jeudi 28 février 2008

L'Empire des Signes

" Le haïku fait envie : combien de lecteurs occidentaux n'ont pas rêvé de se promener dans la vie, un carnet à la main, notant ici et là des "impressions", dont la brièveté garantirait la perfection, dont la simplicité attesterait la profondeur ( en vertu d'un double mythe, l'un classique, qui fait de la concision une preuve d'art, l'autre romantique, qui attribue une prime de vérité à l'improvisation ). Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire, et c'est par cette double condition qu'il semble offert au sens, d'une façon particulièrement disponible, serviable, à l'instar d'un hôte poli qui vous permet de vous installer largement chez lui, avec vos manies, vos valeurs, vos symboles ; l'"absence" du haïku ( comme on dit aussi bien d'un esprit irréel que d'un propriétaire parti en voyage ) appelle la subornisation, l'effraction, en un mot, la convoitise majeure, celle du sens. Ce sens précieux, vital, désirable comme la fortune ( hasard et argent ), le haïku, débarrassé des contraintes métriques ( dans les traductions que nous en avons ), semble nous fournir à profusion, à bon marché et sur commande ; dans le haïku, dirait-on, le symbole, la métaphore, la leçon ne coûtent presque rien : à peine quelques mots, une image, un sentiment - là où notre littérature demande ordinairement un poème, un développement ou ( dans le genre bref ) une pensée ciselée, bref un long travail de rhétorique. Aussi le haïku semble donner à l'Occident des droits que sa littérature lui refuse, et des commodités qu'elle lui marchande. Vous avez le droit dit le haïku, d'être futile, court, ordinaire... " (1)

Vérifions :
" Remets au saule
tout le dégoût
tout le désir de ton coeur "
Bashô

" En arrêt devant
les boutons d'une fleur de concombre
dans l'herbe "
Shiki

" L'alouette en chantant
façonne
les nuages "
Serien

" Comme si rien n'avait eu lieu
la corneille
et le saule "
Issa (2)

C'est la fin des années 60 - années d'envolées, de dérives et d'actives pensées, de théories appliquées, et de vies révolutionnairement vécues - Roland Barthes se laisse traverser par le Japon, il écrit cet " Empire des Signes ", la ville comme idéogramme, et pose cette question essentielle " Où commence l'écriture ? Où commence la peinture ? ". Encre sur papier de Yokoi Yayû (1702-A783) - La cueillette des champignons. " Quand ils cherchent des champignons, les Japonais prennent avec une eux une tigre de fougère ou, comme sur cette peinture, un brin de paille sur lequel ils enfilent des champignons. Peinture haïga, toujours liée au haïku, poème bref en trois vers :
" Il se fait cupide
aussi, le regard baissé
sur les champignons "
l'écrivain écoute - qui douterait qu'il ne le fût pas ? - marche, mange, écrit et dessine. Sa vie se fait haïku dans la nette simplicité du mouvement.

C'est aujourd'hui, j'observe le soir qui s'annonce, pas un souffle de vent, mon cadran solaire est éteint, il me faut deviner "mes heures d'aimer" sur le mur de pierre, Schumann sous les doigts d'Horowitz, qui fait danser ses doigts. Tout est calme, tout est musique, tout est net.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Roland Barthes / L'Empire des Signes / Champs Flammarion
(2) Haïkus / Anthologie / Trad Roger Munier / Points Seuil

mercredi 27 février 2008

Le Temps Aimé (2)

" J'allai(s) aux cerisiers en fleur
je dormis sous eux
tel fut mon loisir "
Buson

J'ai vu l'autre soir des cerisiers en fleurs s'épanouir dans les yeux d'une femme libre.
J'ai vu l'autre soir des pruniers éclatants vibrer dans les mains d'une inconnue.
J'ai vu l'autre soir des violettes se dessiner dans la démarche d'une musicienne.

Comment douter un seul instant que le Temps nous appartient, que sa palpitation n'est autre que la notre, comment douter une seule seconde que ses malices sont des baisers.

Que mille soleil traversent le fleuve et te réchauffent.

à suivre

Philippe Chauché

Ecrire dans la Tourmente

" ... ce qui se passe dans le domaine de l'écriture n'est-il pas dénué de valeur si cela reste "esthétique", anodin, dépourvu de sanction, s'il n'y a rien, dans le fait d'écrire une oeuvre, qui soit un équivalent ( et ici intervient l'une des images les plus chères à l'auteur ) de ce qu'est pour le torero la corne acérée du taureau, qui seule - en raison de la menace matérielle qu'elle recèle - confère une réalité humaine à son art, l'empêche d'être autre chose que grâces vaines de ballerines ? " (1)
" Né d'une attente future, je bondissais lumineux, total, et chaque instant répétait la cérémonie de ma naissance. " (2)
" Quand une femme, à la voix de soprano, émet ses notes vibrantes et mélodieuses, à l'audition de cette harmonie humaine, mes yeux se remplissent d'une flamme latente et lancent des étincelles douloureuses, tandis que dans mes oreilles semble retentir le tocsin de la canonnade. " (3)

Ecrire dans la tourmente de la naissance, faire de chaque geste sa pérénité, je nais à chaque seconde et mes mots s'avancent dans la lumière crue du printemps attendu. Ecrire sous la protection d'un regard chinois.
Ecrire en apesanteur sous les feux du temps.
S'il faut nuire à quelqu'un que ça soit au diable et à ses admirateurs.
J'avance ma main, crayon d'éclair, je ne crains pas la charge, la corne, la déchirure, la fracture, je suis au centre de la feuille blanche sous les rafales des reproches, je continue, je me croise à cet instant, et c'est alors que ce produit le miracle absolu, ce qui vient de s'écrire, se vit.

Que mille haïkus t'accompagnent.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Michel Leiris / L'âge d'homme / Gallimard
(2) Jean-Paul Sartre / Les Mots / au coeur de La Cérémonie de la naissance / Benny Lévy / Verdier
(3) Lautréamont / Les Chants de Maldoror / Garnier Flammarion

mardi 26 février 2008

Ecrire

" Ecrire = tenter, désirer écrire. " (1)
" Maintenant... que tout arrive - je suis prêt. Que l'eau se perde dans le sable. (...) Je suis le dernier romancier. " (1)
" Et la voici : elle s'approche, je la regarde en souriant. J'avais les oiseaux encore dans ma tête, une belle nuit de phrases, plusieurs pages dans mes poches, pleines de ratures fraîches. Il y avait dans l'air une douceur presque déchirante, cet air léger qui vous enveloppe. Et là-dessus, enroulé dans un feuillage de boucles brunes, le visage très blanc d'Anna Livia, ses lèvres rouges, cette élégance pâle et brusque, la même que sur le pont des Arts. " (2)

J'écris, je vole, je cours, je me glisse entre les pavés, j'escalade les façades des immeubles et pose ma joue sur les murs de pierre.
J'embrasse " les heures d'aimer ", et reste des heures à contempler le reflet de ses yeux océan dans les flaques bleues qui courronnent la rue.
Je reste des mois sans rien faire d'autre que de me laisser convertir à la poésie secrète de sa peau.
Les romans éclairent le temps qui à l'air d'apprécier.

à suivre

Philippe Chauché





(1) Frédéric Berthet / Journal de Trêve / Gallimard / L'Infini
(2) Yannick Haenel / Cercle / Gallimard / L'Infini

dimanche 24 février 2008

Poésies (1)

" La nuit, caresse les seins de la jolie et baise tout le jour les lèvres de la belle !
Dédaigne ceux qui blâment ton amour : à leur seul avantage ils te conseillent. Garde plutôt mes paroles de vérité : de vie il n'y a que celle en compagnie des Filles de la Beauté. En catimini elles ont rampé hors de l'Eden pour torturer les vivants, et il n'y a pas d'homme en vie qui ne soit plein de désir.
Noie ton coeur dans les plaisirs, fais la noce, bois à l'outre sur les berges de la rivière, au son des lyres, des colombes et des martinets. Danse et réjouis-toi, bats des mains, sois ivre et frappe à la porte de la jolie !
Telles sont les délices de ce monde : comme du bélier de l'investiture prends ta part. Assigne-toi la portion qui était le dû de tes chefs. Sans cesse bois à petits coups ces lèvres humides jusqu'à ce que tu tiennes enfin ta part légitime - la gorge et la cuisse ! "
Moïse Ibn Ezra (1)

La nuit t'appartient, elle descend dans tes veines - laisse le temps se couvrir d'ombre - laisse la s'installer, ne craint ni ses doutes, ni ses cris. Embrasse toutes ces Filles de la Beauté, elles viennent de délivrer le monde. La musique des martinets est devenue la tienne, enlasse les oiseaux de passage et glisse dans leurs plumes des fleurs de soie.

"Les yeux fermés
J'embrasse le héron cendré
Eclats de plumes sur l'eau."

(1) Poésie hébraïque du IV° au XVIII° siécle / Gallimard / L'Infini

à suivre

Philippe Chauché

samedi 23 février 2008

Un Ecrivain

Le 25 décembre 2003, disparaîssait (?) Frédéric Berthet, il aura écrit des nouvelles et peu de romans, peu c'est à dire des romans qui sont venus en leur temps, donc essentiels, et puis ce Journal de Trève (1), publié il y a quelques temps sous l'oeil attentif de Norbert Cassegrain : " Lorsque la décision fut prise de réunir l'ensemble de l'oeuvre inédite, rien ne laisser présager la découverte du Journal de Trêve. La seule confidence, renouvellée au cours des dernières années, tenait à l'existence d'un programme, à l'espoir de le mener, quoi qu'il advienne, à son terme. Le premier mot en résume à lui seul la constante révélation et l'ampleur." Lisons :
" Tel qu'en lui-même l'éternité le chante.
Au royaume des apparences
les phénomènes font loi. "

Il est des livres qui ne devraient pas nous parvenir sans l'obstination de quelques âmes éclairées, sans un coup d'aile d'ange. C'est ce qui est heureusement arrivé avec Journal de Trêve.
L'écrivain ne compte pourtant sur personne d'autre que sur lui même. Il écrit, puis si cela se présente, il est publié, mais l'acte premier, le "programme" c'est d'écrire, le reste ne lui appartient pas toujours.

Journal de Trêve en est la preuve vive.
Lisons :
" Constance s'était endormie comme à son habitude, c'est-à-dire sans qu'elle s'en aperçût : elle donnait toujours l'impression d'avoir été surprise par le sommeil en plein vol, comme ces Dianes chasseresses qui gardent un pied levé, et même immobile et profondément endormie elle restait d'une grande légèreté. Un matelas de plumes, un édredon de plumes, une fille comme une plume : et toi-même, que fais-tu là, plus flottant qu'une plume et pourtant plus lourd que du plomb. Quelque chose te pèse, est-tu tiré par le bas ou écrasé par le haut ? Es-tu vraiment déjà en Enfer ? Qui entendrait ton hurlement supplémentaire ? "

J'écris en dormant, j'écris éveillé, les yeux clos ou vrillé par les rayons du soleil. J'écris en regardant dormir le temps.

" Marcher - jusqu'au lieu - où l'eau prend sa source
S'asseoir - attendre le moment - où naissent les nuages. " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Journal de Trêve / Frédéric Berthet / Gallimard / L'Infini
(2) Wang Wei / Mon refuge au pied du Mont Chung-nan / cité par Gérard Guest dans " Au point immobile où tournoie de monde " L'Infini N° 95 été 2006 / Gallimard

Eloges du Bonheur (7)

" Paris, la Provence, Florence, Jérusalem, Athènes, ces noms-là prouvent une chose : c'est que le génie ne saurait vivre sans un air sec et un ciel pur, c'est-à-dire sans échanges rapides, sans la possibilité de se ravitailler continuellement en énergie par énormes quantités. " (1)
" Adieu, tristesses hésitantes de mon printemps ! Adieu, neiges d'un juin perfide. Je suis devenu tout été, je suis midi en plein été - l'été sur la cime des cimes avec ses ruisseaux froids et sa paix bienheureuse : oh ! venez ici, mes amis, pour que le calme soit encore plus radieux. " (2)
Nous y sommes, nous ne vivons pas n'importe où, regardons ce qui nous occupe ici, tout près dans cet espace qui est le notre.
Le temps, est là, et nous le transformons par notre seul regard. Notre regard et nos pensées dans le " midi " en plein été.
Nous écrivons dans l'été de nos pensées, nos histoires aiment cette chaleur d'un été permanenent, nous sommes cet été là, en plein soleil nous écrivons beaucoup mieux, que sous la pluie, légers vêtus notre plume est plus légère, plus vive, plus musicale, plus amoureuse.

Ecrivons, écrivons, et que mille mots s'élèvent dans le ciel de Provence et retombent en pluie de fleurs sur ton visage.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Friedrich Nietzsche / Ecce Homo / 10/18
(2) d° / Ainsi parlait Zarathoustra / 10/18

vendredi 22 février 2008

La Solitude Joyeuse

" Ma solitude m'avait mené là, dans un décalage propice, et j'étais comblé. Une telle endurande ne rayonne pas seulement de calme. Le malaise accompagnait chaque nouvelle vision. Je me disais : là où te mène la solitude, la joie s'égale à la détresse. " (1)
Tout un art la solitude ! Toute une joie la solitude !
Ce n'est pas tant de savoir l'amaouder, c'est de savoir s'y installer dans ses résonances, de savoir être en elle, délicieusement. Etre seul et habité "d'amitiés sélectives", être seul et multiple, être dans son corps démultiplié, être accordé à son temps et aux temps de quelques soyeuses vibrations. Nous sommes bien loin, et c'est heureux, de la solitude souffrante, de la solitude tremblante, mortifère, cancérigène, bref de toute cette prose lugubre qui domine.
Ma solitude me mène "dans un décalage propice " à mille aventures.
J'écris cette solitude nécessaire, joyeuse, lumineuse, et j'éprouve le monde.

Que mille oiseaux se posent sur ta joue.

à suivre

Philippe Chauché

(1)Cercle / Yannick Haenel / Gallimard / L'infini

L'Homme du Siècle

" Pendant toute la Comédie, tout le voyage de la Comédie, se pose la question du corps de Dante. En effet, il est le seul vivant à se promener au milieu de fantômes, d’ombres, d’esprits, qui n’arrêtent pas de s’étonner de voir parmi eux un corps qui fait de l’ombre, un corps en chair et en os, un corps vivant alors qu’eux sont morts. Dante insiste beaucoup là-dessus. Il est le seul corps vivant de tous ces corps. Les métamorphoses des corps en Enfer, en Enfer c’est-à-dire aussi bien sur Terre, on voit qu’elles affectent l’identité par dédoublement et annulation. Et l’animal et l’Homme se transforment et sans cesse l’un dans l’autre, comme s’il y avait une sorte de dévoration permanente et réciproque et une stupéfaction devant cette dévoration à partir d’une morsure, la morsure de la faim qui mène à l’anthropophagie. La morsure de la faim sexuelle qui tient les corps dans une passion de plus en plus sombre. La faim de l’argent, la cupidité qui est sans cesse dénoncée de part en part. Alors que dans le Paradis, ce qui représente le mouvement, c’est la soif, la soif innée, dit Dante, la soif perpétuelle, la soif du désir de plus en plus exacerbé, de plus en plus rapide et brûlant. "
Il s'agit d'un extrait d'éclairs de pensée radiophonique tenus par Philippe Sollers sur France Culture et à lire dans leur intégralité lumineuse sur le site "pileface" mis en avant ici même. La suite est à lire là-bàs.

Que mille mots étranglent les nihilistes souffrants.

à suivre donc.

Philippe Chauché

jeudi 21 février 2008

L'Amateur Aventurier

" Nous fûmes ces gais terroristes, sentimentaux à peine plus qu'il était de saison, de garnements qui promettent. " (1)
" Je suis né gentilhomme. Selon moi, j'ai profité du hasard de mon berceau, j'ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l'aristocratie dans la dernière heure est sonnée. " (2)
" A l'instant même où il prit la décision d'écrire, c'est-à-dire de vivre, il lui plut de penser qu'il pourrait se retrouver avec une femme qui ne lirait pas ce qu'il écrivait. Ou qui le lirait, comment dire, en amatrice. Sans repère de ce qui s'était écrit depuis des siècles. Comme s'il devait être pour elle le premier écrivain. " (3)
" Alors pourquoi je flotte au lieu d'aller cuire avec les autres ? Est-ce que c'est mon aventure ? Est-ce que ce sont les phrases, le train de 8 h 07, ou ce nouveau corps qui va vers Notre-Dame ? Tu éviteras les épines, tu n'iras ni aux faiblesses ni aux sables mouvants - tu flotteras. Fais confiance au vent et au fleuve. Tu es plein d'interstices, de failles, de fentes où le vent te souffle des aubaines." (4)

Pour marcher il faut faire confiance au vent, pour nager aux sirènes, pour écrire à la fusion du plaisir, pour aimer aux acrobates, et pour voler aux musiciennes.

Je vis dans le temps merveilleux.
Où chaque heure est profonde.
Les rencontres silencieuse.
Les instants bénis.
Et chaque geste musical.
Nous devons simplement nous employer à ne jamais mourir.



Que mille romans illuminent ton sommeil.

à suivre

Philippe Chauché

(1) André Breton / Les Pas Perdus / Gallimard / L'Imaginaire
(2) Chateaubriand cité par Chantal Thomas dans Comment supporter sa liberté / Rivage poche
(3) Frédéric Berthet / Journal de Trêve / Gallimard / L'Infini
(4) Yannick Haenel / Cercle / Gallimard / L'Infini

mercredi 20 février 2008

Le Temps Aimé

De nouveau dans le mouvement du temps : rien n'est simple, mais doit le paraître, rien n'est évident, et pourtant ! Pourtant, pour s'y inscrire, pour l'embrasser, "j'embrasse le mouvement du temps, et je deviens ce mouvement", il faut être à la fois visible et invisible, vivre dans la vitesse et l'immobilité.

Aimer le Temps, c'est gifler la mort rodant, et ne jamais douter des déesses que l'on croise, c'est ainsi que l'on se transforme en frégate blanche, un oeil sur la côte fleurie d'oiseaux curieux, l'autre sur le large, Océan, oh, vieil Océan, on se coule dans tes pages chaque jour renouvellées.

" Les esclaves du Temps sont les esclaves d'un esclave." Judah Halévy - Poésie hébraïque - du IV ° siècle au XVIII° siècle - Gallimard - L'infini.

Que mille fleurs apaisent tes doutes.

à suivre

Philippe Chauché

mardi 19 février 2008

Les Jeux du Temps

Interrogations : " A quoi joues tu ? C'est ce que l'on me demande souvent. Que répondre ? Rien, est la première des réponses, la plus simple, la plus juste. Mais elle ne suffit pas, car on risque de passer pour un goujat. Allons donc voir ce qu'en disent les dictionnaires :
- Le Petit Robert rappelle qu'il vient de "goujas" (au pluriel ) mot languedocien prononçez gouillat et accentuez le T - ce qui veut dire simplement "garçon", c'est aussi une descendence du mot hébreu "goja", servante chrétienne. Sa première définition donne d'autres pistes : "valet d'armée", et plus loin, le goujat est dit-on "un homme sans usage", c'est donc ce que j'entendais au début de ce texte, rustre, "manquant de savoir-vire et d'honnêteté", et "dont les indélicatesses sont offensantes".
Plus loin dans le Grand Robert : on retrouve le "gojat" de l'ancien provençal, ce n'est plus un "garçon" mais un "gars", le dictionnaire évoque également "l'apprenti maçon", mais aussi et plus loin : "homme sale et grossier" selon Littré, ce qui donne "rustre".

A quoi joues tu, donc ?
Surtout à n'offenser personne. Je joue, car je ne cesse de penser que la vie est un théâtre, et le savoir me permet de "me jouer du temps", de jouer avec le temps. Je suis en "représentation", dans une absolue honnêtetée, ce qui veut finalement dire, que ma représentation se nourrit de celles et de ceux qui ont la douce amabilité, un temps de m'accompagner, de partager leurs savoirs et leurs grâces.

Et il en va de même de l'amour ?
Qui pourrait en douter ! L'amour est un jeu, une dérive où le corps s'ourle de sensations, d'éclats, de vagues, un jeu du temps, car c'est là, notamment, que s'affirme la présence du temps, mais attention, à ne pas confondre avec ce que l'on veut nous faire croire du temps, passage terrible qui nous conduit au tombeau affirment les éplorés du 19° siècle et de celui-ci, non cette présence du temps est un accord permanent, une amitié élective, une façon d'être le monde, je suis le monde dit-il, et personne ne le croit.

Et il en va de même dans l'écriture ?
Serait-elle autre chose, qu'elle se perdrait dans les méandres de la tristesse, de la nostalgie, de la rancoeur, de la honte, ou de la petite pornographie quotidienne qui nourrit le monde.


Mes jeux du temps demandent à celles et à ceux qui veulent s'y aventurer, quelques connaissances stratégiques, une ouverture totale au temps, une concentration rare, une oreille musicale, la passion des textes sacrés, et l'envie de se dévêtir des haillons de leurs pensées. "

Que mille pensées de bonheur t'accompagnent dans la nuit.

à suivre

Philippe Chauché

Devoir de Mémoire ?

Ma mémoire vive, ma mémoire active, mémoire du corps et de la pensée, ignore la "cérémonie des adieux", elle se nourrit de l'histoire, d'écrits vivants, d'où qu'ils viennent, il en va finalement de même des "hommes", ils vivent en permanence dans mes pensées, mais en silence.

Devoir de mémoire ? Traversée de l'histoire de la "poésie hébraïque", c'est à chaque fois une effervescence, un parfum qui m'envahie et m'élève.
Il y a quelques années un écrivain éditeur publiait "Poésie hébraïque du IV° au XVIII° siècle" adapté de l'anglais en prose française et présenté par Frans De Haes d'après l'édition originale de T. Carmi. (1)
Lisons donc : Joseph Hacohen (1496-1578) né à Avignon, il exerce la mèdecine en Italie. Il est l'auteur d'importants ouvrages historiographiques parmi lesquels l'Emecq Ha-Bakba ("La Vallée des Pleurs") qui relate les souffrances des Juifs depuis la destruction du second temple. Dans le poème mono-rimé que nous adoptons ici, il énumère les trente-trois critères de beauté féminine.
"Mon esprit, réveille-toi et dans un chant rythmé par les cymbales je te parlerai de la splendeur et de la beauté des femmes.
Choisis une chevelure qui est longue et tu ne te couvriras point de honte. De même, dans les mains et dans les jambes, préfère la longueur. Pour la parer de grâce ces trois-ci seront menus : les oreilles, les seins et les dents. Sont front sera large et ainsi sa poitrine. Amples de même seront ses reins. Toi qui regardes, choisis la femme dont la chose est étroite, qui a les cuisses et les hanches étroites. Mais elle aura la mèche épaisse, épais seront ses bras et ses femmes. Ces trois-ci seront fins : les cheveux de sa tête, ses doigts et ses lèvres. Choisis un cou qui soit rond, que ronds soient de même l'arrière-train et l'avant-bras : à pareille beauté tes parties trasailliront. Sa bouche sera petite, discrète (2), sans faille ; mesure qui s'applique pareillement à son nez et à ses pieds. Ses dents seront blanches et ainsi seront ces deux-ci : ses mains et sa gorge. Choisis celle gratifiée de rougeur sur les joues, sur les lèvres et sur les ongles. Noirs seront ses sourcils, rehaussant son élégance. Noirs aussi les yeux et la chevelure. Une femme qui répond à ces critères - même l'or de Parvaïm ne pourra mesurer sa valeur.
Bien sûr, celle qui se complaît dans la Loi du Seigneur et dans toute pensée s'élève vers Lui dans une prière - elle seule mérite le nom de femme. Va, recherche sa compagnie et ne tends pas les mains vers l'adultère. Nomme le charme une illusion, la beauté des femmes une chimère et rends tout honneur à la crainte de Dieu. Mon fils, reçois ce précepte de Joseph, prêtre aussi de Dieu au Ciel." (3)
(1)L'infini Gallimard Février 1992
(2)Littéralement : "sans satan", par allusion à un dicton qui veut que l'on ne doivent pas attirer l'infortune en prononçant des mots sinistres.
(3)Jeu sur le nom de l'auteur, Joseph Hacohen, "Joseph-le-Prêtre"

Voilà de quoi passer une bonne journée.

Que mille fleurs sauvages soutiennent ton regard de grâce.

à suivre

Philippe Chauché

samedi 16 février 2008

Eclairs

" ... Arrivez comme le vent et partez comme l'éclair."
Chang Yu
" Dans les temps anciens les guerriers habiles commençaient par se rendre invincibles, puis ils attendaient que l'ennemi fût vulnérable.
Notre invincibilité dépend de nous, la vulnérabilité de l'ennemi,de lui."
Sun Tzu
Il s'agit de "L'Art de la guerre". Seulement ? A vous de voir !

Un écrivain chinois des bords de Seine et de Garonne, publiait il y a quelques temps de cela un gros livre baptisé "La Guerre du Goût". Il n'est pas inutile de le lire, ou de le relire. Il n'est pas interdit d'en reprendre des fragments.
Lisons page 489:
" La seule chose dont un véritable écrivain puisse être à peu près sûr, au cours de son existence, c'est que tout le monde essaiera plus ou moins de l'empêcher d'écrire. Famille, école, armée, argent, magma politique, amis, ennemis, proches ou moins proches, critiques, pressions du marché, sous-Hollywood généralisé, bref, pas de place, ou trés peu, pour cet acte, le plus solitaire de tous : se mettre, avec des mots, à la mesure de la vérité qu'on ressent." (1)

Je peux donner des noms : Proust, Céline, Nabokov, Bataille, Miller, Sade, et rappeler quelques attaques : ennuyeux, pornographique, misogyne, fascite, etc. etc. etc. Rien de nouveau sous la Terreur.


"Et vous vous pensez en guerre ?
Cela m'arrive ?
Et de quelle guerre ?
Celle qui ne se voit pas, celle qui se dissimule, celle qui ne dit pas son nom, et cela n'a absolument rien à voir avec les guerres qui s'affichent, ici où là, au sud, au nord, dans les villes ou les montagnes.
Vous pouvez être un peu plus précis ?
Ouvrez donc les yeux ! Ou passez votre chemin."

(1) (à propos d'E Hemingway)La Guerre du Goût / Philippe Sollers / Gallimard
à suivre

vendredi 15 février 2008

Escales Musicales

Et la musique dans votre vie ?
Souvent, il convient, pour savoir vraiment où nous en sommes, de répondre à cette question.
La musique dans ma vie : à l'instant par exemple, j'écoute le pianiste Paul Bley, sorte de chinois (Toujours la Chine !) méditatif et actif, il faut l'entendre, une seule fois suffit, il faut savoir écouter comment se noue et se dénoue une mélodie, il faut se glisser entre les accords, dans le silence des résonnances. J'écris souvent en musique, avec les doigts, les oreilles accordées à mes phrases, j'écris souvent sous la protection de Bach, de Mozart, de Monk et de Coltrane, j'écris en silence et me glisse entre les échancrures de la partition. Mon corps sait les exigences de la musique, comme il n'ignore rien de celles des corps, mes mains se posent sur le clavier. Ecoute me dit-il, écoute ! Et, si tu sais écouter tu sauras vivre !
La vie sans musique : n'y pensons pas !
La mort en musique : foutaise !

Que mille notes silencieuses t'accompagnent dans la nuit.

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 13 février 2008

Retour sur la Chine

Chen Fou tout d'abord, ses "Récits d'une vie fugitive" - traduits par Jacques Reclus et réédités par Gallimard (Folio) - nous proposent quelques "petits agréments de l'existence". Lisons à propos de l'agencement des jardins, qu'il n'est pas interdit d'appliquer à soi-même : "...il importe de montrer le grand dans le petit et le petit dans le grand, comme de faire apparaître le plein dans le vide et le vide dans le plein. Il convient tour à tour de dissimuler et de découvrir, de présenter tantôt en surface tantôt en profondeur. La réussite ne dépend pas simplement d'un réseau étudié de courbes et de détours, ni d'un vaste terrain ou d'une profusion de rochers, ni encore d'une grosse consommation de main d'oeuvre."

Que mille fleurs s'épanouissent et recouvrent ton coeur de pollen.

En 1977, les éditions Champ Libre publiaient les "Poésies de l'époque des Thang" dans la traduction française (1862), unique semble t-il, du Marquis d'Hervey-Saint-Denis. Le texte de présentation avertissait : "Le public qui croit aujourd'hui qu'il est de plus en plus cultivé et informé, ressemble beaucoup au public qui croit qu'il est de mieux en mieux nourri et logé."
Ce texte en ligne sur "afpc.asso.fr", a également été réédité il y a quelques mois par les Editions Ivrea.
Voyageons : " Le soleil pénètre sous les stores, en dardant ses rayons obliques,
Et, sur les bords de la rivière, s'accomplissent en silence les rudes travaux du printemps.
Tandis que les jardins du rivage embaument l'air des parfums que mille fleurs répandent,
Sur la barque flottante, on fait bouillir du riz pour le repas du soir.

Les passereaux, qui se disputent leur nourriture, s'ébattent bruyamment dans le feuillage.
Des insectes ailés bourdonnent çà et là dans l'espace ; ils ont envahi ma maison.
Vin généreux ! qui donc vous a donné tant de puissance ?
A chaque tasse que je verse, je sens mille chagrins s'évanouir ! "
Thou-fou

Que mille fleurs résonnent dans tes pensées.

Mais aussi, dans le numéro 50 (Automne 1974) de Tel Quel "En Chine" :

LE GRAND FLEUVE SE DISJOINT ET SE REJOINT ENCORE
vent vagues étendue d'eau sous un drapeau rouge
au retour
le soleil de face
odeur de colza
l'ancienne voile jaune
jonque sous marin gris dans la tempête

que se forge ici la couleur qui n'est qu'à nous
10 000 ans passent
sur les vagues pour réunir ces continents

venant bleus sur le rhône
huang pu yang zi dans la mélange divisée du coeur

sous la même peau
nous n'y sommes pas

aux bords opposés
Lyon Paris Shanghaï

barques dans le courant

et révolution dans la tête
(Shanghaï, le 17 avril 1974.) Marcelin Pleynet

et aujourd'hui la Chine :

Que mille fleurs éclairent ton regard.

à suivre

Philippe Chauché

La Chine Toujours

Et si nous devenions chinois ?
Quelques exercices mentaux sont indispensables : il faut résider dans le vide et le neutre, s'éloigner de l'hiver qui s'annonce et qui blanchit les eaux du fleuve, comme le fait l'oie sauvage, il faut se transformer en fleur lorsque l'amour se dérobe, en fleur, en oiseau, en luth, devenir nuage et se laisser porter par les courants, enfin apprendre à agir sans agir.
D'où cela vient-il ?
De trés loin, Lie-tseu - Vrai Classique du Vide Parfait - : "Pourquoi tenez-vous le vide en si grande estime ? Le vide n'a que faire de l'estime. Si l'on veut être sans nom, rien ne vaut le silence, rien ne vaut le vide. Par le silence et le vide, on atteint ses demeures. Mais celui qui prend, celui qui donne perd ses demeures. Quand les choses de ce monde se gâtent, il y a des gens qui s'évertuent à vouloir les réparer au moyen de la vertu et des devoirs, mais bien en vain !"
Mais aussi Sun Tzu - l'Art de la Guerre - : " Proche, faites croire que vous êtes loin, et loin, que vous êtes proches ", mais aussi : " ... remporter cent victoires en cent batailles n'est pas le comble du savoir-faire " et : " La confusion apparente résulte de l'ordre, la lâcheté apparente du courage, la faiblesse apparente de la force " ( Tu Yu ). Il n'est finalement pas interdit d'appliquer " l'art de la guerre aux relations amoureuses, pas interdit seulement ! "

Se transformer en fleur - au centre de Fleurs de Ph. Sollers, dont j'ai déjà ici dit tout le bien qu'il fallait en penser - : Li Bai " Tombent les fleurs, coule l'eau, voie mystérieuse. " un peu plus tard :
" Les fleurs d'or sont ouvertes,
Les fleurs d'or sont fermées,
Les oies sauvages se sont envolées,
A quand le retour de l'homme ? " Li Yu
mais aussi :
" Le pinceau chargé de pensées printanières,
Rève d'éclore en fleurs au point du jour. " Chu Ta

Enfin, être dans le vide et le rien, être dans le neutre et l'absence, cela nous conduit directement à la voie pleine, nous permet d'affronter avec bonheur les attaques ennemies et les trahisons, être dans le rien, c'est finalement concentrer notre présence sur notre seul salut, non pour demain mais pour aujourd'hui. Etre dans le vide c'est, paradoxe, être dans le plein de l'instant.

à suivre,
et n'oubliez pas de regarder longuement le ciel et de suivre le vol des oies sauvages !

Philippe Chauché

mardi 12 février 2008

Présences, Vides et Amusements

La saint Valentin approche, il convient donc d'éviter :
- les glaneurs : ils profitent d'un instant d'inattention pour se saisir des plus beaux fruits de votre esprit, pensant que la récolte étant passée, ils peuvent avec l'adresse qui les caractérise s'en saisir, ils oublient les charmants bipèdes, que ces mots là, ne vivent que sous la perfusion miraculeuse de votre présence, vous voici absents, oups, ils s'évanouissent.
- les nécrologues : le plus souvent on les croise dans les caves humides des restaurants ou des musées, ils se nourrissent de champignons et de vieux papiers, ils apprécient notamment les éditions spéciales consacrées aux grands écrivains disparus, aux grandes causes oubliées, aux jeunes démocraties, aux vertues du sport et des bains de boue, ils notent tout, enregistrent le moindre baillement, les rythmes cardiaques, les pensées fugaces, les idées fumeuses et lumineuses, l'une ne va pas sans l'autre disait un blogueur dont vous trouverez l'adresse à droite, puis ils s'endorment et préparent leurs méfaits, ils oublient les souffreteux des cendres, que vous êtes immortels, pour s'en débarrasser, il faut seulement faire semblant de mourir, puis réssuciter, ils en perdent leur superbe et s'échappent effrayés par un tel miracle.
- les cinéphiles : ils aiment perdre leur temps dans le noir, dans le bruit assourdissant de musiques électroniques et de dialogues subtils, sans pouvoir ni fumer, ni boire, ni parler, ni s'allonger, ni courir, ni dormir, ni écrire, ni manger, ni rien faire, on les croit solitaires, perdus, c'est faux, ils se reproduisent, là dans le froid, accompagnés de leurs jeunes cinéphiles d'enfants, ils attendent que l'hôtesse leur délivre un petit billet rouge, puis ils s'effondrent dans le fauteuil qu'on leur a réservé à quelques mètres de l'écran, pour ne rien perdre des dialogues et des gros plans, pour les éloigner, il y a une méthode radicale, arriver en retard lors d'une projection et poursuivre sa conversation sur son téléphone cellulaire, s'endormir et réver tout haut, embrasser sa voisine, si voisine il y a, ouvrir son journal et touner bruyamment les pages, raconter le film à une autre voisine, si l'autre voisine ne dort pas, ou beaucoup plus radical, s'armer de petites boules de verre fin trés amusantes lorsqu'on les brise, elles produisent une belle panique, par le parfum musqué qu'elles dégagent, seul risque que les cinéphiles en question aient perdu tout odorat, ce qui n'est finalement pas si rare.
- les amoureux nostalgiques et éplorés : attention, ils se préparent à sortir pour la saint-Valentin, seule arme si vous les rencontrez, leur présenter un collier d'ail et un crucifix, ils s'enfuiront sur l'instant. Vous pouvez aussi vous amuser à mourir devant ces êtres délicats, le résultat est immédiat comme pour les nécrologues. Si d'aventure vous croisez un amoureux éploré un peu cinéphile, c'est à vous de voir, mais dans ces cas je conseille la fuite.


à suivre

Philippe Chauché

Absences, Vides et Curiosités

"On m'a longtemps reproché mes absences.
Ton corps est là, me disait-on, mais tu es ailleurs ! Où donc ?
Il m'arrivait parfois de répondre : mais ici, voyons ! Où voulez-vous que je sois ?
Ils ont fini par comprendre, que si d'évidence je participais avec une allégresse non feinte, à ces amicales réunions, à ces soirées biens sages, pouvaient-elles être autre chose, une partie de moi, ce moi de l'éloignement vaquait à d'autres occupations. Littéralement vaquer signifie "être vide", j'étais donc vidé de ce qui se passait là, près de moi, pour me vider dans d'autres escales imaginaires."

C'est ainsi que débutent les mémoires d'un vieil ami, revenu de tout, ajoute t-il, et fort bien installé dans le vide. Plus loin, il livre quelques secrets sur son vide.

" Ces absences répétées et qui me collent à la peau, comme ils disent, sont parait-il, criantes, lorsque qu'il m'arrive de m'adonner à ces pratiques sexuelles dont l'objectif n'est en aucun cas de renouveller l'espèce humaine, mon corps est bien présent et actif, mais je suis ailleurs. Mais où te caches-tu, malheureux ? Je dois avouer que j'ai eu un peu de mal à répondre à cette question que me posait une belle jeune femme, qui pensait avoir, dans mes bras trouvé un amant absolu. J'ai fini par répondre : je me cache dans le vide. La belle jeune femme, n'en est semble t-il pas revenu, car désormais elle m'ignore, ce qui est déjà une belle preuve de curiosité."

A quelques jours du 14 février, de la saint Valentin (voir précédente chronique) je me suis dis, que ces quelques réflexions méritaient d'être lues. J'ajoute seulement, que, lui c'est lui, et moi c'est moi.

à suivre

Philippe Chauché

La saint Valentin, Fête des Amoureux ?

Cette fête a lieu le 14 février, fête des amoureux, c'est-à dire ?

Celui qui vendait les cadeaux pour les femmes courtisées, cela se passait au 15° siècle, et un siècle plus tard : un jeune homme choisi comme amoureux par une jeune fille, pour la Saint-Valentin, devait lui offrir des présents, des fleurs peut-être, le peut-être est ajouté par le dictionnaire, des fleurs sûrement, note l'observateur, des fleurs, de la musique, des bijoux et des livres.

Et aujourd'hui ? Le même observateur trouve que tout ce qui s'annonce est follement drôle, cela fait longtemps qu'il ne désespère plus de l'état du monde, follement drôle, le mensonge brille sous le soleil de février, l'illusion éclate telle une fusée rouge, bleu ou verte dans le ciel de Valencia, mais comme ces fusées, la couleur se fond en quelques secondes dans le noir glacé du ciel. A peine vu, déjà disparu. C'est ainsi, le savoir c'est vivre dans la permanence des illuminations.

Conseils aux amoureuses et aux amoureux : restez couchés, écrivez, méditez, lisez la Bible par exemple, installez-vous dans une solitude vive et active, ou bien décidez que la saint Valentin c'est vous, alors à chaque seconde, vous pouvez passer à l'acte.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 11 février 2008

Constats

Vos amoureuses vous ignorent ou pour le moins s'étonnent de vos empressements, des mots et des regards fleuries que vous leur offrez, des bijoux que vous déposez au pied des arbres de leur domaine, n'en prenez point ombrage. Reprenez vous, gardez votre sérénité, misez sur le silence, l'abandon, l'alcool, l'herbe, la musique amplifiée, la boulimie, avalez des anorexigènes, doutez de votre anorgasmie, riez-en, devenez moine, amateur de football, ou jetez-vous dans le Rhône.

Vos amoureux restent de marbre devant les agréments de votre toilette, vos décolletés les endorment, vos lettres restent sans réponse, vos sourires leur donnent soif, vos déclarations les ennuient, votre art de la séduction les assomme, dites-vous que ce n'est là que mirage. Devenez chinoise, amatrice de guerres secrètes, jetez vous dans l'opium, les sites de rencontres sur internet, buvez des bières fraîches en grande quantité, du vin doux au réveil, allumez cigarette sur cigarette, offrez-vous des dessous chics, des robes de bure, écoutez en boucle les chansons de Renaud, ou pendez-vous.

Dans les deux cas offrez des fleurs et ouvrez "Fleurs" (1) de Philippe Sollers, le grand roman de l'érotisme floral, rien de moins. De quoi s'agit-il, des planches de Gérard Spaendonck (1746-1822), en 1799 écrit Sollers, paraissent les "Fleurs dessinées d'après nature par Gérard van Spaendonck, recueil utile aux amateurs, aux jeunes artistes, aux élèves des Ecoles centrales et aux dessinateurs des manufactures."... Les fleurs parlent d'amour ? On va voir ça, de Dieu au Diable, du sublime à l'angoisse, de la pureté au vice, de la joie à la mélancolie."
Lisez, écoutez :

Tiens à la page 25 : " L'érotisme floral à travers les âges ? Il est constant,insistant, sublime, idéalisant, chaste sensuel, vicieux, mélancolique, vivifiant, enivrant, mystique, métaphysique, initiatique.
" Qu'il me baise des baisers de sa bouche, tes amours sont plus délicieuses que le vin", et plus loin : " L'arôme de tes parfums est exquis, ton nom est une huile qui s'épanche, c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment." Le Cantique des cantiques.
Allons plus loin à la page 34, après avoir écouté la musique sublime des Oeillets, Althéa, ou encore Grande Serine et Pervanches : " Les fleurs, les étincelles prirent / L'aspect d'êtres plus beaux d'allégresse, et je vis / Du Paradis les deux cours apparaître." C'est une fusée de Dante, il y en a des millieux dans la Divine Comédie, peut-être que cet été le Festival d'Avignon saura les porter, qui sait ?
Enfin, après avoir entendu la musique de la Chicorée Sauvage, vous allez page 114, c'est un voyage en Chine :" Tombent les fleurs, coule l'eau, voie mystérieuse. (Li Bai), et plus loin "La rivière de ce soir est lisse et calme / Les fleurs du printemps s'épanouissent / Le courant emporte la lune / La marée ramène les étoiles." (l'empereur Yang)
Vous voilà sauvés.

(1)Edition Hermann Littérature

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 10 février 2008

Eloge du Bonheur (6)

"Alors j'embrasse ses seins et ce qui est épatant c'est que mon amie me permet d'agglomérer un peu de rose à l'extrémité de ma langue." David di Nota "Apologie du plaisir absolu" Gallimard/ L'Infini / 1993

Je me risque à déclarer l'intérêt du temps. Qui douterait que nous en sommes maîtres, ceux qui s'en croient prisonniers doivent de toute urgence, se défaire de cette néfaste pensée, de cet égarement, qui il faut en convenir participe de l'intoxication de la vie. Le temps se coule à chacun de mes gestes, lorsque je lève un bras pour saisir quelques rayons du soleil, lorsque j'avance ma main pour effleurer une cumin des près, lorsque mes yeux plongent dans la poitrine tumultueuse d'une danseuse collectionneuse de papillons, lorsque j'esquive moi aussi un pas de danse vers les oeuvres complètes de Baltasar Gracian, et que je tatoue sur ma joue cette cet art du contrepoint : " Que toutes tes actions soient, sinon d'un Roi, du moins dignes d'un Roi, à proportions de ton état : c'est-à-dire procède royalement, autant que ta fortune te le peut permettre. Donne de la grandeur à tes actions, de l'élévation à tes pensées, afin que si tu n'es pas Roi en effet, tu le sois en mérite...",(1) je prouve tout l'intérêt du temps.
Le temps et son intérêt soyeux et langoureux couvre mon corps d'une fine protection qui me met à l'abri de toutes les pensées gélatineuses, qui vous en conviendrez en ces temps volent bas, cherchant à infester le moindre esprit libre et délicat.
Je déclare l'intérêt du temps, et par la même la guerre aux boursicoteurs des intérêts du temps, dont le boursouflage des idées devrait faire fuir le moindre poisson chat.

(1) L'art de la prudence/ Baltasar Gracian / Traduction du 17 ° d'Amelot de la Houssaie / Rivages poche
à suivre

Philippe Chauché

samedi 9 février 2008

Les Courbes du Temps

Dans la rue ils s'agitent, c'est paraît-il le dernier jour des soldes.
Ils passent et repassent, armés de leurs sacs publicitaires et de leurs enfants bruyants. Ils mangent des bonbons rouges et des crêpes au sucre. Chemisiers blancs, vestes vertes, lunettes jaunes, chaussures de sport sans crampons, et pourtant parfois les pavés sont glissants, cigarettes et de très jeunes filles qui se sont fait greffer un petit téléphone bleu dans l'oreille.
Des mères, des veuves, des maîtresses, des amantes, des célibataires, des solitaires, des amoureuses, des grandes, des petites, des grosses, des maigres, des absentes, des vives, des croyantes, des cérébrales, des sombres, des fatiguées, des énervées, des ensommeillées, des délurées.
A leurs côtés, quelques mètres devant, un peu en arrière, des hommes, absorbés, sérieux, dans la lune, sombres, souriants, sûrs d'eux, détachés, protecteurs, étonnés, affables, bavards, silencieux, les yeux brumeux, cigarettes.
Observateur privilégié, il sourit, se dégage de l'ouverture de bois et de verre et invite le pianiste à barbiche et chapeau.
Son piano dessine les courbes du temps.

à suivre

Philippe Chauché

vendredi 8 février 2008

Principes

Que se passe t-il dans un tel lieu ? Cabinet public d'écriture, espace sans réserve où je fais vivre quelques pensées romanesques , cahier documenté où s'élaborent les romans d'aujourd'hui et de demain, carte routière de ma vie, tracé sur papier bible de mes passions ? Tout cela à l'évidence.
Ce qui se joue là, c'est la construction du roman, la fièvre de l'écriture, la volupté de l'image.
J'écris ce que je suis, et je suis ce que j'écris, cela peut déranger, mais c'est ainsi.
J'ouvre ce soir pour la millième fois peut-être "Le Plaisir du Texte" de Roland Barthes. Ecoutons et c'est essentiel : " Le plaisir n'est-il qu'une petite jouissance ? La jouissance n'est-elle qu'un plaisir extrème ? Le plaisir n'est-il qu'une jouissance affaiblie, acceptée - et déviée à travers un échelonnement de conciliations ? La jouissance n'est-elle qu'un plaisir brutal, immédiat (sans médiation) ? De la réponse (oui ou non) dépend la manière dont nous racontons l'histoire de notre modernité. Car si je dis qu'entre le plaisir et la jouissance il n'y a qu'une différence de degré, je dis aussi que l'histoire est pacifiée : le texte de jouissance n'est que le développement logique, organique, historique, du texte de plaisir, l'avant-garde n'est jamais que la forme progressive, émancipée, de la culture passée : aujourd'hui sort d'hier, Robbe-Grillet est déjà dans Flaubert, Sollers dans Rabelais, tout Nicolas de Staël dans deux centimètres carrés de Cézanne. Mais si je crois au contraire que le plaisir et la jouissance sont des forces parallèles, qu'elles ne peuvent se rencontrer et qu'entre elles il n'y a plus qu'un combat : une incommunication, alors il me faut bien penser que l'histoire, notre histoire, n'es pas paisible, ni même peut-être intelligente, que le texte de jouissance y surgit toujours à la façon d'un scandale (d'un boitement), qu'il est toujours la trace d'une coupure, d'une affirmation (et non d'un épanouissement), et que le sujet de cette histoire (ce sujet historique que je suis parmi d'autres), loin de pouvoir s'apaiser en menant de front le goût des oeuvres passées et le soutien des oeuvres modernes dans un beau mouvement dialectique de synthèse, n'est jamais qu'une "contradiction vivante" : un sujet clivé, qui jouit à la fois, à travers le texte, de la consistance de son moi et de sa chute." (Le plaisir du texte - Editions du Seuil / Point / Essais )
Nous ne sommes pas prêts d'en finir, et c'est heureux, avec Roland Barthes. J'ai pour ma part dans un roman, laissé travaillé le texte du plaisir et celui de la jouissance.
Il y est question du plaisir de jouir en étant, et d'être en jouissant. C'est aussi simple que cela, et de toute évidence tout est contenu dans tout, et les malheureux aveugles devraient y regarder à deux fois lorsqu'ils se frottent à une toile d'aujourd'hui ou à un roman de ce matin et ce rappeler des réflexions de Barthes. Ce qui veut donc dire, qu'il faut être absolument dans la modernité sans oublier d'où nous venons.

bonne nuit

à suivre
Philippe Chauché

jeudi 7 février 2008

Amusements

Ne dites surtout pas à vos amis, si vous les savez de gauche, de droite, du centre, altermondialistes, amis des animaux et autres amateurs de friandises, que vous lisez parfois le soir Charles-Joseph de Ligne, et si vous ajoutez qu'il vous arrive d'ouvrir quelques ouvrages de François René, viconte de Chateaubriand, votre réputation en sera vite comptée. Et comme vous vous attachez à garder une haute réputation, vous allez devoir redoubler d'efforts pour la redorer.
 
Amusements, pour ne pas briller en société : " Il n'appartient pas à tout le monde d'être modeste ; et la modestie est une fatuité ou une sottise, quand on n'a pas le mérite le plus éclatant.", poursuivons : " La philantropie, ou plutôt la philantropomanie est une singulière invention. Faut-il donc un nom grec, une secte, des assemblées et des ouvrages pour aimer son prochain ? ", de plus en plus dangereux ? : " Ce qui coûte le plus pour plaire, c'est de cacher que l'on s'ennuie. Ce n'est pas en amusant qu'on plaît. On n'amuse pas même si l'on s'amuse : c'est en faisant croire que l'on s'amuse " ou encore : " Lorsque le peuple valait la peine qu'on s'occupât de lui, je m'étais donné celle de m'en faire aimer. "
 
Admirable Prince de Ligne, en droite ligne si je puis dire, de Montaigne et de Baltazar Gracian y Morales.
Qu'elle plume, quel panache, quelle fronde (!).
Il fût de mauvaise conduite et de mauvaise foi, aimant trop les femmes " La femme que j'aimais vient de partir. Une autre femme que j'aime vient d'arriver. Je ne suis pas assez sensible à ces deux événements. " et les écrivains de son temps (Casannova et Voltaire : quel couple !). Le voici face à moi, le cheveu abondant et l'oeil vif, écrivant, ne cessant d'écrire et d'aimer (il faudra bien un jour que l'on m'explique la différence entre ces deux noble occupations).
Je vous invite chers visiteurs de lire les "Lettres et pensées du Prince de Ligne" d'après l'édition de Madame de Staël (l'éblouissante, la rayonnante )chez Tallandier.


à suivre

Philippe Chauché

Eloge du Bonheur (5)

La ville est bleue ce midi, bleu absolue, et la pierre éclate sous les voyelles du soleil, merveilleux !
Eloge de la couleur !
Eloge de l'essentiel, les couleurs, la musique, nécessité absolue qui giffle la mort et ses complices : Miles Davis décoche ses flêches andalouses, Lee Konitz surligne de fleurs ses mélodies, Paul Bley bénit le silence.
Eloge des paroles essentielles :
« Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en des instants décisifs où l’éclair d’une illumination splendide traverse la totalité d’un monde. »
Martin Heidegger (pour en savoir plus allez donc sur le site pileface.com)

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 6 février 2008

Eloge du Bonheur (4)

Bonheur de la musique, Rober Schumann sous les doigts de Wladimir Horowitz : plongée dans le temps, dans ce temps, le premier décembre 1969, le pianiste n'a plus d'âge, il enregistre l'opus 16 "Kreisleriana", liberté, légèreté, équilibre asolue, folie contenue et qui par instant éclate comme un orage de juillet sur la Cour d'Honneur. Défi au 19° siècle et à ses pleurs, l'autre siècle reprend sa place, celle de la liberté et de l'allègresse, un siècle des lumières explose et on ne le savait pas, et pourtant ils nous avaient prévenus.
Il ne s'agit pas d'écrire sur la musique, mais d'écrire en musique, de laisser ses mains dériver sur le clavier de cette machine musicale, paradisiaque. Mes mots sont des notes, mes notes font naître des mots.
Il ne s'agit pas de vivre en musique mais de devenir la musique.
Regards sauvages et nourris de fleurs d'avril de quelques fées libres et musicales, c'est ainsi que va la vie, c'est ainsi que s'installe le bonheur.

à suivre

Philippe Chauché

Eloge du Bonheur (3)

Où en suis-je avec le bonheur ce matin ?
Depuis quelques jours, j'ai sous le coude le manuscrit d'un roman achevé, achevez le roman ! pourraît être un bien joli titre de roman impubliable.
Voisin de la sérénité, je me nourri de visions : le bleu de Philippe de Champaigne par exemple, les accords sombres de T. Monk ou ceux plus lumineux de P. Bley, les voix radiophoniques du matin qui viennent de ciel, les collections de réflexions compilées par Simon Leys : en voici quelques unes pour cette douce matinée.
- Parler à propos, c'est un signe de savoir. Se taire à propos est également un signe de savoir. ( Xun Zi )
- Dans ma jeunesse, j'écoutais le son de la pluie dans les maisons de plaisir ; les tentures frissonnaient sous la lumière rouges des candélabres. Dans mon âge mur, j'ai écouté le son de la pluie en voyage, à bord d'un bateau ; les nuées pesaient bas sur l'immensité du fleuve ; une soie sauvage séparée de ses soeurs dans le vent d'ouest.
Aujourd'hui, j'écoute le son de la pluie sous le chaume d'un ermitage monastique. Ma tête est chenue ; chagrins et bonheurs, séparations et retrouvailles - tout est vanité. Dehors, sur les marches, les gouttes tambourinaient jusqu'à l'aube. ( Jiang Jie ) ( Les idées des autres - Simon Leys - Plon )

et voici ma version :

- Dans ma jeunesse, j'écoutais le son des vagues dans une maison vide ; les murs tremblaient sous la pression des vents du large. Plus-tard, la maison s'est peuplée, et j'ai du choisir entre famtômes et vivants. Aujourd'hui j'écoute le son du vent les yeux fixés sur le plafond peint de ma maison ; amour et désamours s'y collent comme des mouches, j'ouvre une fenètre et embrasse le ciel vide. Silence de la lumière du matin, et éclats de nuages en souffrance.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 4 février 2008

Eloge du Bonheur (2)

Amusement du jour : une petite escapade dans "Les idées des autres" du chinois lumineux Simon Leys : à Bonheur, il note cette pensée du Prince de Ligne : " Que chacun examine ce qu'il a souhaité toute sa vie. S'il est heureux, c'est parce que ses voeux n'ont point été exaucés." Je me dois de répondre à l'auteur des "Mélanges" cette maxime : "Que chacun examine ce qu'il souhaite et ce qu'il a souhaité - croyez-moi c'est la même chose, le présent se conjugue au passé et inversement. S'il est heureux, et pourquoi ne le serait-il pas, c'est bien parce qu'il s'est employé chaque jour à vivre cet art du bonheur, sans en dévoiler le visage, c'est bien parce qu'il ne s'est obligé à rien, sauf à jouïr de l'instant, ses manières révèlent le mouvement du temps."
Simon Leys convoque également William Wordsworth :
" Vivre dans cette aube était déjà un bonheur
Mais y être jeune était tout simplement divin "
Bien vu, j'ajouterai :
" Vivre dans cette ville est un bonheur
Chaque jour nous nous y accordons, et nous avons trois fois vingt ans, trois plus de chance d'en saisir les contours. "
Point de mélancolie - misére de la pensée et de la chair - point d'âge, point de doute, aucune superstition, point de doute - sauf le doute du doute -, plume alerte, verbe vif, pensée radicale contre les censeurs de la vie.
à suivre
Philippe Chauché

dimanche 3 février 2008

Eloge du Bonheur (1)

Où en suis-je avec le bonheur ? C'est finalement la première question qu'il faudrait se poser. Puis on pourra se demander : où en suis-je avec l'amour ? et éventuellement : où en suis-je avec les femmes et la littérature ? Malheureux celle ou celui qui n'associent pas les femmes à la littérature.
Où en suis-je donc avec le bonheur ?
A cet instant précis, j'écris et j'écoute attentivement les oeuvres pour piano de Chopin, sous les doigts de l'admirable Abdel Rahman El Bacha, les 12 études pour être précis, composées entre 1829 et 1832, notre pianiste a tout enregistré chez Forlane. Bonheur absolu de ces études "parisiennes", ces interprétations délivrent Chopin de l'insuportable "pleurnicherie" du 19° siècle. Tout n'est que calme, volupté, délicatesse, joie, ivresse de notes, légèreté du touché, absolue certitude de ce qui est écrit, pas d'effet, transparence, et "vide" de la musique.
Le ciel s'obscurcit, la nuit va donc s'inviter, elle est la bien venue. Eclats de noirs comme chez Bacon.
J'ai sous les yeux Cercle de Yannick Haenel, roman d'exception, roman dansé, volant, inspiré, lumineux, révolté, roman en creux, chinois et européen. Ecoutons : « C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. J'ai répété cette phrase toute la journée en longeant la Seine : « C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. » Il y avait une lumière nouvelle dans les arbres, du vert partout, du bleu, et ce vent léger où flottent les désirs. J'ignore d'où venait cette phrase, mais elle glissait bien dans ma tête. Avec elle une joie bizarre se diffusait dans l'air d'avril, une joie de solitude qui vous ouvre la route... C'est ainsi que ce livre a commencé à s'écrire. La Seine, les arbres et mon corps se sont mis à tourner dans un instant de vide. Je n'ai pas eu le vertige. Au contraire : tout était affecté de vertige, sauf moi. Je brûlais, mon corps n'était plus mon corps, mais un buisson de flammes d'où sortaient des phrases. Ces phrases tourbillonnaient dans la lumière, au-dessus de l'eau, comme des tapis volants. Elles formaient dans le ciel d'immenses rubans de nacre. Laisse faire, me disais-je, surtout laisse faire : un passage va s'ouvrir, et ce passage, tu l'appelleras Cercle...Il fallait que je prenne le train de 8 h 07. Si je ne voulais pas être en retard à mon travail, le train de 8 h 07, il me le fallait. J'était très concentré sur le train de 8 h 07, et lorsqu'il est entré dans la station du Champ-de-Mars, j'ai entendu la phrase : « C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. »... J'ai répété cette phrase plusieurs fois sur un ton différent ; et tandis que les portières du train de 8 h 07 se fermaient, j'ai souri. Reprendre vie, bien sûr, c'est maintenant ou jamais. Reprendre vie, tout de suite, il faut. »(Editions Gallimard/L'infini) Roman publié par l'ange Sollers, ce qui n'est pas surprenant.
J'ai en mémoire le mouvement vif et lumineux de quelques déesses.
Je suis heureux dans l'instant.

à suivre

Philippe Chauché

samedi 2 février 2008

Eloge du Silence

S'installer dans le silence, c'est en quelque sorte apprivoiser le vide. Le vide est un art de vivre en accord secret avec le plein, mais en creux. Le vide n'est pas à craindre, c'est une façon d'être au monde, et d'en jouir silencieusement. Tout en moi peut sembler agité, tumultueux, mais ce serait y mal voir. Comprendre le vide exige une clairvoyance de moine. Mes méditations silencieuses travaillent cette contrée rare. Je reste silencieux ce soir et vous salue.

à suivre

Philippe Chauché