lundi 23 décembre 2013

Alberto Manguel



D'un éloge l'autre, comme d'un amusement, c'est ce qui a cour ici. On construit ainsi sa bibliothèque éphémère. Les livres lus et dégustés sont comme ces galets blancs, gris ou noirs que découvre la vague lorsqu'elle se retire.
Manguel ouvre son livre des éloges par la Bible, autrement dit livres, et réussit en quatre pages à en saisir toute la surprise, car la Bible est bien une surprise, on l'ouvre toujours à l'improviste, ou pour vérifier ce que l'on ignore. Sa constitution même surprend et pousse certains à douter de sa réalité, il y a disent-ils, " filouterie derrière tout ça ! ". L'auteur s'en amuse : " Qu'est donc cette anthologie de mythes, d'histoires, de poésie épique et amoureuse, d'avertissements, de proverbes et cet ancêtre des Chants de Maldoror qu'est l'Apocalypse de Jean ?... Imaginons notre stupeur à la découverte d'un tome qui, sous le titre de Tome, rassemblerait : L'invention de Morel, Histoire de Napoléon, Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée, les Maximes de La Rochefoucauld, La métamorphose, les avertissements prophétiques de l'organisation Greenpeace, La Terre, En attendant Godot, Le Quatuor d'Alexandrie et Voyage au bout de la nuit, présentés comme des textes d'un seul et pesant auteur anonyme. " Stupeur qu'une telle compilation, mais du temps de ces écritures, l'anonymat facilitait bien des choses, et Manguel d'ajouter que ce qu'on nomme couramment la Bible, c'est en fait les Bibles, sans oublier par quelles langues elles sont passées l'araméen, le grec, le latin, aller-retour, retour-aller, mille détours, joli tour joué à l'histoire : " la Bible est surtout la création de ses lecteurs, car toute traduction est lecture, et lecture du plus haut artisanat. ". Manguel qui aime les pirouettes sait de quoi il parle quand François Gaudry, lecteur talentueux, traduit ses éloges, qui finalement sont ici traduits du français au français ! Eloge des traducteurs et des lecteurs.




Manguel fait aussi l'éloge de sa bibliothèque, de livres qui y vivent en toute liberté, surveillez la votre la nuit, vous serez surpris : " Dans la prolifération des rayons, il y a un livre pour chaque instant de ma vie, pour chaque amitié, pour chaque désillusion, pour chaque changement. Ils marquent mes années comme ces pierres blanches qui jalonnent la route d'un pèlerin. ", tout autant que vous le serez en marchant sur un chemin paysan, les yeux éblouis par les éclats d'un regard amoureux qui fait écho au votre.
De l'éloge du livre de poche qui porte si bien son nom, à la foire aux livres, à l'impossible, à la France et aux dodos, Manguel dresse sa table d'écrivain et de lecteur, sa géographie de l'Argentine à l'Espagne, de la France au Canada : " Le Canada est si loin qu'il n'existe presque pas. " ( Borges ) et nous invite à nous y asseoir, et à lever nos verres aux éloges que nous n'avons pas encore écrits.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 22 décembre 2013

Thomas Vinau


D'abord, il y a le titre, qui met les mots à la bouche. Tout observateur attentif de l'arc-en-ciel,  de l'éclat d'un soleil naissant, sait de quoi il est question. En quelques secondes tout se transforme, tout se fixe aussi, la transformation est parfois un fixateur. Fixer l'encre que la pluie ne puis plus diluer, fixer une deux, trois, quatre phrases, une deux, trois, quatre visions, passer du regard au mouvement, de l'instant au Temps, du mouvement à la phrase. Elle vient après la pluie, c'est toute sa splendeur :

" Me yeux
sont des mains
qui ont
la bouche ouverte "

" Viens la vie est fraîche
une couleur nouvelle coule du ciel
nos pieds ont une faim de bête
nos sexes furètent la lumière
viens ! Nous allons piétiner les fleurs "

" Je t'apprendrai
à laisser ta peine
sur le dos des mouettes
pour que finalement
d'une décharge à l'autre
tes larmes rejoignent
l'océan "

Précision du mot, précision de l'instant saisi, rien de plus simple, rien de plus nécessaire. Ecrire comme l'on respire pour lire comme l'on sourit, comme l'on tremble.

" Une
petite
montagne
qui saute sur les genoux
d'une rivière "

" L'ombre serait
un sous-entendu
de la lumière "

Justesse musicale, tempo, la bonne note à la bonne place comme chez Ravel, le bon accord au bon moment, comme une touche rouge chez Matisse, une sensation juste, vision libre, comme la liberté de Rimbaud et de Bashō.
 
à suivre
 
Philippe Chauché
 
 

vendredi 20 décembre 2013

Parisis et Roberts dans la Cause Littéraire


Tiens, me dis-je, un petit livre sur Jean-Marc Roberts par un autre Jean-Marc, dont je ne sais rien. Il est là devant mes yeux, sur la table d'une librairie parisienne où un ou deux exemplaires de chaque nouveauté est sur le champ soldé. Livres offerts, services de presse trop vite lus, vite oubliés, détestés, délestés, que sais-je ? Je me souviens d'avoir ainsi acquis l'an passé, trois ou quatre livres dédicacés par leurs auteurs, des envois comme l'on dit, envois revendus à bas prix sans laisser d'adresse en quelque sorte. Sur le boulevard, j'ai glissé le livre dans la poche intérieure de ma veste, l'ouvrant, le refermant, le laissant faire son nid durant les deux jours de ce séjour Capital. Alors lisons :

" Beaucoup de ses livres pouvaient se lire comme des lettres tardives, retenues, à des enfants, des femmes, des amis, des lecteurs. Façon de réapparaître, de refaire l'histoire en un clin d'œil, de ressortir l'un de ses tours que les autres n'auraient pas compris, qui leur avait échappé. "

La mort de Jean-Marc Roberts, c'est cela, une lettre tardive, retenue, lettre roman à un éditeur qui était aussi écrivain, à un écrivain-éditeur, un clin d'œil à la vie face à la domination outrageuse de la mort, un tour, un petit tour, pour en rire à jamais. Les livres ont des dialogues dont nous ignorons tout, quelle musique dans ma bibliothèque !  Les livres ne meurent jamais, ils parlent, se contredisent, s’admirent,  bourdonnent, bouillonnent. Les phrases comme les étreintes, ne s'éteignent point, il suffit, et ce n'est pas une mince affaire, de savoir écrire et bien écrire, c'est le cas de Jean-Marc Parisis, de savoir lire et bien lire, ce furent les manières de Jean-Marc Roberts. La vie est une fête, pensais-je, sous le regard amusé d'un styliste de la vie, amateur de femmes, d'alcools forts, de désespoirs comptés, de toros, et de chasse au lion en Afrique. Alors comme chez l'américain à Biarritz, les fantômes et les déesses s'invitent, les bavards et les silencieux, les talentueux et les opportunistes de salon, tous ont leur mot à dire sur l'éditeur au visage d'adolescent, sur l'écrivain, sur l'homme,  pas mal de blabla, de chichi, de pleureuses, et parfois, comme un éclair, une phrase nette, une phrase de romancier, un livre en offrande, pour poursuivre l'aventure. Beau programme !

Dans la tristesse… Là encore, mauvaise pioche. J'étais moins triste que désappointé, sombre, las. Nous partagions au moins cela, la fin, les fins nous révoltaient, nous insultaient. La mort signait la défaite de la fiction. Restait la triste vérité, on allait s'ennuyer sans lui. "

Bonne pioche que ce petit livre, il nous donne de bien belles nouvelles de l’éditeur-auteur disparu, en mouvement permanent, d’une écriture l’autre, la sienne et celle des autres, d’une passion l’une, la littérature. N’est pas éditeur qui veut ! Il faut avoir été bien accompagné par les hommes et les livres passés et à venir, il faut avoir cette science de la saveur et du savoir, l’âpreté de la sagesse, et la douceur de la colère, le regard aiguisé et la main musicale, il faut être après avoir été, et l’inverse.
Belle occasion d’ouvrir à nouveau Deux vies valent mieux qu’une, de Jean-Marc Roberts – Flammarion - l’ultime éclat de l’écrivain-éditeur, d’un récit l’autre, vérité et fiction, fiction de sa réalité, rire illuminé porté par une voix de bonheur.

«  Et puis, il y a ces messages inénarrables délivrés sur mon portable que j’écoute attentivement. Des voix de malheur, d’outre-tombe, à l’entame souvent identique : «  Mon pauvre Jean-Marc, qu’est-ce j’apprends là… ! » Je ne leur réponds que par texto : Père-Lachaise, allée 23, tombe 608. Visites autorisées tous les jours de 9 heures à 19 heures. »

Instant magique que de faire se rencontrer ces deux récits : ils s’écoutent et se répondent, et ont encore et toujours mille choses à s’écrire et à se dire.

Philippe Chauché 


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dimanche 15 décembre 2013

Rimbaud et Baudelaire chez Thébault



Visiblement Olivier-Pierre Thébault a l'oreille fine, et le regard aiguisé, deux sens en éveil pour deux poètes éveillés. Il s'agit d'évidence, et ce n'est pas une mince affaire, d'être poétiquement à la hauteur de ce qui s'écrit, tant dans les Illuminations que dans Les Fleurs du Mal, et de saisir ce précipité du Temps qui affole les sourds et les aveugles sociaux, et ils sont Légion.
D'un poète l'autre : Rimbaud et les Illuminations. Écrites, lues, oubliées, détournées, radotées, enfin retrouvées et si je puis dire, ressuscitées d'entre les vivants. Question gnostique s'il en est. Vertige des noms et des sons comme dans la Bible, question lumineusement musicale. Ave Myriam du Temps retrouvé.
" Le chant nouveau de la nouvelle harmonie  renouvelant à même son écriture - à même la parole à mesure qu'elle se tisse - l'alliance avec le Temps : ce serait cela, avant tout, les Illuminations. Ou réciproquement, la manière dont le Temps, surgissant, dévoile une nouvelle alliance, scellée musicalement dans le chant. Mais bien plutôt les deux, intriqués, dans un même mouvement de délivrance. "

Pour qui se laisse un peu sérieusement aller à une lecture attentive de la littérature, et de la poésie, il convient de ne pas faire seul le chemin, Olivier-Pierre Thébault ne se prive pas de fréquentations éclairantes pour mieux saisir et nous faire saisir la portée du mouvement du Temps - comme une boussole, son aiguille indique le futur, Nord saisissable, alors que l'on voudrait qu'elle soit tournée à vie vers le passé ressassé. Même si l'on ne peut s'empêcher de penser que le mouvement de la phrase passe du Nord au Sud, d'Est en Ouest, comme une portée musicale, son temps n'est éternel que parce qu'il n'est pas figé, installé dans un mouvement permanent, il n'est pas interdit ici, d'entendre vraiment ce qui se joue notamment chez Mozart, inspirateur du mouvement du Temps, s'il en est.

" Le Dasein ne peut poétiquement être été que pour autant qu'il est à venir. L'être-été naît, d'une certaine manière, de l'avenir. "
" Le Temps ne dévoile ses richesses qu'à celui dont le dire est tout entier tendu, poétiquement, vers l'avenir en ce sens très précis dégagé par Heidegger. Ainsi, Rimbaud et Heidegger sembleraient bien d'accord, intimement, sur ce point : l'avenir est bien la dimension la plus importante du temps, qu'il s'agisse de celui pensé par l'auteur d'Être et Temps, ou de celui déployé ici dans Génie. Le sens même du présent, saisi en tout ce qu'il a de bouleversant, en découle. "




D'un poète l'autre : Baudelaire et ses Fleurs bien nommées. Baudelaire le dandy raffiné, fin connaisseur du monde qu'il traverse, des fleurs et des formes nouvelles de l'art, Baudelaire au centre du Mal - Olivier-Pierre Thébault a le nez fin d'inviter Dante - et qui finit par littéralement le décentrer, le Paradis n'en a pas fini avec l'Enfer, si je puis dire. Baudelaire au cœur des parfums - les mots chez certains pourraient ainsi être nommés - d'une ville qui en a vue et revue. D'un dieu l'autre, Dionysos s'avance. Baudelaire attentif, voyant, pas étonnant alors qu'un écrivain libre de notre siècle ne se glisse avec justesse et lenteur dans cette floraison littéraire - les déesses qui de l'ivresse n'ignorent rien, aimeront la perfection précieuse, savante et savoureuse de son regard.

" Un esprit bienveillant et secret nous conduit bien, au fil des rimes, depuis l'enfance jusqu'au génie amoureux - l'Amour couronne le génie -, du plus naturel au plus spirituel où tous les degrés dorés de l'élévation se trouvent conservés, dans la fluente richesse intérieure de cet ultime.
A travers les parfums, c'est l'ensemble de l'éventail vital des sensations, des plus immédiates aux plus pensives qui se déploie, et ce parce que l'odorat se révèle bien le plus subtil, le plus englobant et le plus subversif des sens. "

D'un poète à l'autre, à livre ouvert, flèches de l'un à l'autre, de l'autre à l'un, ils se regardent et se répondent,  

à suivre

Philippe Chauché





lundi 9 décembre 2013

Descartes dans La Cause Littéraire

Un amour de Descartes, Jean-Luc Quoy-Bodin


Un amour de Descartes, Jean-Luc Quoy-Bodin

« Il prêtait une oreille attentive à son babillage. Il aimait ses éruptions de sons, ces éclats de mots, ce magma du langage qui n’est pas encore la parole. Partition atonale, échos dissonants de ses appétits et de ses affects. Sans se l’avouer, il appréhendait ce moment où les sons allaient se dénouer, éclore, s’envoler et devenir des mots, des mots durs, tranchants, blessants, des mots de grands puis des adjectifs ; il allait être nommé, évalué, corrigé, contredit. C’est que l’enfant a ses maux à dire, sa vérité à faire éclater. Il somme l’adulte de l’écouter ».
En Hollande, René Descartes tombe sur une fleur, sa Francine, sa fille, sa fleur aimée. Il en tirera quelques leçons de vie, donc de pensées. Un éclair, ce mouvement du temps qui file à la vitesse de la lumière, dont il va se nourrir, comme l’on se nourrit d’un sourire, d’un mot, d’une danse d’enfance. L’enfance de l’art et de la raison, l’un ne va pas sans l’autre. L’autre, cette enfant qui le fixe, l’écoute, l’interpelle, lui montre ce qu’elle voit avec ses mots, qui vont un temps le détourner de ses maux.
Enfance nommée, sentie, qui le bouleverse et dont la mort très tôt venue le retourne, comme l’on retourne une pensée, assommée, plus rien à écrire, ou bien d’autres mots, d’autres théories qui vont s’en nourrir, passage par la vision de la mort réelle. Il n’en tire aucun fatalisme, aucune envie de prêcher, mais seulement un bouleversement sensoriel, que l’on pourrait aussi dire sensuel. Descartes face à l’enfance, comme Jean-Luc Quoy-Bodin face au récit, au sens propre, du réel à l’imaginaire, une affaire de sensation là aussi, une affaire sensuelle, florale et finalement romanesque. La vie d’enfance papillonne sous les yeux de Descartes, elle se barbouille de confiture, étoile filante, sauts de puces sur un pied, sourires de la surprise, toupie qui tourne dans le cœur du philosophe. Il s’en souviendra dans ses Méditations.
« Elle, lui a fait don de son vif-argent ; de l’azur de son innocence ; de la rivière diamantée, intarissable, de son babil. Elle, lui a fait entrevoir un autre ordre du monde, celui de la fantaisie, du hasard, de l’élan. Un monde vers le haut à l’opposé du monde des hommes, newtonien, pesant, vers le bas. Aimer, c’est gravir ».
Un amour de Descartes, récit vif-argent, léger, qui claque parfois comme un fouet, qui s’ouvre d’autres fois comme une tulipe, qui s’élance, comme une enfant qui danse pour son père, admirable récit du récit du Discours en devenir. On s’en souviendra.

Philippe Chauché

samedi 7 décembre 2013

L'Ecrivain de l'Incertitude


" Et même si parfois les phrases de Montaigne, laissent croire à une diplomatie concertée de la dissimulation, du " dire à demy ", il est plus fructueux, je crois, de chercher du côté de l'incertitude, de l'hésitation, du questionnement. La phrase qui était mienne, dont je percevais les linéaments et pressentais les suites potentielles, du seul fait de sa transition, soudain s'est sclérosée et m'a échappé. Je ne comprends plus ce que j'avais en projet, tout un avenir de pensées possibles se restreint sèchement à une formule banale ou peu compréhensible : 

Ceci m'advient aussi : que je ne trouve pas où je me cherche ; et me trouve plus par rencontre que par l'inquisition de mon jugement. J'aurai eslancé quelque subtilité en escrivant. (...). Je l'ay si bien perdue que je ne sçay ce que j'ay voulu dire : et a l'estranger descouverte par fois avant moy. Si je portoy le rasoir par tout où cela m'advient, je me desferoy tout. Le rencontre m'en offrira le jour quelque autre fois plus apparent que celuy du midy : et me fera estonner de mon hésitation (I, X, 40).


L'écrit m'a en quelque façon rendu étranger à moi-même, en sorte que dans ces lignes que j'ai écrites à un autre moment et que me voici en train de lire ou relire, il y a une chance que je me surprenne " du dehors ", que je voie " comme un autre ", ce qui peut-être suffisant pour défaire l'adhérence spontanée de la croyance naturelle. Tout au contraire de la complaisance à soi qui noie les distinctions et les détails dans un flou homogène, cette relecture de soi produit un l'écart indispensable : " Je ne m'ayme pas si indiscretement et ne suis si attaché et meslé à moy que je ne puisse distinguer et considérer à quartier : comme un voisin, comme un arbre " ( III, XVIII, 942 )

Jean-Yves Pouilloux, connaît Montaigne sur le bout des doigts, des lèvres, et de l'oreille,  il tourne et retourne les phrases du gascon vivace, montre en quoi le voyageur de l'intérieur, qui n'ignore rien de ce qui se joue à l'extérieur de sa tour, nous est essentiel. Pour ce bien connaître, il faut non seulement se bien écrire, se bien relire et se bien contredire, sans oublier d'en sourire.

à suivre 

Philippe Chauché 


jeudi 21 novembre 2013

La Cause Littéraire de Rimbaud

La Dernière Lettre de Rimbaud, Frank Charpentier 

 

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La Dernière Lettre de Rimbaud, Frank Charpentier

« La Providence fait quelque fois reparaître le même homme à travers plusieurs siècles » (A. R.)
Rien ne t’oblige à entendre dans « lève-toi et marche » de la Bible, « lève-toi et écris ce que tu es en train de vivre », mais aussi « marche et écris ce que tu as vécu dans les siècles et des siècles et ce que tu vivras ». Si tes phrases savent s’accorder au mouvement du verbe et du temps, de la Genèse au Grand siècle, alors une nouvelle lecture est possible, une nouvelle aventure est là, il faut la saisir et ce livre étrange t’y invite.
Et si Rimbaud, soi-disant poète éphémère de la jeunesse révoltée et insouciante, était pour qui sait le lire de face ou de biais un homme de l’immersion dans une langue et sa mécanique sacrée, un poète qui en sait beaucoup sur la mesure du silence et la couleur des phrases ? Rimbaud : écrivain de l’escapade vagabonde au centre du Livre, où tout déplacement dans le temps est un mouvement dans l’espace. Ici et maintenant à Paris. C’est aussi ici et maintenant, au Harar, de nouvelles Illuminations livrées par la poste et décachetées par Frank Charpentier. D’une lettre l’autre, comme l’on passe de l’enfer au paradis, de Verlaine à Noé, de l’Occident à l’Orient… Tout un roman !
« Définition de l’enfer : le centre est nulle part et la circonférence partout, ça s’appelle aussi l’enfer-me-ment ! Le paradis : la circonférence n’est nulle part, le centre est partout chez lui, infracassable noyau de lumière nature, et ensuite pas de limites, de mauvaises limites ».
Comme chez le gnostique Philippe, Rimbaud expérimente un retournement : la résurrection durant la vie – scandale des scandales. Immersion permanente dans le Livre,  autrement dit dans la liberté libre. Je fais ce que j’entends et n’attends rien de ce que l’on veut que je sois – l’inverse de la domination sociale. Le narrateur du roman de Frank Charpentier met l’œuvre du poète au diapason de sa vie et inversement. Ayant tout connu de l’état des hommes et de leur surdité, il peut musicalement traverser l’aventure de la poésie, et l’illuminer d’une autre lecture : l’hébreu en son jardin. Prendre chaque phrase, chaque poésie à la lettre. A. R. – Arthur Rimbaud, mais aussi A Réaliser –, L… – le Lien, elle seule –, sans s’encombrer des fariboles fumeuses et funestes que véhiculent les gloseurs assis. Roman évènement, La Dernière Lettre de Rimbaud est aussi un roman avènement.
« L… est assise en face de moi. Deux vodkas-pamplemousse, d’abord ; et, évidemment, une cigarette, plus une autre, pour moi, chaque fois savourée comme chacune des Muratti que j’allume, ces cigarettes italiennes que je fume depuis l’âge de dix-sept ans, c’est-à-dire depuis que j’ai décidé d’être sérieux exclusivement à ma façon mais aussi fidèle, et depuis plus longtemps encore jusque dans les plus petits détails très tôt choisis ».
Très tôt choisis, les poètes vous prennent au sérieux.

Philippe Chauché


 

vendredi 15 novembre 2013

Schiffter sur la Cause Littéraire

Rencontre avec Frédéric Schiffter


Rencontre avec Frédéric Schiffter

« Entre l’Ennui et l’Extase se déroule toute notre expérience du temps ».
E. M. Cioran – « Syllogismes de l’amertume »

Biarritz, un mois d’octobre unique, une journée d’été en automne, le Casino est à deux pas, la Grande Plage à quatre, l’hôtel du Palais à un regard, l’océan se repose, les surfeurs doivent flâner ou lire La Beauté, une éducation esthétique, et qui sait Le charme des penseurs tristes (*). Dans un salon de velours rouge du Plazza, on peut se livrer de biais au jeu des questions réponses, et l’ombre portée de quelques écrivains balnéaires nous accompagne avec légèreté. Que demander de mieux ?

Philippe Chauché : Au siècle dernier vous avez mis sur « le devant de la scène » une petite maison d’édition Distance, aujourd’hui disparue, où vous avez publié quelques classiques très modernes – Gracian, Ortega y Gasset, Hérault de Séchelles, Schopenhauer, mais aussi de petits textes de votre plume, vous vous vouliez éditeur et auteur ?
Frédéric Schiffter : Il manque à la liste Clément Rosset et Roland Jaccard, qui, depuis, sont devenus des amis. Distance était une cabane d’édition. Je ne programmais rien. Je publiais un texte dès qu’il m’en venait le caprice. Une librairie de Biarritz, le Bookstore, m’en commandait plus d’une centaine d’exemplaires à l’avance, ce qui me permettait de payer l’imprimeur. Je n’avais pas de distributeur. Dès que l’ouvrage sortait des presses, je téléphonais aux libraires parisiens et provinciaux qui avaient coutume de prendre les livres de Distance en dépôt-vente. Ainsi fonctionnait, lentement et sans sûreté, ma petite entreprise sans qualité. Je n’étais pas un éditeur professionnel. Ni même amateur. Dilettante, plutôt. Certes j’ai édité deux ou trois textes personnels. Voulais-je devenir auteur ? Je m’essayais à devenir essayiste.

C’était une étape essentielle dans votre « vie » d’essayiste ?

Deux de mes opuscules datant de cette époque ont été repris chez des éditeurs professionnels – les Puf et Milan. L’essayiste que je suis devenu ne rougirait pas trop de serrer la main à l’essayiste que j’étais alors.

Pourquoi avoir décidé d’en finir avec Distance ?

Malgré la légèreté de sa structure, Distance commençait, comme on dit, à me peser. En bon dilettante, je cultive aussi en moi une nature de velléitaire. Je n’ai plus eu l’énergie ni le goût de continuer cette activité.

La philosophie est votre métier, vous l’enseignez, mais c’est aussi votre plaisir ? Vous notez même que vous vous adonnez à un « honnête amusement ». Vous pouvez préciser ?

J’enseigne la philosophie depuis des lustres et cela me rase. Pour me divertir, j’en écris. L’honnête amusement dont je parle est une expression de Montaigne – mon maître, forcément, en matière d’essais –, qui voulait dire que le fait d’écrire lui permettait de prendre connaissance de ce qu’il pensait et qu’il voyait là une distraction intelligente.

Quels sont ces philosophes et ces penseurs qui vous accompagnent ? Vous attachez de l’intérêt aux idées qu’ils défendent, à leur style, ou au mélange subtil des deux ?

Au philosophe, je préfère le penseur. Le penseur ne promeut pas des idées mais tente de traduire ses humeurs et ses hantises. Ce qui ne l’empêche pas d’être philosophe à l’occasion. N’étant, comme dit Cioran, que le « secrétaire de ses sensations », le penseur, pour éviter d’étaler avec impudeur son ego, ramasse ses propos en aphorismes. Le laconisme est la politesse de ses obsessions. C’est à ce titre, en tant que stylistes, que tous ces écrivains qu’on appelle les moralistes, La Rochefoucauld, Pascal, Chamfort, Leopardi, Kraus, Caraco, et quelques autres, sont les auteurs qui m’accompagnent. Il y a aussi des « romanciers ». Georges Simenon, Emmanuel Bove, Thomas Bernhard, Michel Houellebecq, Philip Roth.

Et ceux qui ne vous amusent en rien ?

Les autres.

Le style pour vous ?

Je ne sais pas si j’ai du style. Je considère que c’est tout simplement une façon bien élevée d’écrire. Il faut savoir tenir ses phrases sans les corseter. Être clair et distinct. Respecter une tradition française qui veut que l’on écrive avec concision et que l’on s’adresse à son lecteur sur le mode d’une conversation.

L’humour des penseurs ?

Pour les gens sérieux – les universitaires – l’humour nuit à l’œuvre. On y voit une certaine futilité de l’auteur, un je-m’en-foutisme. Or c’est un jeu de l’esprit, et quand l’esprit joue, il est au cœur même de ce qui est très sérieux. Clément Rosset, par exemple, a souffert d’ostracisme de la part de l’opinion lettrée et férue de philosophie, parce qu’il recourait dans ses analyses très profondes à des auteurs comme Courteline ou Hergé. Dans l’un de ses ouvrages consacré à la singularité, il s’attarde longuement sur ce qui peut faire l’essence même d’un Camembert. Dans un autre, traitant de l’humour, justement, il montre en quoi la tragédie du Titanic est de part en part hilarante. Contemporain de figures comme Derrida ou Deleuze qui se piquaient de promouvoir des concepts de la plus haute importance, Rosset passa longtemps pour un farceur. On s’aperçoit enfin que sa pensée est non seulement l’une des plus décapantes contre le pédantisme et l’enfumage conceptuel, mais surtout la plus décisive pour mettre à jour les mécanismes de l’illusion qui poussent les humains vers les pires folies.

Montaigne (**) ?

Je ne l’ai pas découvert à l’université mais en voyant son nom souvent cité par Clément Rosset, justement. On en fait une sorte de précurseur de Voltaire, des Lumières, alors que c’est un penseur solitaire, très sombre. Or lui aussi, à ce titre, est un humoriste.

Biarritz ?

Les fantômes de Proust, Roussel, Drieu-la-Rochelle, Fitzgerald, Hemingway, Jacques Rigaut, d’autres encore, hantent Biarritz. Mais plus qu’une ville littéraire, c’est une station balnéaire romanesque où l’on s’ennuie avec volupté. Je compte écrire sur Biarritz.

Dans votre dernier ouvrage « Le charme des penseurs tristes », vous consacrez quelques pages à Roland Jaccard, seul essayiste vivant du livre, le seul qui mérite d’y figurer ?

Jaccard est un diariste et un « aphoriste » cynique injustement méconnu. Ses petits essais consacrés à Louise Brooks ou à Ludwig Wittgenstein sont des exemples d’érudition désinvolte.

Cioran y tient belle place, c’est un penseur salutaire pour vous ?

Cioran me redonne toujours l’énergie du désespoir.

Vous semblez attacher aussi une grande importance aux manières de se comporter dans le monde, à un certain détachement. Pour vous il marque tout autant ces stylistes que leurs écrits ?

La vie est souffrance et plaisir mêlés et je doute qu’on atteigne au détachement. Je donne raison à Proust quand il dit que les « idées sont les succédanés des chagrins ».

Dans votre philosophie sentimentale, la musique, la chanson, le cinéma, la littérature, l’art, ont-ils leur place ?

Au premier rang. Enfin, juste après la sieste.

Enfin vous pratiquez toujours le surf (***) ?

Sur les vagues, comme en tout, j’essaie de garder l’équilibre avec tenue.

Le charme des penseurs tristes
Qui sont ces penseurs tristes que le philosophe balnéaire, c’est ainsi qu’il aime se présenter non sans humour, met en lumière dans ce petit opus ? Un prophète – l’Ecclésiaste –, un penseur précis et piquant – La Rochefoucauld –, une marquise savante et galante – Mme Du Deffand –, un maître moraliste digne descendant du Grand Siècle européen – Cioran – et un spécialiste amusant des échecs – Roland Jaccard – et quelques autres. Ces penseurs tristes n’ont rien à vendre, rien à proposer aux âmes perdues – nous sommes aux antipodes des philosophes du chichi et du blabla (****) qui peuplent les colonnes des gazettes et les ondes de la radiodiffusion – rien à offrir, sauf, peut-être des manières de traverser la folie des hommes en attendant la mort, avec style, élégance, détachement et humour, des manières, des attitudes et un style – qui, on ne saurait trop le rappeler, fait l’homme lettré –, ils vont à la vie comme s’ils allaient à l’échafaud, et peu leur chaud s’ils effraient et désespèrent leurs lecteurs, peu leur chaud si leurs contemporains les bannissent, ils viennent de trouver en Frédéric Schiffter un secrétaire attentif à leur charme et à leur désespoir courtois, qui ressemblent à s’y méprendre à ceux d’une station balnéaire où ils auraient pu, un matin d’hiver, le croiser.

Philippe Chauché

(*) Flammarion
(**) Le plafond de Montaigne, Milan, 2004
(***) Petite philosophie du surf, Milan, 2005
(****) Le blabla et le chichi des philosophes, Puf, Perspectives critiques, 2002



à suivre

Philippe Chauché  






















jeudi 14 novembre 2013

D'une Musique l'Autre



 

Le bleu du ciel ouvre de nouvelles perspectives comme le font les deux ouvrages d'Olivier-Pierre Thébault ouverts sur son bureau ( La musique plus intense - L'Infini - Gallimard, Par-delà l'enfer et le ciel - auto édition Collection plume au bout des doigts ), en compagnie de l'édition d'Antoine Adam des Œuvres complètes de Rimbaud et celle d'Yves-Gérard Le Dantec de Baudelaire, parues dans La Pléiade chez Gallimard, 1972  pour l'une, 1944 pour l'autre,  accompagnés d'Après une lecture du Dante de Liszt dans une interprétation de Lise de la Salle : d'une phrase l'autre, d'une musique l'autre.
 
" Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. " A. R.
 
" Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? " C. B.
 
Question du Temps,  le Temps suspendu à la décharge des sons d'un tambour et à la vision de cette fugitive beauté, l'auteur ouvre lui aussi quelques perspectives qui méritent lectures et attentions :
 
" L'homme en tant qu'il vit poétiquement sur cette terre n'est-il pas l'infinité du Temps dans sa finitude, et pour cela même vivant extatiquement l'illumination de celui-ci, par instants idéaux de brasier pourpre et de fauve fulgurance où le présent rassemble tous les temps, où tous les temps se rejoignent dans leur dépassement ? N'est-ce pas ce à quoi, à chaque remémoration ruminante et émerveillée, comme à chaque lecture labile, ouvre le texte des Illuminations de Rimbaud, actualisant et accomplissant la geste biblique et plus généralement celle de toute grande littérature. "

Autre geste chez Baudelaire, plus vive et coupante, en écho à celle de Rimbaud, mais aussi plus littéralement dionysiaque se plait à défendre l'auteur - nous y reviendrons dans quelques temps - constatons aujourd'hui que le dandy - lettré par excellence - n'a pas fini de nous surprendre.




à suivre

Philippe Chauché

samedi 9 novembre 2013

L'Etoile du Philosophe


 
" ( Alors )  elle passe sa petite main apaisante dans ses cheveux comme pour lui dire qu'il est temps, grand temps,  de penser plus simplement, plus concrètement. L'enfant, ce glouton de sens, le distrait, le tire par la manche, l'assaille de mille questions lâchées comme des pépiements d'oiseaux. Il lui fait croire que l'énigme du monde pourrait se réduire à quelques sujets élémentaires. "
 
Un amour de Descartes, l'enfance de l'art et de la raison, l'un ne va pas sans l'autre. L'autre, cette enfant qui le fixe, l'écoute, l'interpelle, lui montre ce qu'elle voit avec ses mots, qui vont un temps le détourner de ses maux, enfance nommée, sentie, qui le bouleverse et dont la mort très tôt venue le retourne. Descartes face à l'enfance,  son enfance autrement entendue. Descartes face à la vie qui papillonne, qui se barbouille de confiture, qui n'a d'autres raisons que la raison d'être, étoile filante, sauts de puces sur un pied, sourires de la surprise, toupie qui tourne dans le cœur du philosophe. Il s'en souviendra, nous aussi.

" Il lui explique les sons : il réunit de beaux verres en cristal gravés à la pointe de diamant, de tailles différentes, et les fait tinter à l'aide d'un couteau d'argent. Diiiiiiiing ! Mais il se garde bien de lui expliquer pourquoi la " réflexion de la lumière " est " plus grande dans le cristal que dans le verre ". Le timbre est affaire de physiciens. Il s'intéresse surtout au son dans sa durée. Au bout du compte, il s'aperçoit que ce petit exercice lui a surtout permis de briser un verre. Blinnnng !
Elle s'esclaffe et en rit.
" Achtung, René ! "

à suivre

Philippe Chauché
 

dimanche 3 novembre 2013

Cette Part d'Ivresse




 

« Perpétuel printemps du temps. A travers et par-delà les saisons, les pays, les années. Immortalité individuelle reconquise.
Vraie vie secrète, solitude radicale, communication véritable, à l’infini. »

 
L’Infini, collection imaginée et dirigée par Philippe Sollers,  n’a jamais aussi bien porté son nom. Car c’est bien d’infini dont il est question avec ce roman de Frank Charpentier, infini de la langue, de la poésie, du roman, qui prennent leur source au cœur même du Livre des livres, celui qui a lu et bien lu Rimbaud. C’est disons-le, l’enfance des choses, et les miracles qui nous occupent sont ceux de la langue et du style, de la poésie au roman, contagion divine, colorée et musicale.

Il s’agit de prendre tout cela à la lettre, et d’accorder ses phrases au mouvement infini du corps, du verbe et du temps, saut dans le temps, de la Genèse au siècle de Baudelaire « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu » qui a sa réponse, et quelle réponse : « Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. »

La musique est cette part d’ivresse qui nous saisit, complément d’objet direct, direct de l’âme au corps, du corps à l’âme. Pour se faire, se lever et écrire, marcher et écrire ce que l’on vit et ce que l’on vivra dans les siècles et des siècles.

Et si Rimbaud, soi-disant poète éphémère de la jeunesse révoltée et insouciante, qui a disent-ils cessé d'écrire dans sa fuite trafiquante, trafiquer les phrases ou les armes ? Mais si Rimbaud était pour qui sait le lire de face ou de biais, un homme de l’immersion dans une langue et sa mécanique sacrée, un poète qui en sait beaucoup sur la mesure du silence et la couleur des phrases ? Rimbaud : écrivain de l’escapade vagabonde au centre du Livre, où tout déplacement dans le temps est un mouvement dans l’espace. Ici et maintenant à Paris. C’est aussi ici et maintenant, au Harar, de nouvelles Illuminations livrées par la poste et décachetées par Frank Charpentier. D’une lettre l’autre, comme l’on passe de l’enfer au paradis, de Verlaine à Noé, de l’Occident à l’Orient, une dernière lettre, toutes les lettres.

 
« Définition de l’enfer : le centre est nulle part et la circonférence partout, ça s’appelle aussi l’enfer-me-ment ! Le paradis : la circonférence n’est nulle part, le centre est partout chez lui, infracassable noyau de lumière nature, et ensuite pas de limites, de mauvaises limites. »

Comme chez le gnostique Philippe, Rimbaud expérimente un retournement : la résurrection durant la vie, - scandale des scandales –. Immersion permanente dans le Livre,  autrement dit dans la liberté libre. Je fais ce que j’entends et n’attends rien de ce que l’on veut que je sois - l’inverse de la domination sociale -. Le narrateur du roman de Frank Charpentier met l’œuvre du poète au diapason de sa vie et inversement. Ayant tout connu de l’état des hommes et de leur surdité, il peut musicalement traverser l’aventure de la poésie, et l’illuminer d’une autre lecture : l'alchimie du verbe. Prendre chaque phrase, chaque poésie à la lettre. A. R. – Arthur Rimbaud, mais aussi A Réaliser –, L… – le Lien, elle seule  -, sans s’encombrer des fariboles fumeuses et funestes que véhiculent les gloseurs assis. Roman évènement, La Dernière Lettre de Rimbaud est aussi un roman avènement, comme on le dit du printemps.
 
" Mais d'abord, printemps égale pour moi primevères. C'est le signal. Primevères odorantes, perçant dans l'herbe ou sur la mousse, jaunes, roses, d'un rose pâle ou plus foncé tirant sur le rouge ou le mauve, il y en a partout mais surtout derrière la maison de mon grand-père, dans le grand jardin-verger, semés çà et là au pied des pommiers, des cerisiers, des bigarreautiers, des pruniers bientôt en fleur. "
 
D'une saison l'autre, comme des llluminations le roman  :
 
" J'ai embrassé l'aube d'été. "
 
à suivre

Philippe Chauché


dimanche 27 octobre 2013

samedi 26 octobre 2013

Les Grands Présents

 
 

 
Comme son nom l'indique, il s'agit là de Grands Présents, alors que sous la dictée les Assis les disent absents, tout est venu de la lecture à l'ombre d'un Murier, des premières pages de La dernière lettre de Rimbaud, aller retour entre le New Jersey, Aguascalientes et le Harar. Aller retour, A. R., comme Arthur Rimbaud, le roman solaire de Frank  Charpentier y trouve sa source, d'autres s'aventurent ici, un pianiste, un torero, et au bout du compte trois musiciens qui avaient, qui ont, une idée certaine du silence, donc de la poésie, tant de bavards chichiteux devraient s'en inspirer.






Les Assis, toujours aussi néfastes aujourd'hui qu'hier, aiment à se pâmer lorsque les poètes perdent leur adresse ou, c'est selon, lorsqu'ils désertent, - leurs encyclopédies continuent à noter qu' A. R. n'a plus rien écrit après avoir quitté Marseille !, que Monk resta silencieux dans son exil aux côtés de son amie la Baronne Pannonica de Koenigswater ! que Tomas se fait trop rare pour être sérieux !  -. Leur pauvre mémorial artistique ne repose que sur ce qu'ils croient savoir d'eux, et finalement leur rêve est de les enterrer vivants. Perdu,  nous dansons, et ils demeureront le reste de leur vie des Assis.
 
 


à suivre

Philippe Chauché

dimanche 13 octobre 2013

La Rose des Lettres



" Les roses des sables, que l'on ramasse dans le désert, doivent leurs formes en pétales à l'évaporation de l'eau infiltrée en elles, qui les laisse, après avoir rejoint l'air chaud, écloses. "
Nicolas Idier

" Qu'est-ce qui fait que l'instant est l'instant ? Est-ce ceci, qu'il se dresse brutalement, et dise : " Je suis l'instant " ? Il le dit, sans le dire. Pas d'excès dans la voix, à peine une voix, une petite voix. Mais c'est lui, on le sait. A quoi le sait-on ? Peut-être à ceci précisément, qu'il affirme avec douceur : " Je suis, donc tu es. Tu es, tu as été, tu seras. "
Jacqueline Risset



Sur l'instant, une rose des sables. Sur l'instant, un certain art littéraire, dont la lourdeur s'est évaporée. On ne dira jamais assez l'effet instantané et vital des masses d'air chaud sur la phrase, elle se vide de ses scories, pour retrouver sa nécessaire simplicité, sa netteté, sa légèreté, sa fluidité. La phrase rose des sables ressemble à s'y méprendre à un dessin de Watteau.

à suivre

Philippe Chauché











vendredi 4 octobre 2013

Une Plaisanterie



Ce tout petit roman est une plaisanterie, un badinage social et sexuel, ce qui ne peut que nous réjouir en ces temps où la boursouflure romanesque s'impose et en impose.
Théâtre des opérations : Rome et Paris, une actrice pornographique reconvertie dans la défense du christianisme, un journaliste un rien truqueur et charmeur, un mari dans le placard qui se remet par miracle d'un traumatisme crânien, une femme qui trompe son amant,  quelques secrets qui pourraient faire beaucoup de bruit dans le crâne de  quelques militaires et politiques français s'ils sont divulgués, en somme des plaisanteries !
David di Nota est une sorte de maître chantre littéraire, qui fait en chanter son petit roman - précis et ciselé comme une partition de bel canto - et son lecteur amusé.

" Bien que sa dernière fellation fût encore dans toutes les mémoires, chacun se mit à parler d'elle avec déférence, comme si la vie n'était qu'une suite de politesses et que nous nous étions tous donné rendez-vous au Jésus Christ Country Club. "

" Même affublé d'un sac isotherme dans lequel ma mère avait entreposé mes slips, même ennuyé par le constant dédain affiché par mon père envers la profession que je m'étais choisie, la joie de marcher dans Paris l'emportait sur le reste. Comme la ville était belle ! Comme je comprenais Balzac ! "

" - Comment se fait-il que vous n'ayez rien écrit sur le Darfour ? a-t-elle insisté.
- J'aime bien réaliser des interviews, mais je n'aime pas la suite.
- C'est-à-dire ?
- Je n'aime pas monter au créneau.
- Quel mal y aurait-il à monter au créneau, si la cause le mérite ?
- Je me méfie des débats.
- Mais les débats font partie de la vie, non ?
Pensez à Albert Camus. Que deviendrait l'humanisme sans la possibilité de combattre ?
- On voit que vous n'êtes jamais tombée entre les griffes des humanistes. Les hommes de bonne volonté son effrayants. Ils peuvent vous détruire en un rien de temps.
Elle a trouvé ça drôle. "

" - Quelque chose ne va pas ?  m'a-t-elle demandé.
J'ai planté mon coude dans les draps.
- Écoute, ça te dérange si on cache ces revues ?
- Quelles revues ?
- Les revues de ton association.
J'ai désigné un numéro spécial consacré à la vivisection animale. "

à suivre

Philippe Chauché

mardi 1 octobre 2013

D'un Divertissement l'Autre


Cela pourrait s'appeler un roi et ses divertissements, une manière toute naturelle, non d'oublier les mauvais tours du Diable ( Probablement ! ), mais de passer d'agréable façon le temps qu'il faut bien occuper à autre chose  qu'à ressasser. Point de ressassement littéraire ici, mais le style implacable, l'art de la dentelle romanesque.
L'heure de l'oral du baccalauréat sonne pour Pierre, alors que le coq de la mort a chanté trois fois, l'heure d'écouter avec toute l'attention ces jeunes gens qui doivent à lui se présenter, ils vont ainsi occuper l'espace du roman qui par subtils croisement de fils livre ses terribles secrets de famille, qui conduisent au pire, le pire est parfois l'ange protecteur du romancier qui sait aussi par instant, autre croisement de fils, se faire moraliste, d'un divertissement, l'autre.  
" C'est exactement de cela que Pierre a besoin. S'installer dans une morne routine, c'est oublier ou nier l'exceptionnel qui l'a frappé. Se désespérer qu'on puisse prétendre au bac sans savoir lire, que Montaigne ou Rimbaud soient devenus muets, que la langue qu'on a aimée se meure, c'est déjà ne plus pleurer sur moi. "
" Le professeur qui, année après année, surjoue ses enthousiasmes, se force à l'optimisme, sourit à ses collègues, lénifie, encourage : imposteur. "
" Pierre, qui fréquentait La Rochefoucauld, transforma en maxime d'amour la réflexion retorse et quelque peu forcée dans laquelle le moraliste règle son affaire à la fidélité. Il s'efforça d'aimer sa femme avec système, pour une raison et une seule à chaque fois. La pureté, l'éclat de son regard lui suffit pour l'aimer un an. "  
" Dans la voiture, en rentrant, il ne cherche plus à se distraire. Les nouvelles de l'univers attendront, la radio se tait. Il se raconte les évènements, non par besoin morbide de ressasser, mais pour élaborer une histoire cohérente, début, milieu et fin qu'il puisse lire comme un roman. "
Un divertissement est ce roman, drôle, touchant, intriguant, pétillant et divertissant, seule chose qui nous console de nos misères.

à suivre

Philippe Chauché



dimanche 22 septembre 2013

L'Identité de l'Ecrivain



L'écrivain, quand il l'est vraiment, peut sans mal traverser la terreur sociale avec légèreté. Un pas de danse, un regard posé, un chant sacré, un éclat de rire, un masque sauvage, un retrait, une ligne de risque, une envolée, la fréquentation d'une licorne, ou simplement une distance solitaire aiguisée, qui lui permettent d'écrire au bord du gouffre, au coeur de l'avalanche, de s'en approcher, de s'y glisser, de s'en échapper et d'en rire, comme les héros de Samuel Beckett et de dessiner un autre cercle où se baignent d'étranges renards pâles, scissionnistes d'un temps ancien, autrement dit d'aujourd'hui. 

" J'aimais bien cette idée d'être au volant d'une voiture sans démarrer ; je trouvais l'idée meilleure qu'un voyage. Et puis, n'y avait-il pas, dans cette fantaisie, quelque chose qui relevait de l'enfance et de ses cabanes suspendues dans les arbres ? On l'aura compris : j'étais content ; il existe, pour chacun de nous, un point de ravissement qui, même si la planète éclate, nous accorde à des joies folles. Ce point je l'habitais. " 

La seule identité de l'écrivain, c'est ce qu'il écrit, ce qu'il va écrire, ce qu'il a écrit, le reste ne lui appartient pas, c'est ce que l'humanisme social lui colle sur le pouce pour qu'il le trempe ensuite dans cette encre bleue qui ne sert plus à écrire depuis longtemps, mais à identifier, d'où pour certains l'impérieuse nécessité du masque amusant du pseudonyme, qui n'est autre qu'une identité pure - comme une eau millénaire - de polisseur de phrases. " A coeur de Lion rien n'est impossible ! "

" Connaissez-vous l'impasse Satan ? Elle est située dans le bas du XX°, au coeur du quartier de Charonne. Elle existe vraiment : juste à côté, on trouve le passage Dieu. Quand je suis tombé, ce matin-là, sur l'impasse Satan, je m'y suis engagé par curiosité. J'attendais peut-être une illusion noire, ou de faire l'expérience d'un maléfice. "

L'expérience du livre de l'écrivain qui pouvait se dérouler comme ses précédents, entre fracture, suspension, saisissement, éblouissement et expérience de l'Unique - dans le désordre : Cercle, Le sens du calme, Évoluer parmi les avalanches, Introduction à la mort française, A mon seul désir, Jan Karski et Prélude à la délivrance avec le renard pâle François Meyronnis - prend un autre chemin de traverse. Une flambée parisienne l'envahit, en mémoire de deux sans-papiers africains suicidés, dans l'ombre portée de la Commune - Lautréamont, Rimbaud, Courbet - de Paris Mai - Debord et les invisibles -, un déferlement de masques dans les rues de la ville de toutes les insurrections, pensée d'une révolte à naître, silencieuse et masquée, en mémoire de tous les sans-papiers du monde réel, et le sentiment d'être entraîné sur le terrain du trop plein, du trop dit, du trop écrit, les belles causes affadissent toujours les belles fictions, même si comme toujours le style - la seule machine insurrectionnelle qui vaille la peine - donne au livre le charme d'une dérive pâle et joyeuse. 

à suivre

Philippe Chauché