lundi 31 décembre 2012

2012



2012 : Éloge de la Beauté :  un philosophe, un torero, un poète, un écrivain vénitien, un peintre nécessaire, un écrivain bordelais, un peintre absolu, un sculpteur-dessinateur, une chanteuse divine, la dérive du monde peut se poursuivre, nous sommes sauvés. (1)














à  suivre en 2013 en bonne compagnie.

Philippe Chauché 

(1) merci à celles et ceux qui s'aventurent ici.

dimanche 30 décembre 2012

Manières de Manet


Peindre c'est écrire, mais autrement, dans une sorte d'avancée du corps, Manet lorsqu'il écrit à quelques jeunes femmes admirées, écrit comme il dessine. Deux traits trois phrases, deux phrases trois couleurs, et faites avec ! En écoutant ce qui se voit, on comprend s'il le fallait, ce qui habite le peintre, trouver le geste juste et la phrase nette, la phrase juste et le geste net, laisser la nature - la belle nature - se poser dans ses lettres, comme l'on pose un baiser sur le front d'une belle connaissance, justesse du geste du peintre, comme chez les classiques, ces classiques admirés par Manet, contre tout et contre ses contemporains, qui comme les nôtres, pense-t-il, ne manquent pas d'air, alors qu'ils devraient s'effondrer faute de l'avoir vraiment respiré.
Peindre c'est écrire :
" à Isabelle, cette mirabelle et la plus belle c'est Isabelle. " (1)
" je vous embrasserai si j'osais. " (1)
" je vous ai envoyé la première prune de mon jardin voici la dernière elle est pour vous. " (1)




Écrire c'est parfois s'accorder au mouvement d'un peintre, écrire contre ce qui s'écrit partout sans saveur et savoir, illettrisme dominant et vulgarité affichée, l'un de va pas sans l'autre, la soit disant modernité s'en abreuve, et la bêtise s'en nourrit. Mais parfois, un éclat comme un trait de Manet, une aquarelle comme une lettre volée et le Temps y retrouve son mouvement, qui est celui de la Beauté, éclaircie et éclairs, pinceaux et crayon.

" Huîtres, citrons, asperges, jambon, roses, champagne, pivoines, et deux Victorine ! et trois Méry ! Ni Dieu, ni Maître, ni Matriarcat : certains peintres se sont battus pour ça. Manet a vaincu tous les arriérés de son temps, qu'ils soient réactionnaires, socialistes ou naturalistes (...). " (2)




Le peintre écrit toujours une fleur à la main, un fruit à porté de palette, les ânes y perdent leurs grandes oreilles bouchées, c'est heureux, moins sommes nous à entendre tout cela, mieux nous respirons.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Manet, lettres à Isabelle, Méry et autres dames / Arts et Métiers graphiques - Centre Georges Pompidou - Flammarion - Herscher - Skira / exemplaire n° C 22 / 1985
(2) L'Eclarcie / Philippe Sollers / Gallimard / 2012

samedi 29 décembre 2012

Le Corps de Renoir


En revenir toujours à la même histoire, pense-t-il, au roman des classiques, avec une vue perçante sur la modernité, qui sans lui, ne serait rien, et d'ailleurs n'est souvent rien aujourd'hui, sauf pour certains une palette à billets, effet de monde sans style, sans raison, sans matière et sans sujet, pour Renoir une sujet traverse tous ses tableaux, toujours le même en mille déclinaisons, le corps féminin dans sa nudité éclairante et éclairée, dans la vérité de la beauté, comme chez les classiques, comme chez les anciens, mais avec chez lui, la permanence florale de l'état de grâce, la beauté libre de la situation, les fleurs et les corps même manière d'être au monde, de l'habiter, de le toiser, de s'en saisir, d'en faire un complice, et finalement peu importe ce qu'en pensent les humanoïde qui ont toujours un siècle de retard, deux siècles de surdité, car pour entendre ce qui se voit sur la toile, il faut avoir l'ouïe fine, grand avantage des peintres et de certains écrivains.

Frédéric Ferney a l'oreille fine, il l'a vérifié en écoutant Renoir, le corps de Renoir, son roman, alors écoutons :

" Renoir avait toujours eu l'oeil sur la beauté du monde. Sa religion était un peu chinoise. " (1)
" L'autre jour, un Japonais était venu : ils ne se sont pas parlé, ils sont devenus amis, allez comprendre. C'était le peintre Umeara. " (1)
" Avec Renoir, le tableau commençait avec d'incompréhensibles touches sur le fond blanc. Le liquide, huile de lin et essence de térébenthine, coulait, coulait, coulait. Il appelait ça : le jus meus, comme un  rôtisseur latin. " (1)
" C'est drôle, avec le temps, il me semble que ce Déjeuner, n'a jamais existé.
- Comment cela ?
- C'est le tableau qui existe. Regarde bien. Pas un nuage, pas l'ombre d'un chagrin dans tout cela. Juste le bonheur d'exister. Un après-midi au bord de l'eau entre amis. La vie ! " (1)
" Il dit encore :
- Le vrai mystère, ce n'est pas l'invisible, c'est le visible.
Un peu plus tard, à la nuit tombée, en regardant la lune :
- Comme il y a du rouge là-dedans ! " (1)
" On ne peint jamais que les secousses de son coeur. C'est moi qui suis tout nu, (...), pas le modèle. " (1)
" Jean sait que Renoir est enfin seul.
Il pense : A la fin, seul le combat existe.
Pas de famille ni de clan.
Son amour, c'est ce combat. " (1)
" Il était mort le lendemain.
La veille,devant un bouquet d'anémones, il avait murmuré :
- Ah ! cette foutue peinture ! Je crois que je commence enfin à savoir comment peindre une fleur. " (1)

Chinois écrit-il, Chinois d'évidence.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Renoir, roman / Frédéric Ferney / les éditions du huitième jour / 2008

mercredi 26 décembre 2012

Les Strandards de la Beauté


Cela fait bientôt trente ans qu'ils jouent ensemble des standards, comme jamais ils n'ont été joués. Cela fait bientôt trente ans qu'ils portent la musique au firmament de la Beauté, et c'est en quelque sorte leur éthique. Dans la furie dominante et le bruit que s'imposent les humanoïdes affolés et incultes, ils font figure de classiques, ils en ont le style et l'élégance, le savoir et la saveur, ce qui met souvent en fureur les fâcheux et les grincheux, qui reprochent au pianiste ses caprices, son air hautain, son refus d'être enregistré et photographié par d'autres que ceux qu'il choisit - les hommes de ce temps ne savent plus écouter et regarder, sans en voler des traces, autres que celles précieuses de leur mémoire, vérifiant ainsi qu'ils n'en ont plus depuis longtemps - manières qu'il conviendrait pourtant de saluer, comme l'on salue le silence des esprits épris du mouvement du Temps et de la Beauté.  

Standard :
" (evergreen, oldie ). Morceau populaire qui a résisté à l'épreuve du temps. Dans le jazz, on distingue les chansons de Broadway ( ou Tin Pan Alley ), reprises par les jazzmen, comme Body And Soul, Stardust, tendance dont l'apogée se situe dans les années 30, et les morceaux composés par les musiciens de jazz, comme Flying Home ou 'Round Midnight"... C'est dans l'interprétation d'un standard que se révèlent le mieux les qualités d'invention d'un jazzman ( qu'il soit instrumentiste, chanteur ou arrangeur )... " ( Philippe Baudoin - Dictionnaire du Jazz - Robert Laffont - 1988 )

Beauté :
" La beauté pouvant éveiller un sentiment de supériorité, d'admiration et ayant son pendant dans les qualités intellectuelles ou morales ( selon la tradition platonicienne ), l'adjectif s'emploie dans la sphère intellectuelle, morale et sentimentale ( ces trois domaines sont attestés en 1080 )...  Dans le langage de la haute société qui s'élabore au XVI° et XVII° s., beau acquiert la valeur de " noble, distingué, brillant "... " ( Dictionnaire historique de la langue française - sous la direction d'Alain Rey - Le Robert - 2006 )

http://youtu.be/ENrRAIzlL1A





à suivre

Philippe Chauché

Les Armes du Style


Il y a plus de vingt ans, note-t-il, un philosophe balnéaire, qui à l'époque dirigeait Distance, une cabane d'édition de Biarritz publiait " Théorie de l'Ambition " de Marie-Jean Hérault de Séchelles, un petit livre qui à bien le lire lui ressemble. A l'occasion d'un perpétuel rangement, il l'a retrouvé, et profite de la situation pour en livrer ici quelques bonnes feuilles :

" Ayez une haute idée de vos facultés, et travaillez, vous les triplerez. "

" A l'âge où la mémoire a sa mesure, une bonne ligne lue en un jour instruit plus que le livre entier dont elle fait partie ; car si l'on a toujours été occupé de son objet dans ces deux cas, on a été dans le premier inventeur et maître, et dans le second disciple et manoeuvre. "

" La société guérit de l'orgueil, et la solitude de la vanité. "

" Se consoler du mal réel par un bonheur idéal ; se réfugier de son coeur, dans sa tête. "

" Machines du style : rapprochemens, contrastes, gradations, conglobations. "

" L'imprévu est la base du style dans tous les genres. "

à suivre

Philippe Chauché


lundi 24 décembre 2012

Delacroix



" Delacroix était passionnément amoureux de la passion, et froidement déterminé à chercher les moyens d'exprimer la passion de la manière la plus visible. Dans ce double caractère, nous trouvons, disons-le en passant, les deux signes qui marquent les plus solides génies, génies extrêmes qui ne sont guère faits pour plaire aux âmes timorées, faciles à satisfaire, et qui trouvent une nourriture suffisante dans les oeuvres lâches, molles, imparfaites. Une passion immense, doublée d'une volonté formidable, tel était l'homme.
Or, il disait sans cesse :
" Puisque je considère l'impression transmise à l'artiste par la nature comme la chose la plus importante à traduire, n'est-il pas nécessaire que celui-ci soit armé à l'avance de tous les moyens de traduction les plus rapides ? "
Il est évident qu'à ses yeux l'imagination était le don le plus précieux, la faculté la plus importante, mais que cette faculté restait impuissante et stérile, si elle n'avait pas à son service une habileté rapide, qui pût suivre la grande faculté despotique de ses caprices impatients. Il n'avait pas besoin, certes, d'activer le feu de son imagination, toujours incandescente ; mais il trouvait toujours la journée trop courte pour étudier les moyens d'expression. " (1)




La question du déploiement d'un corps sur la toile, n'a jamais note-t-il été autant d'actualité, à voir ce qui s'expose ici ou là - même si des résistances au vulgaire dominant et marchand se font jour dans des espaces les plus improbables - il suffit de regarder ce qu'en fait Delacroix, le peintre y croit simplement, et cette croyance est un acte lumineux de vie, cela devrait inviter les maquilleurs à ranger pinceaux et couteaux, s'ils savent encore ce que ces mots veulent dire, et à changer de passion, si la moindre passion les habite, le regard des corps de Delacroix en dit beaucoup du regard passé des maîtres vivants, épousé par un art absolu du trait, de la courbe, de l'espace, leçon d'art total, si ce que je peins dérange mon siècle - et des siècles des siècles  - c'est non seulement pour les situations, mais aussi comment mes corps y vivent et se déploient, y prennent leur autonomie de pensée et d'action, yo Delacroix pourrions nous écrire, et nous l'écrivons. Delacroix croit au mouvement interne des corps exposés qui vivent sous nos yeux, rien n'y est définitif, il suffit d'être attentif et d'attendre que la nuit ne tombe, on voit alors ses femmes se déplacer dans la toile, et leur mouvement déchaîne leurs passions secrètes et la nôtre en est comblée.






à suivre

Philippe Chauché 


(1) Oeuvre et vie d'Eugène Delacroix / Curiosités esthétiques / Charles Baudelaire / Édition d'Henri Lemaitre / Classiques Garnier / 1962

samedi 22 décembre 2012

Musique


Saisissement des phrases qui tournent dans sa bouche comme un vin des bords de Garonne, embrasement du style et tremblement de mots comme une peau vive.

" une femme.
elle écrit.
cinq ou sept signes noirs.
un miroir mange un miroir.
une éclipse à tête de chat. "

" une femme.
elle aime.
il n'y aura pas de troisième fois. "

" une femme.
elle écoute monk.
thelonious sphère.
un silence thématique sur un chapeau bleu. "

" une femme.
elle rit.
dans les soleils hauts provençaux.
l'excès de lumière.
effondre les couleurs. "

" une femme.
elle se déploie.
dans l'odeur creuse de la nuit.
le jour expose un simulacre. "

Juste un mot comme une note tenue, juste une vision nette comme une partition. Musique !

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 19 décembre 2012

L'Oiseau de Nuit




La voix, le silence, la manière et le style, une autre façon d'être au monde, c'est bien de cela dont il s'agit.
La voix la nuit, du jour au lendemain comme un roman qui ne cesse de s'écrire sur France Culture, que ne cesse d'écrire Alain Veinstein dans un tempo dont lui seul à la clé, oiseau de Minerve qui fixe le passage du Temps, à la manière de Bill Evans, penché sur son clavier, la voix se livre à un micro et à l'autre voix qui croise la sienne, l'inverse du tumulte bavard dominant.

Exercice de style : " Si ma voix se reconnaît à sa douceur, elle le doit sans doute à un timbre agréable, un ton calme et mesuré, des inflexions caressantes, une élocution lente, aussi claire que possible, marquant à l'occasion des pauses pour souligner les effets à venir, parfois de longs silences donnant les gages d'une sincérité qui inspire confiance.
Or, cette voix, dont je me sens désormais assez sûr de l'effet, qui administre la preuve de sa franchise au fur et à mesure qu'elle se fait entendre, vit largement sa vie sans moi. Tout va très vite sur ce champ de bataille à haut risque qu'est la radio : même une voix peut abandonner un corps blessé. "
" Le casque agrandit la table. Le retour de ma voix ( l'autre voix, celle, moins nue, de l'interviewer ) m'aide à me situer sur une autre scène, supposée moins réelle. Il brouille, de toute façon, les repères qui devraient m'interdire de tenir une telle conversation à pareille heure. "

Vu et entendu : " Son visage brille, s'anime, aidé par un sourire à la chaleur communicative. Il voudrait parler avec des mots brûlants, en provenance directe du brasier. Je me laisse porter par les inflexions de sa voix, qu'il baisse, par moments, pour la laisser repartir de plus belle. A la manière d'un percussionniste, il ponctue la fin de ses phrases en tapant du bout  de son index sur la table. "
" Forte impression de déjà entendu. Oui, j'ai déjà entendu ce discours d'innombrables fois. Cette très jeune femme répète tous les clichés du jour comme un perroquet. Elle doit lire Libération chaque matin et Les Inrockuptibles tous les mercredis, comme d'autres, il n'y a pas si longtemps, passaient leurs journées à la Bibliothèque nationale. "
" Avide de parole, il reçoit mes questions comme un mendiant des pièces. Il fait son miel de chaque mot qu'il prononce. Mais une question, soudain, semble réveiller une souffrance. Il y répond les yeux fermés en me donnant l'impression de se vider de son sang. D'ailleurs, il porte la main à sa bouche, comme pour s'assurer que le sang ne coule pas. L'effroi plaintif de sa voix... "



à suivre

Philippe Chauché

dimanche 9 décembre 2012

Le Masque de Fer



" Outre ce caractère fondamental du masque, d'être expression et non dissimulation, on peut distinguer chez Nietzsche deux principales fonctions du masque. Première fonction, de pudeur : destinée à ne pas exhiber à tout bout de champ, et devant tout un chacun, sa propre richesse...
Mais il y a une seconde fonction nietzschéenne du masque : destinée à dire l'éternelle insuffisance de tout parole et de toute vérité, fût-elle la plus profonde et la plus décisive, en tant qu'elle est nécessairement partielle et obérée par le point de vue d'où elle est énoncée, - insuffisance qui tient donc moins à une pauvreté de sa part qu'au contraire à son propre excès de richesse... c'est que le masque est la marque de la profondeur et de la richesse, et d'une richesse telle qu'elle ne saurait jamais être contenue dans l'espace d'une pensée ou d'un aphorisme - ou d'un livre. " 

A toujours trouvé suspect que le masque - expression pourtant précise de ce que nous sommes - et celui qui le porte soit ainsi nié, moqué, ou pire encore voué à quelque divan de psychanalyste, au nom, note-t-il, de quelque traque à la vérité vraie - c'est ainsi que l'on parle en ces temps de fin du monde - du dévoilement, alors que justement, c'est le masque qui dévoile et non son absence - ce que montre avec talent, et quel talent, Clément Rosset - c'est le masque qui dit et non son absence, et ce qu'il dit est à prendre pour argent comptant et non son absence qui est monnaie de singe.

Il ajoute que le masque est l'une des plus justes marque de ce que l'on est et de ce que l'on est en train de devenir sous le regard curieux de celle ou de celui qui pense devoir s'en passer et son effet le plus vivant et le plus vivifiant du réel qu'il montre.

Le réel ne se masque que pour se révéler.

Écrire est un masque gracieux et amusant, tant d'écrivains réalistes devraient s'en souvenir et ainsi éviter que leurs misérables ouvrages ne tombent comme des masques lorsqu'on les ouvre un jour de mistral.

 


à suivre

Philippe Chauché

samedi 8 décembre 2012

Cénitz




" Les stations balnéaires ne sont pas uniformes. Chaque plage de la Côte basque possède sa personnalité propre. La grande plage de Biarritz est notre Croisette cannoise, avec le Palais en guise de Carlton rose, et le Casino comme un Palm Beach défraîchi. On pourrait se croire aussi sur les planches de Deauville, quand on s'assied en terrasse pour commander des huîtres et du vin blanc, en regardant déambuler des familles en bermuda qui n'ont jamais entendu parler des bals du marquis de Cuevas. La plage de Bidart est plus familiale, c'est la même bourgeoisie à pulls sur épaules qu'à Ars-en-Ré. A éviter si l'on n'aime pas les cris d'enfants noyés, les serviettes de bain Hermès ou les prénoms composés. Surnomée " la bâtarde des basque ", la plage de Guéthary est plus sauvage,  prolétaire ; elle à l'accent du pays et rassemble beaucoup d'ex-toxicomanes en désintox. Elle sent la friture et l'huile solaire bon marché ; on s'y déshabille dans des tentes rayées rouge et blanche louées pour la saison. Même les vagues diffèrent de baie en baie : plus droites à Biarritz, plus dangereuses à Bidart, plus hautes à Guéthary. A Biarritz, les vagues se cassent le dos sur le sable, à Bidart les baïnes t'aspirent vers le large, à Guéthary les rouleaux te broient sur les rochers. A Saint-Jean-de-Luz la digue a castré la houle, c'est pourquoi les vieux, assis sur des bancs, ne commentent que le vol des goélands et le passage des hélicoptères de secouristes. A Hendaye se trouvent les plus gros rouleaux, dont la célèbre " Belharra ", une vague de15 à 18 mètres que les surfeurs les plus psychopathes affrontent tractés par un scooter des mers. La plage des Alcyons, c'est carrément la grève bretonne, avec des embruns en guise de brumisateur, et les galets comme " foot massage " ; la Chambre d'Amour est un refuge pour romantiques indépendantistes et dragueurs nostalgiques de la Rolls Royce d'Arnaud de Rosnay ; la Côte des Basques sert de rendez-vous pour conducteurs de minibus Volkswagen remplis de fumée rigolote et de bikinis qui sèchent ; la Madrague est snob, tropézienne comme son nom d'emprunt. La plage préférée des habitants du coin se nomme Erretegia, cirque naturel splendide entre Ilbarritz et Bidart. Sa qualité principale : les Parisiens ne la connaissent pas. Pourquoi ma mémoire ne retient-elle que Cénitz ? "

Et vous voudriez que je me passionne pour la Méditerranée ?

Sur ces mêmes plages, les baisers volés ne s'écrivent jamais qu'au passé composé.

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 5 décembre 2012

Marcel Dumont



" De tous les éléments, Marcel Dumont exalte le feu.
Non le feu qui dévore et réduit en cendres, mais celui qui couve au plus secret de la pierre, qui fait flamber l'arbre à la saison suprême et qui seul est capable de transcender la passion humaine.
Car ce feu, en longue gestation dès l'origine de l'Univers en devenir, se tempère d'instinct de l'eau et de l'air. Source lumineuse jaillie de larmes et de sang mêlés, vaste respiration émanant de cris d'appel tus.
De tous les éléments, Marcel Dumont révèle l'essence. "

C'est en mettant un rien de désordre dans sa vie qu'il est tombé sur cet ouvrage - volé ? offert ? acheté ? trouvé ? - et il se dit qu'il mérite d'être glissé près de ses Michaux.

Les peintres qui ne se glissent pas dans la matière de la nature pour peindre, perdent leur temps, mais gagnent leur vie.





Dumont aura passé beaucoup de temps à regarder les Alpilles, un peu comme Pessoa face à l'Atlantique, de l'Ode maritime à l'Ode des pierres, ce déchirement lumineux.


à suivre

Philippe Chauché

samedi 1 décembre 2012

L'Oeuvre Noire


En 1967, Marcelin Pleynet publie son Lautréamont, un coup de plume qui dévoile l'absolue nécessité de se confronter aux Chants et aux Poésies :

" La situation de Lautréamont paraît à tous points de vue paradoxale. Sans lui notre culture reste incomplète et comme inachevée, notre littérature apparaît tout entière tournée vers une image nostalgique, un projet de pure répétition. Et cependant il ne peut trouver sa place au sein de cette culture qu'en la contestant jusque dans ses fondements, il ne peut provoquer cette littérature dans un procès où il est cause et partie, qu'en la fixant dans sa manie. Situation que nous verrons un peu plus tard réfléchie par Mallarmé : " Oui que la littérature existe et, si l'on veut, seule, à l'exception de tout ", et où Lautréamont est exemplaire. "

" Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. "





Pourquoi en aurions-nous fini avec Ducasse-Lautréamont ?  De  quoi s'agit-il ? D'où vient-il ? Qui est cet écrivain au double, au triple visage, et même sans visage ? Une telle oeuvre noire s'explique-t-elle ? Certains s'y sont risqué, d'autres y ont laissé leurs certitudes poétiques et romanesques. Reste le texte, comme l'on dit, qui n'a que faire de son interprète, Maldoror c'est Lautréamont, Poésies c'est Ducasse et non l'inverse.

De l'autre l'un :

" Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent qu'il faut commencer par se détester soi-même. "
" Il faut tout attendre, rien craindre du temps, des hommes. "
" La réserve est l'apprentissage des esprits. "

" Aujourd'hui sous l'impression des blessures que mon corps a reçues dans diverses circonstances, soit par la fatalité de ma naissance, soit par le fait de ma propre faute ; accablé par les conséquences de ma chute morale ( quelques-unes ont été accomplies ; qui prévoira les autres ? ) ; spectateur impassible des monstruosités acquises ou naturelles, qui décorent les aponévroses et l'intellect de celui qui parle, je jette un long regard de satisfaction sur la dualité qui me compose... et je me trouve beau ! "


Passer c'est être, et être se conjugue toujours au présent.




à suivre

Philippe Chauché