mercredi 30 janvier 2013

Da Capo

Claude Nori
Le photographe est un écrivain, rarement cette remarque peut-être renversée, le photographe sait où est sa place, dans l'ombre de la lumière de son modèle, ou dans la lumière de l'ombre du modèle, à la bonne distance, en su sitio, disent les toreros qui savent de quoi ils parlent, entre cornes et cornes, le terrain est parfois imaginaire, le plus souvent réel, dans la magnificence du réel. Le modèle éclaire le regard, de la même façon que d'autres regards qui vous choisissent vous éclairent.



Où irons lorsque le temps nous sera compté ?  Là, dans ce port italien, nous y verrons passer des jeunes fées, qui nous dévisagerons le temps d'une chanson.

http://youtu.be/ijttuPqnaMA

à suivre.

Philippe Chauché



lundi 28 janvier 2013

Φίλιππος


Il écrit qu'il se souvient de longues promenades sur les chemins qui conduisent à La Digue à la Mer, de cette après-midi de printemps, où son prénom Philippos s'est rappelé à sa mémoire, les chevaux blancs et gris tendaient leur coup au dessus de la clôture d'acier, l'oeil tendre et vif. Il a réussi a franchir la roubine qui les séparait, sa main s'est glissée entre les fils tendus, une main pour le crin, pour l'oeil, l'oreille, une main sur les naseaux, la peau, et le silence généreux qui lui traverse le corps.

Il songe au livre qu'il vient de lire, le temps d'un dressage savant et savoureux, s'y accordant dans le silence soyeux. Au pas, au trot et un instant au galop, décoiffé et transpirant, inspiré, comme il peut l'être sous l'attraction d'une main désirée, il songe au livre qu'il vient de refermer comme l'on confie à un lad son cheval, pensant naturellement qu'il le chevaucherait à nouveau le jour venu, le jour si bien venu, au risque d'être désarçonné. Une chute augure parfois d'une renaissance.

Brins d'herbes et brins de phrases qui déchirent le sens et le Temps :

" Un jour, au début de l'ère, le grand prêtre du Temple de Jérusalem confie six lettres à Saul pour les porter à la synagogue de Damas.
Le citoyen romain, clerc radical de religion juive, fondamentaliste, originaire de Tarse, Saul, chevauche toute la journée.
Soudain ( en grec exaiphnès ) une lumière tombe du ciel. Cette lumière l'enveloppe de clarté et il tombe de cheval.
ll est étendu par terre, sur le dos, entre les sabots de son cheval, au milieu de cette lumière.
Il quitte le nom de Saul pour celui de Paul. "

" On appelle anicroche l'instrument qui sert à accrocher le corps des cavaliers pour les arracher à leurs arçons afin de les tuer. "

" Un cheval, un cor, une épée, un pin. C'est le printemps 778. C'est le début de l'histoire de France. "

" Les alignements de Carnac sont des listes de morts qui s'enfoncent dans la mer. Les oiseaux dans leur migrations se regroupent sur les mêmes sites au moment de leur départ qui est aussi un chant. Leur envol unanime, soudain, paraît obéir à une même orientation pour eux pleine d'évidence. Les oiseaux sont les âmes qui, comme elles s'assemblent au terme de la terre, tout à coup prennent leur envol pour rejoindre leur pays qui se situe au fond du ciel. "

" L'homme doit regagner l'imprévisible comme sa patrie. "

" Nietzsche a écrit : " Un cheval te porte, telle est la métaphore. " Après les transferts qui transforment les aparlants qui crient très fort en prête-noms qui parlent sans fin, les métaphores définissent les chevaux qui font aller à toute vitesse au sein du langage, sautant de pierre en pierre, de visage en visage, de mot en mot, de texte en texte, d'image en image, comme dans les rêves. "

" L'étreinte est une crise du temps. "



à suivre

Philippe Chauché

samedi 26 janvier 2013

Ecrire

Vous croisez Homère et très vite Pascal s'invite, accompagné de Casanova et de Haydn - quel roman ! -  vous vous souvenez de Bordeaux et Venise vous invite - villes galions - , Mozart est là - comment vivre sans lui ? - et Confusius, Manet, Céline, Sartre, se glissent dans les pages infinies que vous dessinez, et vous levez votre verre de Haut-Brion au corps  qui chante, autrement dit, à la main qui danse, à l'oreille qui écrit :

" Allons, il est temps de ramasser les os du héros sur le bûcher, de les enfouir dans un coffre d'or, et de placer celui-ci au creux d'une tombe, laquelle, à son tour, sera couverte de larges pierres plates. Fin de l'immense Iliade, livrée au temps jusqu'à nous. "

" Ce mathématicien se prend pour Dieu en personne, son infinie nous effraie, nous brutalise, nous viole. Il réintroduirait le désespoir parmi nous, fragiliserait notre démocratie en crise, nous terroriserait en nous parlant du néant. Laissez-nous tranquilles avec vos questions absurdes, nous nous sommes donné les philosophes qu'il faut, ils sont modestes, eux, résignés, concrets, à notre mesure. "

" Comment ne pas être jaloux de Casanova ? Il a tout pour plaire, donc pour déplaire. Cette jalousie inévitable a surtout frappé les metteurs en scène, et c'est normal. Casanova, dont la vie est un film permanent, écrit, est l'anti-cinéma même. "

" A partir de 1780, le grand Mozart commence. Voici ce qu'il dit de son propre opéra Idoménée : " J'ai la tête et les mains si pleines du troisième acte qu'il ne serait pas impossible que je me transforme moi-même en troisième acte. " Sa vie est un opéra fabuleux. "

Il se dit qu'il pourrait ainsi poursuivre, copier phrases à phrases tout ce que le livre lui livre, il pourrait aussi se livrer à un bel exercice critique façon Télérama ou Libération - le néant est aussi de papier ! - mais il préfère en lire à voix haute quelques pages à une jeune femme attentive, piquante et  plaisante, exercice de méditation verticale.

à suivre

Philippe Chauché


vendredi 25 janvier 2013

Sur le Ring


Il s'imagine Antoine Blondin à la terrasse d'un café de Malaucène, entre deux verres et un maillot jaune, ne doutant pas une seconde que sa littérature se joue aussi dans les lacets de la montée vers le Ventoux, il se souvient d'Ernest Hemingway glissant une nouvelle fois ses mains dans des gants de boxe rouges et esquissant face à un miroir le dernier round de sa vie, de Thomas A. Ravier attentif aux éclats de McEnroe, de Frédéric Schiffter louant l'art ordonné et troublant d'une surfeuse délicieuse, d'Orson Welles filmant cigare aux lèvres des joueurs à main nue sur le fronton d'Espelette, de Cassuis Clay - il persiste à préférer son premier nom - qui invente la danse du ring, d'un ballon ovale qui s'offre à la volupté gourmande de trois-quarts ailes débordants de métaphores jusqu'à la ligne blanche de l'essai. L'imagination se mêle aux souvenirs, comme parfois la littérature à l'esquive sportive, et cette livraison de Desports s'y accorde de belle manière.  Florilège : 



" Arthur Cravan est un poète tout à fait à part : pugiliste critique, homme d'aucun courant sinon le sien qu'il se targue de ne partager avec personne, omnipotent directeur de l'éphémère et géniale revue Maintenant à laquelle André Breton paiera sa dette dans son Anthologie de l'humour noir : " L'auteur de ces pages ( Cravan ) fait véritablement figure de précurseur ; dans le sens où il agissait alors, il est incontestable qu'il était seul. ".... Franc-tireur du monde des lettres, particulièrement acerbe, sans concession, n'épargnant personne, le poète-boxeur connaît son Nietzsche sur le bout des doigts et déboulonne à coups de marteau les malheureuses idoles de la littérature française, Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars et André Gide. "

" Usure, d'une certaine façon, le cyclisme se meut entre le temps et l'éternité. "

" Dans les anciens phares, je crois, toutes les vitres sont peintes en bleu pour que la lumière passe au travers. Et en fait, les dimanches, ce sont les zones où la peinture s'est écaillée ou n'a pas été bien faite. Alors une autre lumière passe à travers... Alors elle laisse passer un peu de jour, voilà ce qu'on appelle les dimanches.... Cette espèce de rareté, d'aléatoire qu'il peut y avoir. "

" Les Berlinois sont au stade ou devant leur poste de radio. En fermant les yeux, le Noir et le blond sont si proches qu'ils pourraient inventer un joli numéro de claquettes, sur une scène de New York ou Chicago. Long s'élance le premier et retombe à 7,54 m. Owens déroule à 7,74 m. Long lui répond sur le même ton : 7,74 m. Il prend même la tête du concours à son cinquième essai : 7,87 m, quand Owens retombe dans ses travers et mange la planche. Retour de la farce : Owens se souvient parfaitement des conseils du jeune homme et retrouve ses marques : 7,94 m ! "




Il  traverse Barcelone, là dans le ruedo de la Plaza aujourd'hui vide de sens, deux hommes ont croisé leurs gants de cuir, le temps se suspend à ses doutes, et les doutes à ses joies, à distance il embrasse celle qui - c'est ainsi qu'il la baptise - et pense que les fâcheux brailleurs n'ouvriront pas Desports, et c'est tant mieux, gardons pour nous le meilleur pense-t-il.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 21 janvier 2013

Flaubert Par Coeur



Les dictionnaires sont des éclaircies, tout aussi essentiels qu'un rire posé sur une fontaine de jouvence  :

" Pour moi, voici le principe : on a toujours affaire à des canailles. On est toujours trompé, dupé, calomnié, bafoué. Mais il faut s'y attendre. Et quand l'exception se présente, remercier le ciel. "

" Il faut nous résigner à vivre entre le crétinisme et la démence furieuse. Charmant horizon ! On va recommencer à faire les mêmes sottises, à retourner dans le même cercle, à débagouler les mêmes inepties. "

" Il faut rire et pleurer, travailler, jouir et souffrir, enfin vibrer autant que possible dans toute son étendue. Voilà, je crois, le vrai humain ?  "

" Il n'y a pas en littérature de bonne intentions : le style est tout. "

" Souvent, au milieu du jour, le soleil perdait ses rayons tout à coup. Alors, le golfe et la plaine mer semblaient immobiles, comme du plomb fondu. Un nuage de poussière brune, perpendiculairement étalé, accourait en tourbillonnant ; les palmiers se courbaient, le ciel disparaissait, on entendait rebondir des pierres sur la croupe des animaux. "

à suivre

Philippe Chauché  




dimanche 20 janvier 2013

Le Jeu du Je


Commençons par quelques conseils : pour lire et bien lire ce petit livre, léger, musical, joyeux, saisissant, il convient de se débarrasser pour une fois, et souhaitons le pour toutes, des encombrements sociaux, des jalousies, des trahisons, des cris et des chuchotements, quitter le territoire commun pour le particulier, le je absolu, pour qu'il soit un jeu - par parenthèse et l'écrivain s'y attache dans ce livre, et l'auteur de ces lignes peut en témoigner, le jeu, le rire, sont pour lui, l'essence même de sa manière d'être accordé à son corps et au Temps. Travail de  moine s'il en est. Il a en mémoire les éclats de rire partagés dans une certaine conscience de la nudité rayonnante du corps et des mots avec une fée unique, qui comme l'on dit n'a pas froid aux yeux - et s'installer en belle compagnie musicale, qui mieux, pense-t-il, que de convoquer Bach, le piano de Glenn Gould dans les Golberg Variations de 1955, l'évidence musicale, comme il en est aussi de l'évidence littéraire de ce livre - que les ânes nomment bouquin -, il n'est pas interdit non plus d'y associer un verre de vin de Bordeaux, Château Haut-Brion de l'année de la naissance de la musicienne plus haut évoquée, bien s'asseoir face au ciel, solitaire, et laisser s'accomplir le miracle dantesque de la littérature, alors lisons ces portraits qui sont les belles étoiles de l'écrivain, étoiles qui indiquent le lieux où se joue la liberté libre :

" Ce que je veux dire est très simple : une femme est faite, ou non, pour vous confronter à la vérité physique, à son abîme, à son sillage, à ses éclosions. Le corps libre et antisocial d'Eugenia, acceptait le mien. C'est rare. L'une veut vous sortir, vous faire voyager, une autre veut vous épouser, une troisième espère un enfant, une quatrième veut vous utiliser dans le marché de l'animation culturelle, et je ne parle pas de toutes celles qui veulent absolument écrire, trois romans, dix recueils de poèmes, idéalisations, préciosités, romantisations. Celle-là, au contraire, a envie de moins s'ennuyer, aime la poésie vécue, les caresses, le repos, le sommeil, les fleurs, l'océan, les arbres. Les autres s'agitent, elle nage. En tant qu' " homme ", vous avez gagné, si, en plus de l'autorité souple qu'elle vous reconnaît, vous la faite rire, et si vous devenez son frère, son partenaire de jeu, et, subrepticement, son enfant. Faites-vous aimer comme un enfant, espèce d'homme. De là, viennent, parfois, des liens indéfectibles. "

Les femmes dont il est ici réponse - les femmes qu'il vous est arrivé d'aimer, de regarder en silence, de ployer sous leurs rires, ne posent pas de questions, mais donnent des réponses, il serait fort inutile d'ici les nommer - vous les avez déjà croisées dans d'autres livres du complice Girondin :

" Je te revois là, vivante et jeune, pas du tout fantôme, assise près de l'eau sur le banc de bois blanc, sous le pin parasol. "

" Écrire, marcher, dormir, et encore écrire et encore dormir. Les soleils couchants, à Venise, ciel rouge, eau mercurielle, mâts flambants de lumière dorée, mouettes inlassables, passage des paquebots et des remorqueurs, sont indescriptibles. Monteverdi et Vivaldi en parlent très bien, c'est la Gloria, la gloire. C'était comme ça au commencement, et toujours, et dans les siècles des siècles, amen. "

Comme toujours les identités sont visibles et invisibles - être toujours attentif à la police sociale - les corps musicaux, les peintres attentifs, et l'art de la phrase, la douceur rugueuse de la langue protectrice lumineusement accordée au roman. Pour le reste : silence !




Rien ne dit qu'un autre roman n'est pas en train de s'écrire, là à deux pas de vous, dans le sourire que vous êtes le seul à voir,  silencieux et joyeux, sous une légère pluie d'hiver, qu'efface la naissance d'une éclaircie qui naît de son rire, c'est aussi cela qui vous attend. 

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 16 janvier 2013

Bashō


Vous doutez, lisez Bashō pour affiner vos doutes.
Vous perdrez pied, lisez Bashō en attendant de couler.
Vous aimez, lisez Bashō en attendant que l'on vous étreigne.
Vous écrivez, lisez Bashō pour aiguiser votre plume.
Vous vous ennuyez, lisez Bashō pour éclairer votre ennui.
Vous aimez les fleurs, lisez Bashō et vous apprendrez à fleurir.
Vous fréquentez le silence, lisez Bashō le musicien.


" La chaleur des oeillets
déjà oubliée -
Chrysanthèmes sauvages. "

" A mon ermitage
la lumière carrée de la lune
à la fenêtre. "

" Sur le chemin montagneux
une violette me fascine
sans raison. "

" Jour de l'an -
en y réfléchissant
triste comme un soir d'automne. "

" Fort intéressant
pour le coeur,
le dernier mois de l'année. "

à suivre

Philippe Chauché

lundi 14 janvier 2013

Soleil d'Hiver


Il note, sous les rayons d'un soleil d'hiver qui jouent des lames claires du parquet de son salon, que la dérive des continents de l'écriture ne peut rien contre ce qui un temps s'est écrit, contre cette dérive prévisible, contre ce qui s'écrit aussi maintenant, de manière radicale, à entendre comme l'on entend la radicalité de Dante, de Montaigne, de Gracian, de Nietzsche,  mais aussi de Céline, Claudel, Mauriac, Sollers ou Fitzgerald. Cette radicalité, n'a rien à voir avec quelque mouvement révolutionnaire sauf à l'entendre comme un mouvement circulaire du temps, une roue où se glissent des phrases, un corps vivant qui joue des mots et s'en joue.

à lire et à suivre

Phillippe Chauché

samedi 12 janvier 2013

L'Intranquillité


Visions du monde : à Paris, des milliers de consommateurs culturels se pressent pour, disent-ils, voir l'exposition Hopper, ici un lecteur unique lit et relit durant une nuit bleue le petit livre de Franz Bartelt, deux visions, deux états du monde, deux manières d'être au coeur d'un tableau, dans une proximité absolue pour l'un, dans la cohue pour les autres, à chacun ses façons de se laisser apercevoir, et qui sait voir par Nighthawks, et l'unique a toujours raison, pense-t-il, les tableaux s'ennuient lorsqu'on les montre ainsi, qu'on se presse pour les voir, que l'on se place devant eux armé d'écouteurs, qu'on les commente à voix haute, qu'on y défile comme devant un cercueil.  Une affaire monstrueuse, qui fait le bonheur des blablateurs  de la culture, alors qu'ils n'aiment que la légèreté de la proximité, que de choisir celle ou celui qui de son histoire mérite, mais ils savent comment va le monde, et n'en disent rien, sauf à ceux qui les regardent s'écrire dans leur mémoire libre.

L'écrivain a reçu ce tableau par la poste, enfin sa copie en carte postale, adresse particulière et envoi anonyme pour un être singulier, qui va prendre le temps qui convient d'en faire un livre unique, léger, bref, vif et vivant  :

" En fait, cette carte postale que j'ai beaucoup tournée et retournée entre mes doigts avant de la lâcher sous la lampe, dans le désordre de papiers plus ou moins vierges, de dictionnaires ouverts à la mauvaise page, de livres et de coupures de journaux ciselées avec un soin maniaque ( ce fouillis constituant le seul paysage où je ne me sois jamais égaré ), cette carte postale, donc, associait dos-à-dos, sans les opposer, deux idées du vide. Et, sans doute, deux formes de l'anonymat. De cette illusion qui produit le vertige. D'un côté, l'impression de déjà-vu, qui est une inadvertance de la pensée. De l'autre, la sensation assez pénible de ne pas reconnaître quelqu'un que j'avais forcément assez bien connu pour lui communiquer mon adresse. "

" L'énigme est au coeur du monde, à l'intérieur de ce vide inaccessible et dont il est vain de douter en attendant la mort. "

" Les noctambules de Hopper n'ont pas l'air d'être à la fête. Ni d'en revenir. N'y de s'y rendre. N'y d'avoir envie de s'amuser. Ni d'avoir l'habitude de rire et de chanter. Il est vrai que le noctambulisme n'implique pas forcément une idée du divertissement. "

" Il y a des ressorts de larmes, des rouages terrifiants, des balanciers qui donnent et qui reprennent : l'axe immobile nous transperce. Et nous tournons."

Nous tournons dans la nuit ajoute-t-il et finissons dans les flammes. In girum imus nocte et consumimur igni. Nous nous posons un temps face à ce tableau qui nous en dit beaucoup sur nous, comme nous en disent beaucoup Pessoa et Montaigne qui imprègnent l'ouvrage de leur encre invisible.

La nuit comme le silence  nous appartiennent tout autant qu'ils appartiennent au peintre, il suffit, note-t-il, de le savoir, et d'avoir assez de saveur pour les goûter car " le temps est une habitude qu'on ne bouscule pas. "




 

à suivre

Philippe Chauché 

mardi 8 janvier 2013

Ses Fleurs



Pense qu'il faudrait tout lire ou relire de lui, être attentif - pour une fois - à ses mots, ses phrases et ses manières, saisir une nouvelle fois tout l'intérêt de l'écrivain - comme on le dit du Temps - de son style, de cette façon si particulière et si attendue de voir et de prendre son parti des choses - ces objets qui ne se livrent qu'à ceux qui savent voir et entendre la musique singulière de la pluie, des mûres, du galet ou de la crevette. Pour qui passe des heures à regarder le ciel, à ne rien faire, à méditer sur ses doutes et à douter des silences, à lire ses classiques,  à écouter ses musiques,  ne rien vouloir, à griffonner quelques aphorismes délicieux, ou  d'autres petits textes éphémères qui bien heureusement ne seront lus par personne, à l'exception de ses doubles qui ne manquent pas de s'en amuser.

" La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau ( ou réseau ) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense de météore pur. " (1)

" Noirs, roses ou kakis ensemble sur la grappe, ils offrent plutôt le spectacle d'une famille rogue à ses âges divers, qu'une tentation très vive à la cueillette. " (1)

" Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mi a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des soeurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable... " (1)

Lisant tout cela la main légère sous l'oeil pétillant de l'un de ses doubles, il pense que l'écrivain a tellement fréquenté les fleurs qu'il a saisi comme aucun la floraison des femmes qui savent lire, et qui ne manquent de lui prouver. Porter une fleur à ses lèvres comme l'on pose sa main sur une peau.

" A les respirer on éprouve le plaisir dont le revers serait l'éternuement.
A les voir, celui qu'on éprouve  à voir la culotte, déchirée à belles dents, d'une jeune fille qui soigne son linge. " (1)




à suivre

Philippe Chauché

(1) Francis Ponge / Tome Premier / Gallimard / 1965

samedi 5 janvier 2013

Bestiaire


Passer de la terreur au rire, voilà bien matière romanesque, rien de nouveau toutefois - ce qui est nouveau est déjà vieux, et les apôtres du nouveau ressemblent à des veaux que l'on conduit à l'abattoir - et c'est heureux. L'auteur dont, note-il, il ne connaît que quelques dessins riches de couleurs et de formes ont l'audace d'être fidèles aux grandes lignes classiques, ce qui en ces temps est non seulement peu courant, mais d'une belle audace, face aux charlatans du vide qui inondent le monde de leurs laids bricolages artistiques ; l'auteur disais-je, propose ici quelques nouvelles - art romanesque du trait vif - non du monde mais des mondes, portraits dressés d'hommes qui effraient ou amusent, de monstres, autrement dit d'hommes ordinaires, tueurs, violeurs, fous querelleurs, et autres fades dragueurs, qui échappent à tout sauf à la mémoire qui va un soir s'inviter et réveiller les fantômes de ce bestiaire contemporain . Le geste est précis, le dessin clair, l'humour - noir - permanent, et la phrase parfois joueuse et souvent terrifiante. Lisons :

" Ces belles années aux contours bien dessinés, à nulles autres comparables, ont été vécues avec insouciance et humilité. J'avais laissé Oissel derrière moi, le passé sommeillait, je vivais à mon rythme et sans entraves. Jamais le souvenir de Claire ne se montrait assez fort pour troubler mon bonheur et ma légèreté. Elle n'existait plus, ou bien alors celui qui avait commis ce crime était un autre. "

" La belette voudrait bien, malgré tout, en savoir plus. Je me réfugie dans l'amour de l'art, capturé que je suis par la barbouille qui m'empêche de vivre ailleurs qu'aux bouts de mes pinceaux. Je passe ma vie collé aux toiles comme d'autres la passent le dos au mur. Je la joue ermite, rivé à l'instant, soumis à la ligne et à la couleur. Je ne sais rien du monde, je n'écoute plus la radio, je n'ai pas beaucoup d'amis, je ne suis bien qu'ici ( et de balayer d'un geste large la pièce qui nous entoure... ) Je botte en touche, repousse le plateau mine  de rien. Je remettrais bien un petit coup maintenant que j'ai refait du jus. Je n'écoute plus que mon corps requinqué. "

" Quelques jours plus tard, un vendredi après-midi, j'ai volé quelques heures à la boîte et je suis allé promener mes deux P38 en forêt de Brotonne. Je me suis écarté des chemins fréquentés, me suis aventuré parmi les vieux chênes et les hêtres avec mon sac en bandoulière. J'ai attendu mon heure, l'oreille aux aguets, pour être sûr que le coin ne soit pas sujet aux balades puis j'ai sorti le premier pistolet. " 




à suivre

Philippe Chauché






vendredi 4 janvier 2013

L'Invisible


Peut-on sous meilleur hospice commencer l'année qu'avec Clément Rosset et son dernier opus ?  Comme toujours chez ce philosophe enchante ceux qui savent le lire et s'en amusent et agace ceux qui confondent philosophie du réel et néo-philosophie du  prêt à penser social, ou s'il l'on préfère, du prêt à illusionner, et point n'est besoin ici de nommer ces charlatans, ils occupent les plateaux du petit écran - oh qu'il porte bien son nom ! - vendent leurs pauvres livres avec l'avidité de marchands du temple, donnent ici et là des leçons de vie, croient dur comme fer que la philosophie est une potion magique, qui sauve au choix, des dictatures, de la psychanalyse,  de la domination de l'argent, du cancer, de l'infidélité de son épouse, ou du mépris de son chat ; son dernier opus disais-je met une nouvelle fois la plume là où la domination des illusionnistes ne souhaitaient pas qu'il la mette, dans l'Invisible. Pour le penseur du réel, le sujet méritait de s'y attarder, c'est chose faite, et avec le talent que nous sommes quelques uns à lui reconnaître. Mais de quoi s'agit-il ? Des fantômes qui s'agitent dans les nuits de pleine lune qu'ils croient avoir vu, dans les musiques qu'ils pensent avoir entendu ou dans les pensées qu'ils sont persuadés d'avoir, faute d'être.


" Cette faculté de voir ce qu'on ne voit pas ( ou de penser ce qu'on ne pense pas, faculté qui n'est qu'une généralisation de la première ) défie certes le bon sens et peut paraître une faculté illusoire elle-même. Mais des milliers de faits quotidiens incitent à affirmer son caractère bel et bien réel. (...)
Il est certain que la faculté de capter des objets inexistants met à jour un caractère étrange et un peu inattendu de la pensée. Or cette bizarrerie ne manque ni d'intérêts ni d'importance, si l'on s'avise que c'est précisément à cette faculté de croire voir et de croire penser, alors que rien n'est vu ni pensé, que les hommes doivent l'essentiel de leurs illusions. "

Ces fantômes, ces illusions : images, idées, objets, ont la vie dure, et trouvent même légion de témoins dans la littérature, la musique, la peinture ou la philosophie, témoins souvent acteurs, ou acteurs qui se découvrent témoins de ce qu'ils croient lire, voir ou entendre, s'éloignant ainsi du réel, poursuit le philosophe amusé.

" Diderot disait à sa famille, à propos d'un portrait de lui : " Mes enfants, je vous préviens que ce n'est pas moi. " Tout le monde a ressenti cette impression d'étrangeté, bizarre et un peu pénible, à l'écoute de sa voix ou face à sa photographie. Si la représentation de soi paraît toujours plus ou moins infidèle, si la ré-audition de sa voix sonne toujours un peu faux, c'est qu'il n'y en a jamais eu, si je puis dire, de " présentation " ni de " première audition " : on ne peut re-présenter ce qui n'a jamais été présent. Je pourrais naturellement essayer de m'informer auprès des autres, pour savoir ce dont j'ai l'air, en les priant de me faire savoir ce dont j'ai l'air, en les priant de me faire voir ce qu'ils voient ; mais une telle communication est coupée. Car si on ne se voit pas, on voit encore moins, s'il est possible, ce que les autres perçoivent de nous. Les autres me voient bien, mais je n'aurai jamais la moindre idée de ce qu'ils voient alors. "

Et le réel dans tout cela ? L'image qui n'existe pas, le silence en musique, que certains pense toujours plus intense que la musique elle même, ce que nous avons entendu ou vu une fois a étrangement plus de force, que l'image ou l'objet qui est face à nous, là à l'instant où nous écrivons cela, ou cette musique que nous écoutons - les suites françaises de Bach - ( dont les interprétations ne manquent pas d'humour, c'est le fameux et fumeux silence chez Bach qui disent-ils est encore du Bach ) n'existe réellement que sur l'instant et que pour nous, point n'est besoin de tenter de les traduire pour les autres, sauf à métamorphoser en faiseur de fantômes, alors surgit la fiction et la fiction, n'a jamais comme objectif de saisir le réel, mais de s'en éloigner à jamais, le réel lui ne saisit que l'acteur particulier et réel qui s'y glisse, je vois une plage de Nice où je marche, je vois un tableau de Hooper qui est face à moi dans un musée, mais ce que je vois - la plage, la toile - n'a de raison et d'effet que pour moi et toute tentative d'en dire et d'en montrer sa force, son saisissement, sa surprise ou sa joie, ne passe pas, et n'est alors pour celle ou celui qui vous écoute, qu'une histoire de plus, qu'avec même le plus grand talent de conteur, ne garde pas une seconde sa force première, sauf à l'affirmer comme fiction, ce qui est alors une autre histoire comme l'on dit au cinéma.

à suivre

Philippe Chauché