« Alentour, ce sont surtout des garrigues, la densité nue, lente, d’un tapis de garrigue où l’herbe haute à peine plus qu’un doigt, quand elle tremble au vent, pince le cœur. »
« Nos années heureuses dans une ville heureuse n’ont pas fait pâlir les heures ni les lumières de l’enfance, elles leur ont au contraire donné un éclat plus vif. »
Voici peut-être le roman le plus profondément original, peut-être le plus romanesque, le plus troublant, le plus éclairant, le plus saisissant, de cette rentrée littéraire. Cela tient à la richesse de son imaginaire, à sa forme, son style, à la matière qu’il travaille, qu’il polie, qu’il fait émerger, sous les frondaisons de l’enfance passée aux portes de la Méditerranée. Car nous sommes à Marseille et dans ses environs dans Le Pas de la Demi-Lune, ou plutôt à Mahashima, capitale désertée d’un Royaume ancestral, nous sommes en Provence et au Japon et parfois en Chine, comme si ce pays que connaît bien l’auteur, avait été colonisé par un Royaume guerrier, où comme s’il se réveillait dans un temps ancien où l’Histoire ne serait qu’un improbable souvenir. Souvent les grands romans sont des légendes, et Le Pas de la Demi-Lune en est une. Les collines, les sentiers, les criques, les Vallons, sont ceux de l’enfance du narrateur, mais aussi ceux de l’enfance de l’auteur, tant ses descriptions sont justes, inspirées, et tant il fait corps avec les paysages qu’il évoque et qui traversent et embrasent son roman. Le monde du Pas de la Demi-Lune, est surréel, et profondément réel, comme un rêve éveillé, un monde qui pourrait être une fable d’aujourd’hui ou d’hier, traversée de secousses, de troubles, de révoltes, d’effondrements, et d’attachements aux personnages que croise le narrateur, qui d’un mot, d’un regard éclairent le roman. C’est un monde qui change de capitale, le pouvoir abandonne Mahashima, sans que l’on sache vraiment pourquoi. C’est un monde où régna la terreur, où se vide une ville, où l’on ne sait trop comment et sur quels pieds dansent ses habitants. Un monde de clans, de guerriers, de guerres visibles et souterraines, un monde aux frontières invisibles, même si parfois des militaires disent ses limites. C’est un monde romanesque, où marche le narrateur parti sur les traces de son enfance heureuse. C’est l’enfance des sentiers, de la Pointe Rouge, des Goudes, devenus Legúdo, de Manosque, transformé en Manosaka, de la lumière et des couleurs, les couleurs profondes, magnétiques, telluriques qui résonnent dans les toiles de Cézanne. C’est l’enfance d’un écrivain qui marche avec les attentions d’un peintre, d’un photographe, qui laisse s’imprimer, se dessiner, s’écrire, ces paysages, qui peuplent sa mémoire. David Bosc s’attache aux lumières et aux couleurs qui ont construit son enfance, et c’est en puisant dans cette enfance, qu’il écrit son nouveau roman, inspiré par cette mémoire infaillible et celle du Japon, où il a écrit son roman, et où se glissent notamment les poètes de la dynastie des Tang, qu’ils soient guerriers, moines ou vagabonds, comme si le Japon conduisait à la Chine. Le narrateur est peut-être un guerrier désarmé, contemplatif et silencieux, qui passe d’un Royaume à l’autre, happé par ses souvenirs.
« Il y a l’olivier, bien sûr, avec son tronc maigre tatoué de cigales. Le cyprès, qui est fermé de toutes parts. Le peuplier aussi, comme une rivière à la verticale. »
« L’architecture modifie l’écoulement du temps, elle peut le retenir avec douceur ou l’accélérer horriblement, elle peut le rendre suave ou amer. »
David Bosc modifie avec talent l’écoulement du temps, il n’est pas architecte, mais romancier. Le passé du Royaume et du narrateur se percutent, il en retient son souffle, ses vibrations, ses éclairs. Son art du roman, n’est guère éloigné de celui d’un architecte, même précisions, mêmes attentions, même regards en actes. Les fondations du roman s’appuient sur une enfance lumineuse, ceux de l’architecte sur la mémoire bâtisseuse des hommes. Les deux se rencontrent et s’unissent dans le plaisir du beau et de l’équilibre, deux vertus partagées. On ne sait le temps que s’accorde le narrateur pour son voyage éblouissant à travers les collines et les sentiers, comme on le sait le temps qu’il prend dans ses rencontres, notamment avec Akamatsu, l’ermite musicien, peut-être simplement le temps du roman, qui on le sait est immortel.
Philippe Chauché
David Bosc est éditeur et romancier, on lui doit : Milo, Sang lié (Allia) et Relever les déluges, Mourir et puis sauter sur son cheval, La Claire Fontaine
https://www.lacauselitteraire.fr/le-pas-de-la-demi-lune-david-bosc-par-philippe-chauche
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