« et la mer fait à la terre un collier de
silence, / la humant la paix sacrificielle / où s’enchevêtrent nos râles,
immobile avec / d’étranges perles et de muets mûrissements / d’abysse… »,
Aimé Césaire.
Cette collection est une réjouissante aventure
littéraire, née en mars 1966 sous la protection avisée de Robert Carlier
(éditeur et amateur de dictionnaires) et d’Alain Jouffroy (poète, romancier,
essayiste, scénariste et parfois comédien) et dirigée aujourd’hui par André
Velter (éditeur précieux, écrivain voyageur et poète taurin). A son programme :
des anthologies (La poésie lyrique du XII° et XIII° siècle, Le
poème court japonais, Les Poètes du Tango), des éditions
bilingues (La Comédie de Dante), ou encore des poètes par des
écrivains (Machado avec Esteban, Claudel par
Grosjean, Novarina dans l’oreille de Sollers). Cette
Petite bibliothèque de Poésie contemporaine est un nouvel opus de cette
encyclopédie en mouvement permanent. Une incursion légère, non dans l’essentiel
de la poésie vivante, mais dans quelques éclats lumineusement mis en lumière par
les éditeurs.
Douze petits livres, légers, graves, rigoureux,
souples, solaires, orageux, désespérés, révoltés, qui se jouent des genres et
des idées reçues qui sont irrecevables – la poésie est fanée, morte
ou illisible – et affirment par principes la force du mot, la nécessité de
la phrase, la permanence du réel et la grâce de l’imaginaire. Guère plus d’une
cinquantaine de pages pour une brève immersion dans des textes de douze auteurs,
qui prennent là de la hauteur, d’Armand Robin : le premier siècle je fus
bruyère, ajonc, genêt, églantier blanc ; de Ghérasim Luca : peau fine /
paupière finale / fœtale / fatale / philosophale ; ou encore Henri
Pichette : je dis le sang des vignes vieillissant.
« Parler, presque chanter, avoir rêvé / De plus
même que la musique, puis se taire / Comme l’enfant qu’envahit le chagrin / Et
qui se mord la lèvre, et se détourne », Yves Bonnefoy.
« Je bâtis ma demeure / sur l’écho aux pinceaux
de nacre / et la rétine des halos éblouis », Edmond Jabès.
Regards sur deux poètes et pas des moindres qui
habitent cette Petite bibliothèque – ce Tour de la Poésie en 12 Mondes,
pour paraphraser Julio Cortázar et Jules Verne – Yves Bonnefoy et Edmond Jabès.
Un juif égyptien qui a préféré bâtir sa demeure sur du sable, et un
compagnon des surréalistes qui privilégie une approche poétique du
réel. Tous les deux prennent très au sérieux la poésie. Ils savent ce qui
fait la force et parfois la douleur de l’agencement magique des mots et des
phrases. Ils ne se détournent jamais du savoir des pierres et des verbes, des
plantes et des ombres portées, des regards et des mots rares qui résonnent dans
leurs verbes élancés – Ils gravaient le grain dans l’haleine du vent / de la
solitude – (E.J.) – Et le rossignol chante une fois encore / Avant que
notre rêve ne nous prenne – (Y.B.). Ils affirment là, toute la fulgurante
beauté du ballet des mots qui dansent entre eux et pour eux.
« Je m’alimente d’un feu de pierres / je renonce
/ il y a une main / tendue / dans l’air / tu la regardes / comme si tu la
tenais de moi », André du Bouchet.
« Je me plais à la neige, à la grêle, au
tonnerre, / Je ne méprise rien qui concoure à la terre », Henri
Pichette.
Trois écarts, trois éclats : Jaccottet,
Pichette, du Bouchet, qu’il est heureux de voir ici figurer, trois manières de
vagabonder. Trois belles manières de se laisser surprendre et saisir par la
poésie, ce ressac, cet orage, cette éclaircie, cette note tenue et parfois
ténue, cette deuxième peau, ce troisième œil, cette flamme leste, ce geste,
cette geste, tout un monde en quelques phrases, tout une phrase qui n’en finit
jamais.
« Cette lumière de fin d’été, / si elle n’était
que l’ombre d’une autre, / éblouissante / j’en serais presque moins
surpris », Philippe Jaccottet.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/petite-bibliotheque-de-poesie-contemporaine
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