vendredi 1 mai 2009

Le Pas et l'Allure



" Hsing tao shui ch'iung ch'u
Tso k'an yün ch'i shih "

Wang Wei / Mon refuge au pied du Mont Chung-nan

" Marcher - jusqu'au lieu - où l'eau prend sa source
S'asseoir - attendre le moment - où naissent les nuages. " (1)

" Marcher jusqu'au point où l'eau prend sa source,
Et attendre, assis, la naissance des nuages. "
( traduct. François Cheng )

" Marcher jusqu'au lieu où la source coule
S'asseoir, et attendre que se créent les nuages. "

( traduct. Philippe Sollers )

Silence de la marche
Mouvement de l'eau
J'écoute.

Éblouissement du vide
Excellence de l'être
Je marche.

Éclats des nuages
Blancs ce soir
Je m'endors.

Tout est affaire de silence, de contemplation silencieuse, d'art de s'accorder au Temps contre les horreurs nihilistes, toujours au travail aujourd'hui, et peut-être plus que jamais. Lisons :

" Quel rapport de secrète correspondance la retraite de Wang Wei soutient-elle avec le refuge de Martin Heidegger à Todtnauberg ? Qu'y aurait-il donc encore d' "oriental" ou d'"asiatique" dans la solitude comtemplative du chalet de Todtnauberg ? - Ces questions pourraient bien ne pas relever de quelque science très-suspecte, de l'ordre des us et pratiques des seuls géomanciens. Elles demandent seulement la plus haute attention portée aux exigences extrêmes qui définissent le site, le temps et le lieu précaire, de la poésie et de la pensée. - Si Wang Wei connut, semble-t-il, les honneurs et les disgrâces, puis cette longue retraite du Sage en une province reculée, loin des affaires et des aléas de la Cour impériale et des mouvements de l'histoire -, cette retraite lui fut, autant qu'on le sache, paisible et sereine, dans sa villa de Wang-ch'uan, au pied du Mont Chung-nan... Tout autre fut la retraite que rechercha Martin Heidegger, dans son refuge de Todtnauberg, au pire d'une époque troublée de l'histoire de l'Europe ( mais aussi bien, dans l'"après-guerre", d'une période d'apparente "prospérité", étayée sur fond de "guerre froide" et d'"Âge atomique" ), afin d'y trouver la ressource aventureuse d'un effort de penser sans pareil, à contre-pente de l'"Époque", et dont nous n'avons probablement pas encore commencé à évaluer l'ampleur et les enjeux. Ce à quoi il s'y trouva devoir tenir tête, ce qu'il dut entreprendre d'envisager sans ciller dans son travail de solitaire, dans la petite cellule d'ascète du chalet de Todtnauberg, il nous en a été consigné quelque chose dans le livre de bord poétique qu'il y rédigea sous le titre ( qui est aussi l'indication d'un pas et d'une allure ) d'" A l'expérience de la pensée ". Mais c'est au long d'une oeuvre immense - " en maints tomes ", comme l'a dit Mallarmé de son propre " Livre " rêvé ( peut-être écrit, à qui sait lire ) -, tout au long d'un enseignement poursuivi envers et contre tout, d'un travail de penser obstinément mené, contre vents et marées, et consigné, jusqu'au plus fort du déferlement du "nihilisme européen", en maints "Traités impubliés" -, qu'il en est proprement fait acte, et qu'il devrait aussi lui en être, enfin, donné acte. " (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Je dois cette découverte fulgurante à Gérard Guest, admirable passeur de l'oeuvre de Martin Heidegger, et à sa contribution au n° 95 de la revue l'Infini ( Eté 2006 ) : Heidegger : Le danger de l'être.
(2) " Au point immobile où tournoie le monde " ( Ouverture : à la chinoise... ) Gérard Guest / L'Infini / n° 95 / Gallimard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire