mardi 18 mai 2010

Journal Océan (2)

Considérations 1: Ici, se dit-il, il pensait échapper aux déflagrations. Il sait lire comme jamais entre les lignes. C'est un avantage, mais aussi un risque, lire entre les lignes, c'est comme, ajoute-t-il, lire entre les corps, le réel et l'imaginaire, l'un réjouissant l'autre, l'autre éclairant l'un.

Considérations 2 : Le plus étrange, note-t-il, c'est que ce livre revient de loin, des parages du naufrage. Ce soir là, ajoute-t-il, il a bu beaucoup de vins, et de nombreux whiskys, les verres se vident et se remplissent au rythme déraisonnable de bouteilles îliennes en pleine dérive. Alors, il parle à nouveau de lui, des livres, des photos, du cimetière et du village. Il explique dans le détail comment trouver la tombe où il repose aux côtés de sa mère. Le rituel était au rendez-vous, trois cailloux déposés sur la pierre grise, pour dire, " je suis passé ", trois cailloux déposés devant sa porte un soir, pour dire, d'une autre façon, " je pense à vous ", en une seconde retrouver le vouvoiement qui fût le leur. Il ajoute, deux ou trois digressions sur " la saveur et le savoir ", c'est ainsi qu'ailleurs il a défini " l'amour ", et puis les couleurs de l'Adour, et puis l'art de la séduction, l'effacement, le neutre, le silence, la Chine, le Japon, la musique aussi, assis devant le piano droit de la maison du village, il pense à l'Admirable, musicienne écrivain, si lointaine et si proche aussi. Il a toujours aimé, ajoute-t-il, son " côté anglais ", distinction, distance, élégance, politesse, légèreté, mais aussi silence et méditation sur l'Instant. De qui parle-t-il, il se le demande ? Il lit :

" Moustiques et moucherons divers tardant à s'éveiller, dans le jardin Barthezs commence à s'endormir, regard perdu sous le feuillage du figuier, et les autres ne sont toujours pas de retour. Petites touches déversées des roses, des oeillets le long des murs avec le jour qui s'adoucit. Laisser venir en soi un vide ... " (1)

" Aprés le souper, comme il ne peut raconter la journée à Henriette, une fois le moment de politesse écoulée il va fumer un cigare dans le jardin, puis se réfugie dans le bureau bibliothèque, prépare le planning du lendemain, monte dans sa chambre, ouvre les Mémoires d'outre-tombe, attend d'être stimulé par ce qu'il lit, par exemple Chateaubriand disant de sa grand-mère et de sa grand-tante : " Je suis peut-être le seul homme au monde qui sache que ces personnnes ont existé ", et il continue à prendre des notes pour son prochain cours au Collège de France : La Préparation du Roman. " (1)

Il referme le petit livre, il se dit, la Préparation du Roman, c'est la préparation du corps au bonheur, étrange histoire, c'est la préparation de la rencontre sur l'Instant, étrange histoire, c'est la préparation du discours amoureux, étrange histoire.

Considération 3 : sa mémoire est comme ces trois cailloux déposés tous les ans sur la pierre grise et silencieuse du cimetière d'Urt, je n'oublie rien du Temps et de son mouvement, note-t-il.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Roland Barthes, un été ( Urt 1978 ) / Jean Esponde / Éditions Confluences

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