samedi 27 août 2016

Nicolas Idier dans La Cause Littéraire


« Le calme est revenu. Tu ne sais pas où tu te trouves. Derrière ton grand front dégagé qui déjà a pris la couleur de marbre, de petites rivières de sang débordent de leurs lits habituels. Le vacarme des sirènes de police est remplacé par un vent, un vent très frais qui te soulage enfin de cette température de fournaise. Des vers de Haizi montent depuis le sol, comme la mauvaise herbe qui perce le bitume.
Le vent, si beau / Vent léger, si léger et si beau / Mère nourricière du monde naturel, si belle / L’eau, si belle / L’eau… / Seul au monde, et toi / Comme il est bon de parler ».
 
 
 
La Chine nouvelle, celle du marché de l’art, du rock and roll, des éclats et des clameurs, celle de la présence de Mao et de la Révolution Culturelle, celle de la poésie vivante et vivifiante, attendait son roman, le voici. Nouvelle jeunesse est le roman de cette ardente jeunesse chinoise, de nouveaux rêves de lettres et de notes. Le roman de deux phares qui vont se télescoper de front, deux enfances qui vont fatalement se retrouver, dans la tôle froissée et le sang répandu. Feng Lei, le poète, l’albatros accordé aux dissonances électriques des guitares saturées, et Zhang Xiaopo, chauffeur de taxi clandestin et sosie du Grand Timonier qui se rêvait comédien, et qui l’a vaguement été. Deux étoiles se croisent et se percutent.
 
Le roman peut alors s’élever comme une âme – Lorsque le sage se dépouille de son cadavre, il peut monter au ciel –, bercé encore et toujours par les aventures qui n’ont cessé de porter Feng Lei, de Londres à Pékin, de son plus jeune âge, sous l’œil du père de la Grande Marche, au sourire de Rick. Le grand-père anobli aux yeux de nacre, le rocker infatigable,  dont l’ombre virevolte bien après sa disparition dans les rêves et les poèmes de Feng Lei.
 
« C’est avec Nora que Feng Lei avait découvert l’amour, mais c’est avec la poésie qu’il avait appris à en parler. Il faut écouter beaucoup de rock et lire les sonnets de Shakespeare : telle était la règle de l’éducation selon Rick Springer. Ensuite pour le reste, laisser faire. Le maximum de liberté ».
 
La Chine est cette nouvelle jeunesse dans le roman de Nicolas Idier, et cette jeunesse électrique se livre dans un foisonnant roman familial, à hauteur de la poésie chinoise traditionnelle. Les poètes de la dynastie des Tang s’invitent, effusion de phrases qui croisent celles de Feng Lei, alcools forts, dérives nocturnes à deux pas de la place Tiananmen. Tout va très vite dans ce roman électrique, comme une course folle à travers la capitale, fureur de vivre et d’écrire. Nouvelle jeunesse est un roman qui tourne et retourne dans sa bouche l’histoire moderne de la Chine, de ses éclats poétiques anciens, des arrestations, des camps de rééducation, des purges, des effusions sanglantes de la Place Tiananmen, du sourire de Mao dans les répliques colorées de Warhol, des drapeaux rouges, des cris et des chants, des ordres et des désordres. C’est aussi un roman qui brille de mille perles de joie partagées, de poèmes de Haizi, qui se nourrit de la liberté libre inventée et mise en pratique par un poète français insaisissable et indomptable. La permanence de la poésie rougeoie dans les pages du roman de Nicolas Idier, comme elle éclairait celles de La musique des pierres.
 
« Depuis deux millénaires, la Chine tente régulièrement de brûler ces livres, mais ils ont résisté. Cette langue écrite, formée par des siècles de pratique poétique, tancée du même pinceau que les grands paysages peints, est pour lui le meilleur moyen de reprendre pied dans la terre de son père ».
 
Nouvelle jeunesse est aussi le roman de la poésie de l’âge d’or de la société féodale chinoise, et de celle plus rugueuse des poètes rockers New-Yorkais. Le nouvel âge s’invente tous les jours, semblent dire ces jeunes gens modernes qui ont l’œil braqué sur l’histoire tumultueuse de leur nation, de leur Empire du Milieu, céleste terre de poètes, de peintres, de dictateurs et de révolutionnaires, ils inventent leur Beat Generation. Nicolas Idier, narrateur né, signe la lumineuse épopée des enfants de Tiananmen et du rock and roll, la révolution s’est éloignée, les révoltes sont cotées en bourse, l’art s’achète et se vend avant de voir le jour, seule la mort qui rode ne se plie pas à la mode, et elle ne sonne jamais deux fois.

Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/nouvelle-jeunesse-nicolas-idier

samedi 20 août 2016

Jean-Louis Comolli dans La Cause Littéraire





« On peut imaginer que les décapitations filmées à Mossoul ont pu être vues moins de deux heures plus tard à Londres ou à Pékin. Par cette seule synchronisation, Daech apparaît comme maître du temps, régleur de calendrier. C’est l’une des raisons qui font que ces clips, brefs, ne soient pas montés, ou alors si peu : deux ou trois plans mis bout à bout. Retour de l’immémorial fantasme de l’image immédiate, image divine, apparition ».
 
Daech, le cinéma et la mort, condense dans son titre ce qui est en jeu dans la propagande maléfique filmée par les terroristes. Il s’agit de mettre la mort réelle en scène, de la rendre visible dans le monde entier et sur l’instant. Jean-Louis Comolli en cinéaste-penseur aiguisé, et en penseur-cinéaste affuté, met avec justesse ce projet funeste en lumière. Le support numérique qui a déjà enterré la pellicule cinématographique en finit là avec la mort jouée et toujours recommencée – le merveilleux clap, son silence et moteur, ça tourne –, qui n’a cessé d’habiter le cinématographe depuis les premiers films des frères Lumière. Les cinéastes artistes ont toujours pris leur distance avec la mort – Ford, Hitchcock, Bergman, Fuller (The Big Red One filme l’horreur des camps sans la montrer), Tourneur –, jeu de cache-cache scénarisé et cadré, mis en scène, il faut savoir la cacher, jouer sur ses fugaces apparitions et ses disparitions, dans tous les cas, préférer l’imaginaire à sa représentation.
C’est un territoire dangereux, semblent-ils dire, qu’il convient d’aborder avec la raison, les armes du montage et de la mise en scène, ne jamais penser, comme le disait un cinéaste Suisse, un temps maoïste, qu’il s’agit d’une image juste, mais de juste une image. Mais les terroristes vidéastes de Daech croient dur comme fer à la vérité de leurs images de la mort en action et en acte. Ils sont persuadés qu’elle va l’emporter et que le déluge de sang qu’ils fixent va à jamais contaminer les spectateurs. Ils filment pour que cela se voie, s’écoute, se sache et qu’on se le dise. Contrairement aux nazis qui cachaient la mort organisée des camps de destruction massive des Juifs d’Europe, les islamistes acharnés n’ont rien à cacher, ils montrent l’horreur en acte, pour qu’elle soit regardée, comme jamais ne l’a été un film de cinéma.
 
« Des morts réelles ont été filmées, et de plus en plus, avant l’entrée en scène de Daech. Il y a les actualités de guerre, il y a surtout de nos jours la diffusion des petites machines à faire des images, mini-caméras ou téléphones portables, par quoi chaque inondation, chaque séisme, chaque éruption volcanique, trouve sur son chemin, charriant ou étalant les corps morts de ceux qui ont été pris au piège, des cinéastes amateurs pour les filmer… ».
 
Les clips glaçants de Daech ne viennent pas de nulle part pour Jean-Louis Comolli, ils ne viennent pas hasardeusement aujourd’hui envahir les réseaux numériques. Ils s’inscrivent dans un temps où le contenu domine et exclut la forme – Les clips de Dach en sont l’exemple parfait : tout est filmé de la même façon, la répétition règne sur le fond et la forme comme elle règne dans la plupart des mises à mort. Les vidéastes de l’horreur, comme d’autres publicitaires, et même certains cinéastes, ne visent qu’une chose, mettre le public, le et les spectateurs au centre de leur propagande, un spectateur devenu aveugle et sans voix face à ces images monstrueuses.
Daech dispose pour ce faire d’un studio – Al-Hayat –, d’une machine à produire des images, qui se ressemblent dans leur mise en scène, où bourreaux et victimes s’adressent à l’œil numérique et donc à celui du spectateur. N’oublions jamais, et Jean-Louis Comolli a raison de le rappeler, que certains terroristes ont filmé leurs crimes avec de petites caméras embarquées – Mohamed Merah et Amedy Coulibaly, caméra sanglée sur la poitrine – tout en sachant que leur mort annoncée, qu’ils se fassent exploser ou qu’ils soient abattus par les forces de l’ordre, entraînera de facto la disparition de ces traces sanglantes, mais peu importe, il faut filmer. Notre siècle est celui où la mort doit être montrée, en permanence, et en boucle.
 
« Les productions d’Al-Hayat Media Center attentent à la dignité intime du cinéma en tant qu’art, dont la responsabilité est de sauver la dignité de ceux qu’il filme, quels qu’ils soient, misérables ou puissants – tout le contraire de ce qui est fait par Daech, soucieux d’abord qu’on méprise ses victimes avant de les tuer ».
 
Jean-Louis Comolli livre ici un essai essentiel, il fera date, car ne pas vouloir voir et comprendre ce qui se joue dans la dictature des images de Daech, c’est quelque part donner crédit à ce terrorisme islamiste de la domination. Leurs images, de même que les modes opératoires des terroristes se veulent et sont spectaculaires, le spectateur ne peut que fermer les yeux, mais le cancer a fait son chemin. Il sait qu’elles existent, et qu’ici ou là, certains regardent sans qu’ils se rendent compte que c’est leur agonie future qui défile sur l’écran de leur ordinateur.
 
Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/daech-le-cinema-et-la-mort-jean-louis-comolli

mercredi 3 août 2016

L'été de tous les romans - Episode Trois

 


" L'art n'est pas la cessation de la douleur mais sa force est plus intense que celle de la réalité. Quand l'art cherche à plaire, il perd son génie. "



" Le jour où ma silhouette ne donnera plus aucune ombre mon âme s'envolera. "


" Y a plus personne qui dit pépé, et c'est pépé qu'elle a choisi. Elle l'a trouvé où ce mot, Joy ? C'est un mot qui n'existe plus, un mot d'avant le périphérique et la ferme de mille vaches. Un mot qui vient des villages qui crèvent, villages dans lesquels Joy n'a jamais vécu. "

" Bienheureuses les pierres que je ramasse sur mon chemin, sur le chemin du bord de l'eau bienheureuses les pierres ramassées par ma main, n'ont pas raté l'occasion d'un transport inespéré, du faible roulis de l'eau au fond de mes poches sucrées, n'échangeraient pas une journée de leur vie sans cœur à enfin tressauter contre leur (prétendue) éternité. "

Philippe Chauché

(bientôt ici et dans La Cause Littéraire)





L'été de tous les romans - Episode Deux


" De face, je prends l'aube en pleine face, ça frappe frontal le choc de front. J'encaisse le direct, démonté, tripes fracassées dans l'accroc.
Je suis seul et sonné, ballant. "


" L'été avançait, Monet travaillait, Jean était aussi beau que sa mère. "

" La valeur d'une peinture ne peut être reconnue que 10, 30, 40, 50 ans après son exécution. Il faut que la poussière recouvre les toiles pour qu'on puisse juger de leur qualité. Il faut qu'il y ait une distance. "

Philippe Chauché




mardi 2 août 2016

L'été de tous les romans - Episode Un




" Sans sentiment du lieu, pour moi, pas d'images possibles. "
Didier Ben Loulou - Chroniques de Jérusalem et d'ailleurs - Arnaud Bizalion Editeur


 
" Vers la vierge et son rocher, flanqué d'un double imaginaire en Voyageur devant la mer de nuages inspiré de Friedrich, tant le premier virage passé, le ciel a viré, lui aussi, presque noir, menaçant, les embruns nimbent les récifs, bientôt la Vierge elle-même, les vagues sans raison s'en prennent au trottoir. "
 

" Elle ne sortait jamais sans un recueil de Rimbaud fourré dans son sac, Rimbaud qu'elle s'était donné pour mission de traduire en chinois classique : " De  même qu'il faut avoir fait du latin pour comprendre la grandeur de Rimbaud et son impertinence, je veux frotter ma traduction à la tradition de la poésie chinoise classique. "




" Hollan : tous ceux qui connaissent ses œuvres savent avec quelle constance il prend place chaque matin dans la garrigue de ses étés devant un arbre qui va être jour après jour l'objet de son attention. "
 
 
Philippe Chauché
(bientôt ici et dans La Cause Littéraire)


L'été de tous les romans - Episode Un




" Sans sentiment du lieu, pour moi, pas d'images possibles. "
Didier Ben Loulou - Chroniques de Jérusalem et d'ailleurs - Arnaud Bizalion Editeur


 
" Vers la vierge et son rocher, flanqué d'un double imaginaire en Voyageur devant la mer de nuages inspirés de Friedrich, tant le premier virage passé, le ciel a viré, lui aussi, presque noir, menaçant, les embruns nimbent les récifs, bientôt la Vierge elle-même, les vagues sans raison s'en prennent au trottoir. "
 

" Elle ne sortait jamais sans un recueil de Rimbaud fourré dans son sac, Rimbaud qu'elle s'était donné pour mission de traduire en chinois classique : " De  même qu'il faut avoir fait du latin pour comprendre la grandeur de Rimbaud et son impertinence, je veux frotter ma traduction à la tradition de la poésie chinoise classique. "




" Hollan : tous ceux qui connaissent ses œuvres savent avec quelle constance il prend place chaque matin dans la garrigue de ses étés devant un arbre qui va être jour après jour l'objet de son attention. "
 
 
Philippe Chauché
(bientôt ici et dans La Cause Littéraire)