mercredi 2 avril 2014

Marcelin Pleynet dans La Cause Littéraire


 


 

« A Venise la circonférence est partout et le centre nulle part…
Ma vie comme un roman dont la circonférence est partout et le centre nulle part… »

Marcelin Pleynet écrit comme Cézanne peignait, sur le motif. Ici, comme depuis longtemps, c’est Venise. Une île musicale pour une idée de roman musical. Loin, si loin, de toute imagerie bavarde, chichiteuse et larmoyante, loin de l’imaginaire de sa disparition annoncée dans les eaux de la lagune, loin de ses masques et de ses poses, de ses écrivains dépressifs et de ses cinéastes laborieux et poudrés. On est à mille années lumières de Mort à Venise et ses fantômes souffreteux, littéralement au cœur du mouvement de la ville, d’un mouvement poétique et musical, où s’invitent écrivains, musiciens, peintres et architectes. C’est Vie à Venise ou plus harmonieusement Vies à Venise, le pluriel est ici capital. Dans son Dictionnaire amoureux de Venise, Philippe Sollers met en avant l’éloge prononcé pour la consécration du Doge sérénissime de Venise, Luigi Mocenigo, le 23 août 1570, autrement dit aujourd’hui, par Luigi Grotto Cieco d’Hadria : « … qui ne la contemple est indigne de la lumière, qui ne l’admire est indigne de l’esprit, qui ne l’honore est indigne de l’honneur… », on ne saurait mieux dire !

Marcelin Pleynet écrit par aplats, par fines touches musicales, par traits à la main levée sur l’étendue du Temps, comme un calligraphe à l’encre noire de seiche, par suspensions, retraits, saisissements, éclats, un œil sur Monteverdi et Vivaldi, une oreille pour Bellini et le Titien, accompagné des voyelles colorées et musicales de Rimbaud.

« … O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! »

 « Les voyelles surgissent et se répartissent en consonnes. C’est ainsi qu’apparaissent les couleurs, et les couleurs précipitent, attirent un nouvel épanchement. Les consonnes ne bougeaient pas si les voyelles ne les suivaient ».

Marcelin Pleynet traverse Venise en prenant son temps, et le temps du marcheur est celui de l’écrivain, dans l’immortalité de son savoir et de ses saveurs. Le marcheur solitaire écoute, voit, et entend ce qui se joue dans le visible et l’invisible de Venise. Tout un roman entre ciel et terre, vibrant de la palette des couleurs absorbées et offertes. Cela se joue d’une ruelle à une église, d’un canal à la lumière du ciel. D’un livre l’autre, ceux qu’il lit et ceux qu’il écrit, L’amour vénitien, La fortune, la chance, Comme la poésie la peinture, Le savoir-vivre, ceux qui s’écoutent et se parlent (répons) et les musiques poétiques résonnent dans les églises où se glisse l’écrivain.

« A disposition : l’écart du soleil printanier, la légende, le roman, la meilleure compagnie… Lumière pâle, jaune et bleue, diagonales rasantes vers les Moulini Stucky, et les rives de Giudecca…
Tout est possible si je veux bien accompagner le spectacle qui s’offre à moi – celui-là ou un autre, celui que chacun croit devoir se donner à lui-même ».

Marcelin Pleynet se laisse traverser par Venise, comme Chateaubriand en son Temps – qui peut sur l’instant devenir le nôtre –, et comme un vitrail, nous en renvoie mille éclats, couleurs, toutes les couleurs invitées, les musiques qui s’inventent dans le silence des chapelles, toutes ces musiques qui nous révèlent au monde, l’art romanesque, cette étendue poétique, une manière de vivre et d’écrire ici et maintenant, autrement dit d’être dans la liberté libre.

« Ma vision est divine. Je sens aussi battre dans mes veines la joie de l’immortalité… Sa présence fait taire en moi tout autre bruit. J’ouvre le livre qui s’anime alors et change au point qu’il me semble ne l’avoir jamais lu ».

Philippe Chauché

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