« Vous étiez le nouvel amour. L’espace s’était de nouveau remis à trembler. Une brûlure bleue ; une lumière balbutiée. Il y avait de nouveau quelque chose dans l’air. Quelque chose d’imperceptible. Je vous avais parlé de cet air bleu sur le fond duquel se découpait, aux yeux de Frédéric, toute la personne de Madame Arnoux. Scène de l’apparition dans L’Education Sentimentale ».
Dans son regard aux lèvres rouges est justement un roman de l’apparition, roman vécu, peut-être une autofiction, sûrement une autofriction, le narrateur est l’auteur, et l’acteur de ce qui se joue là sous ses yeux, sur sa peau et donc dans sa main. Dans son regard aux lèvres rouges ne craint rien de la force de la littérature – qu’on la qualifie comme on le souhaite ! il y risque son corps, il y risque sa phrase, et son style dans ce corps à corps avec Romy B. Il dévoile, se dévoile et dévoile son amoureuse, s’avance et avance la jambe, à l’image des toreros qu’il admire – c’est ainsi qu’il se place, avançant la main et guidant la charge de la corne opposée du toro et de Romy. Il se dit, ma vie doit être libre, joyeuse, mystérieuse, évidente comme le sourire radieux de Romy, mais, car il y a un mais permanent dans ce roman, Romy hésite, ne cesse d’hésiter entre son époux et son amant de la péniche, même lorsqu’elle s’offre c’est en hésitant. Cette hésitation est l’une des tensions du roman.
« Après ma lecture nous sommes sortis très vite de la librairie. Trottoirs brûlés ; toujours cette terrible canicule. Nous avons marché en silence. Le Pont-Neuf ; l’autre rive de la Garonne. Nous sommes allés sur la Prairie des Filtres. Un peu d’ombre ; le bord de l’eau. Nous nous sommes allongés sous un arbre. Sans un mot ».
Dans son regard aux lèvres rouges se glisse le narrateur, Yves Charnet, l’auteur dévoilé, chaloupé par cette éphémère apparition qui va le bousculer, le renverser, qui va l’illuminer. Yves Charnet offre là un roman d’amour, un vif récit sexuel, cruel, charnel et charmeur, où le narrateur se débat dans les filets de cette chimère bariolée, qui ne sait où aller, qui choisir, que faire, de sa vie, de son destin, de son corps et de ses passions. De cette aventure romanesque, de ces instants réels soumis à la littérature, Yves Charnet en tire un récit juste et net, souvent mélancolique, brutal, parfois amusé, il a tiré sa vie à la courte-paille, à qui gagne perd, et inversement.
« Je gribouille ces lignes sans les relire. Sur une petite table dans la chambre de mon hôte. Il est presque trois heures du matin. La Brouilly, la migraine, les brouillons. J’écris ce livre comme on boit. Pour oublier. J’écris ce bouquin pour oublier Romy. De mille façons ».
Yves Charnet porte le deuil de cette rencontre, de cette rencontre charnelle qui devient une illusion, le deuil du rayonnement de Romy, et de sa fuite, de sa disparition, de sa détresse, une détresse partagée. Il a beaucoup lu et beaucoup fredonné de chansons de Serge Lama, il a traversé des villes, des hôtels, construit ainsi phrase à phrase une géographie amoureuse, du Rhône à la Garonne en passant par l’océan. Dans son regard aux lèvres rouges vibre de cette géographie, de ces allers-retours, de ces trains, de ces doutes, de ces espoirs, d’un regard toujours présent, même s’il s’efface. Roman au présent, roman présent, vivant, survivant, Yves Charnet sait les blessures et les joies, il en fait un roman rouge comme un baiser.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/dans-son-regard-aux-levres-rouges-yves-charnet
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