« Le vrai charme appartient à celui, ou à celle, qui est allé, les yeux ouverts, dans son propre enfer. C’est très rare, et il s’ensuit une gaieté spéciale, teintée d’un grand calme :
« Ce charme a pris âme et corps
Et dispersé les efforts »
Juste avant, Rimbaud écrit :
« J’ai fait la magique étude
Du bonheur, qu’aucun n’élude »
(Philippe Sollers, Bizarreries)
Le cœur absolu est le centre tellurique de la dernière livraison de la revue que dirige Philippe Sollers chez Gallimard, roman publié en 1987 et réédité dans la collection Folio, sous la divine protection de Manet. Une reproduction de son tableau Roses dans un verre de champagne illustre la couverture du petit livre de poche : « Toujours vivant ?… Oui… C’est drôle… Je ne devrais pas être là… Flot de musique emplissant les pièces… Elle se souvient de moi, la musique, c’est elle qui m’écoute en me traversant… ». L’écrivain est bien vivant, même ceux qui un temps souhaitaient sa disparition, se font plus discrets, ils font avec ! La littérature est là, vivante elle aussi. Qui s’en plaindrait ? Ce nouvel opus s’ouvre par des Bizarreries. Les premières pages d’un nouveau roman en chantier ? Très actuel, très moderne, donc saisi par les forces classiques qui nourrissent l’inspiration du Girondin. Le cœur absolu s’ouvre sur deux mots : philistin et béotien. Le philistin, venu de l’hébreu pour désigner un adversaire implacable d’Israël, il s’emploie pour évoquer un bourgeois stupide, repu et réactionnaire, quant au béotien, il manque de goût, rien de pire que de fréquenter des hommes qui manquent de goût, que l’on soit écrivain ou lecteur. Le décor est posé, bizarrerie de l’histoire, il s’invente et s’écrit dans la Bible – l’art absolu du récit, que les aveugles ne peuvent entendre –, on ne visite jamais par hasard ces grands textes, et s’ils vous consument, ce n’est pas pour vous détruire, la Bible, le Récit, que le narrateur raconte à Nora, la petite-fille de Léonard Bernstein, naissance d’un personnage, comme on le disait d’une nation.
« Sommeil, et aucun repos, détails absurdes, geste approximatifs, oublis multiples. Et, simultanément, grande sérénité mémoire précise, confiance fondamentale. Vous volez aussi bien que vous titubez. C’est le prix à payer. Tout vient à vous, tout s’éloigne de vous. Vous devenez un cas central pour la science » (Philippe Sollers, Bizarreries).
Dans ce même volume, Le cœur absolu poursuit son voyage, Pascal Torrin y consacre sa lecture, une lecture en musique de ce roman foisonnant. Nous sommes à Venise, le narrateur crée avec quatre autres personnes une société secrète qui a pour but « le bonheur de ses membres ». Et comme souvent chez Philippe Sollers, Mozart et Dante seront de l’aventure, ainsi que le Pape Clément V, l’heureux Pape gascon d’Avignon (son tombeau est à Uzeste en Gascogne), et sa thèse reprise par le narrateur : « l’âme est la forme du corps », les romans de Philippe Sollers sont comme l’âme du Bienheureux Clément, ils prennent la forme du corps, d’un corps heureux.
« Je pense que l’esprit libre est un esprit de dévoilement. Il ne peut que dévoiler, c’est-à-dire enlever le voile qui couvre… L’esprit libre est un esprit de dévoilement, et c’est dans ce geste de dévoilement qu’il gagne aussi sa liberté » (Marcelin Pleynet, Florence Didier-Lambert, Paris, 1er mai 2007).
Qui mieux que Marcelin Pleynet pour figurer dans cette société secrète qu’imagine Philippe Sollers, cette « société du cœur absolu », compagnon de Tel Quel et aujourd’hui de L’Infini, lettré curieux et joyeux, fin amateur d’art, passeur vénitien, poète et écrivain, ce qui revient au même, aventurier de l’an 2000, et très présent dans ce numéro de L’Infini, en attendant la parution de son nouveau roman. Pleynet incendie Venise et Matisse, à la gloire de la sérénissime et du peintre de la liberté libre. Pleynet à Venise sous l’œil optique de Florence Didier-Lambert, Pleynet et Rodin, Pleynet et Rimbaud, vivants, plus que jamais vivants, et que protège Titien, et sa « Poésie d’amour ».
« Les poètes se transfigurent dans le temps et les lieux ; l’un semble assumer la forme du « cavalier solitaire des royaumes combattants », allusion à une période ancienne de l’histoire chinoise ; l’autre, sous le « ciel unique » de l’Ethiopie, devient tour à tour « le saint », « le voyageur », « le cavalier » (Andrea Schellino, Traduire Marcelin Pleynet).
Philippe Sollers
http://www.lacauselitteraire.fr/l-infini-140-litterature-philosophie-art-science-politique-ete-2017
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