dimanche 31 octobre 2010

Question de Style



" Des volées d'oiseaux gris approchent joyeusement des rochers du champ, regardent alentour un moment, puis se mettent à picorer les petites choses - le petit tamia court parmi eux, inconscient - Les oiseaux lèvent la tête vers un dansant papillon jaune - J'éprouve le besoin de courir vers la porte et de hurler " Y a a a h " mais ce serait terrible d'imposer ça à leurs petits coeurs battants - J'ai fermé tous mes volets aux quatre points cardinaux et je suis donc assis dans une maison sombre où seule la porte est ouverte, laissant entrer la lumière brillante et douce du soleil et l'air, et il semble que la pénombre veuille m'expulser par ce dernier orifice vers le monde - C'est mon dernier après-midi, je suis assis à songer à ça, me demandant ce que les prisonniers ont dû penser pendant leur dernier après-midi au bout de vingt ans d'emprisonnement - Tout ce que peux faire, c'est rester assis et attendre la véritable jubilation - L'anémomètre et le mât sont descendus, tout est descendu, tout ce que j'ai à faire, c'est ouvrir le tour à ordures et l'antenne sous la maison et les toilettes abondamment chaulées - Bien triste mon grand visage bronzé sur les fenêtres assombries par les volets, les rides sur mon visage indiquant le milieu du chemin de la vie, presque l'âge mûr, les querelles et le déclin concourant tous à la douce victoire de l'éternité d'or. " (1)

Ne retenir que le Style, cette manière très particulière d'embraser la phrase comme une toile, mais sans que cela ne se voit, Matisse, Monet, Renoir, Picasso, nous y sommes, pense-t-il, le Style c'est aussi quelques prénoms de femmes qu'il gardera pour lui, quatre ou cinq pas plus.

Ne garder que le Style, une manière unique d'offrir son corps comme l'on enroule un spinnaker dans la tourmente.

Quelques écrivains aussi, ici Kerouac, Quignard, Mauriac, Claudel, j'ai mille choses à vous en dire.

L'absence de Style, ce qu'il fuit comme la peste noire.
Comme l'absence de lumière, de joie sur l'instant.
La perte de mémoire...

" J'avais mis à sécher sur la terrasse de la vieille villa de Mogador ma chemise. Elle était blanche; La brume l'entourait, la prolongeait sur le balustre blanc. Je regardais la mer. La brume due au soleil qui se levait déjà envahissait le port punique.
Sur la gauche, la médina avait disparu sous la brume.
Il y eut une invasion de papillons. " (2)


à suivre

Philippe Chauché

(1) Désolation dans la solitude / Anges de la Désolation / Jack Kerouac / traduct. Pierre Guglielmina / Denoël
(2) Les Ombres errantes / Pascal Quignard / Grasset

3 commentaires:

  1. Le Style oui...un exercice pour chacun qui vient du plus profond de soi comme un fil conducteur qui nous emmène...

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  2. Belle définition Rénica.

    Merci de votre passage.

    Philippe Chauché

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  3. Je ne voudrais en aucun cas venir contrarier ce que vous avez voulu, Monsieur Chauché, exprimer avec votre beau style baroque, ou bafouer le joli commentaire de Rénica, mais il semblerait que plus que de "style" vous avez voulu parler des "formes", des marques de fabrique en quelque sorte, qui elles-mêmes ne peuvent se retrouver que dans trois (pas un de plus) styles existants et intemporels.
    En résumé :
    1/ Le baroque (sans limitation)
    2/ Le classique (parfaite lisibilité)
    3/ le maniérisme (sens du détail)
    Et si toutes les formes citées par vos soins se retrouvent dans un de ces styles, voire dans la mixité de ces styles, on ne peut pas en dire autant des installations vidéos dans les centres d'art contemporain.
    D'où l'importance de la reconnaissance de ces trois styles pour pouvoir parler de ceux (tous les artistes, les écrivains en faisant partie) qui méritent d'être retenus, comme vous savez si bien le faire !

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