« Ils traversaient les villages déserts, d’autres en liesse. Ils roulaient à bord d’une Ford noire, le toit ouvert. Elle interrogeait les paysans, et Ridel et Carpentier jouaient les interprètes. Ils riaient beaucoup. C’était un trio libre qui traçait la campagne ».
« Elle contemplait les feuilles des arbres, le ciel bleu, les avions qui allaient et venaient, piquaient net puis mitraillaient le sol. D’énormes obus labouraient les terrains, là une meule explosait et s’éparpillait comme une boule de pissenlit, ici un cabanon de pierres s’effondrait ».
Colonne est le dernier tableau d’un triptyque littéraire qui a vu naître et paraître Constellation (1), puis Capitaine (2). Pour ce roman, Adrien Bosc, s’est attaché à la présence de la philosophe Simone Weil à Barcelone et sur le front, durant les premiers temps de la Guerre d’Espagne. Présence dont on ne sait que très peu de choses, quelques feuillets de son Journal d’Espagne. Présence au sein de la Colonne Durruti (3) qui regroupe des anarchistes de la CNT et de la FAI, et compte dans ses rangs de nombreux étrangers, une collision de destins rassemblés en une communauté provisoire. Présence au temps de l’action, et à celui de la pensée : Écrire, penser, agir sont une seule et même chose.
Simone Weil ne sera présente que quarante-cinq jours dans les territoires révoltés ; après s’être brûlée au pied et à la jambe, elle doit être transférée du front à l’hôpital de Sitgès, puis en France. La guerre d’Espagne est finie pour la philosophe, mais une autre guerre s’annonce, et une nouvelle fois elle répondra à l’appel des résistants, cette fois c’est à la Libération de la France de l’occupation nazie, et sera présente à Londres dès 1942. Ce sera son dernier voyage en terre de liberté, dont elle se voudra toute sa vie un témoin vigilant et un acteur éclairant.
« Quand elle était plongée dans un livre, plus rien n’existait. Ils se souvenaient d’un voyage en Belgique, elle devait avoir douze ans, elle avait disparu un long moment, oubliant l’heure, dévorant dans les dunes Crime et châtiment ».
Colonne est non seulement le roman d’une femme en action, d’une philosophe que rien n’effraie et qu’aucun engagement physique ne rebute, mais aussi le roman des crimes et des châtiments. Ceux frappant de jeunes phalangistes, les expéditions punitives qui répondent à la mort des jeunes miliciens de l’expédition désastreuse de Majorque pour les Républicains, le sang et la terreur écrit-elle dans une lettre adressée à Georges Bernanos, et que l’on retrouva à sa mort dans son portefeuille. Deux destins vont s’écrire, deux manières admirables de voir le monde, et que saisit avec finesse et justesse Adrien Bosc. En 1936, Bernanos est à Majorque, proche de la Phalange, il souhaite même le renversement de la République, mais les évènements, les situations vécues, les crimes, les haines, transforment son jugement. Ce seront Les Grands Cimetières sous la lune, que salue dans sa lettre Simone Weil : J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l’avais respirée. Ce roman est enfin celui des amitiés, des fidélités pour Ridel et Charpentier, ses anges gardiens, un trio libre. Adrien Bosc affectionne ces destins qui se croisent, ces hasards romanesques, ces destinées qui s’unissent et s’éclairent, ces réunions improbables dans le temps, ici celui de la guerre, des crimes et des châtiments. Adrien Bosc est fidèle au style qui a fait la force de ses deux précédents romans aventuriers : bref, précis, concis, toujours juste, net comme un coup de feu. Jusqu’à présent nous ne connaissions que deux ou trois photos en noir et blanc de la philosophe, dans sa combinaison de mécanicien au signe de la CNT à Barcelone, elle porte un foulard, que l’on sait rouge et noir, et un fusil à l’épaule sur l’une, visage d’ange, regard profond, doux et déterminé, à ces photos s’ajoute désormais ce roman profond et sans fard, ce portrait mouvant, émouvant et en mouvement, cet éclat d’une vie profondément romanesque, et guerrière.
Philippe Chauché
(3) Sur la Guerre d’Espagne et Durruti, on peut lire notamment Durruti, le peuple en armes d’Abel Paz (Editions de la Tête de Feuilles, 1972), et Le bref été de l’anarchie, La vie et la mort de Buenaventura Durruti (roman de Hans Magnus Enzensberger, Gallimard Du monde entier, trad. Lily Jumel, 1975).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire