samedi 24 juin 2017

Georges Perec dans La Cause Littéraire





« J’ai choisi pour terre natale, poursuit-il dans ce feuillet destiné au projet de Lieux, des lieux publics, des lieux communs… Le “lieu commun” sera donc l’espace de Perec. Les espaces communs deviendront son espace autobiographique ; les signes de son ancrage seront les “signes d’encrage”. Se dessinent là une éthique autant qu’une esthétique », Album Georges Perec, Claude Burgelin



 
Georges Perec se rappelle enfin à nous, Perec observateur, piéton, témoin d’un temps présent, amateur, joueur, verbicruciste, poète débonnaire, curieux de tout, et avant toute chose, Perec écrivain, ses romans en sont la preuve éclatante. Des Choses à l’Eternité, en passant par Je me souviens, et La vie mode d’emploi, ou encore Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, tout un monde, mille mondes frémissants et habités par la langue française, une géographie luxuriante – qui nous dit qu’il n’a pas inventé le slogan « Sous les pavés, la plage » –, un art de la composition, une passion pour l’écriture, pour une langue vive, une langue qui saute avec grâce d’un pied sur l’autre, d’une voyelle à une consonne. Pérec est un écrivain qui papillonne, qui palpite, qui folâtre, virevolte, voltige, d’une rue à l’autre, d’une porte à une fenêtre, tout est mouvement, et ses souvenirs s’y glissent comme la patte d’un chat sur une feuille de manuscrit.
 
 
 
Perec s’invite enfin dans la Pléiade, le papier bible, celui de la Bible, des encyclopédies et des dictionnaires lui convient merveilleusement, papier qu’il faut manier avec autant d’attention qu’en portait l’écrivain à ses carnets, à ses fiches, à ses classements, à ses espaces conquis et séduis. Pérec écrivain de légèreté, mais qui parfois après l’avoir voilée, dévoile sa tragédie familiale.
 
« J’écris : j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie », W ou le souvenir d’enfance, Tome I.
 
Georges Perec retrouve une nouvelle jeunesse par le miracle de cette édition de Christelle Reggiani pour la Pléiade. Première jeunesse à Belleville, puis dans le Vercors, à l’abri de la rage, des dénonciations, des arrestations, et des déportations, puis ce sont les rues de Paris, sous le regard de Maurice Nadeau, jeunesse de la littérature, ces Choses dont on ne cesse de se Souvenir, jeunesse de l’Oulipo, la langue se travaille, se bricole, et s’ouvre à toutes les aventures, c’est une course avec haies, et c’est à chaque fois éblouissant. Perec a au cœur ces aventures perpétuelles, ces escapades joyeuses et rigoureuses. Perec pétille, son regard comme sa plume sont de minuscules bulles de champagne qui remontent à la surface du roman, mille petits romans qui n’attendent qu’un mot de l’écrivain pour éclater.
 
 
 
« L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. Décrire l’espace : le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de portulans qui saturaient les côtes de noms de ports, de noms de caps, de noms de criques, jusqu’à ce que la terre finisse par ne plus être séparée de la mer que par un ruban continu de texte. L’aleph, ce lieu borgésien où le monde entier est simultanément visible, est-il autre chose qu’un alphabet ? », Espèces d’espaces, Tome I.
 
Georges Perec nous invite toujours à la lecture, à une lecture inventive, intempestive, déplacée, joyeusement curieuse, pas surprenant qu’il devienne l’un des mousquetaires de l’Oulipo – cet art partagé et finement amusé de la contrainte –, il suffit pour s’en convaincre de se plonger dans cette longue cohorte de 179 personnages, avec leur histoire, leur passé, leurs légendes, nouvelle pièce de ce puzzle romanesque qu’est La Vie mode d’emploi, ce roman perpétuel, cette mappemonde qui laisse entrevoir l’éternel et l’éphémère. Perec saisit, traque ce qui se passe quand il ne se passe plus rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages, dans sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, il classe ses souvenirs, voir et écrire ce que l’on voit, sans perdre de vue l’art romanesque et ses volutes – Un homme passe : il tire une charrette à bras, rouge. Un 70 passe. Un homme regarde la vitrine de Laffont. Je me souviens devient un météore romanesque, une épopée partagée et inoubliable, où l’on peut piocher, et qu’à sa guise on peut recomposer et multiplier.
 
 
 
« Je me souviens quand il y avait des petits autobus bleus à tarif unique.
Je me souviens que Colette était membre de l’Académie royale de Belgique.
Je me souviens d’un apéritif qui s’appelait le Bonal.
Je me souviens de Prosper youp-la-boum », Je me souviens, Tome I.
 
Philippe Chauché
 

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