dimanche 25 juillet 2010

L'Arpenteur du Temps (2)





" Ma chère maman,
Dieu soit mille fois béni ! J'ai éprouvé dimanche le plus grand bonheur que je puisse avoir en ce monde. Ce n'est plus un pauvre malheureux réprouvé qui va mourir près de moi : c'est un juste, un saint, un martyr, un élu !
Pendant le courant de la semaine passée, les aumôniers étaient venus le voir deux fois ; il les avait bien reçus, mais avec tant de lassitude et de découragement qu'ils n'avaient oser lui parler de la mort. Samedi soir, toutes les religieuses firent ensemble des prières pour qu'il fasse une bonne mort. Dimanche matin, après la grand-messe, il semblait plus calme et en pleine connaissance : l'un des aumôniers est revenu et lui a proposé de se confesser ; et il a bien voulu ! Quand le prêtre est sorti, il m'a dit, en me regardant d'un air troublé, d'un air étrange : " Votre frère a la foi, mon enfant , que nous disiez-vous donc ? Il a la foi, et je n'ai même jamais vu de foi de cette qualité ! " Moi, je baisais la terre en pleurant et en riant. O Dieu ! quelle allégresse, même dans la mort, même par la mort ! Que peut me faire la mort, la vie, et tout l'univers et tout le bonheur du monde, maintenant que son âme est sauvée ! Seigneur, adoucissez son agonie, aidez-le à porter sa croix, ayez encore pitié de lui, avez encore pitié, vous qui êtes si bon ! oh oui, si bon.
- Merci, mon Dieu, merci !
Quand je suis rentrée près de lui, il était très ému, mais ne pleurait pas ; il était sereinement triste, comme je ne l'ai jamais vu. Il me regardait dans les yeux comme il ne m'a jamais regardée. Il a voulu que j'approche tout près, il m'a dit : " Tu es du même sang que moi : crois-tu, dis, crois-tu ? " J'ai répondu : " Je crois, d'autres bien plus savants que moi ont cru, croient ; et puis je sûre à présent, j'ai la preuve, cela est !... " (1)

" J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit... " (2)


à suivre

Philippe Chauché

(1) Lettre d'Isabelle Rimbaud à sa mère / Marseille, mercredi 28 octobre 1891 / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Edition d'Antoine Adam / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Illuminations / Aube / d°

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