dimanche 24 janvier 2016

Pascale Petit dans La Cause Littéraire





« comme si d’emblée on connaissait la fin et qu’on faisait semblant de se concentrer sur le comment le pourquoi
un scénario si impeccablement logique qu’ils n’en ont plus eux-mêmes le véritable usage
aucun mobile »
 
 
Les équations comme les romans recèlent des inconnues, des variables, et le lecteur se doit de tenter de résoudre, de se prêter à ce réjouissant jeu littéraire. Pascale Petit s’emploie tout d’abord à brouiller les règles de la ponctuation, de la composition littéraire, point de virgule, ni de point-virgule, perdus les points qu’ils soient uniques ou de suspension, point de point pour fragmenter le roman, pour le relancer, pour qu’il se pose, qu’il retrouve des forces. Seuls perdurent parfois quelques exclamations ! Cette équation introuvable et inachevée, enquête sur la narration, sur la naissance du roman, sur l’auteur et ses propres équations impossibles, sur ses hésitations, ses doutes, ses rêves et ses envies. Les phrases de cette équation du roman s’allongent comme les vagues d’un dialogue, échange d’associations et de mots que l’on aurait pu entendre dans un film romanesque de Jean-Luc Godard, ou sur la scène d’un théâtre. Un roman dialogué sur le fil du rasoir, sur le fil de la rencontre amoureuse, de l’image, de la perte et du saisissement.
 
« un sac de voyage   un plan de ville    un paquet de cigarettes rouge et blanc    un jeu de cartes    une lettre un livre ouvert à la page tant   comme une page dans une machine à écrire dans un film  on l’arrache   on la lit   on la froisse  comme la photo d’une femme qu’ensuite on défroisse et replace un peu plus loin dans le livre chapitre tant »
 
L’équation du nénuphar est un jeu de piste où les phrases se suivent et se ressemblent parfois, privées de virgules et de points, elles gagnent en légèreté, en espace, comme si elles avaient été écrites pour être lues à haute voix. Comme si l’auteur ne cessait de nous dire : respirez, respirez, respirez quand vous lisez ! Ces phrases esquissent le mouvement circulaire d’un dé que l’on jette et qui roule et tourne sur une page blanche avant de dévoiler son six attendu ou son noir absolu. Cette équation est aussi une histoire d’amour, le rêve d’un film d’amour, celle d’un inconnu qui se dévoile, de phrases qui s’écrivent seules à même la nuit, d’un sourire, d’un silence, des images qui se saisissent des phrases, des mots qui échappent à la routine, une immersion dans l’océan romanesque, comme une chanson qui parle des oiseaux du paradis.
 
« dis-moi que la pierre est toujours dans ta poche   dis-moi ce qu’il y a d’écrit    dis-moi ce qu’il y a d’écrit  dis-moi ce qu’il y a d’écrit au dos des images  parle-moi parle-moi parle-moi dans le dos   parle-moi des oiseaux et de la rose de cayambe  ne me dis pas qu’on ne peut pas passer d’un visage à l’autre  d’un corps à l’autre »
 
L’équation du nénuphar a l’ampleur d’une odyssée, la force d’une adresse, elle se déroule comme un manuscrit ancien, d’où jaillissent des voix qui se répondent, roman nouveau, comme on le dit d’un vin jeune qui déploie ses arômes dans un beau verre en cristal et qui porte en lui les traces des milliers de vins déjà tirés, des millions de grappes de raisins foulées, il en va ainsi de l’art du roman. Pascale Petit pèse ses mots et ses phrases comme s’il s’agissait de poudre d’or, et les assemble avec la précision d’un joaillier, et son équation les met en lumière.

Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/l-equation-du-nenuphar-pascale-petit




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