mercredi 23 septembre 2015

Patrice Trigano dans La Cause Littéraire







« La vérité, c’est que je ne sais plus à quel saint me vouer pour échapper à l’emprise de mes idées fixes, de mes phobies, pour déjouer les effets dévastateurs de mes états d’âme chaotiques, pour fuir l’inconfort qui irise ma vie d’un soleil malveillant ».
 
L’Oreille de Lacan est l’histoire tumultueuse de Samuel Rosen, un dandy dépressif et misanthrope, épris de littérature, amateur d’art avisé, un homme au raffinement hors du commun, un homme qui fait de l’art son temps. L’auteur, qui se signale en ouverture du roman, ne va pas manquer de s’inviter au final, sans nouvelles de son personnage, qui s’est envolé. Entre temps, Samuel Rosen se sera approché d’un club très fermé des Omphalosyques, adorateurs du nombril, des illuminés suspendus bouche bée aux paroles du gourou, il aura tenté en vain de s’asseoir sur le divan du fumeur de Culebras torsadés et tourné en rond dans sa bibliothèque, et au milieu de ses objets d’art et de curiosité.
 
« L’art de la collection est devenu mon plus fidèle compagnon. C’est un défi sensible lancé au temps qui passe, un moyen d’affirmer mon existence au monde, une cristallisation de mes aspirations les plus profondes… J’ai accroché des tableaux de maîtres aux points stratégiques où se pose chaque jour mon regard ».
 
Samuel Rosen, fidèle à son univers chimérique, son majordome, ses livres d’art, ses tableaux, ses dessins rares, ses meubles de haute tradition française, ses angoisses, ses douleurs à l’âme, ses frustrations, ses blocages, ses sexologues, ses colères et ses révoltes, ses manies, va un matin se découvrir écrivain sous l’influence de Lacan. Il tient sa revanche et sa cible : Baudelaire.
 
« Bien ficelé ! C’est terminé. Ma démonstration est maintenant parfaite. J’écrase une proie imaginaire. Serre fort les dents jusqu’à l’obtention d’un grincement. Je me sens bien… Je n’ai désormais plus qu’une étape à franchir : trouver un éditeur ».
 
L’Oreille de Lacan est aussi l’histoire de cet invisible livre sur Baudelaire et son nègre, car le narrateur s’est mis dans la tête qu’il y a un nègre, et par rebond un scandale littéraire, dont il est certain de détenir les preuves, et quelles preuves ! Puis il y aura une escapade à Rocamadour – Un rêve de pierre–, une tentative d’ascension du Ventoux sur les traces de Pétrarque, un échange épistolaire avec l’auteur qui veut percer son mystère et terminer son livre – Montrez-vous donc discret et terminez votre livre. J’ai hâte de découvrir sous votre plume le prochain épisode de ma vie, et l’immersion dans le silence d’une abbaye, que va troubler l’apparition du très grand professionnel de l’improvisation*.
 
Patrice Trigano à qui l’attrait des mille facettes de l’art n’échappe pas, qui sait ce que la passion de l’art signifie, a ciselé le roman sans tain d’un dandy traqué. D’un collectionneur maniaque enfermé dans sa librairie et sa névrose. Jusqu’à cette révélation, ce jeu de  mots,  qui va retourner le récit et la vie de Samuel Rosen – Le théâtre de ma vie vient de frapper ses trois coups. Mais comme par mimétisme, par contamination, l’auteur va à son tour être frappé par les maux qui assaillaient son personnage, désormais guéri par le roman, passant de l’harmonie à l’inharmonie, à l’intranquillité – on se sort jamais indemne d’une plongée dans l’écriture.
 
Jacques Lacan possédait dans sa maison de campagne l’Origine du Monde, le tableau de Gustave Courbet, protégé par un panneau commandé à André Masson. Et comme l’entendait Courbet, le panneau protecteur devait glisser pour dévoiler ce qui était ainsi caché à la vue de tout un chacun, pour n’être vu que par quelques privilégiés choisis par le psychanalyste, il en va de même pour l’Oreille de Lacan, un roman qui se dévoile et dévoile ce qu’il dissimule de l’origine de Samuel Rosen et de Patrice Trigano.
 
Philippe Chauché
 
* Philippe Sollers à Sophie Barrau à propos de Lacan même (Navarin)
 

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