dimanche 7 septembre 2014

Constellation dans La Cause Littéraire






« L’ « Avion des stars » ne fait ce soir pas injure à son surnom : à côté du « Bombardier marocain », la virtuose Ginette Neveu, elle aussi, part à la conquête de l’Amérique. Pour France-Soir, une série de photos s’improvise dans le hall. Sur le premier cliché, Jean Neveu au centre, amusé, regarde sa sœur, Marcel tient dans ses mains le Stradivarius et Ginette, tout sourire, l’observe. Puis Jo remplace Jean et de son œil d’expert compare la petite main de la violoniste à la puissante poigne du boxeur. »
 
Il y a d’abord une date, le 27 octobre 1949, un avion, le Constellation, son train démesuré lui donne l’allure singulière d’un échassier, un équipage et son commandant Jean de La Noüe, des passagers, Cerdan et Jo Longman, lunettes noires, cheveux graissés au Pento, Ginette Neveu et ses deux violons, une constellation vibrante qui s’embarque. A la tristesse du départ, à la nostalgie de la vallée laisse place le parfum de la belle aventure, et un écrivain qui lit dans les lignes du ciel. Il y a le décollage, le survol de la mer et des vies,  et la chute, cette perte de repères. Constellation disparaît, et avec lui : « Quarante-huit personnes, autant d’agents d’incertitudes englobées dans une série de raisons improbables, le destin est toujours une affaire de point de vue. »

Il y a un roman, parsemé d’étoiles qu’aimante Adrien Bosc avec un rare et précieux talent narratif, une pépite aux mille éclats romanesques des destinées embarquées qui se croisent. Précision du style et style de la précision, qui offrent à ces noms présents ou oubliés, une histoire, une aventure  et des passions. Constellation les met en orbite, elles tournent en rond dans la nuit atlantique sous l’œil affuté de l’écrivain.
 
« Après avoir reçu l’ultime autorisation de routine, l’avion est en approche à mille mètres d’altitude. Les informations d’atterrissage sont transmises au Constellation, la vitesse et la direction du vent ainsi que le numéro de la piste. « Roger », répond le pilote L’alphabet radio tout comme les énoncées ésotériques de la météo marine fascinent : Dogger, Fischer, hectopascal, fraîchissant secteur sud-ouest, Viking, échelle de Beaufort, barre de brisants… »
 
Il y a un écrivain agile, qui a sous les yeux des constellations d’auteurs vibrants et vivants (Hemingway, Fitzgerald, Rimbaud, Fallet, Perec, Cendrars, Céline, Tabucchi), l’éclairant comme le faisceau d’un phare. Il en a retenu l’art de la précision, de la description et de la concision, du juste tempo, du muscle de l’écriture. Faire bref pour faire vif. Comme dans une arène, il ne s’agit pas de tout dire, mais de dire seulement ce qui doit l’être. Une passe ou une phrase de trop et toute la faena s’effondre, et l’art se ridiculise à jamais. Même sincérité dans l’engagement romanesque, même précision du geste, même passion à raconter une histoire, des histoires qui se croisent, qui se lient par un fil invisible qui fait la trame du roman et que tisse l’écrivain sur son métier à écrire.
 
« Tout a été si rapide et, le 27 octobre à Orly, Amélie ne réalise pas encore. C’est une nouvelle qu’elle espère entendre de vive voix, une prophétie en suspens. Pour un premier voyage, elle se retrouve à seize mille pieds au-dessus d’un océan qu’elle n’a jamais vu. »
« Thérèse Etchepare est une enfant de vingt ans aux longs yeux noirs. Elle serre son sac de toile pour ne pas pleurer. On l’engagera comme domestique dans un ranch à Tempe, dans l’Arizona. »
« Dans une lettre adressée au vice-président de sa compagnie, postée la veille du départ, le mercredi 26 octobre 1949, Kay Kamen s’amusait à rappeler à son plus proche collaborateur sa phobie de l’avion. C’était une blague entendue, tant l’homme d’affaires était sujet à ce que les médecins nommentaviophobie ou aérodromophobie. »
 
Il y a les « petites âmes » de Constellation qui brillent dans l’écrin de la montagne où il s’est abîmé, ces objets qui parlent, la montre de M. C., la volute du Stradivarius de Ginette Neveu,  des lettres, les derniers mots du pilote, ces hasards objectifs qui conduisent à la chute ou à son évitement.
Les objets singuliers comme les histoires particulières traversent des décennies, passent de main en main, jusqu’à ce qu’un écrivain de talent s’en saisisse et leur offre une nouvelle vie, une résurrection. Adrien Bosc pilote son roman sans crainte de la chute, les yeux grands ouverts sur ses personnages et  sa vie, porté par ses radars intimes. Une étoile est née !
 
Philippe Chauché
 
 
 



 
 
Rencontre avec Adrien Bosc, l’auteur de Constellation, St Rémy-de-Provence au début du mois d’août :
 
« Le livre est beaucoup sur le hasard, le destin, pourquoi un avion plutôt qu’un autre, la différence entre les coïncidences, la fatalité. C’est par hasard que je suis tombé sur l’histoire, en passant de vidéos en vidéos sur YouTube, en écoutant des concerts de violon, et je suis tombé sur la fameuse scène qui est retranscrite dans le livre, qui est l’émission du Grand Echiquier de Jacques Chancel, un hommage à Etienne Vatelot, le grand luthier. Une émission qui s’appelait L’âme des violons, à un moment Jacques Chancel demande à Etienne Vatelot de raconter l’histoire de Ginette Neveu, l’histoire de sa mort, et il revient sur l’anecdote qu’il aurait dû être dans cet avion, mais au dernier moment Ginette Neveu lui a demandé d’ajourner son départ ».
« En cherchant un petit peu plus, je me suis rendu compte en épluchant la liste des passagers, en essayant de me renseigner sur le vol, sur les circonstances du drame, qu’il y avait une extraordinaire conjonction de passagers avec des destins tous différents, tous étonnants, avec chacun un but. Partant aussi du principe qu’à cette époque on ne prend pas l’avion pour n’importe quelle raison. Et cela me paraissait à la fois un très beau sujet, mais surtout un moyen de montrer un changement d’époque. Le début du siècle, c’est pour moi ce milieu de siècle qui est l’immédiat après-guerre et ses gros changements technologiques dont Constellation est un symbole. On arrive aux transatlantiques à hélices et on abandonne les paquebots luxueux. On arrive vers une rapidité des transports, avec un nouveau luxe. C’est le début du règne des hommes pressés et chacun des passagers était représentatif de ce changement-là, que ça soit un tanneur, une bobineuse ou le directeur commercial de Disney ».
« Le drame de Constellation a été phagocyté par une personnalité. Si on dit c’est l’avion dans lequel était Marcel Cerdan, tout le monde remet les choses en place, on oublie le reste. Lorsque l’on fait des recherches on voit de manière répétée qu’il y avait cinq basques, j’ai mis quelques semaines à comprendre qui étaient ces basques, pourquoi cette émigration, d’où ils venaient, la même vallée, mais aussi la bobineuse de Mulhouse, tout comme d’autres anonymes qui sont dedans ».
« Je voulais vraiment que ça soit dense, court, aéré, avec des courts chapitres. C’était l’idée de faire des esquisses de portraits à chaque fois : un portrait, l’avancé de l’avion, et ainsi de suite, l’avancée des secours, une alternance de chapitres. Et surtout ne pas parler à la place des morts, faire parler leur histoire. Il n’y a pas de faux “je”, il n’y a pas “je prends les habits de Ginette Neveu et je vais dire qu’elle est sa pensée au moment où l’avion percute le Rodondo”. Ce sont des esquisses de portrait de chacun avec une part d’invention. Il y a un squelette d’évènements, il y a un squelette qui est la base du livre, et après on vient rajouter de la chair. On vient combler des interstices qu’on ne connaît pas, c’est vraiment la volonté que cela soit succinct, on ne s’épanche pas non plus pour garder une certaine forme de rythme, qui est la rapidité, la rapidité du vol, la rapidité de coups de semonces ».
« Je ne suis pas là pour dire ce qui est vrai, ce qui est faux dans ce roman. Il y a cette phrase de Cendrars à Lazareff, qui lui demande s’il a vraiment pris le Transsibérien, et il répond “mais qu’est-ce que ça peut bien te foutre si j’ai pris le Transsibérien, je te l’ai fait prendre !”. Je donne la même réponse pour Constellation. Finalement c’est rappeler ça, la part de mensonge dans le roman, et si on se met sous la tutelle de Cendrars ce n’est pas pour rien ! »
 
 
 

 

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