" Les noms des fleurs sont des superlatifs absolus de l'inspiration vindicative. Quand la péniche à Caron jette l'ancre dans le bas de Meudon et que Céline refuse de monter à bord, ceux qui l'y pressaient, " la Vigue " et d'autres ombres, l'agonisent jusqu'à épuisement de leur vocabulaire. Céline leur répond et lui-même à bout d'injures, mobilise pour finir le règne végétal :
- Coloquintes ! Volubilis ! hé, clématites !
“ Clématites les déconcertent. Ils savent plus. " Un dernier " glaïeuls ! " les achève, suprême assaut victorieux de cette inédite bataille de fleurs.
Le glaïeul de Céline ne venait pas au hasard, et l'étymologie répond de son intention belliqueuse : glaïeul dérive de gladiolus, petit glaive, métaphore armée que les Allemands appliquent aussi à son cousin l'iris, qu'ils nomment Schwertlilie, lis-épée. Le premier langage des fleurs est leur nom, de quoi l'autre, le langage des fleuristes, est dans le meilleur des cas une redécouverte. L'achillée mille-feuilles est ainsi, paraît-il, pour qui la reçoit une déclaration de guerre : c'est bien la moindre des politesses rendue au héros qui porte son nom. "
Il trouve plaisant de lire Barthelet - ce fou follet de langue française - après un mois passé à entendre toutes les absences d'une langue, ses trous et ses pertes, toutes ses veines tentatives de floraisons, tous ses excès et ses décès, même si d'évidence le théâtre n'est pas la langue, même s'il le fut un temps, qu'il crut l'être à un autre, et que certains de ses amis - comme on le disait des amis du crime - s'échinent à le penser.
Il est amusant de constater que peu de choses restent en mémoire des agitations éphémères qui ici ont envahi scènes et chapelles, peu de choses de la langue - donc du corps ! - sauf un étranger lointain, qui écrit en hébreux et que l'on entend en français, devenant pour un soir, la langue qui témoigne de la vie des morts, et non de la mort de la vie comme ailleurs, il faillait, et ce fut fait, il fallait que la langue redeviennent ce gladiolus qui tranche dans la chair passive et les cerveaux mous. *
à suivre
Philippe Chauché
David Grossman - Tombé hors du temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire