« Ma lettre sera donc – est déjà – un exercice quelque peu autobiographique. Vos ouvrages ont rythmé ma vie – comme celles d’innombrables autres personnes de ma génération – entre la fin de mon adolescence et la fin de votre vie : je vous ai lu, ou plutôt dévoré, au fur et à mesure de la sortie de vos ouvrages », Lettre à Roland Barthes.
« Oui, nous voulions nous vouer à une vie d’intellectuel et donc en grande partie immobile, sans perdre pour autant le contact avec nos corps ; nous voulions qu’un rythme de danse habite, dans l’invisible, nos poses les plus méditatives », Pour Roland Barthes.
« Le plaisir du texte, c’est ce moment où m
on corps va suivre ses propres idées – car mon corps n’a pas les mêmes idées que moi », Roland Barthes, « Le plaisir du texte », Tel Quel, Editions du Seuil.
Il y a un siècle naissait à Cherbourg Roland Barthes, il y a trente-cinq ans, un mois après la publication de La Chambre claire, il s’éteignait à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, après avoir été renversé par une camionnette devant le Collège de France. Cette rentrée littéraire est celle d’ouvrages qui témoignent de ce que fut l’auteur de Mythologies, de la vivacité de sa pensée d’écrivain, de lecteur – lire c’est désirer l’œuvre, c’est vouloir être l’œuvre –, de critique, de professeur, des livres qui se présentent à la mémoire.
Lettre à Roland Barthes est une adresse à un mort, unique, directe, où se risque Jean-Marie Schaeffer. Adresse, à ce contemporain de sa jeunesse, qui se déplaçait de livre en livre. Ecrire à Roland Barthes, pour s’inviter dans sa propre histoire. L’auteur en se convoquant devant Roland Barthes, l’évoque en lui. Le vous de la lettre est un je, et un jeu. L’auteur ne l’a pas connu, il n’a pas été son élève, ni son disciple, mais son lecteur attentif et inventif – (adolescent) tous mes désirs passaient par des lectures ou aboutissaient à des lectures –. Un lecteur qui devient l’œuvre, selon le vœu théorique de Roland Barthes.
Pour Roland Barthes est un exercice d’admiration, un regard amoureux sur l’histoire d’une pensée en mouvement, d’une pensée élégamment partagée, d’une voix – empreinte d’une nostalgie du silence –, d’un rythme – qu’il puisse parler si lentement me sidérait –, mais aussi un regard porté sur la naissance de l’écoute née des séminaires de Roland Barthes – je venais d’abord pour écouter, pour apprendre à écouter, à m’écouter… –. Chantal Thomas sait ce qu’elle doit à l’auteur de Sade, Fourier, Loyola. Pour Roland Barthes est un livre du devenir, du devenir écrivain, pour l’auteur des Adieux à la reine, et par capillarité, la découverte du goût de l’intelligence, de la saveur du savoir.
« Parmi les choses que vous m’avez apprises, il y a celle-ci : la seule cohérence qui fasse sens est celle qui tient ensemble un texte, une augmentation discursivement développée. Exiger la même cohérence du trajet d’une vie intellectuelle – et d’une vie tout court – témoigne, selon les cas, d’une conception policière de l’individu humain ou d’une conception utopique de l’unité du moi (du « sujet », auriez-vous dit) », Lettre à Roland Barthes.
« Le mode d’enseignement de Roland Barthes dans les séminaires restreints correspondait aux désirs de l’éternelle étudiante, de l’étudiante entre pages et nuages… les siècles se chevauchaient, les écoles se répondaient, personne n’interdisait à Mme de Sévigné de rencontrer Virginia Woolf, ni à Sade de croiser Loyola… », Pour Roland Barthes.
« Le texte a besoin de son ombre : cette ombre, c’est un peu d’idéologie, un peu de représentation, un peu de sujet : fantômes, poches, traînées, nuages nécessaires : la subversion doit produire son propre clair-obscur », Le plaisir du texte.
Jean-Marie Schaeffer connaît Roland Barthes sur le bout des livres et des lèvres. Il n’ignore rien du structuralisme, de la linguistique, du hasard, de la cybernétique, de la forme et du sens de ce qui se dit et s’écrit, il en a même fait son miel de chercheur. Sa lettre poursuit le travail de l’auteur de S/Z, elle s’en mêle, sans s’emmêler les théories. L’auteur est un témoin indirect de ce qui n’a cessé de se jouer en ces années luxuriantes où la pensée critique flirtait avec la critique de la pensée, où les textes étaient mis à l’épreuve du doute, et parfois de la rue, où rien n’était figé, où l’intellectuel donnait à ses lecteurs le goût et le désir du romanesque, cette curiosité qui fait voir et écrire. Lettre à Roland Barthes, témoigne de cette passion du texte et de ses signes, qui conduit à la Préparation du roman.
Chantal Thomas témoin direct de ce temps partagé, qui conduit à l’écriture, à ce frémissement d’un commencement, à cette excitation d’inconnu, à ce plaisir partagé de la langue, nous offre là beaucoup plus qu’un exercice d’admiration et de reconnaissance, c’est un roman de la cristallisation, des mots, des regards, de la voix et des passions de Roland Barthes, du grain de la voix, au grain du roman.
« Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire », Roland Barthes, Le plaisir du texte.
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