dimanche 3 août 2008

Apprendre à saluer la beauté



S'il y a bien un exercice qui relève de la plus haute spiritualité, c'est celui de saluer la beauté, me dit-il en allumant une longue cigarette américaine, les humains qui depuis longtemps l'ignorent, devraient un jour comprendre que leur indigence pour le bonheur vient de là, de cet oublie ancien, de cette faillite de la mémoire, ajoute-t-il, on pourrait comprendre qu'ils aient renoncé à saluer la beauté, par faiblesse, fatigue, désespoir, où je ne sais quoi d'autre, mais voyez-vous, dit-il, c'est de bien autre chose qu'il est question, et l'explication saute aux yeux, nous savons tous les deux que nos frères humains, ont fort mauvais goût, dire cela n'est point une forme de condamnation définitive, c'est seulement un constat, ils se complaisent, un jour dans un état de morbide délectation, l'autre dans une permanence d'admiration lugubre, le tremblement secret de la beauté, précise-t-il, cet état miraculeux, ils en ignorent l'urgence salutaire, il s'agit pourtant, et je sais, ajoute-t-il, que sur ce point là, nous ne sommes pas très éloignés, il s'agit, d'un acte qui demande une attention particulière, une profonde concentration, car saluer la beauté, relève d'une étrange attitude, fort peu humaine, peut-être, en tout cas fort peu en accord les pratiques habituelles de nos frères humains, peut-être n'est-ce pas très loin de la prière, d'une prière voluptueuse, mais restons-en là pour ce soir, et buvons cette coupe de champagne que nous offre, cette dame, que vous apercevez à la table ronde du fond de la salle, elle a quelques aptitudes à la beauté, et en buvant cette coupe de champagne nous salueront sa beauté.

" La fontaine de Jouvence était un bassin cerné de trois marches dans lequel les hommes et les femmes se baignaient nus.
On l'appelait aussi la fontaine du Prêtre Jean.
Tout corps qui s'y immergeait ressortait dans l'apparence de ses 32 ans.
( Parce que Jésus fut supplicié à 33 ans. )
On avait calculé que le Prêtre Jean avait en vérité 562 ans. " (1)

Il m'avait prévenu par un petit message codé transmis par le garçon du bar, qu'il aurait un peu de retard, ce soir, car il avait quelques saluts précis à donner à la beauté, je m'amusais à penser qu'il s'agissait peut-être de la dame aux coupes de champagne, dont j'avais un instant aperçu la silhouette, avant qu'elle ne disparaisse dans la nuit de la rue, ou bien de l'une de ses haltes quotidienne devant l'un des tableaux du peintre miraculeux dont il aimait m'entretenir, je me disais tout cela en fixant le verre que j'avais demandé et les petites olives au fenouil qui l'accompagnait, lorsque je sentis une main se poser sur mon épaule, le léger glissement d'une chaise que l'on déplace et un " me voici, cher ami ", nous pouvons reprendre notre conversation sur la beauté, et l'art de la saluer. Je me demandais en vous attendant, si simplement le premier salut que nous adressons à la beauté, c'est ce regard vif, mordant, ce regard de fauve a écrit un écrivain du risque, ce regard empli de grâce que nous portons sur les dames qui croisent notre route, sans qu'un seul instant ne se glisse dans nos pensée la moindre stratégie de séduction, nous ne sommes pourtant pas tous les deux étrangers à l'art de la séduction, mais nous savons que sa force réside dans son absence. Vous me voyez ravis par de tels propos, a-t-il répondu, je vous parlerai un de ces soirs de mes rencontres avec la dame invisible qui nous a offert du champagne l'autre soir, je vous dirai aussi comment saluer Picasso et quelques autres musiciens de la toile.



" Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. A quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m'a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier j'ai accompli mon immense oeuvre et passé mon illustre retraite. J'ai brassé mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions. " (2)



" Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noir leur doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! " (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Les Paradisiaques / Pascal Quignard / Grasset
(2) Illuminations / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard





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