« J’ai vécu quinze ans fin de la terre, j’y reviens chaque année, en juillet, pour une poignée de jours. Maison de famille, entre Brest et le Conquet, où habitent mes parents. La commune se nomme Plougonvelin. Je préfère le nom de la plage sur laquelle donnent les terrasses de la villa : le Trez-Hir. Mon snobisme. Là-bas, j’ai vue sur l’océan et la campagne dans le dos. Repos du guerrier urbain après trop de derniers verres. Je suis cerné par les paysages de mon enfance. Horizon balnéaire et verdure aux fesses ».
Une jeunesse en fuite est le roman de cette jeunesse balnéaire bretonne, qui s’éternise et s’étire, comme si elle sortait d’une douce sieste face à l’océan. Une jeunesse en fuite est aussi le roman mélancolique d’une chanson d’été de Niagara, Christophe, Vanessa Paradis, ou des Guns N’Roses. Une jeunesse pétillante, amusée, joyeuse, qui flirte avec la vie et ses courbes délicieuses, où rien n’a plus d’importance qu’une certaine nonchalance affective et élective. L’écrivain narrateur possède l’insouciance des personnages des films de Vadim ou des livres de Beigbeder, il lit Charles Bukowski, France Football, l’Idiot International, et Jacques Laurent qu’il préfère lorsqu’il signe Cecil Saint-Laurent.
Mais ce livre gracieux et léger est aussi celui d’une guerre, celle du Golfe où s’est trouvé engagé son père. Une guerre oubliée qui s’invite à nouveau lors de la disparition de Tess, la chienne de son père. Alors cette jeunesse en fuite devient le livre du nom du père, du regard profond et silencieux qu’il offre à son fils, de ses rares confidences, de ses attentions. Ce roman pourrait aussi s’appeler : Famille, je vous aime.
« Je crois que mon père vieillit de mieux en mieux.
Je crois que Louise sera la plus jolie fille de la ville. D’ailleurs, elle l’est déjà.
Je crois que ma mère m’a appris la douceur et la mélancolie.
Je crois que Mado me manque dès qu’elle n’est pas près de moi. Malgré sa passion pour les téléfilms de Noël. Mado est l’incarnation de la grâce tempétueuse. Ecume et soleils mêlés ».
Une jeunesse en fuite est un roman béni des fées, et des dieux, accordé aux éclats de rire de sa fille, un roman où la légèreté est aussi traversée par la crainte, la peur et le doute. Arnaud Le Guern oublie un instant ses fantaisies pour se plonger dans les lettres que son père envoyait du théâtre des opérations : Les activités de soutien aux équipes de déminage occupent mes journées. Une chose désagréable, entre autres, est la perte totale de la notion du temps : le jour (il n’y a pas de jour et pas de nuit), le mois, la date du retour. Ces lettres en disent peu, mais suffisamment pour réveiller la mémoire de l’écrivain, et en faire un roman filial et fidèle. Fidèle à sa jeunesse aventureuse et tumultueuse, fidèle à ses passions légères, à l’idée qu’il se fait de la littérature, à cette joyeuse et pétillante intranquilité, fidèle aussi à ces instants enfouis, où les craintes les plus tenaces l’habitaient. Arnaud Le Guern laisse revenir à lui les tireurs embusqués, les mines enterrées, l’absence, l’attente, les craintes, les lettres oubliées, pour en faire un beau roman, comme un Feu follet.
« La vie de mon père est un roman breton avec escales à Lyon, Joigny, Metz, au Tchad, au large de Chypre, sur les rives du lac Léman, à Riyad, dans le Var, à Koweït City. Un roman d’aventures. A moi de le raconter ? Dans la famille, j’ai la place de l’écrivain. Identique à celle du mort, en voiture. Gare aux sorties de routes ».
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/une-jeunesse-en-fuite-arnaud-le-guern-par-philippe-chauche
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