dimanche 15 janvier 2017

Richard Millet et Philipe Sollers dans La Cause Littéraire

 


« 11 heures. Entrée du Phedra (Minoan Lines) : Racine sur l’eau, en direct de Grèce. Juste derrière, la navette bleu et blanc Princess of Dubrovnik », Philippe Sollers, Automne.
« Sans écrire, je ne suis plus qu’un arbre dont le feuillage se déchire dans le vent de la nuit », Richard Millet, Journal (1991-1992).
 
Deux revues, deux revues littéraires que tout semble opposer, de la rive gauche à la rive droite de la Seine, dirigées par deux écrivains, Philippe Sollers et Richard Millet. Deux passions partagées pour la langue, deux regards sur le monde, qui souvent s’opposent, mais deux certitudes affichées, et hautement défendues : le style. Deux éditeurs : Gallimard et Léo Scheer. Des positions, des colères, des ruses, des stratégies, des écrivains en leur sein qui parfois s’ignorent mais avant toute chose défendent un style, une manière – la matière du roman –, et un œil, deux yeux perçants, pour voir et donc entendre une certaine musique littéraire, un art du récit, un saisissement du temps et des Temps, et au bout du compte, une éclairante alchimie littéraire.
 
Ils se sont longtemps croisés dans les coursives du Navire Amiral. Deux écrivains qui savent lire, deux éditeurs qui savent écrire. Et puis Richard Millet est parti, le solitaire intempestif a trouvé un autre port d’attache. Voilà ce qu’il écrivait à Philippe Sollers, l’absolu isolé, en août 2010 : « Diviser les justes, multiplier les méchants, voilà à quoi travaillent nos ennemis, multipliant les pierres en lieu et place du pain, et nous reprochant, à vous comme à moi, de trop publier, c’est-à-dire d’exister. Ils voudraient que notre royaume se divise ici-bas et que nous n’atteignions pas au Royaume du Père. Ils prétendent que nous nous haïssons. Je suis pour ma part dépourvu de haine, mais non d’armes » (L’Infini, Hiver 2011). Et tout cela ne serait qu’anecdote, s’il n’y avait les livres, les textes et les revues, qui les lient d’une rive à l’autre de la Seine, du Nord au Sud et du Sud au Nord. De Venise à Beyrouth.
 
 
 
« Abandonner la “mère patrie”, pour moi, a d’abord signifié abandonner la “langue maternelle”, et avec la langue ce sont également les références culturelles et le regard sur les choses qui ont changé, c’est-à-dire tout ce qui entre en contact avec la matière profonde de l’écriture, dont se nourrit inévitablement le plaisir de raconter, et même avant cela le désir de le faire » (Onan, les Alpes et Pirandello, Giuseppe Schillaci, Le Cartel).
 
La belle idée de La Revue Littéraire est d’ouvrir son dernier opus par Le Cartel, des écrivains italiens à Paris qui participent à un projet littéraire né en 2003, basé à Milan et baptisé Nazione Indiana (1), des écrivains qui ont à cœur de mettre la langue et le style au centre de leurs écrits. Ils se définissent comme orgueilleusement différents et orgueilleusement libres.
C’est ainsi également que s’affirme Cristina Campo, dont Jérôme Michel dresse le portrait littéraire, portrait de cette insulaire de l’esprit – Elle n’a pas écrit de romans mais des proses biseautées, extraordinairement modulées sur les contes de fées, les tapis d’Orient, la pensée de Simone Weil, la sprezzatura, des poètes impardonnables comme elle, les Pères du désert, la liturgie, les villas florentines.

Il en va ainsi aussi de l’aventure éditoriale – écrire et éditer – de Guillaume Basquin (2) confronté, écrit-il dans La Revue Littéraire, à la petite bourgeoisie d’aujourd’hui, entendez les journalistes qui n’ont pas voulu lire la réédition de Carrousels de Jacques Henric. Il publie les notes inédites – Carrousels, livre de peintre, ou mieux livre pour peintres, est à la fois la période bleue et la période rose d’Henric : « Eau pourpre et bleue le rose de l’accord parvenant à l’œil par le bleu comme il arrive à l’inverse dans une rose qui fane que le bleu de l’accord s’exprime par la modulation rose ». Le livre est une ronde, ronde littéraire dont les éclairs étourdissent.
« Le monde est un triangle. Une grande géométrie, un équilibre parfait et très secret, un nombre d’or sans cesse recommencé, tout cela peut se prouver » (Marc Pautrel, La sainte réalité).
Une sainte réalité qui laisse ici entrevoir le nouveau roman de cet écrivain qui en a déjà publié cinq dans la collection L’Infini. Instants de l’histoire d’un mathématicien, d’un homme pacifique, d’une orpheline, et aujourd’hui d’un peintre : Chardin.
 
La revue de Philippe Sollers est ce laboratoire littéraire, d’intelligence vivace, d’où jaillissent des livres en devenir, des éclats anciens, des cheminements, des passions et des fidélités. Marcelin Pleynet est toujours là. De Tel quel à l’Infini, secrétaire de la revue, ami de 50 ans, écrivain, poète, historien de l’art, témoin, de ce qui s’écrit, s’édite et se vit à Venise et à Paris : « Les discussions quotidiennes pendant plus de cinquante ans n’ont pas manqué d’être des sources d’inspiration. Je pourrai vous fournir mille exemples de cela. Je retiendrai d’abord mon rapport à la philosophie, c’est-à-dire à la pensée, à la langue et aux pensées qui déterminent mes livres » (entretien avec Fabien Ribery) (3).
 
Laboratoire ouvert sur l’Histoire, Frans De Haes est l’un des fidèles de la revue, grand lettré du Livre, il offre ici son Ezéchiel pornographe ? dont il traduit Le Livre, Claude Minière ouvre quant à lui le livre, les noms de Melville, et Patrick Besson joue et se joue de la dernière rentrée littéraire.
De L’Infini à La Revue Littéraire il n’y a qu’un fleuve à traverser, entre les mots coule la Seine, vienne la nuit sonne l’heure, les jours s’en vont, je demeure, ne cessent de nous dire Philippe Sollers et Richard Millet.
 
Philippe Chauché
 

http://www.lacauselitteraire.fr/la-revue-litteraire-n65-et


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