« C’est dans cette carcasse de pierre que l’illustre Jean Genet se logea jadis, plusieurs mois. Irving regarde la ruine pendante, songeur. Qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir construire là ? Des logements sociaux ? Ou bien, comme ils en sont capables, un beau musée, boum, pour charger le signe du quartier ? ».
Plus que jamais Barcelone est bien cette ville des Prodiges, une ville en mouvement perpétuel, qui ne dort jamais, qui se forme et se transforme comme un roman. Roman d’une ville en révolte permanente, épique, virevoltante, troublante, sidérante et parfois sidérée, hantée par l’Histoire et les histoires qu’elle s’invente et qui l’inventent. Grégoire Polet pratique l’art de la dérive littéraire, inspiré par ceux qui l’ont précédé sur la Rambla, dans le Raval ou le Barrio Chino, où les ombres portées d’écrivains voyageurs croisent celles d’insomniaques douteux et de perdants magnifiques.
Barcelone s’exclame dans le roman de Grégoire Polet, double exclamation pour le marin Pere Català - naviguez, naviguez, au péril de la mer– l’inspecteur Damián Pujades, Veronica la photographe aventureuse – difficile de résister à une révélation qui entre dans la chambre avec la lumière et qui vous touche doucement les paupières et qui les ouvre – Begonya qui va révolutionner le cours de son histoire – Galivàn le libraire – il possédait jadis une collection de sabliers, qu’il a revendue un beau jour, à cause du poids de tout ce sable sur son moral – Albert l’érudit, Marc en campagne électorale catalaniste. Les révoltes grondent. Les langues se nouent et se dénouent. Un vent chaud souffle sur le port et gagne les rues de la ville de tous les Prodiges. Comme une victoire du Barça sur le Real. Un ballon qui file et trompe la torpeur. Goooooool !
« Il y a des jours comme ça, où tout va bien. Du plus petit détail jusqu’au grand tout, des jours où le monde est un chef-d’œuvre. Déjà le café du matin, qui avait le goût du café qu’on boit à Turin, et dont le parfum reste, au voile du palais, comme un point d’encens dans les voies respiratoires et qui rend tout léger… »
Plus que jamais Barcelone est une ville-roman, Edouardo Mendoza, Manuel Vazquéz Montalbán, Roberto Bolaño, n’en ont jamais douté, comme d’ailleurs tous ceux qui un jour ou une nuit blanche l’ont vu et entendu. Ils ont vu la ville s’armer, chanter et déambuler, ils ont connu les barricades, la guérilla, les années de plomb, la movida, les nuits qui durent une année, la gloire et la revanche, ils en ont fait un roman. Grégoire Polet écrit comme s’il dégustait quelques crevettes à la Boqueria, même gourmandise, même précision dans le geste, même curiosité, même sérieux. Beauté des noms des chapitres, stations qui se succèdent dans Barcelona ! : Les uns, Et les autres, Tous en un seul corps, Le visage en pleurs, Dans les étoiles… romans minuscules qui mot à mot donnent forme, style et raison à ce livre aérien aux mille éclats colorés de mosaïque s comme celles qu’imagina Antoni Gaudí pour le Parque Güell.
« Le monde, le monde, et pourquoi pas avec une majuscule, tant qu’on y est. Ça n’existe pas, le monde. Le Barça, ça oui, ça existe. Barcelone aussi. Et la crise. L’omelette et les champignons. Les témoins du monde, comme tu dis, c’est des fabricateurs d’une idée, d’une idée du monde, que les autres après sont priés d’avaler ».
Plus que jamais Grégoire Polet est un écrivain français qui écrit en terre d’élection, l’Espagne (Chucho,Madrid ne dort pas). Une Espagne dont les deux capitales (Madrid la réelle, Barcelone la rêvée) sont des caravelles, qui ont un temps vogué côte à côte mais dont la méditerranéenne se voit, un peu plus chaque jour, naviguer seule vers sa destinée. A son bord, Damián, Veronica, Bruno, Begonya, Albert, aux prises avec leur destinée, leur carrière, leur histoire précieuse, leur romancero, leurs jeux d’enfants et leurs colères adultes. Plus que jamais Barcelona ! est bien ce roman des Prodiges.
Philippe Chauché
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