mardi 27 juillet 2010
Une Curieuse Elégance
" La lanterne magique de la ville étrangère est constamment rallumée en différé depuis ma fenêtre-accoudoir. Pour l'instant, ça me suffit. Vivre, c'est savoir enchaîner maillon par maillon. Je ne suis qu'une lentille grossissante de chacun d'entre eux. Ma vie tout entière peut s'interpréter comme les mouvements d'une foule anarchique et volage, composée d'abord d'enfants étourdis et d'adultes inquiets puis de vieillards que la mort taxe par anticipation. La chose est visible des hanches, des dos, des pieds. La foule ralentit son allure. La mort n'est plus très loin. Cette famille surannée s'arrange pour soigner son image, annonçant aux uns qu'ils pourront jouer les prolongations - sinon les tirs aux buts, oh scandaleux avantage ! alors que nombreux sont ceux qu'elle condamne à tomber raides.
" Couvercle noir de la grande marmite / Où bout l'imperceptible et vaste humanité. " Baudelaire a tout dit. " (1)
Il n'avait pas repris le livre depuis sa parution. C'est un peu par hasard qu'il l'a fait glisser du grand meuble crème à caissons où se reposent les auteurs. Façon de parler d'ailleurs, car il pense qu'un auteur n'est jamais au repos, un livre palpite et tremble dans sa solitude ou ses amours, c'est la même chose, un livre attend que vous le preniez et le retourniez comme un corps amoureux, un livre se livre sans retenu, avec parfois une curieuse élégance. Il en est de même, pense-t-il, d'un visage, et celui-là flotte dans sa mémoire comme une goélette chargée d'or et de diamants.
" L'attirance que j'ai éprouvée pour les bijoux, dès ma petite enfance, n'était-ce pas celle qui, plus tard, me jetterait dans les mots ? J'étais fascinée par l'éclat coloré des pierres précieuses et de l'or. Les diamants et autres émeraudes, rubis, saphirs, etc., étaient la prémonition sensuelle de mon intérêt pour les mots, leur importance physique. Il s'agit de la même passion. D'où m'est venue sans doute cette vocation pour l'art du roman. On construit une oeuvre de fiction comme on caresserait de la main des pierres originales, fabuleuses, intimes, détachées une à une, avec bonheur mais péniblement, au plus mystérieux de soi-même ; il s'agit de mettre en lumière des successions de minéraux vivants susceptibles de vous représenter. " (2)
Il a rencontré l'autre par hasard, chez un bouquiniste amusant et cultivé, échange de regards, échange de mots et offrande du livre. Il l'accompagne lorsqu'il déambule dans la ville aux vierges perchées et aux affiches déchirées, lorsqu'il traverse le jardin de la rue de Mons. Pensée singulière pour l'écrivain et la comédienne, pensée singulière pour l'élégance de la phrase et du geste, pour la courbe, et le brillant de son regard.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Journal Amoureux / Dominique Rolin / Gallimard
(2) Plaisirs / Dominique Rolin / Entretiens avec Patricia Boyer de Latour / L'Infini / Gallimard
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" - Cinquante ans d'amitié avec Philippe Sollers, comment cela se traduit-il ?
RépondreSupprimerIl n'y a que les textes qui comptent. C'est là que l'amitié se joue le plus fort. Je lis ce qu'il écrit, il lit ce que j'écris. Nous échangeons très souvent, nous passons des heures ensemble. C'est une des personnes avec lesquelles j'ai passé le plus de temps de toute ma vie. Au début, nous passions quatre ou cinq heures, chaque après-midi, à discuter. Et nous continuons à le faire, même si nous y passons un peu moins de temps [...]
- Au bout de cinquante ans, on va au-delà de ça : la vie personnelle...
- Non. Nous ne partageons absolument rien de notre vie personnelle. J'ai appris la liaison de Sollers avec Dominique Rolin par la presse. Il ne m'en a jamais parlé. Maintenant, il m'arrive de lui demander de ses nouvelles, mais il n'y a jamais de confidences personnelles. Ni de ma part, ni de la sienne. Il a sa vie, j'ai la mienne. "
(Propos tenus par Marcelin Pleynet dans un entretien accordé à Joseph Vebret in Le magazine des Livres, juillet/août 2010)
Je trouve ça très beau. Et très rare.
Pleynet - Sollers - Rolin, sorte de trilogie du silence et de l'art, élégance du secret.
RépondreSupprimerIl faut relire Pleynet, son Rimbaud notamment, instants illuminés.
Bien à vous
Philippe Chauché