« On a dit à tort qu’il fut victime d’un complot ; à raison qu’il fut aux mathématiques ce qu’à la poésie fut Arthur Rimbaud : (…) un Rimbaud qui n’aurait connu ni Harar ni Aden ni les dents d’éléphant ni la scie sur la jambe à Marseille : parce qu’en vérité c’est la fin du dormeur que ce Rimbaud a connue… »
Et si les romanciers étaient aussi de grands historiens ? Et si l’Histoire de France se mettait à résonner autrement, à vibrer d’une autre et belle manière lorsqu’un romancier s’en saisit ? François-Henri Désérable a pour lui la légèreté, la vitesse, la souplesse, l’agilité et la grâce d’un écrivain qui écrit comme l’on patine. Il s’élance sur la glace de l’Histoire de la Révolution – Tu montreras ma tête au peuple – et de la vie bouillonnante d’Évariste Galois – Évariste – avec la même facilité, la même allégresse, face à l’échafaud de la Terreur, ou au cœur du volcan des années d’apprentissage de l’artiste des Nombres.
Évariste prolonge le rêve Girondin de Tu montreras ma tête au peuple, et François-Henri Désérable y met tout autant de désir et de plaisir que dans son premier « roman ». L’Histoire est toujours une affaire de style, et il en faut tout autant pour s’en saisir et la faire sienne.
« A Louis-le-Grand, début 1827, Evariste était loin du sommet : c’est en bas qu’on le trouvait, dans la vallée ; il n’avait pas encore le piolet entre les mains. Il venait de découvrir les mathématiques, et il me plaît de croire qu’envoûté par leur beauté froide et austère, par la profondeur des théorèmes, l’élégance des démonstrations, il en fut bouleversé, submergé d’émotion… »
Évariste est un roman qui tutoie l’Histoire et les histoires, comme il vouvoie la demoiselle du roman, témoin privilégié et complice de ce qui s’écrit et se vit là, et se glisse dans celle de ce mathématicien de génie qui mourut en duel à vingt ans. En amoureux du détail et des dates – ces éclats du temps –, François-Henri Désérable déroule le roman d’un artiste en devenir, de l’enfance d’un frondeur, d’un révolté singulier qui avait le feu sacré. De Bourg-la-Reine à Louis-le-Grand, en passant par les Trois Glorieuses et la prison de Sainte-Pélagie, c’est radicalement et à chaque fois une question d’apprentissage, d’écoute, de résistances et de quelques certitudes mal lues et souvent mal entendues. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, que l’on rêve de révolution, de théorèmes, de Nombres, que l’on travaille aux parties supérieures des mathématiques, et que l’on fait à sa manière parler la poudre.
« … il est là, en prison, à Sainte Pélagie, et il s’allonge sur un lit de sangle où la vermine a fait son nid, attend jusqu’à la prière du soir quand les républicains de conserve entonnent La Marseillaise, baisent le drapeau l’un après l’autre, l’un contre l’autre se couchent ; alors enfin, d’une main tremblante il peut offrir sa plume au bleu de l’encrier – si tant est qu’il n’eût pas que la nuit pour encre et sa mémoire pour papier ».
Évariste et Arthur, des Nombres aux Voyelles il n’y a qu’un pas, et l’aventure se découvre toujours au coin de la rue, et en ces temps, elles s’enflamment, les a-t-il arpentées, ces rues parisiennes, comme vous et moi nous les arpentons aujourd’hui ? Rue de l’Ourcine, c’est une jeune femme qui se prénomme Stéphanie, en un mois il aura connu l’alpha et l’oméga de la passion, nous sommes au cœur du printemps 1832. Un printemps qui débouchera sur l’hiver en ignorant l’été, l’hiver cette saison qui débouche parfois sur l’enfer, où des hommes lui cherchent querelle et le provoquent en duel, Évariste va s’y plier et s’effondrer un trou rouge au côté droit.
« Regardez-le, ce jeune homme : son poignet danse au-dessus de la feuille ; sautille ; virevolte ; et la feuille s’emplit de formules si profondes qu’elles semblent venir du fin fond de la nuit, des puissances célestes, de la main même du Vieux ».
François-Henri Désérable danse avec ses personnages, virevolte et sautille dans l’Histoire de France, il suit Évariste à la trace, attentif à ses écarts, ses passions et ses propositions mathématiques, comme si lui aussi laissait des couleurs habiller ses équations. Évariste Galois a traversé le ciel de la pensée scientifique française, d’un doigt l’écrivain le fait superbement résonner, et il devient comète littéraire, c’est le miracle de l’art du roman.
Philippe Chauché
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