« J’aime l’acier poli du canon ou le bois spécial pour la crosse ainsi que l’élégance et la finesse des mécanismes qui propulsent la mort. Celui-ci était un Glock 17, fabrication autrichienne, de couleur chat noir ».
Ground Zéro, ou la passion des armes, de l’art précis du tir embusqué, où tout est toujours question de juste place, de position du tireur couché (1). Roman de l’aventure d’un tireur d’élite qui vend ses services de haute valeur ajoutée à quelques commanditaires qui eux seuls savent à quoi et à qui tous ces assassinats peuvent servir, Ground Zéro est un roman guerrier. Glacial, terrifiant, troublant, mêlant l’art subtil de l’intrigue à celui tout aussi saisissant de la manipulation et de l’assassinat politique.
« Je n’ai jamais de contact organisé avec les politiques, et il va de soi aussi que je suis inconnu des DRH des groupes qui font appel à moi, car ce genre d’initiative échappe à leur compétence officielle. Certaines activités de mes contacts dans les conglomérats financiers ou autres sont inconnues même de leurs escort girls, si vos voyez ce que je veux dire ».
Ground Zéro, ou la passion du rock et du jazz – puis vient John Coltrane, le son de son instrument monte vers la cime des pins en volutes lentes et douloureuses –, des AK 47 et des M16, des armes de choc dans les mains, et des accords de guitares saturées dans les oreilles, un saxophone pour un dernier voyage. Walter, William, W, le tueur aux identités mouvantes participe moyennant de très beaux cachets à des petites guerres privées qui valent mieux qu’une grande guerre publique.
De l’Italie à la frontière Mexicaine, en passant par Manhattan, dupe de rien ni de personne, acteur d’une guerre sociale qui ne dit pas son nom, il exécute comptant de juteux contrats, et les hommes tombent sous ses balles d’acier trempé, jusqu’à ce que la machine bien huilée dont il est l’un des rouages, ne se grippe et ne se retourne contre lui. Un bon agent clandestin est souvent un agent mort, grand principe du retournement des alliances appliqué ici à la lettre. Jean-Paul Chaumeil a lu et bien lu Manchette et Debord, l’un pour le style, l’autre pour le dévoilement du spectaculaire intégré (2) dont il fait la matière de son roman.
« Les rares types que je voyais de près avaient le visage terreux et ressemblaient à des zombies sortis des entrailles de la terre pour me déchiqueter. Je me souviens parfaitement que j’étais en train de perdre les pédales ».
Ground Zéro est aussi le roman de la chute, celle des corps qui tombent comme des mouches des Tours Jumelles de New York, une dernière mission qui enclenche le compte à rebours. Il doit récupérer une mallette diabolique. Ses secrets : des listings de transactions bancaires, des ventes massives d’actions, un rapport de la CIA, anticipant les attentats du 11 septembre. Jean-Paul Chaumeil s’empare des théories du complot qui circulent toujours, l’effroyable imposture (3), et autres pamphlets conspirationnistes des plus nauséabonds, pour en faire l’un des axes – du mal – de son roman. Ground Zéro est un roman sans failles, le portrait d’un sniper qui ne doute de rien, qui fait avec talent son métier, le crime n’est pas sa raison mais sa matière en fusion.
« … je vois une silhouette qui braque sur moi un Sig-Sauer, je fais un geste pour repousser la balle, je la vois qui file vers moi, puis je ne la vois plus, je penche dangereusement en arrière, j’ai la très nette impression que je bascule dans le vide… »
Philippe Chauché
(1) La position du tireur couché, Jean-Patrick Manchette, Folio policier, ou encore pour l’intégrale Romans Noirs, Quarto Gallimard
(2) La Société du Spectacle Commentaires sur la Société du Spectacle, Guy Debord, Gallimard
(3) L’effroyable imposture, Thierry Meyssan : il est inutile de lire ces ragots signés par un individu peu fréquentable et dont l’antisémitisme n’est plus à prouver, il sévit notamment sur son site réseau Voltaire International (tout un programme !)
http://www.lacauselitteraire.fr/ground-zero-jean-paul-chaumeil
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