dimanche 5 avril 2015

Valentin Retz dans La Cause Littéraire






« Durant deux longues années, le pourtour de mes yeux, mes pommettes, mes tempes, mais également, et curieusement, le bas de mes chevilles, ont grillé nuit et jour sur l’autel de mes nerfs. Je me suis consommé en un lent sacrifice ».
 
C’est ainsi que s’ouvre Noir parfait, à la manière d’un opéra. Les nerfs du roman se consument comme ceux de Don Giovanni. Le corps du narrateur est en feu, il grille en silence comme touché par quelque maléfice. Alors, il s’agit de guérir, mais aussi de comprendre d’où vient cette malédiction. Et si tout s’était joué en Grèce, lors d’un séjour avec son épouse et son fils, Daphné et Hermès. On ne visite pas les dieux et les hommes sans quelque risque, on ne rencontre pas un Bohémien handicapé, on ne se glisse pas dans le temple d’Apollon Épikourios sans quelque dommage – souffrir sans raison peut réellement rendre fou et (que) la folie démultiplie en général les circonstances fatidiques. Le narrateur saisi au vif par ce feu – cet Enfer ? – ne sait plus à quel miracle se vouer, à quel saint se confier et à quel dieu s’offrir pour ne plus souffrir – le Paradis ? – (que) je brûlerais mes brûlures en brûlant six cent cierges, avant que sa résurrection ne surgisse d’un changement de regard.
 
« (Et) ma vision a été si soufflante, si bouleversante, si immédiate que je ne me suis pas aperçu que mes brûlures névralgiques avaient cessé à la seconde où j’avais regardé à travers mes nouveaux verres ».
 
Ainsi se poursuit Noir parfait, changement de décor, de vision et regard. Les douleurs disparaissent quand le narrateur découvre les êtres comme ils sont à travers ses nouvelles lunettes – l’écrivain ajuste son regard. Des verres correctifs (qui) concentrent ma vision pour la porter à l’intime, et plus qu’à l’intime, pour la porter au secret, au mystère, à l’indicible, et comme si ce miracle ne suffisait pas, le narrateur remonte par sa vision toute la généalogie de ceux qu’il regarde – je plongeais de plus en plus dans des vues impossibles – vues étranges et anciennes et vues actuelles, terrifiantes. Le feu du narrateur devient celui du réacteur numéro 1 de Fukushima Daïïchi, un transfert de feu, les barres de combustible nucléaire se mettent à fondre tandis que de l’autre côté du globe terrestre mes brûlures névralgiques refroidissaient sous un flot continu de sensations visionnairesNoir parfait est aussi le roman des noms divins  – Hélios, Hermès, Phoebus – que portent les enfants, celui du fils du narrateur et ceux de ses premières amitiés, qui se sont reconnus sur la terre – et des visions, le narrateur voit ceux qui ne sont plus là – les morts comme les dieux –, il les entend même répondre à un mot qu’il répète entre les dents.
 
« (Car enfin) j’étais maintenant persuadé que l’existence procédait d’une logique providentielle, que c’était même cette seule logique providentielle qui la rendait intelligible ; une logique qui prononçait les évènements, les circonstances – qu’ils fussent surnaturels ou non – … ».
 
Logique providentielle de Noir parfait, logique divine de l’aventure littéraire, nous sommes face à un roman de la traversée littérale de l’Enfer – la rencontre décisive avec Minyan Falls, l’artiste diabolique de l’île de Sein, Prince des démons, Seigneur des mouches – et face à l’ouverture salutaire sur le Paradis –Même à la fin, seulement la vie ! Le corps du narrateur est littéralement traversé par les morts – Les morts devaient veiller sur les vivants et les vivants prier pour les morts –, il devient cette porte qu’ils franchissent en y brûlant les résidus de leurs erreurs, en consumant leurs égarements. Dante est là, et on s’en réjouit.
 
« Immédiatement, j’ai alors entendu des voix qui susurraient : “Minyan Falls est menteur… Il veut ta mort… Ne l’écoute surtout pas…” Puis d’autres qui soufflaient : “Rejoins-nous sur le parvis de la chapelle… Fie-toi à nous… Suis le chemin de nos paroles…” ».
 
Logique romanesque de Noir parfait – un cercle et son point central, la fusion des nerfs produit de l’or – qui marque et démasque, et qui s’achève face à l’océan dans l’éclat de la parole. On ne peut rêver meilleure définition de l’art romanesque, d’autant plus quand il est porté avec brio, énergie, précision et allégorie, il en va de l’enchantement du roman comme de celui de l’opéra de Mozart. Comme chez François Meyronnis, il faut s’aventurer dans le néant, pour le comprendre et le terrasser.
 
Philippe Chauché
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire