« Patricia Boyer de Latour : Besoin de silence, dites-vous…
Dominique Rolin : Oui, vivre pour moi, c’est considérer le silence comme le matériau premier de l’atmosphère. Je peux rester silencieuse très longtemps. C’était comme ça du temps de Bernard, c’est comme ça aussi avec Jim. Nous pouvons rester des heures sans parler. A Venise, nous pouvons travailler en nous tournant le dos, sans nous voir, tout en ressentant la force magnétique du silence qui est là. Le silence est offert à tout individu, mais beaucoup le négligent sans se rendre compte de cette merveille » (Plaisirs).
« Josyane Savigneau : Beauté est un de vos livres qui échappe au Diable…
Philippe Sollers : Oui, puisque la beauté lui échappe. Le Diable ne peut rien contre la beauté sauf l’assassiner s’il en a l’occasion. Ou la falsifier » (Une conversation infinie).
Deux livres pour deux histoires d’amitiés, d’affinités électives, deux histoires singulières de camarades de combat (Sollers), deux histoires d’écoutes mutuelles. Patricia Boyer de Latour et Josyane Savigneau ont l’oreille fine, c’est parce qu’elles savent écouter, quelles savent lire et écrire, et en ces temps de bavardage infini, c’est reposant, et inspiré. La première rencontre a lieu à Venise au milieu des années 90, point d’ancrage et de rencontres entre Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour – Patricia aussi est un de mes anges, discret, efficace et ravissante. La rencontre entre Philippe Sollers et Josyane Savigneau est tout autre, elle lit ses livres et lui ses critiques. Elle lui propose de collaborer au Monde des livres qu’elle dirige. Alors, chaque mois, durant dix-huit ans, l’écrivain pose pierre après pierre, de ce qui va devenir La Guerre du Goût, une cathédrale, une encyclopédie vivante et réjouissante où l’on croise entre autres Voltaire, Rimbaud, Sade, Joyce, Marivaux, Balzac et Stendhal, on ne saurait trouver meilleure compagnie.
« Jo. S : Si je vous dis Dieu, spontanément que répondez-vous ?
Ph. S : Je réponds « nature » en suivant Spinoza : Deus sive natura… Vous me dites Dieu et immédiatement je me sens plongé dans une sensation très vive de la nature ».
« P. B. L. : Journal amoureux est un livre à la fois très musical et très libre… Ecrit sous le signe de Bach et du jazz ?
D. R. : Je crois qu’il y a des correspondances entre ces deux univers musicaux. Tout joue d’une manière extrêmement discrète. L’être est transformé dans le temps à mesure qu’il est nourri de musique. Je suis habitée par elle depuis si longtemps, elle me modifie peu à peu et se reverse sur ce que j’écris ».
Deux livres comme deux Suites musicales inspirées et inspirantes – On porte Bach en soi. On le sent. On le respire. Il va plus loin que votre mémoire (1) – deux Suites françaises et italiennes, deux livres illuminés par une Passion fixe. Deux livres qui se rencontrent, se croisent, l’un plus actuel, plus politique, qui traque mensonges et dissimulations, qui entre au cœur de l’amour, de la fidélité, du sexe et croise le fer avec le Diable – Une conversation infinie –, l’autre irradiant de bonheur, et qui laisse les douleurs anciennes se fondre dans l’ode à la vie que sont Plaisirs et Messages secrets. Les deux écrivains ne cessèrent et ne cessent d’habiter leurs secrets, leur amour, et deux passeurs, deux contrebandiers des lettres qui les connaissent bien, qui savent s’accorder à leur musique, écoutent et offrent les traces indélébiles de ces rencontres éternelles, infinies, et cela tient du miracle.
Les amitiés littéraires sont des fidélités au Temps et à la vie, à l’amitié, à l’amour, à la littérature, au silence, à la musique, à l’enfance et aux rêves. Patricia Boyer de Latour et Josyane Savigneau portent haut les couleurs de ces fidélités admiratives – qui n’excluent évidemment pas les désaccords entre Josyane Savigneau et Philippe Sollers –, de ces admirations électives, de ces instants partagés, de ces regards, de cette complicité vive et gracieuse. Cette grâce illumine le regard que porte Patricia Boyer de Latour à son amie Dominique Rolin, et elle s’entend dans ce livre.
Qui douterait que les écrivains disparus ne poursuivent encore longtemps ce dialogue secret avec leurs lecteurs, qui douterait que cette énergie de vie – que l’on nommera l’art du roman – ne s’infuse chez le lecteur attentionné et silencieux, et l’accompagne longtemps ? Patricia Boyer de Latour et Josyane Savigneau sont ces lectrices privilégiées et attentionnées.
« Ce que je vis à l’instant en parlant, en écrivant, n’a rien à voir avec l’ordure de la mort ; au contraire, je la neutralise en faisant un saut de gymnaste dans l’or du temps. Ce saut, il faut accepter de l’accomplir, car c’est dans ce saut que tout se joue » (Message secret, Dominique Rolin).
« La résurrection c’est maintenant, il n’y a pas besoin de mourir pour ça. La faute, c’est qu’on ne parle plus de deux choses, parce que ça fait peur : le Diable et la résurrection des corps. La résurrection c’est tout de suite, sinon c’est la paresse » (Dieu, Philippe Sollers).
Philippe Chauché
(1) Triomphe de Bach, Théorie des Exceptions, Philippe Sollers, Folio
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