
" Des volées d'oiseaux gris approchent joyeusement des rochers du champ, regardent alentour un moment, puis se mettent à picorer les petites choses - le petit tamia court parmi eux, inconscient - Les oiseaux lèvent la tête vers un dansant papillon jaune - J'éprouve le besoin de courir vers la porte et de hurler " Y a a a h " mais ce serait terrible d'imposer ça à leurs petits coeurs battants - J'ai fermé tous mes volets aux quatre points cardinaux et je suis donc assis dans une maison sombre où seule la porte est ouverte, laissant entrer la lumière brillante et douce du soleil et l'air, et il semble que la pénombre veuille m'expulser par ce dernier orifice vers le monde - C'est mon dernier après-midi, je suis assis à songer à ça, me demandant ce que les prisonniers ont dû penser pendant leur dernier après-midi au bout de vingt ans d'emprisonnement - Tout ce que peux faire, c'est rester assis et attendre la véritable jubilation - L'anémomètre et le mât sont descendus, tout est descendu, tout ce que j'ai à faire, c'est ouvrir le tour à ordures et l'antenne sous la maison et les toilettes abondamment chaulées - Bien triste mon grand visage bronzé sur les fenêtres assombries par les volets, les rides sur mon visage indiquant le milieu du chemin de la vie, presque l'âge mûr, les querelles et le déclin concourant tous à la douce victoire de l'éternité d'or. " (1)
Ne retenir que le Style, cette manière très particulière d'embraser la phrase comme une toile, mais sans que cela ne se voit, Matisse, Monet, Renoir, Picasso, nous y sommes, pense-t-il, le Style c'est aussi quelques prénoms de femmes qu'il gardera pour lui, quatre ou cinq pas plus.
Ne garder que le Style, une manière unique d'offrir son corps comme l'on enroule un spinnaker dans la tourmente.
Quelques écrivains aussi, ici Kerouac, Quignard, Mauriac, Claudel, j'ai mille choses à vous en dire.
L'absence de Style, ce qu'il fuit comme la peste noire.
Comme l'absence de lumière, de joie sur l'instant.
La perte de mémoire...
" J'avais mis à sécher sur la terrasse de la vieille villa de Mogador ma chemise. Elle était blanche; La brume l'entourait, la prolongeait sur le balustre blanc. Je regardais la mer. La brume due au soleil qui se levait déjà envahissait le port punique.
Sur la gauche, la médina avait disparu sous la brume.
Il y eut une invasion de papillons. " (2)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Désolation dans la solitude / Anges de la Désolation / Jack Kerouac / traduct. Pierre Guglielmina / Denoël
(2) Les Ombres errantes / Pascal Quignard / Grasset