dimanche 28 octobre 2012

D'un Moraliste l'Autre



" Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même ;  il tend à de si grandes choses, qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune et la faveur : il ne voit rien dans de si faibles avantages qui soit assez bon et assez solides pour remplir son coeur, et pour mériter ses soins et ses désirs ; il a même besoin d'efforts pour ne pas trop dédaigner. Le seul bien capable de le tenter est cette sorte de gloire qui devrait naître de la vertu toute pure et toute simple ; mais les hommes ne l'accordent guère, et il s'en passe. " (1)





"  L'on ne saurait être maître de soi-même, que l'on ne se connaisse à fond. Il y a des miroirs pour le visage, mais il n'y en a point pour l'esprit. Il y faut donc suppléer par une sérieuse réflexion sur soi-même. Quand l'image extérieure s'échappera, que l'intérieure la retienne, et la corrige. Mesure tes forces et ton adresse, avant que de rien entreprendre ; connais ton activité pour t'engager ; sonde ton fonds, et sache où peut aller ta capacité pour toutes choses. (2)

Fréquentant depuis quelques décennies de mornes philistins et devant parfois  leur rendre des comptes, il a appris à flatter leurs bassesses, à éclairer leurs incapacités et leurs défaillances par quelques amusantes citations qui les laisse songeurs mais joyeux, pensant qu'il est de meilleur parti de faire sourire ces manants que de déclencher leur courroux, tout en ne manquant pas parfois de les attirer dans de subtiles pièges à pensées qui pour un temps les désarme, à condition de ne jamais en abuser, car, vous en conviendrez, rien n'est plus dangereux qu'un valet qui se voit nu, il sait de profession que rien ne dévoile mieux un serviteur servile qu'une royale remarque.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Jean de La Bruyère / Les Caractères / Édition de Roger Garapon / Classiques Garnier / 1995
(2) Baltasar Gracian / L'Homme de cour / Édition de Sylvia Roubaud / traduc. d'Amelot de La Houssaie /  folio classique / 2010

jeudi 25 octobre 2012

L'Art de la Fugue







La servitude volontaire consisterait à accepter comme livre comptant que si Sollers écrit beaucoup et un peu partout sur tout ce qui le chante et l'enchante, publie, fait publier, s'affiche avec la régularité d'un Maréchal sur les plateaux du petit écran, ne mérite pour le moins aucune attention, et au pire qu'il soit voué aux gémonies. Rarement écrivain, lecteur, éditeur n'a ainsi été visé et tiré en vol par une foule de chasseurs d'idées et de livres, qui sentent que leur petit commerce critique et éditorial, était là sur le vif, ébranlé par une vague de pensée - de savoir et de saveur dirait Barthes - qui les submerge et pour beaucoup les laisse nus et sans voix. Ils s'emploient donc à faire taire le Pape de l'Edition - c'est ainsi que certains aiment à le définir -, ou en parlent pour ne rien en dire - ce qui est la même chose -, et bien entendu ne le lisent pas, trop occupés semblent-ils et pour beaucoup par la moraline active qui coule dans leurs veines et l'insupportable que déclenche chez ces humanoïdes pressés et encombrés ce nouvel opus.


Et pourtant, il suffit de lire, - s’accorder à la fugue des corps, des notes et des phrases dirait ma chère voisine qui en sait beaucoup sur ces éclats – en oubliant tout prêt à penser et tout prêt à savoir : méthode de récolte à la main et à l’œil, vendange racée et élégante.


Lautréamont : « Dans les années à venir, le lecteur va se faire de plus en plus rare. On n’en sera plus à redresser des contresens ou à détruire des interprétations vaseuses, on sera confronté à des gens incapables de lire un langage un peu soutenu. Au fond, on en est déjà là. « Le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit », et pourtant « sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolées de ces page sombres et pleines de poison », cette figure devient de plus en plus virtuelle, pour ne pas dire improbable. Mais quelqu’un existera toujours au singulier : le lecteur. »


Destin du français : « Personne n’ose plus toucher à la Terreur. Maistre, là encore voit loin. Il n’oublie pas, lui, de situer le Diable dans cette affaire. C’est la grande question, néanmoins. Reprenons les choses de plus haut : le français est la langue où la Révolution s’est produite, il donc aussi la langue de la Terreur. Clemenceau disait : « La Révolution est un bloc. » Il a raison. On ne peut séparer la Révolution et la Terreur, elles sont indissociables. Pour autant, on aurait tort de se figer dans une position réactionnaire. Il n’y a rien à regretter. L’Eglise gallicane et la monarchie ont failli. Elles ont failli par rapport à l’Eglise catholique romaine. Erreur funeste du français de s’halluciner comme une langue nationale ! Là-dessus, les Jacobins n’ont fait qu’amplifier l’erreur gallicane.


Qu’est-ce que le français, destinalement ? C’est la capitale occidentale du trésor européen. »


Non omnis moriar : « Dans les sonates pour piano, le piano devient tout à coup autre chose que le piano, avec ses accélérations brusques, ses interruptions inouïes, pour faire entendre brusquement le silence – Gould a compris ça chez Haydn, de l’intérieur. »


Le Génie chinois : « Adieu, adieu, festivals, théâtre, cinéma, télé, polars, romans fabriqués, biennales sinistres, verbosités creuses, agitation politique, clichés, calculs, marchandisation du visible, falsification des sens, expositions déprimantes, laideur à tous les étages.


Vous voulez de la beauté et de la vérité. Vous entrez donc dans le mystère éclairant chinois qui ne se laisse ni dissoudre ni abattre. Sous la Chine, désormais en expansion folle, la Chine millénaire active. Le moine-peintre dont il est ici question est un des plus grands penseurs et artistes de tous les temps. Le barbare, en vous, fait la moue ? On pourrait être penseur et artiste en même temps ? Eh oui, et il y a là de quoi désespérer les philosophes occidentaux dans les siècles des siècles. »


Stendhal chez moi : « A la fin de l’année 1838, Stendhal, qui a retrouvé Giulia, son amour ancien et final, va se cloîtrer à Paris pour écrire à toute allure le plus beau roman du monde : La Chartreuse de Parme. Le 14 mars, il note au bord de la Garonne : « Ce matin, j’ai oublié la vie pendant deux heures. Je respirais les premières bouffées de l’air doux du printemps sur cet admirable quai… « Pas de doute, la vraie identité nationale se réfugie à Bordeaux, et Stendhal insiste sur le caractère « viveur » des corps qu’il a sous les yeux. Que ce soit une leçon pour ce morne pays actuel est donc clair. « A une époque d’hypocrisie et de tristesse ambitieuse, la « sincérité » et la « franchise » qui accompagnent le caractère « viveur » placent le Bordelais au premier rang parmi les produits intellectuels et moraux de la France. »


Métaphysique du dandysme : « Le dandy a besoin de masques, comme la vrai philosophie. Son rêve est d’être là comme s’il n’était pas là, visiblement invisible, insoupçonnable. Laissons la parole au surdandy Nietzsche, aventurier risqué de la vraie vie :


« Tout esprit profond a besoin d’un masque ; je dirai plus : un masque se forme sans cesse autour de tout esprit profond, parce que chacune de ses paroles, chacun de ses actes, chacune de ses manifestations est continuellement l’objet d’une interprétation fausse, c’est-à-dire plate. »


Voilà, note-t-il, un écrivain impossible, une langue admirable, un musicien inouïe, un penseur pêcheur chinois, un écrivain français admirable, la figure d’un dandy, mais aussi un Pape musicien, un aventurier italien, un sculpteur scandaleux, un peintre français : un roman permanent qui s’écrit devant vous, avec vous si vous le désirez ou sans vous, question musicale, et question théologique, qui resteront sans réponse.




à suivre

Philippe Chauché

L'Aimée des Dieux



à suivre

Philippe Chauché

mardi 23 octobre 2012

Lui Seul


" J'avais une autre exigence : je voulais étendre le laps de temps pendant lequel l'homme enferme la bête dans le cercle de son pouvoir ; prolonger l'hypnotisme qu'exerce le ralenti, et donner enfin une sorte de consistance à ce lien irréel que je tisse avec le taureau. J'ai donné une nouvelle dimension à l'enchaînement des passes. " (1)

" L'homme m'attendait à deux mètres de la porte de l'hôtel. Je devrais être plus précis, l'homme en noir était debout, cigarette entre les doigts de la main gauche - belles mains de pianiste - appuyé sur le mur blanc de la maison d'hôte où je me suis habillé Il m'attendait sans m'attendre, c'est ce que j'ai pensé quand je l'ai vu, une seconde nous nous sommes fixés. Il n'a pas détourné son regard, je ne détourne jamais mon regard, " tu regardes toujours étrangement ce qui va advenir " m'a-t-on dit un soir à Madrid, ciel strié de harpons, " ciel de fin du Temps " a-t-on ajouté, comme si le Temps devait finir, cette pensée m'a fait sourire, moi qui sourit toujours qu'avec précaution.

La longue voiture grise m'attendait, je m'y suis engagé, lentement, ma cape fleurie repliée sur l'avant bras gauche, cérémonial lumineux aux couleurs d'Aguascalientes. J'ai choisi, Adolfo l'a peint d'une aiguille juste et fine, point de Vierge, pas de Christ, mais les éclats entrelacés de la nature, peut-être Matisse sur le motif. Je choisi toujours le motif qui m'inspire et me délivre des griffes du démon, le démon, je le sais tremble devant les fleurs. Je ne tremble jamais devant les taureaux, question de style, question d'éthique et d'esthétique. " Lorsque je tremblerai, je partirai " avait écrit un styliste du vide et de la gravité, sa photo encadrée accompagne les instants où je laisse mon art naître, sa photo et des murs de miroir, non pour me voir toréer, mais pour saisir l'invisible de mon toreo.

Il y a eu l'attente et la rumeur, il y a eu la musique et les pas comptés à traverser l'ovale, et les éclats du Temps, il y a eu le regard retrouvé plus tard. Lorsqu'il m'a tendu son billet, " pour vous Monsieur, j'ai tout dans le corps, au plus profond des muscles et sur la peau, j'ai tout entendu et tout vu, ce Roman, que demain, dans cent ans, j'ouvrirai en souvenir de vous, je peux donc vous offrir la trace de mon passage ici ! ". J'ai conservé le billet : " Entrée B - Tribune Présidence - Porte 16 - Rang 1 - N° 17 ". Un billet pour l'Histoire, me dit-on.

" Ce n'est point assez qu'un héros,qu'un grand homme ait beaucoup d'esprit et que l'art ait achevé sur cela dans lui ce que la naissance avait commencé : il lui convient également d'être né avec du goût, et de perfectionner ce qu'il en a reçu de la nature. " (2)




à suivre

Philippe Chauché

(1) Le Calife / François Zumbeihl / Marval / 1995
(2) Le Héros / Baltasar Gracian / traduc. Joseph de Courbeville /  Distance / 1993

vendredi 19 octobre 2012

L'Européen



" C'est la paresse des gens d'esprit que j'aime. Mais les sots paresseux ressemblent à des valets dans une antichambre ; ils y deviennent menteurs, médisants, curieux et insolents. " (1)

" Il y avait deux gens d'esprit, quatre ou cinq sots, six importuns et trois importants dans ma chambre. Je ne pouvais pas m'entretenir avec  les premiers ; les seconds parlaient toujours ; les troisièmes s'obstinaient à croire que j'avais du crédit et me parlaient de leurs affaires ; les quatrièmes voulaient me faire croire qu'ils en avaient, et que je devais mettre mes affaires entre leurs mains. " (1)

L'agitation des fâcheux qui en ces temps bavent et hurlent aurait amusée Charles-Joseph de Ligne, courtisans du vulgaire, ils s'affichent ici et là, avec l'air supérieur d'une poule pondeuse, leur inconsistance mérite parfois l'épée, d'autre fois un soufflet et le plus souvent le retrait, nous n'avons que peu de temps à vivre pour le perdre avec la vermine.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Pensées et Fragments / Prince de Ligne / arléa / 2000

jeudi 18 octobre 2012

Désinvolte



Il y a note-t-il des écrivains de la nuit et d'autres du jour, c'est ainsi, ce qui ne veut pas dire que l'un ne fréquente pas un temps les domaines de l'autre et inversement. Il y a ajoute-t-il, des écrivains qui d'un coup de dé traversent le Temps, et inversent la révolution en cours, dominante pourrions-nous écrire, ils n'accordent leur confiance qu'à quelques écrivains que peu lisent, et d'évidence à ce qu'ils vivent depuis qu'ils épousent le mouvement de leur vie et ne craignent aucune terreur et ni aucune transcendance qui en découle, l'humanité bruyante et criminelle leur ait aussi étrangère que la Joconde l'est à un aveugle.

" Avec moi, le monde a vendu la mèche tout de suite. On n'a pas pris soin de me dorer la pilule. On m'a obligé à saisir deux ou trois choses, de quoi faire sauter tous les boulons de l'amarrage social. Geindre ? Après tout, cela ne m'a pas brisé. Et puis le discernement, en général, vient comme une plaie. Alors voilà : j'ai discerné. Discerné comment, à tous les niveaux, la perversité ne se fait pas voir, même quand elle s'exhibe, et plastronne en habit de parade. Discerné comment on lui fait la courte échelle, quitte à se dédouaner en douce. Discerné comment ceux qui se calquent sur les autres se laissent facilement berner ; et d'abord parce qu'ils désirent être. Enfin, combien ne compte pour eux que le toc, ne percevant que des babioles, et ne déchiffrant que des brides, pour ne pas remarquer ce qui est sous leur nez. Alors, bon, celui qui fait ce genre d'expérience, et qui commence à voir, celui-là on l'étoufferait de bon coeur entre deux traversins, n'est-ce pas ? "

Il est évident pour qui sait voir et lire que Meyronnis est de la trempe d'un Lautréamont et d'un Sade qui avaient en leur temps discernés ce qui se jouait tout autour d'eux, leurs proses, leurs poésies et leurs vies ne cessent continûment de le prouver, l'évidence, c'est que cette traversée est aussi une traversée de l'écriture, et l'écriture est l'arme la plus juste pour à la fois mettre à nue le monde et s'en défaire.

" Cette fois, j'ai une trentaine d'années : dans le crâne, pas d'autres dessein que de m'approcher de la parole, et même d'être la parole " dans une âme et un corps ". Tous les jours, s'asseoir devant du papier pour que cela advienne. "

La suite, le lecteur désinvolte l'a connaît : la revue Ligne de Risque, Ma tête en liberté, L'Axe du néant, De l'extermination considérée comme un des beaux-arts, Brève attaque du vif, Poker, Prélude à la délivrance et aujourd'hui Tout autre, mais l'autre suite, comme chez Bach, est à découvrir, il s'agit encore une fois d'y voir clair, ce qui n'est pas donné à tout un chacun ! Et y voir clair avec la traversée de la mort ! Lautréamont est là ! Sade à deux pas !






Reprenant à l'occasion de cette lecture terrible, La Beauté de Schiffter, il se dit, tout en sachant que le Philosophe sans qualités, n'apprécie guère Meyronnis, et que ce dernier ne doit rien savoir du surfeur sentimental, il se dit, que les deux font la paire, nuit et jour, jour et nuit.

à suivre

Philippe Chauché


lundi 15 octobre 2012

Magie


" Magiques ai-je fait les arts, en volant ", nous confie Lope de Vega dans un vers merveilleux. Arts magiques du vol : le chant, la danse, les courses de taureaux espagnoles, comme la part d'improvisation sur la guitare qui accompagne le chant profond, tels sont les arts magiques qui s'envolent sans laisser de trace ni de trait signalant une route pour qu'elle se répète : arts purement analphabètes. Voilà c'est tout particulièrement en Espagne qu'il y eut et qu'il y a encore le flamenco, danse gitane qui est morisque ou simplement andalouse ; le chant profond, tout aussi impossible à transcrire musicalement que l'accord arpégé de la guitare qui l'inspire ou le freine ; les courses de taureaux, où la vive improvisation du toreo, signalée par des traits de raison fort précis, transcende et dépasse à chaque instant de son être - qui est de paraître vain - la définition ou figuration rationnelle qui apparemment le fonde : sa propre évidence ou révélation lumineuse encore rehaussée, cruellement, par l'obscure présence invisible de la mort, impétueuse comme le taureau, qui la rend possible, la soutient et paradoxalement l'affirme sous le masque de sa négation. La danse et le chant andalous semblent s'unir dans la figure lumineuse et obscure du torero et du taureau ; de la raison et de la passion ; de la vérité et de la vie ; pour, en définitive, jouer le tout à pile ou face, le tout pour le tout. " (1)

Ce que l'on prend là pour de l'improvisation s'avère être une construction des plus élaborées, d'une précision d'architecte, ce qui semble n'être qu'une transposition sévère de l'art du beau est en fait le signe d'un savoir qui laisse le bruit du temps le transformer, le modeler et l'offrir dans la pureté du diamant, ne montrant que la découpe la plus délicate et cachant celle qui paraîtrait plus brute et plus sauvage, l'art du beau est dans ce qui ici nous occupe, cette  magique rencontre que ne voient que les voyants.

à suivre

Philippe Chauché

(1) La solitude sonore du toreo / José Bergamin / traduc. Florence Delay / Seuil / 1989

samedi 13 octobre 2012

L'Or et la Soie

" C'était une robe-jardinière, un sarrau à l'ancienne dont les larges bretelles font de mes épaules des ailes repliées. Le buste m'est trop étroit, moi qui ai les seins lourds. Ainsi, quand je m'y glisse les jours de grand soleil et que je me penche sur les dahlias à cueillir, deux tétons s'échappent, et je me souviens qu'ils ont été objets de désir, objets nourriciers. Bien vite je me redresse, car en aucun cas je ne veux être prise pour une ménade de jardin. " (1)

" Je suis très belle ce jour-là.
Mes jambes le sont aussi qui sont longues et lisses. Une peau dorée m'enveloppe dont le grain est aussi fin que celui d'une peau de Japonaise. Précisément, je vais farder ces jambes, non pas d'une crème ou d'un hâle artificiel, mais d'un voile de nylon imprimé de plumes multicolores, falbalas imaginés par un styliste japonais. D'ordinaire, l'austérité de ses kimonos éteints et ses plissés serrés nous rendent graves, hiératiques. Cette fois-ci, il s'est joué de la chaussette en coton blanc des geishas la transformant en une chaussette de petite fille de Paris haute jusqu'au genou. " (1)

" Chez moi, rien n'est blanc ou noir. Chez moi règnent les couleurs rose, jaune, vert. Je mélange tout de façon gaie et neuve. Aucune maîtrise des tons et des styles, mais j'émerge de cette discorde avec hardiesse et assurance. Ce sombre fourreau me devient une étrange aventure. Je veux tant l'habiter que ce désir déjà me pose, me rend femme. Je prends un bain, je ponce mes coudes et mes pieds, je noue mes cheveux en torsade longue, j'ombre mes yeux et mes joues, je rougis mes lèvres et mes ongles. Un body noir et des bas à couture m'y préparent. Du parfum se renverse entre mes seins, derrière les genoux, dans mes mains. Ce soir, je serai une inconnue pour mon amour, tout à fait digne de la robe de moire. " (1)

" Il arriva, tard dans ma vie, qu'un simple métrage de crêpe me fit le plus joli buste qui soit. Ce fut une jupe à taille haute et qui m'enserrait jusqu'à la quatrième côte de sa douceur, soulignant de noir le globe blanc de mes seins encore beaux. Les plis froncés sur les hanches formaient une houle rendant sveltes mes lombes, longues mes cuisses, infléchis mes reins. Ah ! pouvoir sortir les seins nus, ceinte seulement de cet écran de soie voilant d'autres secrètes demeures. (1)

Toute manière de paraître, pense-t-il, est une façon d'être.
L'étoffe, le rouge qu'elle dépose sur ses lèvres, le mouvement de sa marche que révèle la soie qui l'habille, l'or de son oeil et le rythme qu'elle donne à ses phrases, même alchimie, même art, même éthique, le corps se livre aussi dans l'audace de ce qui le cache.
Regarder et se laisser embarquer, sans s'en laisser compter, par l'aventure des fils qui couvrent pour dire mieux ce qui s'offre en un éclair.



Le petit livre de cette anonyme qui affiche le nom d'une étrange dame, s'est offert, note-t-il, comme s'offrent des étoffes dérobées au Temps, des taffetas en disent beaucoup sur l'art de l'être qui s'en pare, ils sont le mouvement de cette femme unique, de son corps qui  n'apparaît que de la transparence secrètes de ses étoffes, et de ses silences ainsi dissimulés, la soie parle et le corps danse, et l'observateur privilégié s'en voit éclairé.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Idelette de Bure / La Garde-Robe / arléa / 2008

mardi 9 octobre 2012

Fugitive Beauté.



" La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici !  trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! " (1)

Le jour se levait et avec lui l'étrange espace troublant et troublé de l'écrivain où il se glissait, à l'écart des invectives braillardes dominantes.

à suivre

Philippe Chauché

(1) A une passante / Tableaux parisiens / Charles  Baudelaire / Le livre de poche / 1961

lundi 8 octobre 2012

Lune d'Automne


" La lune d'automne -
j'ai erré toute la nuit
autour de l'étang "

Bachô

Il fixe le ciel d'automne, la lune s'y fond et disparaît, le cercle du Temps se moque éperdument des agitation terrestres, et il sait de longues heures que lorsqu'il fixe ainsi le ciel d'automne quatre ou cinq poètes japonais lui répondent d'un trait de pinceau.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 7 octobre 2012

La Danse.

" Dans la danse, les seins sont inégaux, capricieux. Il y en a toujours un plus long, beaucoup plus long que l'autre, qui descend de son côté tandis que l'autre remonte et reste comme accroché tout en haut, craignant de tomber. De la sorte, dans la danse, au coeur même de la danse de la femme, comme sur une scène en miniature, les seins dansent seuls une danse plus déchaînée, plus effrénée, une danse qui est comme le foyer de l'autre danse, une danse centrale, effrontée, désespérée, tourmentée, pleine de chocs douloureux et voluptueux ; la danse au cours de laquelle les seins des danseuses se pétrissent, se flétrissement et s'usent, et dont ils sortent chaque nuit plus moulus, macérés ; la danse qui les consume et les ramollit.
Sous la cadence, ils sont ce qui rompt le rythme, ce qui met une note de révolte, de désordre, de dérèglement. " (1)

Henri Matisse
Les hommes ont perdu la vue, alors que s'il voyaient ce leur dit la danse des seins, ils deviendraient légers et se tairaient.
à suivre
Philippe Chauché

(1) Seins / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Benito Pellegrin / Babel

mercredi 3 octobre 2012

Cinéma




Quand nous avions dix sept ans, nous allions au cinéma pour embrasser notre voisine, qui trouvait cela agréable - Télérama n'existait pas -, puis nous y sommes allé pour découvrir des westerns, des films d'horreur de la Hamer et des films de guerre comme nous le disions - nous ne lisions pas Télérama -, ensuite nous y sommes allé pour nous ennuyer faute de voisine à embrasser  – nous ne lisions pas Télérama –, aujourd’hui nous y allons parfois pour nous amuser – nous ne lisons pas Télérama – et embrasser notre voisine qui à l’air d’aimer les plages de la Côte Basque !

à suivre

Philippe Chauché