« Il
est vrai que Dieu t’a fait don du rêve mais qui te dit qu’Il t’a fait
là un beau cadeau ? Le rêve est le trône de misère où Dieu s’assoit sur
les visages. Le rêve est la froide chambre des reclus que ne pénètrent
pas les tueurs à l’aube. Le rêve te fendra le tronc comme l’hiver. En
rêve l’homme est un vautour stupide et sale comme il l’est aussi dans
l’autre vie ».
Antoine Brea a plus d’un rêve dans son
sac à malice, et plus d’une interprétation dans sa vision des songes de
Mohamed Ibn Sîrîne, le rêveur des rêveurs, comme l’on dit le voleur des
voleurs, qui ne manque pas d’à-propos. Le rêveur est à prendre au
sérieux, d’autant plus si c’est un ascète vertueux, comme l’on prend au
sérieux Maldoror ou La Divine Comédie, et le sourd (Allez voir le sourd, c’est-à-dire Mohamed Ibn Sîrîne) est là pour lui rappeler que le rêve mène à tout, à condition de bien apprendre à identifier les créatures et ses habitants et de ne pas s’endormir sur ses rêves et ses lauriers, et surtout à veiller à bien se réveiller.
« Rêveur méfie-toi des anges
sortis du ciel sur des montures volantes qui sont venus collectionner ta
tête. Rêveur certains anges sont plus noirs que des nègres auréolés de
plumes ils ont le sang dans le sang. On appelle de tels anges les
anges-chevals. Les principaux anges-chevals dont tu dois te méfier sont
Gabriel et Michel et aussi Raphaël ».
Contrairement à Antoine Brea, Mohamed
Ibn Sîrîne est né en Irak en 654, il lui arrivait de porter un pallium,
un habit blanc, un long turban, il se défrisait, se teignait les cheveux
et taillait avec attention ses moustaches. Spécialiste des rêves et de
leur interprétation dans l’Islam, il n’a contrairement à Antoine Brea
rien écrit sur Charles Bukowski, mais il en sait beaucoup sur le diable,
le désir et la vérité, ce qui n’est pas pour déplaire à Antoine Brea
qui en a fait un Roman d’or mais (qui) par endroit ment.
« Si Dieu en rêve t’envoie une terrible
épreuve offre-Lui un bien de ce monde. Si Dieu en rêve se montre avec
toi de mauvaise nature passe ton index sur ta langue et offre-Lui le
reste d’un vieux pain ».
« Si la femme pleure en rêve la mort
d’un gouvernant elle est suspecte. Pour moi je lui raserai volontiers la
tête et lui incrusterais de jolis tatouages mais les lois du rêve ne
sont pas celles de la morale ».
Le rêveur lecteur passe ses aventures
nocturnes au tamis onirocritique de l’écrivain-interprète, ce qui n’est
pas de tout repos, car le sourd a réponse à tout et ne craint
aucune extravagance. Il répond même aux questions que ne se posera
jamais le rêveur. Le lecteur éveillé s’en réjouit de la première à la
dernière page et attache une attention particulière aux djinns, ces
êtres passoul (qui veut dire périmé) que l’on ne peut voir qu’en rêve ou en leur jetant de la teinture d’iode, avant qu’il ne se rendorme et vérifie non sans effroi qu’il n’est pas en train de rêver ce qu’il vient d’écrire. Le Roman Dormant
n’est pas de tout repos pour le lecteur éveillé, il va devoir y
rencontrer des anges, la mort, la Résurrection, l’enfer, le paradis,
quelques humains, et se demander si tout cela est bien sérieux, lui qui
se prend au sérieux quand il rêve, mais il n’est pas à une Plaisanterie prêt.
Si Mohamed Ibn Sîrîne avait rencontré
Antoine Brea, tout porte à croire qu’il en aurait fait son scribe, son
Cid Hamet Ben Engeli comme dans le Quichotte, et d’ailleurs qui peut
affirmer que ce n’est pas le cas.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/roman-dormant-antoine-brea
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire