mercredi 20 mai 2009

L'Offensive de l'Immobilité


Photo : Stephen Szurlej/Getty Images

Petit exercice salutaire : amusez-vous à lire ce qui s'écrit, à écouter ce qui se dit, à regarder ce qui se montre du tennis aujourd'hui et puis d'un geste qui retourne l'espace, ouvrez n'importe où ce petit livre. Lisez, écoutez et voyez :

" Sentimentaux s'abstenir. On ne peut pas dire de lui je me souviens. Encore moins je le revois. Car il est . S'il faut une note ce sera celle-ci : un la, accentué harmoniquement. C'est-à-dire qu'il n'est pas seulement ici, ailleurs, ici ou ailleurs. Chaque point de l'espace (le court, la scène) est à comprendre comme une de ses extensions dans le temps. Il est dans un détail de lui-même : sa tignasse, complice de sa révolte ; son bandeau rouge vif, comme si le sang lui montait au front. Il est dans cet instantané, tendu apathiquement sur ses hanches creuses, sous la chaise de l'arbitre, refusant de retourner à sa place, cheval s'immobilisant au milieu d'un manège : il semble refuser un tour de piste supplémentaire, sent que quelque chose ne va pas, ne va plus. L'immobilité voici son offensive ! " (1)



Aficionados s'abstenir. On ne peut pas dire de lui je l'ai vu. Encore moins j'y étais lorsque... Le je me souviens n'est pas de saison, ni de raison. Il s'agit d'une toute autre histoire, d'une toute autre réalité de la permanence du Temps. Point de fragilité apparente, point d'absence vécue comme une science par quelques héros dont les noms tiennent sur un grain de riz. Sa présence est une énigme, aussi troublante dirions-nous que peuvent l'être les colonnes d'un temple grec, même force d'appui, même élévation qui se voit, mais aussi, même lassitude lorsque tout se dérobe, même inconstance portée à son firmament par un art armé du détachement, mais aussi même savoir du geste de la geste profonde, pieds oubliés dans l'absolue immobilité, lenteur de l'enveloppement du développement de l'étoffe dont se drape l'animal sauvage. (2)

" Contre lui, l'adversaire, la foule, le public, la meute, l'humain suffrage. Messe basse de masses bistres. Pour lui l'effarant fourré de gestes euphoriques. Les beautés terrestres de l'audace. Précision, théâtralité, solitude. Solitude en pleine lumière. A croire que du court il n'a cure. D'où vient ce grand tollé des consciences, en réaction ? Ces avertissements, pénalités, procès-verbaux ? (Oui : c'est bien le langage qui est visé.) Enfin, qu'est-il arrivé ? Qu'est-il donc arrivé ? (1)

Contre lui, les bourgeois avides, les apothicaires de faenas, les comptables vengeurs, les voyous incultes, le public, les mauvais payeurs, la masse assise. Pour lui la nécessité chevaleresque, l'art de la dague, la distinction de l'art de la guerre. Précision du tailleur de pierres précieuses, goût immodéré de la lenteur et de l'immobilité, solitude terrible. Il s'enferme seul face à six taureaux et les colonnes de ce temple éclatant s'effondrent, il ne reste du mouvement que celui de sa tête qui se penche sur son épaule, qui roule sur son large coup, qui cherche une autre diagonale, en vain semble-t-il, et la poussière qui l'ensevelit. La condamnation est terrible. Il l'entend, et se retire dans le silence de la Marisma saisi au corps et au coeur par le doute profond qui fonde les pensées ondulantes. (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Le scandale McEnroe / Thomas A. Ravier / L'Infini / Gallimard
(2) à propos de Morante de la Puebla.

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