lundi 14 avril 2014

Le Mendiant de Velasquez



" Malgré la pénombre ambiante, on distinguait les entrecroisements de marbres fuyant vers une crédence au fond, où s'amoncelaient des pots remplis de pinceaux de toutes tailles au milieu de piles de chiffons. Rangées les unes à côté des autres, quelques toiles de lin, la plupart vierges, attendaient. Deux chevalets se faisaient face, tels des squelettes en conversation. "

Approchez-vous et gardez silence et distance, c'est un génie qui peint, il prend son temps, le temps, le tempo, l'occupe au plus au point, le roi Philippe IV sait ce que cela veut dire, il a lu Baltasar Gracián, il admire son peintre et reste sourd aux malfaisants qui l'entourent à la cour. Le peintre fixe souvent le ciel et la géométrie poétique des étoiles, il s'assied à bonne distance et regarde cette toile qui prend corps et qui va bouleverser l'art, son art, l'histoire de l'art. Picasso ne l'oubliera jamais, en 1957 il lui rend un hommage tellurique et signe 58 tableaux vibrants de l'écho des Ménines. Le hasard d'une curieusement rencontre lui fait adopter Mendigo, mendiant, un peu briguant, il doit poser pour le peintre, alors il pose, il se pose à l'Alcázar, coup de chance et coup de dès.
 
" - Je vous donne mon accord pour accomplir quelque chose d'exceptionnel qui fera taire pour de bon les mauvaises langues. Pour concevoir une œuvre qui vous placera au-dessus de toutes les critiques, sinon des jalousies. Une peinture qui vous ouvrira les portes de la chevalerie, à laquelle vous aspirez, que vous méritez comme aucun autre. Vous porterez un jour sur votre poitrine la croix de Santiago. "
 
Approchez-vous et gardez distance et silence, nous sommes au 17° siècle, autrement dit au siècle du net et du bref, de la lame et de la brosse, du pinceau et du mot. Là un jésuite, une fine lame, ici un peintre, le peintre des peintres, là à nouveau un roi qui sait comme tous les espagnols que la vie est un songe, et puis Mendigo, témoin d'une révolution volcanique. Mendigo qui se glisse dans les Ménines comme entre les velours du Palais royal, Mendigo témoin actif.
 
" - Moi, Diego de Silva y Velázquez, je ne peins pas une scène, je mets en scène. Différence considérable. Faire un portrait, Mendigo, rien de plus élémentaire. Cela exige du doigté bien sûr, sans plus. J'en exécuterai d'autres encore si le roi me l'ordonne, mais je ne vois pas très bien comment m'améliorer. Ma Famille, elle, ne ressemblera vraiment à rien de ce qui existe aujourd'hui. "

Le roman de François Rachline saisit tout cela avec netteté et justesse, avec la politesse d'un invité discret, lui aussi se glisse entre les murs du palais, il voit, il entend, il écrit, il met en scène avec une belle vitalité ces corps et ses âmes dans le mouvement royal du temps et du songe, dans une perspective cavalière.

" Ainsi donc, Diego peignait une scène où il représentait peignant une scène, laquelle restait invisible puisque le dos du chevalet, seul, se révélait au spectateur. Marcela de Ulloa, regard baissé vers la fenêtre, les deux nains Nicolasito et Mari-Barbola comptaient au nombre des figures quasiment terminées, avec don José Nieto, et bien sûr, Santillo. L'infante Marguerite, elle, reconnaissable entre toutes, du haut de ses cinq ans, atteignait déjà la perfection. L'or de ses cheveux et la roser de sa joue droite attestaient que la lumière, venant d'une grande ouverture devinable au premier plan, à droite, la percutait de plein fouet. "

Tout un roman !

Philippe Chauché

 
 

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