mercredi 16 décembre 2015

Perrault dans La Cause Littéraire


« Riquet et Radieuse ne se marièrent pas, n’eurent pas tant d’enfants que ça mais ils s’en donnèrent à cœur joie. Chaque jour fut une fête, chaque nuit aussi » (La Véritable Histoire de Riquet à la Houppe, Gérard Mordillat).
 
« Sur les feuilles, des lignes et des lignes de Serpents et de Crapauds. Des pages et des pages de lignes entières, et rien d’autre que des Serpents et des Crapauds sur toute la ramette, qu’Alix enchaînait depuis la veille au soir avec l’application confondante d’une élève de CP » (Les Fées, Frédéric Aribit).
 
Dans ce tourbillon littéraire, un cyclope, une fée, une sorcière, Cendrillon, Riquet, Peau d’Âne, et Barbe-Bleue. Imaginons Riquet à la Houppe qui se pique de la Radieuse Aurore et l’entraîne dans de réjouissantes escapades  – Quand elle se rhabilla Radieuse était illuminée, comme un vrai sapin de Noël– dans la MJC Andersen. Riquet qui renaît sous la plume électrique de Gérard Mordillat, l’un des Papoudes contes avec son compère Hervé Le Tellier, et qui ne manque pas d’allant pour nous conter les tumultueuses et sulfureuses aventures de Riquet, le héros à la houppe virevoltante.
 
Pensons à une fée qui va rendre sa liberté à Samara – Yeux zinzolins qui me boivent dans toute l’eau de l’air – alors que vipères et serpents sortiront de la plume de sa sœur. Frédéric Aribit magnétise ce conte de Perrault, cette histoire d’une mère qui a deux filles, méprise l’une et admire l’autre, et va le payer très cher, un conte moral comme il se doit. L’histoire d’un verre d’eau qui déclenche le verbe, la poésie chez l’une, la terreur chez l’autre, un conte étourdissant où tout l’or des mots n’a pas de prix.
 
 
 
« Il souleva le voile qui couvrait un visage d’une infinie beauté et pour la première fois depuis ce qui semblait avoir duré un siècle, elle regarda un homme de face » (La Belle au bois dormant, Leila Slimani).
 
« Subtil Poucet, je vous libère dans l’instant mais vous devez auparavant chasser le monstre Cyclope tel que je vous le demande, car son œil unique balaye toute chose, et seulement ensuite il vous sera donné de retrouver les vôtres » (L’Odyssée de Poucet, Manuel Candré).
 
Leurs contes de Perrault c’est aussi un Chat très numérique en 2.0, Poucet, tel Ulysse qui tue par ruse le Cyclope – Quel est ton nom ? Et Poucet lui répondit : Mon nom est Personne –, Cendrille-Cendrillon qui se transforme et que l’on travestit pour ne pas faire d’ombre à ses sœurs et à sa belle-mère. Ces Contes modernes sont des jeux, jeux littéraires, cette belle passion française, sous l’influence fantasque de Raymond Queneau et Georges Pérec. La contrainte est un chemin de traverse qui s’ouvre sur des plaines et des forêts luxuriantes d’imaginaires et d’escapades déraisonnables.
 
Les contes s’écoutent avant de se lire, et qui sait bien écouter, sait bien écrire. Nos modernes ici rassemblés ont l’oreille fine et plus d’un tour dans leurs sacs à fictions pour imaginer ces nouvelles aventures de Poucet, de la Belle au Bois Dormant, de Peau d’Âne, ou encore du Petit Chaperon Rouge. Ce recueil est une ruche, où le lecteur, abeille solitaire, vient se réfugier pour y faire son miel. Il a plus ou moins lu Charles Perrault, mais, il a d’évidence en mémoire ces Contes – raconte-moi une histoire, encore une s’il te plaît ! – qui ont traversé plus de trois siècles sans qu’un grain de poussière ne les altère. Parions que ces contes nouveaux soient lus et entendus et suscitent des vocations, comme si la littérature prolongeait à jamais ce plaisir d’écrire et de dire, nos rêves, nos envies, nos frayeurs anciennes et nouvelles.
 
Philippe Chauché
 
http://www.lacauselitteraire.fr/leurs-contes-de-perrault-collectif

samedi 12 décembre 2015

Hans Silvester dans La Cause Littéraire




Les sphères exercent une irrésistible fascination sur les habitants du globe terrestre. Elles suscitent spontanément une « gestuelle » et un imaginaire… J’ai la prétention de croire que, sur un terrain de boules, s’exprime une civilisation plus ancienne, plus complète, plus riche, plus sage (Yvan Audouard).
 
 
Face à nous des livres de photos et de grands tirages en noir et blanc de joueurs de Pétanque et de jeu provençal, dans la lumière du noir et blanc. Les photos de Hans Silvester saisissent ces regards des joueurs, sourires, tensions, doutes. Ils s’élancent, les bras se balancent, les corps dansent, on fixe la boule, des cercles se forment, c’est « un théâtre populaire où les hommes se retrouvent pour jouer et regarder ». Sous nos yeux, les ombres des joueurs et des arbres, ces platanes qui ombrent les images de Hans Silvester comme ils ombraient les romans de Jean Giono et les poésies de René Char. Le photographe lit les deux écrivains depuis les années 60, depuis son arrivée à Marseille et son installation dans cette maison ouverte sur les collines du Luberon. « Une ruine achetée pour la moitié du prix d’une 2 CV, aujourd’hui cela serait impossible ».
 
 
 
Rencontre avec Hans Silvester, Lioux, Vaucluse, novembre 2015
 
" Ces photos ont été prises entre 1973 et 1977, j’ai commencé ici, à Roussillon, Gordes, après je suis allé un peu plus loin, à Cavaillon. J’avais des voisins, Monsieur Julian qui avait trois enfants, et son fils aimait vraiment jouer aux boules, donc on a joué ici et c’est comme ça que j’ai commencé. C’est après que j’ai vu que les boules c’est très important culturellement. Les hommes sont ensemble, c’était la qualité de vie de la Provence. Chaque village avait son terrain de boules, c’était un endroit de théâtre populaire et les hommes se rencontraient pour jouer, pour faire des gestes, pour parler et tout ca dépasse le simple jeu de boules, c’est un théâtre villageois, je l’ai senti comme ça. Aujourd’hui tout cela a beaucoup changé, mais à l’époque (dans les années 70), c’était vraiment ça.
 
 
Je voulais raconter toute cette histoire des boules, de la pétanque et du jeu provençal, les « vieux » étaient là et la Pétanque jouait un rôle très important, même s’ils ne jouaient plus, ils avaient un spectacle quotidien, c’était une sortie pour eux. C’était une qualité de vie que nous avons oubliée. J’avais lu Giono, Le Chant du Monde. Je suis arrivé à Marseille en Vespa et puis on m’a volé ma Vespa, alors j’ai continué en vélo. C’est comme ça que je suis arrivé en Camargue. J’ai fait mon premier livre en Camargue avec une préface de Giono (Camargue, Jean Giono, Hans Silvester, Lausanne, La Guilde du Livre, 1960). C’est un maître, un poète et en plus c’est l’un des premiers écologistes, c’est « l’homme qui plante des arbres », on l’oublie aujourd’hui en France. Et je trouve qu’en Provence on a eu cette énorme chance d’avoir deux grands « écologistes » c’est Giono et c’est René Char. Giono on a fait le livre ensemble, je l’ai revu après. Ce n’était pas un homme facile, vraiment un intellectuel avec ce don d’écriture, il écrivait très vite. La préface pour mon livre, il l’a écrite pendant un week-end.
 
 
Les joueurs c’est du ballet, il y a une élégance naturelle exceptionnelle. Dans tous les villages, juste après ces années 70, on a goudronné toutes ces places où on jouait aux boules, pour créer des parkings. C’est le lobby des « autos » qui a influencé les communes pour faire des parkings. On a démoli les terrains de boules pour des parkings, et ces parkings sont devenus trop petits, alors on a créé des parkings à l’extérieur des villages. Tout cela me met en colère. Il y a quelques mairies qui font marche arrière, on enlève le goudron et il y a à nouveau des terrains de boule.
 
Le photographe gêne les joueurs, donc si quelqu’un rate sa boule, c’est la faute du photographe, c’est évident. Je l’ai compris tout de suite. A Cavaillon où on jouait beaucoup d’argent, il n’y avait pas moyen de faire des photos si on n’était pas copain avec les joueurs. Donc j’avais trouvé un système, je faisais les photos l’après-midi, je rentrais à la maison, je développais les films, le lendemain matin je faisais les tirages, et l’après-midi j’étais sur le terrain avec les photos. Et ça a beaucoup plu parce que j’avais des photos et eux ils pouvaient rigoler sur les photos, et faire des commentaires, et c’est comme ça que petit à petit, plus le Pastis que l’on a bu ensemble, on est devenus copains. Et le Pastis est bon quand il fait chaud, mais ce n’est pas du tout des « saoulards », ce sont les « parisiens » qui le pensent. Ils m’ont reconnu comme photographe et après les bons joueurs quand je les ai revus à Marseille pour les grands concours, ils m’ont salué, et ils étaient contents. Aujourd’hui, les endroits pour jouer aux boules sont devenus froids, tout est organisé, comme le tennis avec des lignes blanches.
 
 
 
 
La lumière, c’est le soleil et l’ombre et les arbres qui créaient cet ombrage sur la terre, c’est magnifique, on a toutes les structures, j’ai joué là-dessus. A cette époque j’aurais préféré être un bon joueur qu’un photographe. Je suis quelqu’un de très lent, il me faut du temps, et je fais connaissance de mon sujet en prenant le temps. Tout le monde a fait des photos de Pétanque, mais jamais personne n’y a passé autant de temps, un an à photographier les joueurs, une saison de boule. "
 
 
Une saison à regarder, à écouter et à cadrer dans le bleu du ciel, une saison au Paradis, dont cet ouvrage livre l’indélébile trace.
 
Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/hans-silvester-petanque-et-jeu-provencal