mercredi 29 février 2012

Transpositions 8

Cecilia Bartoli au miroir
La voix a donc un visage, note-t-il, en regardant cette photo de Cecilia Bartoli au miroir, et il  ajoute que ce regard en dit long sur sa voix, même force, même beauté absolu, même part d'ombre, même dévoilement, la voix dévoile et dissimule dans le même élan, il faut pour cela avoir dans l'oeil et l'oreille la permanence musicale, la seule pense-t-il, qui affronte son futur délitement, alors il se penche sur ses voix, celles qui traversent l'espace temps qui lui dévolu, les voix qui l'ont un jour accompagné, qu'il a croisé, qu'il a aimé, détesté, qui l'ont accablé, trahi, secouru, les voix du jour et de la nuit, les voix abandonnées par le cri, qui naissent du premier cri,  les voix de corps, d'âme et de mots, les voix de la jouissance, les voix de la fin, tombales comme l'on dit, les voix de l'Enfer et du Paradis, les voix qui cherchaient à le séduire mais qui ne s'entendaient pas - terrible constat -, les voix du silence, de la douleur, de la joie, de la tristesse, de l'infamie, de la trahison, de la satisfaction mal venue, de l'absence face à un corps allongé et définitivement figé, voix qui s'entendent bien au delà de ce qu'il est possible d'entendre, voix qui se sont éloignées et qu'il heureux de croiser comme s'il ouvrait un livre fermé depuis longtemps, voix de la certitude, de la colère, du déchirement, qui sont là alignées comme des momies solitaires et solaires, et qui se réveillent toutes ensemble comme si la musique de la voix de Cecilia Bartoli, l'avait dans l'accomplissement musical absolu de faire des miracles, faitez donc entendre votre voix, écrit-il, je saurai sur l'instant si votre corps et vos mots peuvent s'accorder à la mienne.





à suivre

Philippe Chauché

lundi 27 février 2012

Transpositions 7




Photo Sasha Stone
 " Un stabat mater résonne sous la nef. Une femme prend à pleine main un pan de la robe du Christ et la porte à ses lèvres. Elle est dans le vrai : l'épanouissement personnel ici-bas - le projet des Lumières.
Joie brusque, irréfléchie, et qui l'emporte.

Nada te turbe,
nada te espante,
todo se pasa...

Ce serait aussi bien les paroles d'une séguedille, me dis-je. J'aurai trop bu de manzanilla.

" La joie réelle n'est autre, en effet, qu'une vision lucide, mais assumée, de la condition humaine ; la tristesse en est la même vision, mais consternée. " Clément Rosset. " (1)

Il reprend les mots de Thérèse d'Avila, Nada te turbe, nada te espante, todo se pasa, Dios ne se muda... qu'il se plaît ainsi à traduire, rien ne te trouble, rien de t'effraie, tout passe, Dieu ne change rien... à l'affaire, le savoir pense-t-il, répond définitivement à la question qu'elle lui pose, il peut donc se consacrer à consteller sa peau de baisers, n'espérant pas la troubler, tout passe... et la situation le vérifie sur le motif, pense-t-il ; pourquoi voir un corps autrement que comme une nature inspirante, et si l'on préfère, une nature endormie :

" Sans la peinture, sans la littérature, un lieu, " haut " ou pas, n'est jamais qu'un maquis de légumes sanctifiables. La Provence n'existe plus que comme rythmes, souffles, couleurs surchauffées ailleurs, au-dessus de ses déterminations géographiques. Il est normal que les foules de touristes s'y ruent depuis les fins fonds les plus désolés, les plus glacés de l'Europe, pour y piétiner les miettes incandescentes. Le Sud est devenu tout entier sphère, cône, cylindre avec Cézanne ; flagelles et spirales, entortillement de vers de terre rouges, jaunes et mauve, par la grâce de Van Gogh ; champ de brumes solaires chez Bonnard ; sables mouvants, duvet sanglant et pollen blond à travers Renoir. On se gargarise depuis près d'un siècle avec l'idée de la mort de l'art,  mais qui s'intéresse à la destinée des lieux concrets dont l'art a tiré ses images ? " (2)

Le corps, un autre lieu ?

à suivre

Philippe Chauché

(1) Maestranza / Jack-Alain Léger / L'Arpenteur / 2000
(2) Crépuscules des Lieux / Philippe Muray / Essais /  Les Belles Lettres / 2010

samedi 25 février 2012

Transpositions 6


Edouard Manet 1832-1883
Il lui arrivait souvent de se laisser enfermer dans les musées, pour cela il avait un secret, se glisser dans l'invisible de l'être, savoir acquis lors de fréquentations régulières de hauts dignitaires Thang, précise-t-il, il était bien là assis à deux mètres de la toile de Manet et en même temps au coeur du mouvement de la toile, les gardiens passaient devant lui sans le voir, comme les visiteurs passent devant les toiles sans les voir, dans le blanc des fleurs, sur cette banquette de bois doré, dans le silence de la nuit qui allait bientôt s'installer dans chaque salle du musée, il écoutait avec toute l'attention du chasseur, arc tendu, lèvres serrées, muscles prêts, parfois un gardien lors de son ultime ronde sentait un mouvement de tension dans un tableau, il s'approchait, braquait sa lampe torche sur le bouquet de fleur, finissait par rire de sa réaction, et reprenait sa longue marche colorée des éclats que lançaient les tableaux, il pouvait alors s'assoupir, car il lui arrivait souvent de s'endormir devant un tableau la nuit dans un musée et de se remémorer :

" Le soleil a franchi pour se coucher la chaîne de ces hautes montagnes,
Et bientôt toutes les vallées se sont perdues dans les ombres du soir.
La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle,
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs... " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le poète attend son ami Ting-kong dans une grotte du mont Nié-chy / Mong-Kao-Jèn / Poésie de l'époque des Thang / traduc. Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Éditions Ivrea / 2007

jeudi 23 février 2012

Transpositions 5


Man Ray
 " Le temps est la même chose que le désir. " (1)

Venant de passer quelques jours au centre même du déchirement du temps, écrit-il, sans autre consolation que la mémoire des mots et des noms, la main ouvrant de temps en temps le petit livre sur Nietzsche, l'oeil fixant le mouvement du temps, la neige sur les montagnes dans l'espace lointain du regard, son reflet que floutent les miroirs frappés eux aussi par ce déchirement, il a misé sur le retournement de ce déchirement, laissant filer un temps son corps - ses pensées - vers le désir de l'embrasement du temps, nous vivons car nous sommes inconsolables, lui a-t-il dit, il n'a su que répondre sur l'instant, plus tard, la phrase l'accompagnait encore lorsqu'il traversait la nuit à grande vitesse, il a pensé, nous vivons dans le désir d'être le mouvement du temps.

" Ce matin le ciel est sévère. Mes yeux le vident. Ou plutôt le déchirent. Nous nous comprenons, le vieux nuageux et moi, nous mesurons l'un l'autre, et nous pénétrons jusqu'à l'intérieur des os.
Nous entrepénétrant ainsi - loin et trop loin - nous nous subtilisons, nous anéantissons. Rien ne subsiste qui ne soit vide - néant comme est le blanc des yeux.
A l'instant où j'écris passe une jolie fille pauvre - saine, fragile. Et je l'imagine nue, la pénétrant - plus loin qu'elle même. " (1)

à suivre

Philppe Chauché

( 1) Journal in Sur Nietzsche / Georges Bataille / Gallimard / 1945



vendredi 17 février 2012

Transpositions 4


Henry Matisse 1869-1954
 " Noie ton coeur dans les plaisirs, fais la noce, bois à l'outre sur les berges de la rivière, au son des lyres, des colombes et des martinets. Danse et réjouis-toi, bats des mains, sois ivre et frappe à la porte de la jolie ! " (1)

Il nota :  ces yeux me disent quelque chose lorsqu'elle s'assit à trois mètres de lui devant l'une des tables de la terrasse de ce café de la place Alfalfa où il a ses habitudes, il alluma une cigarette, ferma le petit livre qu'il avait ouvert il y a une heure, il se leva, déposa le livre sur la table qu'occupait l'inconnue aux yeux qui lui disaient quelque chose, elle lui sourit, il se dit que la journée était déjà fort bien remplie.  

" (Mais) que délicieux étaient tes pieds lorsqu'ils enlaçaient mon cou et montaient contre ma nuque. " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Ta part légitime / Moïse ibn Ezra / traduc. Frans de Haes / L'Infini / Gallimard / 1981
(2) Un souvenir / Todros Aboulafia /  d°

jeudi 16 février 2012

Florilège 3

Carole Lombard
" La mélancolie d'être compris, - il n'y en a pas de plus grande pour un écrivain. " (1)

" Je suis la scène vivante où passent plusieurs acteurs qui jouent plusieurs pièces. " (2)

" L'art de la parenthèse est un des grands secrets de l'éloquence dans la société. " (3)

" Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certain temps ne peut plus s'en passer : toute autre vie pour lui est languissante. " (4)

Mon plus grand bonheur : laisser filer mon regard sur le sien.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cahiers 1957-1972 / Cioran /  Gallimard /  1997
(2) Fragments d'un voyage immobile / Fernando Pessoa / traduc. Rémy Hourcade / Rivages poche / 1990
(3) Maximes et pensées / Chamfort / Gallimard / Folio classique / 1970
(4) Les caractères de la cour / La Bruyère / Garnier / 1962

mardi 14 février 2012

Transpositions 3


Edouard Manet

" Rien de plus difficile à faire qu'un portrait. On voit tout de suite si le peintre dessine de l'intérieur, s'il radiographie ou pas son modèle, s'il maîtrise les moindres métamorphoses de son sujet. " (1)

Dès leur première publique et pudique rencontre - peuvent-elles être autres, se demanda-t-il ? - il fixa ses lèvres, de telles lèvres pensa-t-il, doivent dire plus d'un mensonge par phrase, ce qui n'était pas, loin de là, pour lui déplaire ; il n'attachait que peu d'importance à la vérité, même nue, s'amusait-il à ajouter, lorsque sur cette remarque on le questionnait, d'autant plus, ajoutait-il, qu'il n'y a pas plus beau mensonge que la nudité, croire naïvement que la nudité s'offre dans une vérité non masquée est une pensée magique, et les lèvres qu'il fixait recelaient non seulement une belle quantité de mensonges à venir, mais aussi une amusante fantaisie, il y avait de la fantaisie dans ses lèvres, pensa-t-il, et ce seul constat, justifiait qu'il les fixa ; fixer des lèvres n'est pas donné à tout le monde, d'autant plus périlleux, qu'elles se mirent à bouger, et il n'eut pas besoin de tendre l'oreille pour entendre ce qu'elle avait à dire à cet inconnu, certes élégant, mais qui la fixait, ses lèvres en tout cas, depuis cinq minutes, une telle situation se produisant en un lieu privé ou secret, l'aurait peut-être amusée, mais là, en public, en plein été, et à la terrasse d'un café, où certes elle s'était assise en toute connaissance de cause, ils avaient rendez-vous avait-elle noté sur son Iphone, rendez-vous pour " affaires " avait-elle ajouté :
- Je ne sais ce que vous regardez, mais sachez que ce n'est pas très agréable d'être ainsi examinée.
- Je fixe vos lèvres, répondit-il.
- Et vous n'avez rien de mieux à faire ?
- Dans un premier temps, non ! - et il mit dans ce non, un rien d'ironie -
- Quand vous en aurez terminé, nous pourrons peut-être passé à ce qui nous occupe.
- Rien ne m'occupe moins, je vous l'avoue, que le mouvement de vos lèvres, et si j'ai souhaité vous voir ici, c'est pour vérifier ce que je devinais, je vérifie toujours ce que je devine, c'est mon côté évangéliste disent certains de mes amis, je vous ai vu de loin lors du vernissage de ce peintre dont j'ai à jamais oublié le nom, en passant je me demande toujours comment peut-on peindre sans savoir dessiner, la question reste en l'air, je n'attends pas de réponse, les réponses éclatent, si je puis dire, impudiquement dans cette exposition où j'ai pour la première fois vu vos lèvres, de loin certes, mais j'ai gardé en mémoire les fragments de leur mouvement, d'où cette invitation, sous couvert d'envie d'en savoir plus sur vous et vos dessins justement, car vous dessinez m'a-t-on dit ce soir là, sous couvert, ou à couvert, à vous de voir, sous couvert donc de vous aider à trouver comme l'on dit un "point de chute" artistique, et vos amis qui ont, heureux soient-ils, servis d'intermédiaires, savent deux ou trois choses sur moi, et n'ignorent pas que mon patrimoine, je l'avoue un peu démesuré, accueille parfois, un jour un peintre, un autre un dessinateur, parfois un photographe, le tout au féminin, non par je ne sais quel rêve naïf de ces hommes qui passent leur vie à se prendre pour des féministes - on a les perversions que l'on mérite - mais simplement pour vérifier que mon impression lointaine et première était la bonne.
- Et alors ?
- C'est parfait, je repars avec le mouvement de vos lèvres, pour celui de vos yeux nous verrons cela une autre fois.


à suivre


Philippe Chauché


(1) L'éclaircie / Philippe Sollers / Gallimard / 2012


dimanche 12 février 2012

Transpositions 2

Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoïni, Contessa di Castiglione
" Bas les masques ! " disent-ils, alors qu'il conviendrait d'affirmer l'inverse, les masques révèlent avec plus de netteté ce que nous sommes, que leur absence, note-t-il ;  les masques tout un roman !  Les héroïnes les plus romanesque ne se livrent que masquées, et la volupté est une affaire de masques et de jeux, je joue à ce que je suis en me dissimulant derrière un loup de soie noire, une mantille - merveilleux masque sévillan du vendredi Saint -, la séduction ne peut avancer que masquée, devinez et vous gagnerez, semble-t-elle dire, devinez quel masque cache celui qui tant vous attire, car le masque se doit d'en cacher un autre, le jeu peut ainsi durer toute une nuit et cela serait une mascarade que de l'ignorer.
à suivre
Philippe Chauché

samedi 11 février 2012

Transpositions.


" De travers, ça elle aimait. Elle aimait le faire, le faire plonger dans ses courbes, ses monts et vallées. Elle aimait le rendre fou, l'éblouir de ses reflets éternels, le narguer impunément. Et lui, il parcourait. Aisselle, sexe et cheveux. Il humait, broutait. Le crâne, artifice de couleurs. Et pourtant personne ne lui avait appris les couleurs. Elles lui étaient familières. Il savait que la lumière y était pour quelque chose. Mais quoi ? Sait pas ! Il s'était inventé un vocabulaire. A tiroir. Il y avait la lumière-sang, la lumière-ciel, la lumière-herbe, la lumière-lait et d'autres encore... Toutes définies d'après de lointains souvenirs qu'il en avait de la terre d'origine.
Et ce qu'il préférait chez elle, avant toute chose, et qui le faisait le plus souffrir, c'était sa lumière-lumière. Ah ! Ça oui ! Quel feu follet ! Cette petite ! Elle connaissait les éclairages ! Les caches et les contre-caches ! Les courbes qui prennent bien la lumière ! " (1)

- Vous ignorez sûrement que vous avez là, affaire à une experte, et vous...
- A la voir, je ne peux en douter !
- et vous seriez surprise, ma chère, si...
- Si vous me disiez que auriez bien aimé vous trouver à la place du photographe.
- si... vous disais-je avant que vous ne me coupiez la parole, si vous saviez qu'elle est experte en transpositions de compositions baroques, et d'ailleurs quoi de plus baroque que de poser ainsi nue sur son piano, et ce n'est pas la place du photographe que j'envie mais celle du piano, et si je puis ajouter, tout dans son corps révèle son jeu, et tout dans son jeu irradie son corps.
- Nous voilà bien avancés, heureusement que vous vous dédouanez en glissant ici et là quelques textes qui font bien dans le paysage.
- Je ne vous le fait pas dire, avec vous au centre, cela prend une belle allure !
- Et je dois prendre la pose ?
- Je vous y invite.
- Ainsi ?
- J'avoue mon trouble.
- Ou ainsi ?
- Je dois dire que là, vous vous surpassez.
- Sachez cher ami, que j'ai quelques compétences moi aussi en transpositions.

" La nuit, caresse les seins de la jolie et baise tout le jour les lèvres de la belle... Noie ton coeur dans les plaisirs, fais la noce, bois à l'outre sur les berges de la rivière, au son des lyres, des colombes et des martinets. Danse et réjouis-toi, bats des mains, sois ivre et frappe à la porte de la jolie ! " (2)
 
à suivre
 
Philippe Chauché


(1) Vision par une fente / Camille Guichard / L'Infini / Gallimard / 1991
(2) Ta part légitime / Moïse ibn Ezra / Poésie hébraïque / traduc. Frans de Haes / L'Infini / Gallimard / 1982

vendredi 10 février 2012

Ma Librairie 32





" Dyk ne nourrissait pas non plus d'antipathie particulière à l'égard des étudiantes des beaux-arts. C'étaient les gens dans leur ensemble qui l'importunaient. Certes, plus ils étaient jeunes, plus ils l'agaçaient, selon cette loi élémentaire que plus leur date de naissance était proche, plus longtemps ils dépareraient le monde de leur existence. Les vieux n'étaient pas plus ragoûtants, mais ils avaient des circonstances atténuantes : ils ne feraient plus les mariolles trés longtemps. " (1)

" Les pires étaient tous ces boutonneux. Autrefois dénommés jeunesse, hagarde avant-garde de ses devanciers dorénavant garde arrière ; plus tard, avec le changement de régime, jeunesse avait été remplacée par " jeunes ", terme répondant mieux aux temps nouveaux car plus soucieux de l'individu et de ses aspirations. " Vous êtes pour les jeunes ? " Nein ! " Vous aimez les jeunes ? " Nein !! " Vous avez kékchose contre les jeunes ? " Jawohl !!! " (1)

" Le quartier devait aussi sa tranquillité à la présence du parc. Il ne convenait pas à la prostitution, était trop éloigné du centre pour les revendeurs de drogue. N'était le nombre croissant d'aliénés qui s'adonnaient aux premières heures du jour à une activité dénommée Djo-Guing, laquelle avait remplacé les exercices de gymnastique devant la fenêtre ouverte avec vue sur l'usine, pour un regard hâtif, bien peu de choses témoignaient du fait qu'ici aussi, la roue de l'Histoire avait tourné. " (1)

" Né quelques siècles plus tôt, il aurait pu devenir François d'Assise ou Bartholomée de Las Casas ; dans la Tchécolovaquie communiste du début des années soixante-dix du siècle vingtième de son ère, il passait invariablement pour un con. " (1)

Un banc public, note-t-il, comme poste idéal d'observation, d'où l'on peut à loisir - tant que la police politique n'y voit rien à redire - se laisser aller à toutes les banalités d'usage, les remarques les plus désagréables sur quelques humanoïdes de son entourage, les plaisanteries les plus mal venues,  les méchancetés les plus piquantes sur le désordre social ambiant,  bref, ajoute-t-il, c'est d'un banc public que se font et se défont les théories de l'organisation de la société communiste, que l'on résout les crimes les plus obscurs, et que l'on écrit parfois les livres les plus méchants du moment, dans un éclat de rire réjouissant,  la chose est trop rare pour être passée sous silence.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Classé sans suite / Patrick Ourednik / traduc. Marianne Canavaggio / Allia / 2012

mercredi 8 février 2012

Du Politique





" La fermeté du coeur passe par celle du corps ; elle est comme l'épée qu'on doit toujours avoir gainée dans la sagesse, mais prête à l'occasion. L'épée prête à l'emploi inspire le respect. La faiblesse du coeur est plus dangereuse que celle du corps. Avec d'éminentes qualités, certains, faute de ce courage, sont morts sans vraiment vivre et finirent enterrés au fond de leur molesse : ce n'est pas sans raison que l'adroite nature au miel joignit le dard chez l'abeille. Il y a dans le corps des nerfs et des os : que l'âme ne soit pas entièrement molle. "

Baltasar Gracian

à suivre

Philippe Chauché

mardi 7 février 2012

Le Regard du Peintre.


Barcelone 1923, Barcelone 2012, Antoni Tapiés, un peintre, une ville, que la radicalité néo-architecturale a partiellement détruite, qui n'a fréquenté il y a trente ans le Chino et ses demoiselles d'Avignon, ne peut comprendre ce qui s'y jouait, théâtre permanent de la pensée et du corps en mouvement, qui n'a embrassé ici Gaudi, là Picasso, ailleurs le pianiste Tete Montoliu, aveugle et voyant,  seul sur la scène du Palau de la Musica, qui n'a passé la nuit dans ce café de l'absurde où d'amusants libertaires offraient une tournée de Manzanilla au jeune français qui se déplaçait avec ses cannes anglaises, qui n'a tourné autour des toiles du peintre comme un derviche amoureux de l'espace et du temps, qui n'a franchi les portes de la Sagrada Familia, traversé le Palau Güell et son Parque au bras d'une jeune catalane peu farouche et lectrice de Montaigne, ne peut parler d'Antoni Tapiés. Qu'il repose en paix, nous poursuivons, note-t-il notre voyage d'insensés.





à suivre

Philippe Chauché

dimanche 5 février 2012

L'Oeil du Comédien





La comédie se poursuit, et elle n'a même jamais été aussi envahissante, mais diable quel manque de style et d'élégance, Ben Gazzara - 1930/2012 -, lui,  les incarnaient, l'oeil de ce comédien à lui seul méritait que l'on perde notre temps au cinéma, dans Meurtre d'un bookmaker chinois - 1976 - il est au plus haut de l'incarnation de la comédie sentimentale et désespérée, tout désespoir bien élevé, se doit, note-t-il, de posséder cette pépite dans l'oeil et ce sourire désarmant les armes du diable, même s'il aura le dernier mot, et comme personne n'est dupe, que cela soit accompagné de jolies femmes, de champagne et de grâce, c'est cela qui est admirable dans ce film de son ami John Cassavetes, la comédie du monde est un spectacle, soyons-en l'un des acteurs, et traversons le dernier chant de la vie un oeillet rouge à la boutonnière, une coupe de champagne à la main et bien accompagné, le reste est sans importance.




" ... Mais si tu sors un jour de ces lieux obscurs
et retournes voir les belles étoiles,
lorsqu'il te plaira de dire : " J'y fus ",
fais que les vivants aient souvenir de nous. " (1)

 à suivre

Philippe Chauché

(1) La Divine Comédie / L'Enfer / XVI / traduc. Jacqueline Risset / Flammarion / 1985

samedi 4 février 2012

La Loi de l'Acteur.








Que dit le corps de l'acteur, dans quelle réalité étrange se glisse-t-il, d'où vient sa voix et son corps ? C'est toutes ces questions qu'il se pose après avoir vu, vraiment vu, Nicolas Bouchaud sur la scène du Théâtre des Halles - lieu rare où les mots et les gestes ont un sens unique, pour ne pas écrire exceptionnel - dans la loi féconde de l'acteur portant celle du marcheur (1), corps des planches qui se glisse dans les phrases d'un corps cinéphile, l'un face à l'autre, le savoir, la loi et la saveur du comédien de l'éphémère, qui se livre au jeu subtile de la parole jouée et du corps savoureux - peut-il être autre chose ? - du corps qui devient par le miracle du plateau, celui de l'auteur, et des films qu'il a toute sa vie embrassés, corps qui prend corps comme prenaient corps les comédiens d'Howard Hawks dans Rio Bravo - John Wayne, Dean Martin, Ricky Nelson, tout un roman du cinéma - et qui se joue de ce qui se jouait là, sans autre raison que celle de raconter une histoire dans le vif de l'action, le vif du corps du comédien des planches qui danse, comme chantait Dean Martin, sans autre raison que de mettre sa voix et son corps au diapason des écrits et des passions sentimentales de Serge Daney.





A suivre

Philippe Chauché

(1) La loi du marcheur - Serge Daney - mise en scène Eric Didry - avec Nicolas Bouchaud - Théâtre des Halles Avignon / Scène Nationale de Cavailllon

vendredi 3 février 2012

Artifices (2)


- L'art d'être est aussi celui de paraître, ne cessez-vous de dire.
- Je ne dis rien, je vous écoute.
- Il n'empêche, vous fréquentant plus ou moins régulièrement, pas un soir sans que cette phrase ne vous vienne aux lèvres.
- Et d'autres aussi.
- Je vous le concède, mais, je me demande encore pourquoi ce refrain, chantonné soir et matin dans votre tour.
- Les tours et les belles femmes m'ont toujours inspiré, elle savent, les belles femmes, que le paraître est l'arme la plus efficace contre l'attraction de la tombe.

à suivre

Philippe Chauché