« Dans
les brumes d’Ilbarritz tout se dégrade, de l’océan au ciel en passant
par ces monts vagabonds, de France, de Navarre ou d’ailleurs, on ne sait
plus, ce méli-mélo sans frontières il l’a déjà vu chez Turner. La Côte
des Basques, ses rubans il les suit à la trace, bleus capricieux, verts
mouvants, bandes rivales évadées d’un De Staël ».
Rendez-vous à Biarritz détonne
dans l’univers policier de la littérature, ou s’il l’on préfère dans la
littérature policière. Matière romanesque française depuis que Marcel
Duhamel lui a offert une esthétique et une éthique au cœur du paquebot
Gallimard, ce qui fut une belle révolution littéraire. Aujourd’hui cette
littérature, qui n’est plus de gare – c’était pourtant une bien belle
définition, qui répondait aussi à l’économie du genre, de petit livres,
peu chers, et Louise Bottu renoue avec ce principe économique –,
s’impose partout. Elle a gagné en renommée, certains diraient qu’elle y a
perdu son âme. Elle est née d’une rencontre entre un voyou charmeur, un
flic charmé, et un écrivain se rêvant, l’un ou l’autre, d’une enquête
bâclée, d’une question souvent sans réponse, d’un doute mis en lumière,
de traits et de hasards. Elle a pour théâtre des opérations, une série
de meurtres inexpliqués et de disparitions, quelques trafics d’influence
bien rémunérés, souvent dangereux, et un lecteur curieux et parfois
pressé, elle offre cette palette de styles, comme on le dirait de crimes
et de mobiles.
Mary Heuze-Bern connaît les règles
du genre sur le bout des doigts : un contact invisible, mais précis, un
rendez-vous énigmatique, une ville – Biarritz ville de toutes les
fictions : l’Hôtel du Palais se souvient d’Orson Welles et d’Ernest
Hemingway, et de toreros qui réservaient des suites s’ouvrant sur le
large, le phare des dérives d’Alain Dorémieux (1), le Port Vieux, du
troublant Hôtel des Amériques (2), le Casino, du Marquis d’Arcangues, et
de Jean Cocteau (3). En trois temps, dix phrases, et deux mouvements,
l’auteur signe un minuscule roman qui devient celui de Biarritz, et par
rebond celui de la langue en mouvement, les marées du roman – la ville
aux deux rochers, aux deux écueils, la ville qui disparaît sous le brouillarta, cet écart météorologique romanesque qui vient du large. Rendez-vous à Biarritz est
une étrange et vive intrigue, qui s’évade dans les zones invisibles de
la fiction, où sommeillent d’autres histoires et quelques monstres
marins – qui sont dignes d’être montrés. L’auteur a l’œil juste et la
plume aiguisée, c’est un écrivain leste, comme si écrire demandait la
même légèreté que de monter sur une planche de surf et d’en user.
« Au retour du garçon, lui peut se
consacrer aux huîtres et à ce petit guide, acheté au passage, près du
casino de style Art déco, la Maison de la presse Darrigade en propose un
grand choix, on y croiserait André, certains jours, le Lévrier des
Landes en personne, 22 étapes du Tour de France, champion du monde, Tour
de Lombardie devant Coppi en larmes, un routier-sprinter de légende,
aujourd’hui non, il ne viendra pas, je regrette monsieur, tentez donc
votre chance demain ».
Alors, que va-t-il se passer, sous l’œil de Mary Heuze-Bern ? Une voix appelle, un certain Delenda – un fantôme, une voix sortie on ne sait d’où
–, une injonction – détruire ! – lui à l’autre bout du fil, Lui pour
l’identifier – c’était du temps où les téléphones avaient un fil et un
répondeur à l’autre bout –, Lui est donc chargé d’aller à Biarritz voir
ce qui s’y joue, ce qui va s’y jouer, une mission impossible. Il a
rendez-vous avec l’océan, le vide – le vieil Océan ! –, la chambre 120 de l’hôtel May, qui s’ouvre sur le large – la 120 en met plein la vue –, et des changements de décor, on passe du bleu au blanc cassé, du May au Mariona, avec des airs de Prisonnier,
et du Fantôme de l’Opéra, avec un constat : tout tombe à l’eau et y
retourne. Et comme d’évidence Mary Heuze-Bern sait nager, elle nous
amuse avec son intrigue et ses jeux de phrases, et elle s’en amuse. Elle
multiplie les pistes, les champs, chants du possible et de
l’impossible, le réel, c’est la ville et encore rien n’est sûr, le
reste, un rhizome vivace où le français se frotte à l’espagnol, langues
côtières, elles portent en elles ces racines de minuscules fictions, que
l’auteur croise et tisse, comme l’on nage entre les algues et les
requins.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/rendez-vous-a-biarritz-mary-heuze-bern
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