ce miracle qui ne se produit qu’une fois. Le Livre de mémoire donne le sentiment de toucher des yeux et des lèvres, une révélation, une vision, où chaque phrase sonne et résonne comme une voix qu’amplifie la nature : J’ai embrassé l’aube d’été, écrivait Rimbaud. Le Livre de mémoire est une prière, comme on l’entend de la poésie, et de la musique, une vibration, un éclair, une vive aventure romanesque.
« Voici la première et la dernière joie. Voici la fin, le commencement.
Qui dira l’immuable, l’inaltérable ? Le Verbe seul est sans origine.
Il se cache, se revêt de lui-même : tout est vie, présence, tout entier à jamais.
Des figures vivantes s’élancent vers les sept lumières éclatantes.
Un mot ouvre les yeux
qui étaient fermés ».
Thibault Biscarrat poursuit avec Le Livre de mémoire ce qu’il laissait entrevoir dans Dolmancé, son premier livre : écrire ce long chant, cette immense phrase prométhéenne, règne de la matière, des métamorphoses, mais la perspective a changé. L’écrivain reste imprégné de l’effraction romanesque et poétique unique de Lautréamont, aujourd’hui il laisse celle d’Hölderlin éclairer son livre : Le vent du nord-est se lève, / De tous les vents mon préféré / Parce qu’il promet aux marins / Haleine ardente et traversée heureuse. / Pars donc et porte mon salut ; A la belle Garonne…, le féconder, et embraser son écriture. Thibaut Biscarrat nous offre un réjouissant petit livre, à la parole révélée, autrement dit qui s’accorde à la terre, aux sources d’eau vive, aux corps, à la lumière, à l’Esprit vif. Un livre qui rend visible l’invisible et le sacré. Le Livre de mémoire est un bain de jouvence.
Philippe Chauché

samedi 15 juin 2019

Le Roman du Tour de France dans La Cause Littéraire



Christian Laborde, l’écrivain gascon, est un passionné de vélo. On lui doit notamment un Dictionnaire Amoureux du Tour de France (Plon), et plus récemment Robic 47 (Ed. du Rocher). Il a reçu en 2015 la médaille du Tour de France pour l’ensemble de ses livres consacrés aux Géants de la route, des mains de Bernard Hinault, le quintuple vainqueur de la Grande Boucle.
Il s’agit d’un Tour de France aux mille entrées, où l’on croise Louis Aragon – le goût violent de vaincre la nature et son propre corps, l’exaltation de tous pour les meilleurs. René Fallet – Prince du comptoir, des syllabes et du braquet… Laurent Fignon – Il rayonne dans l’exploit, l’attaque, l’assaut, n’assiégeant que les plus hautes citadelles… Mais aussi Antoine Blondin – Le général de Gaulle est le président des Français onze mois sur douze. En juillet, c’est Goddet. Ou encore Lance Armstrong – L’on reproche souvent à Lance Armstrong d’être hautain. Il l’est. Hautain : doué pour les hauteurs. Et enfin – mais une fin toute provisoire – Nico Mattan – Le 13 juillet 2000, le Belge Nico Mattan fait son miel du col de Notre-Dame des Abeilles avant de laisser Marco Pantani-Korsakov interpréter Le vol du bourdon dans le Ventoux.
Ce Tour de France est une escapade, une escapada, une échappée, d’où se détachent quelques figures héroïques de cette aventure unique : Géminiani, Fignon – Il a tellement de classe, tellement « la troisième jambe » qu’il remporte le Tour de France lors de sa première participation. Armstrong – Je ne roule pas pour le plaisir, je roule pour la douleur. Froome – Le 20 juillet 2017, dans la montée du col de l’Izoard au sommet duquel se juge l’arrivée de la 18e étape, Christopher Froome répond aux accélérations et aux attaques de ses rivaux par une pédalée frénétique, un ainsi-Froome-Froome-les petites-manivelles qui les écœure tous.
C’est en somme des hommes et des Dieux, c’est piquant, réjouissant, souvent drôle, touchant, savant et savoureux.
 
entre Pau et Avignon, les Pyrénées et le Ventoux, mai 2019 rencontre avec Christian Laborde

Philippe Chauché : Christian Laborde, d’où vient cette mémoire vive du Tour de France, de ses héros et de ses anonymes, des corps stylés, des cols et des échappées, qui sonnent chez vous, comme des Odyssées ? Comment est née cette passion ?
 
Christian Laborde : Elle vient de mon enfance, de la cuisine de mon enfance : la toile cirée, les verres Duralex, la bouteille de rouge, et mon père qui me raconte les exploits des héros du Tour, Vietto, Gaul, Lazaridès… Mon père était un fabuleux conteur. Et les héros dont il me parlait durant l’hiver, je les voyais passer devant moi, en juillet, dans les lacets du Tourmalet. Ça a commencé là, ça a commencé comme ça.
 
Ph. Chauché : Quand on évoque le Tour de France, on pense immédiatement aux Pyrénées, comme si cette chaîne de montagnes était née pour le vélo ?
 
Ch. Laborde : Elle est née pour le vélo, bien sûr, vous avez raison. Les livres d’histoire disent que Dieu a créé les Pyrénées pour séparer les Français des Espagnols. Billevesées que tout cela ! Il s’en fout, Dieu, des frontières et des états. Il a créé les Pyrénées pour distinguer les grimpeurs des non-grimpeurs. Car « Dieu s’intéresse aux courses cyclistes », comme l’écrit Marcel Aymé.
 
Ph. Chauché : Le Tour de France est un rendez-vous unique pour les sportifs, les professionnels, les journalistes – le Tour avant les images, ce sont des voix à la radio, ce que vous faites durant le tour sur les ondes de RTL –, les amateurs, les curieux, des milliers de français sur les bords des routes ou devant leur poste de télévision. Un rendez-vous avec parfois la fantaisie, souvent la douleur et la joie. Un rendez-vous également avec le verbe, peu de sports – avec le tennis, la boxe, et parfois le rugby – n’offrent autant d’échappées belles aux écrivains. Le Tour fait parler et fait bien écrire. Vous en connaissez les raisons ?
 
 
Fausto Coppi
 
 
Ch. Laborde : Le Tour est source d’inspiration pour les écrivains, et la raison, la voici. Que fait le Géant de la route ? Il tente une échappée, une « fuga » comme on dit chez Fausto Coppi. Bref, le Tour de France, ou d’Espagne, ou d’Italie, c’est l’art de la fugue. L’écrivain reconnaît, dans le champion, quelqu’un qui lui ressemble, quelqu’un qui, comme lui, s’enfuit. Il s’agit, par l’exploit ou par l’écriture, de sortir du peloton, de s’échapper, d’échapper à l’usine, à la ferme, à son milieu, à la société, à soi-même. C’est bel et bien cette fuite capitale, héroïque qui fascine et inspire les écrivains. Cette échappée, qui plus est, est poétique lorsqu’elle naît dans le Tourmalet, c’est-à-dire dans une nature redevenue hostile, une nature qui se défend, aidée par la pluie, l’orage, le froid. On n’est donc plus dans le sport, mais dans l’épopée, mot qui désigne à la fois l’exploit et le texte qui le raconte. Ajoutons que le Tour fait aussi le bonheur du romancier en lui offrant des personnages colorés. Ecoutons Raymond Mastrotto parlant d’une défaillance survenue dans le Tourmalet, en 1967 : « Dans le Tourmalet, je suais tellement que je graissais la chaîne ». Où parle-t-on de la sorte : à Roland Garros ? Non, chez Audiard.
 
Ph. Chauché : Le Tour est donc une affaire de mots et de langue, les surnoms que l’on donne aux coureurs, cet incroyable bestiaire : Le Bison, La Gazelle de Peyrehorade, Le Blaireau, Le Taureau de Nay, Le Sanglier, de noms de cols, des coureurs, dont en quelques phrases vous offrez un souvenir, une image, un éclat, dans une langue virevoltante : Luis Ocaña qui fait parler la poudre… les géants du Tour parfois se querellent, prennent leurs maigres gants pour des gants de boxe, le bitume pour un ring. Je me souviens que votre ami musicien gascon Bernard Lubat disait que Coltrane devait jouer avec l’accent, vous diriez la même chose des Géants du tour, ils pédalaient et pédalent avec l’accent ?
 
Eddy Merckx dans le Ventoux
 
 
Ch. Laborde : Qu’est-ce que l’accent ? Si j’en crois Michel Serres, « l’accent c’est la trace d’une autre langue dans la langue ». Cette autre langue, cette langue ancienne, les Géants du Tour la parlent quand ils pédalent. C’est une langue vivante, un désordre verbal absolu, hautement subversif, qui s’oppose aux mots d’ordre, ceux des communicants, et ceux des agents du marché qui nous somment de nous taire et de consommer, une langue qui secoue de l’intérieur la langue régnante, globale, fade et tyrannique. La langue ancienne, c’est la langue des légendes, de la démesure, les mots de l’âme enchâssée dans la « viande » (terme lubatien), la langue de Pantani, la langue de l’enfance. Que Pantani s’envole dans l’Izoard, et l’enfance tout à coup reprend ses droits.
 
Ph. Chauché : Les « entrées » de votre Tour de France sont truffées d’anecdotes – choses inédites et petits faits curieux dans son premier sens –, de courtes histoires, qui pourraient à chaque fois devenir des romans d’aventure. Si je vous dis que vous auriez pu baptiser votre livre Les romans du Tour de France, ou alors Le Tour de France de la saveur et du savoir, vous êtes d’accord ?
 
Ch. Laborde : Les romans du Tour de France : oui ! Car chaque entrée raconte, comme vous le dites, une histoire, laquelle peut faire trois lignes ou deux pages, ou prendre la forme d’un dialogue ou d’un slam. Les Romans du Tour de France, oui ! Ou bien Les Contes du Tour de France. Car je demeure profondément un conteur. Je n’oublie pas que savoir et saveur ont la même étymologie…
 
Ph. Chauché : L’aventure se poursuit en juillet prochain, nouveau Tour et nouvelles escapades sportives et littéraires, vous le suivrez ? Et bientôt un nouveau roman ?
 
Ch. Laborde : L’aventure se poursuit et, en juillet, j’ai rendez-vous avec l’enfant émerveillé que j’étais, à Aureilhan, dans la cuisine, quand mon père parlait, ou dans le Tourmalet quand Bahamontes passait, seul. Un nouveau roman bientôt ? Probablement, mais laissons les mots décider, cher Philippe. Et faisons nôtres ceux d’André Breton : « Après toi, mon beau langage ! »
 

Philippe Chauché

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